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ce qu'il faut avant tout détruire. Cette société, est-il nécessaire de la nommer? La levée de boucliers des loges contre les catholiques est en France, en Italie, en Espagne trop générale, trop uniforme et trop factice pour être spontanée et ne point trahir un mot d'ordre. De la Seine à l'Etna, de Dunkerque à Cadix, les procédés sont les mêmes: écraser d'abord sous le poids d'impôts spéciaux les Ordres religieux, puis leur fermer la bouche, leur interdire d'enseigner, les dépouiller de leurs biens et les dissoudre, les contraindre à l'exil pour diviser le pays et l'Eglise; atteindre aujourd'hui les rẻguliers, demain les séculiers et réduire leurs chefs au rôle de simples fonctionnaires. Ne peut-on être très bon catholique, disait Paul Bert, sans être clérical? Chasser les moines, ajoute un autre, ce n'est pas persécuter l'Eglise, mais protéger la société laïque. Ainsi M. Poirier protégeait les arts, mais non les artistes. Un prélat espagnol appelle ceci le kulturkampf international: il n'a pas tort, car la persécution s'étend chaque jour et passe les frontières que ne connaît point la maçon

nerie.

Elle continuera et ne peut qu'empirer, tant au moins qu'elle ne rencontrera point de plus sérieuse résistance. Sans doute il serait excessif de croire au triomphe définitif de l'incrédulité et de prendre toujours au tragique les propos de gens qui ont peur de l'eau bénite quand ils vivent et du diable quand ils meurent; sans doute, il ne convient pas de mesurer les affaires du monde au mètre de notre vie et de juger la liberté perdue sans retour parce qu'elle est grièvement blessée : « Dix-neuf siècles d'une existence écoulée dans le flux et le reflux des vicissitudes humaines, a dit Léon XIII, nous apprennent que les tempêtes passent sans avoir atteint les grands fonds. » Toutefois, pour l'heure présente, faut-il conserver beaucoup d'illusions, se fier à la moindre apparence et compter sur la durée de ces demi

libertés dont on nous laisse entrevoir la dédaigneuse aumône, en admettant qu'au dernier moment elles ne soient pas retirées? Je suis loin de suspecter les intentions de M. le Ministre de l'Instruction publique qui a déposé le projet de loi analysé plus haut; je crois à sa bonne foi et à sa sincérité; mais, en dépit d'elles, je crains que son œuvre, surveillée de près par la haine intransigeante, n'atteigne pas même à l'âge du ministère dont il fait partie.

XXX.

LES ACTIONS DE PRIORITÉ ET LES ACTIONS DE FUSION

ÉTUDE SUR LA NOUVELLE LOI DU 9 JUILLET 1902

(suite)

ACTIONS DE FUSION

La loi du 9 juillet 1902 a réalisé une seconde réforme, sans aucun rapport avec la précédente, mais qui offre cependant le même intérêt au point de vue économique, son but étant pareillement d'apporter de nouvelles facilités pour la formation d'une Société.

Il s'agit des actions d'apport, dont le sort a été réglé par la loi du 1er août 1893, laquelle est venue modifier l'article 3 de la loi du 24 juillet 1867 et a prescrit pendant deux ans leur immobilisation. Cette mesure avait pour objet d'enlever aux actions d'apport leur caractère spéculatif en les rendant non négociables pendant un assez long délai; elle créait ainsi une situation privilégiée pour les souscripteurs d'actions en espèces.

Cette prescription n'eut pas été critiquable si son application avait été restreinte aux actions représentant des apports en nature ou en industrie, faits par un tiers à une Société au moment de sa constitution. C'était une garantie de moralité que d'empêcher la réalisation trop rapide de titres correspondants à des apports, dont la valeur pouvait seulement se vérifier lorsque la Société était en pleine marche. Mais, où cette mesure devenait illogique et injuste, c'est quand elle s'appliquait aux actions de deux Sociétés fusionnant et leur imposait la même immobilisation de deux ans.

1 Voir le n° de décembre 1902.

Dans son rapport à la Chambre, M. Chastenet a exposé en fort bons termes les raisons pour lesquelles la loi devait être modifiée sur ce point spécial:

« Cette prescription a été introduite dans la loi de 1893, par un amendement voté par le Sénat, contre l'avis du rapporteur, et malgré l'opposition du Gouvernement. Elle a donné lieu à de nombreuses et ardentes critiques.

« Le Congrès international des valeurs mobilières, réuni à l'occasion de l'Exposition universelle de 1900, a voté une résolution pour en demander l'abrogation.

On peut, toutefois, dans ce stage de deux ans imposé aux actions d'apport, voir une garantie de moralité et une modification sur le principe lui-même a paru inopportune à la majorité de votre Commission.

Mais celle-ci a été d'accord pour reconnaître que la prohibition de négocier pendant deux ans les actions d'apport était illégitime en elle-même et fâcheuse en ses conséquences, en tant qu'elle aboutit à entraver les fusions de Sociétés.

«Lorsque les titres de l'une ou de l'autre Société que l'on veut fusionner ont également subi les épreuves. légales et qu'ils se négocient isolément, le fait qu'ils se juxtaposent et s'unifient ne suffit pas à justifier une nouvelle immobilisation.

« Un tel résultat, qui heurte un peu la raison et l'équité, va, en outre, à l'encontre des fusions de Sociétés, opérations si profitables par les économies que procure et la force que donne une union bien comprise. Il constitue enfin une prime à ceux qui s'ingénient à tourner l'obstacle.

« Il suffit, pour corriger un pareil résultat, d'ajouter à l'article 3 (nouveau) de la loi de 1867, un paragraphe portant que les prescriptions qui y sont contenues ne seront pas applicables au cas de fusion de Société ayant plus de deux ans d'existence.

«C'est dans ce sens qu'a été rédigé le texte de l'article 2 qui vous est soumis.>>

Cet article 2 de la loi du 9 juillet 1902 est ainsi

conçu :

« Ces prescriptions et ces prohibitions de l'article 3 de la loi de 1867 ne sont pas applicables au cas de fusion de Sociétés anonymes ayant plus de deux ans d'existence, soit par absorption de ces Sociétés par l'une d'entre elles, soit par la création d'une Société anonyme nouvelle englobant les Sociétés préexistantes.>>

Cette nouvelle loi crée ainsi une distinction entre les actions d'apport et fait un sort spécial à celles qui appartiennent à des Sociétés opérant leur fusion. Ces titres, en effet, sont improprement dénommés actions d'apport; ils constituent plutôt, suivant l'expression de M. Genevois, des actions d'échange, lesquelles viennent prendre la place de titres déjà négociables. La clause d'inaliénabilité ne reçoit donc plus ici son application, si les Sociétés fusionnées ont au moins deux années d'existence.

Pour comprendre l'esprit de cette loi et résoudre les cas relatifs à son application, il faut se rappeler que cette prescription procède du même esprit que celle concernant les actions de priorité. Il s'agit, en effet, moins d'une réforme nouvelle que d'une interprétation de la loi ancienne, comprise et appliquée dans un sens trop étroit.

Les actions d'apports proprement dites étaient seules visées, mais l'intention du législateur de 1893 n'était pas de frapper d'inaliénabilité temporaire les actions d'échange, pour lesquelles la mesure ne se justifiait par aucun argument de moralité ou d'intérêt économique. C'est ce qu'a exprimé, du reste, le rapporteur au Sénat de la loi du 9 juillet 1902, en indiquant très nettement l'esprit de cette réglementation, « qui doit être consi

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