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dérée non comme introduisant un droit nouveau, mais comme ayant un caractère interprétatif dont elle produit les effets. »

Ceci posé, il est facile de résoudre tous les cas qui peuvent se présenter relativement à l'application de la loi aux Sociétés fusionnées, puisqu'il ne peut être question de non-rétroactivité, et que la loi s'est simplement bornée à dégager un droit existant à l'état latent pour ces Sociétés. Si l'on suppose, par exemple, que l'une des deux Sociétés appelées à fusionner ait moins de deux ans au moment de l'échange, il faut admettre que ces nouvelles actions d'échange seront négociables, dès l'expiration du délai de deux années depuis sa propre création, et non pas deux ans seulement après le fonctionnement de la nouvelle Société résultant de la fusion. La loi, en effet, considère que le fait pour une Société d'avoir existé deux ans constitue un véritable contrôle; une fois ce stage terminé, l'inaliénabilité cesse donc de plein droit.

Il en sera de même si les Sociétés fusionnées ont moins de deux ans d'existence; la libre négociation sera de droit dès que ce délai sera révolu, alors même que ces Sociétés auraient perdu leur existence propre en fusion

nant.

Enfin, puisque la nouvelle loi a simplement un caractère interprétatif, il en résulte aussi qu'elle est immédiatement applicable aux Sociétés fusionnées qui sont en cours d'exercice mais ont moins de deux années d'existence depuis le moment de leur fusion. Si les Sociétés qui les composent ont plus de deux ans d'existence propre, leurs titres seront négociables de plein droit en vertu de la nouvelle loi, celle-ci ayant eu précisément pour objet de détruire une assimilation faussement établie entre les actions d'apport et les actions d'échange.

La portée de cette nouvelle mesure n'échappera point à ceux qui, se plaçant sur le terrain pratique, peuvent

mesurer les inconvénients que présentait l'inaliénabilité des titres dans le cas de fusion. Cette prohibition, résultant d'une interprétation trop rigoureuse de la loi, rendait ces opérations souvent très difficiles, car les actionnaires étaient naturellement peu portés à souscrire à une mesure, qui les obligeait à changer des titres négociables contre des titres inaliénables pendant deux ans. C'était donc une entrave de plus apportée à une opération rendue déjà très onéreuse par nos lois fiscales.

Souvent les promoteurs d'une fusion étaient réduits à d'ingénieuses combinaisons, qui n'offraient pas toujours des garanties sérieuses au point de vue du contrôle. C'est ainsi qu'un de ces moyens consistait à payer les apports en espèces, tout en convenant avec les apporteurs que ceux-ci emploieraient la somme qui leur était remise à souscrire une quantité équivalente de titres. En réalité, le paiement avait donc lieu en actions; mais celles-ci ayant fait l'objet d'une souscription en espèces, n'étaient pas frappées d'inaliénabilité.

L'intérêt que présente notre nouvelle législation est aujourd'hui d'autant plus évident, que la fusion apparaît comme un moyen pour les grandes industries de se défendre sur le terrain économique. Les Trusts sont à l'ordre du jour, et s'il ne convient pas de les approuver sans réserve, du moins, il importe de ne pas créer d'obstacles légaux aux entreprises qui désirent fusionner, c'està-dire réunir leurs forces pour mieux se défendre contre la concurrence ou développer leurs moyens d'action.

De cette nouvelle loi sur les actions de priorité et les actions d'apport, il est bon de tirer, comme dans les fables, une petite moralité. C'est ce qu'a cru devoir faire le rapporteur de la Commission à la Chambre, M. Chastenet, qui a terminé son rapport par les sages réflexions suivantes que nous approuvons pleinement :

«En vous proposant de sanctionner ces dispositions par vos votes, la Commission s'est inspirée d'idées plus générales, qui lui paraissent devoir dominer la législation en matière de Société.

« Ce n'est pas par une réglementation trop étroite qu'on assure des responsabilités efficaces. Il arrive, au contraire, que nos capitaux vont parfois se faire naturaliser à l'étranger pour éviter les entraves de nos lois, lors même qu'ils doivent ensuite revenir en France pour leur exploitation. Cela ne va pas sans quelque dommage pour notre pays. Mieux vaut une législation plus libérale, qui, sans excessive règlementation, se prête aux combinaisons les plus souples et les plus variées. Mais ce qu'il faut dissiper, ce sont les obscurités; ce qu'il faut atteindre et frapper, ce sont les dissimulations et les fraudes. C'est en ce sens qu'il pourrait y avoir peutêtre encore à légiférer.

« Toutefois, même en l'état actuel de nos lois spéciales aux Sociétés, les responsabilités ne seraient pas aussi souvent dénuées de sanction si les Parquets se montraient plus vigilants, les Tribunaux plus accessibles, les victimes moins débonnaires.

<< Mais ici semble s'arrêter l'œuvre du législateur. » Maurice LEWANDOWSKI.

L'ARRÊT DE LA COUR DE RENNES

SUR LA

LIQUIDATION DES BIENS DES CONGREGATIONS

COUR D'APPEL DE RENNES (1r Ch.)

Audience du 26 novembre 1902

Presidence de M. MAULION, premier président.

CONGREGATION NON AUTORISÉE.

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LOI DU 1er JUILLET 1901. DISPERSION DES MEMBRES DANS LE DÉLAI DE TROIS MOIS IMPARTI POUR demander L'AUTORISATION. - LIQUIDATEUR. NON-RÉTROACTIVITÉ DE LA LOI. DÉFAUT DE QUALITÉ DU LIQUIDATEUR POUR DISCUTER LES TITRES DE PROPRIÉTÉ D'IMMEUBLES AYANT CESSÉ AU 1er OCTOBRE 1901 D'ÊTRE DÉTENUS PAR L'ANCIENNE CONGREGATION.

C'est en vain qu'on prétendrait que toute congrégation a dú, dans le délai de trois mois depuis la promulgation de la loi de 1901, solliciler l'autorisation et que faute de l'avoir fait, elle est réputée dissoute de plein droit et soumise nécessairement à une liquidation judiciaire.

Cette interprétation, loin de pouvoir invoquer un texte en sa faveur, est, au contraire, en contradiction avec les dispositions formelles de la loi.

La loi de 1901 ayant, en effet, prohibé d'une façon absolue la simple existence de fait, il serait contradictoire de prétendre que les congrégations ont été obligées de maintenir pendant trois mois cette existence; elles étaient libres de mettre fin elles-mêmes à leur existence.

Imposer le maintien du statu quo aboutirait à violer le principe de la non-rétroactivité des lois en consacrant une mainmise immédiate sur des biens acquis et conservés sous la garantie des lois antérieures.

En promulguant le régime nouveau, le législateur n'a pas, au même instant, porté atteinte à l'ancien; il a ménagé entre les deux états de choses, une période transitoire, durant laquelle la loi nouvelle n'a pas été applicable.

Pendant cette prolongation provisoire de l'élat antérieur, les initiatives des intéressés ont pu librement se produire, et les propriétaires ont pu dégager leurs immeubles d'une détention qui leur était dénoncée comme dorénavant illicite. La liquidation judiciaire ne devant s'appliquer qu'aux biens détenus par les congrégations non autorisées qui ne se sont

pas conformées à la loi, ne peut alleindre les biens occupés anlérieurement par les congrégations qui, au 1er octobre 1901, avaient cessé d'exister.

(MESDAMES ADAM, BOUGOT ET DE LA RUE DU CAMP C.

LIQUIDATEUR LEBRETON.)

LE

A la suite de la loi du 1er juillet 1901, et avant le 1er octobre, la communauté des Carmélites de Rennes n'ayant point entendu solliciter l'autorisation se dispersa. M. Lebreton, nommé liquidateur par le Tribunal, ayant entendu considérer l'immeuble anciennement occupé par la communauté, comme tombant sous le coup de la liquidation, les trois Carmélites propriétaires, Mmes Adam, Bougot et de la Rue du Camp, l'assignèrent en revendication. Un jugement du Tribunal de Rennes, du 10 mars 1902, rejeta cette demande, mais sur appel, la ire Chambre de la Cour de Rennes, après avoir entendu les plaidoiries de M° Jenouvrier, ancien bâtonnier, pour les appelantes, et de M Chatel, pour M. Lebreton, vient, contrairement aux conclusions de M. le procureur général Roullet, de réformer sur tous les points le jugement de première instance.

La Cour,

Attendu que la Cour est saisie par les appelantes de la question de savoir si les immeubles dont elles sont propriétaires, à Rennes, faubourg de Paris, no 15, et qui étaient le siège de la congrégation non autorisée des Carmélites, devaient être mis en liquidation comme détenus par cette congrégation, alors que celle-ci s'est volontairement dispersée dans le délai de trois mois de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1901;

Attendu qu'il est soutenu par le liquidateur, et qu'il a été décidé par le Tribunal de Rennes, en son jugement du 10 mars 1902, dont appel, qu'aux termes de l'article 18 précité, la congrégation des Carmélites, de même que toutes les congrégations non autorisées existantes au moment de la promulgation de la loi, devait se pourvoir en autorisation dans le délai de trois mois; que faute de l'avoir fait, elle est réputée dissoute de plein droit et les biens détenus par elle à la date de la promulgation sont liquidés en justice; que le texte de l'article 18 dont les termes ne présentent aucune ambiguitė, ne prévoit pas d'autre alternative et qu'en conséquence la congrégation non autorisée n'avait pas le droit de se disperser dans ce délai;

Attendu que cette interprétation, qui s'attache exclusivement au sens littéral des termes, est en contradiction formelle avec la disposition primordiale et essentielle de la loi du 1er juillet 1901 en ce qui touche aux congrégations, à savoir la prohibition absolue de l'existence de fait;

Attendu, en effet, qu'en ses articles 13 et 18, la loi dispose

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