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Mon cher ami,

Je regrette vivement de ne pouvoir me rendre au Congrès que vous allez présider à Nancy. J'aurais été heureux, non seulement en mon nom personnel, mais au nom de tous mes amis du Comité de défense catholique, de vous témoigner le vif intérêt que nous prenons à vos travaux.

En effet, à l'heure où l'on démolit tout dans notre pauvre pays, il est plus nécessaire que jamais de bien établir, comme vous le faites, les bases sur lesquelles une société repose. Pour avoir droit à notre respect et pour être efficaces, les lois que vous nous préparez pour des jours meilleurs, ne seront plus la brutale expression des passions d'une majorité de rencontre, mais l'application de principes éternels de justice, d'autorité et de vraie liberté, que le christianisme est venu restaurer en ce monde. Croyez donc à toute notre sympathie et à notre vive reconnaissance.

Veuillez aussi offrir un hommage au vaillant évêque de Nancy dont l'énergie nous a consolé et réjoui au milieu de nos tristesses, et croyez toujours, mon cher ami, à mon bien affectueux dévouement.

S. G. Mgr de Cabrières, que les Jurisconsultes catholiques avaient espéré voir, cette année encore, au milieu d'eux, et dont ils n'ont oublié, ni l'éloquente parole, ni les précieux encouragements, a envoyé à M. de Lamarzelle la dépêche suivante :

J'ai dû décliner l'aimable invitation du courageux et élo quent évêque de Nancy et la vôtre. Mais je veux vous assurer et assurer tous les congressistes réunis autour de vous de ma respectueuse sympathie et de mon admiration pour votre persévérance invincible à soutenir nos droits religieux et politiques.

Les congressistes ont à déplorer encore l'absence de M. Hubert-Valleroux, l'éminent historien et économiste du Congrès, retenu par une maladie; mais les lecteurs de la Revue auront le plaisir de lire ses rapports sur la partie historique du programme.

M. Gustave Théry ouvre la séance par le magnifique et vigoureux discours que nous sommes heureux de reproduire in-extenso. Ces énergiques paroles en faveur de la justice, de la liberté de l'Eglise et du respect du droit, sont couvertes d'applaudissements.

M. Boyer de Bouillane donne ensuite lecture du beau discours de M. de Lamarzelle que nous reproduisons in-extenso, puis la séance est levée à onze heures.

SÉANCE DU SOIR

La séance s'ouvre à deux heures sous la présidence de S. G. Mgr Turinaz et de M. Théry.

M. L. Lucien-Brun communique au Congrès un rapport de M. l'abbé Crouzil sur les paroisses de l'ancien régime et les paroisses actuelles.

Après avoir présenté un historique complet de la situation légale et de fait des anciennes paroisses et communautés d'habitants sous l'ancien régime, et exposé les modifications apportées par le Concordat, le rapporteur montre que la fabrique est devenue la cellule de la nouvelle organisation religieuse.

M. Théry remercie le savant rapporteur, et tire de son travail la conclusion que l'Etat devrait laisser à l'Eglise le droit de posséder librement.

Ce rapport sera publié in-extenso dans la Revue des Institutions, ainsi que tous les rapports lus au Congrès.

M. Poidebard, dans son rapport sur la suppression des responsabilités, indique que la responsabilité humaine est nécessaire pour assurer les rapports sociaux. Aujourd'hui chacun se croit capable de tout mais ne veut être responsable de rien. Le pouvoir, le chef de l'Etat, les ministres sont en pratique irresponsables; les plaintes de la Cour des comptes le prouvent en matière financière. Le rapporteur critique avec raison la fameuse théorie de l'acte administratif qui aboutit à l'irresponsabilité des fonctionnaires. Le suffrage universel aboutit du reste à cette formule, par suite de l'irresponsabilité de l'électeur : une majorité qui fait tout et n'est responsable de rien, une minorité qui ne fait rien. et est responsable de tout.

M. Thery remercie l'orateur, signale l'irresponsabilité des fonctionnaires et demande par quel moyen on pourrait l'éviter.

M. Fernex de Mongex constate avec tristesse qu'il n'en existe aucun.

M. Boyer de Bouillane estime, au contraire, qu'en face d'un abus, pour l'empêcher tout au moins de continuer, il faut faire des personnalités très déterminées et viser le fonctionnaire responsable.

Dom Besse cite également des exemples de résistance ayant réussi vis-à-vis d'abus de fonctionnaires.

M. Joseph Lucien-Brun et M. Théry ajoutent de nombreux exemples à ceux déjà cités par M. Boyer de Bouillane et Dom Besse, à l'appui de leur opinion.

M. Berlier de Vauplane estime qu'il est nécessaire que les particuliers aient le droit de rendre les fonctionnaires effectivement, réellement responsables de leurs actes, notamment responsables pécuniairement. Il proteste contre la théorie de l'acte administratif. Pour garantir la liberté individuelle, il faut supprimer toutes les entraves de l'article 75 et de la théorie de l'acte administratif, sauf à laisser une responsabilité réelle au particulier lui-même qui intenterait témérairement des actions contre les fonctionnaires.

Mgr Turinaz demande comment on pourrait résister aux prétentions des préfets d'empêcher des religieux de prêcher avec l'autorisation de l'Evêque, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation l'y autorise?

M. Thery répond qu'il n'y a pas de moyen.

M. Berlier de Vauplane déclare qu'il faut que le juge de droit commun tranche les questions entre particuliers et fonctionnaires, et non les tribunaux administratifs.

Le P. Forbes demande comment on pourrait garantir les particuliers des abus de pouvoir du Chef de l'Etat.

Une discussion s'engage entre MM. Fernex de Mongex, Terraux, de Crevoisier, avocats à Nancy, Mgr Turinaz, abbé Martin (Bruxelles), Lucien-Brun.

M. Berlier de Vauplane se demandant quel sera le juge, déclare qu'il n'y aura point de garanties indivi

duelles tant qu'il n'y aura pas de magistrature éclairée et indépendante. Car le magistrat est encore plus important que la loi elle-même. Or, si la magistrature française est indépendante des particuliers et n'est pas vénale, elle n'est pas assez indépendante vis-à-vis du pouvoir parce qu'elle est nommée, surveillée par lui, et reçoit de lui son avancement. Quel est le meilleur mode de nomination des juges? Par le pouvoir lui-même, assurément, mais avec des correctifs et des garanties. Le concours sera-t-il une garantie suffisante? Non, ce moyen, bon pour la nomination des professeurs et des ingénieurs, n'est pas suffisant pour les magistrats, car pour faire un bon magistrat, il faut moins de science que de jugement et d'honorabilité, qualités que le concours ne peut ni donner, ni mesurer.

Faudra-t-il alors s'adresser au suffrage populaire? Il ne peut en être question sérieusement. Les juges devraient être nommés par le pouvoir sur une liste de présentation dressée par les compagnies judiciaires. Mais le moyen ne sera bon que quand la magistrature actuelle, les mœurs nationales, etc., seront elles-mêmes changées, quand nous aurons un gouvernement chrétien, un gouvernement vraiment national.

En donnant un pareil pouvoir aux compagnies judiciaires, on augmenterait leur force, leur prestige et la vie provinciale.

Le rapporteur demande également la diminution du nombre des tribunaux et des juges.

M. Henry Lucien-Brun demande à M. Berlier de Vauplane ce qu'il pense de la vénalité des charges qui était en usage sous l'ancien régime, à l'époque la plus brillante de la vieille et illustre magistrature française.

M. Berlier de Vauplane, ne croit pas qu'on puisse la rétablir aujourd'hui.

M. Joseph Lucien-Brun expose le système anglais qui assure une véritable indépendance, vis-à-vis du

pouvoir puisque le juge ne peut ni être destitué, ni espérer aucun avancement.

M. Lambert, pour assurer l'indépendance de la magistrature, demande l'élection des juges par un mode analogue à la nomination du jury, ou à celle des Tribunaux de commerce.

M. Delepoulle demande l'élection des juges par un collège restreint composé des avocats, avoués, notaires, etc.

M. de Fromoni croit que la vénalité des charges autrefois avait de gros avantages, notamment celui d'assurer l'indépendance et l'influence de la magistrature. Le mot lui a fait du tort, mais au fond la vénalité des charges c'était leur hérédité.

M. Fernex de Mongex estime que si le mode d'élection a réussi en Suisse où tout le monde se connaît, en France, les collèges électoraux étant trop étendus, le résultat serait déplorable.

Le P. Forbes expose le systême des Etats-Unis, où le mode d'élection usité pour la Cour suprême donne de bons résultats.

M. de Bernon indique le rôle de la Cour suprême aux Etats-Unis.

M. Charles Boullay demande un conseil de la magistrature réglant l'avancement et le maintien des magistrats, et la suppression du déclinatoire d'incompétence basé sur l'acte administratif.

M. Fernex de Mongex estime que ce n'est pas l'augmentation des traitements qui assurera l'indépendance des caractères.

M. Théry croit néanmoins que pour avoir des hommes de valeur, il faut les payer largement.

M. Paul Delepoulle donne lecture au Congrès du sa-vant et très vivant rapport de notre distingué collaborateur M. André Pérouse, l'écrivain si apprécié des lecteur de la Revue. Le jeune auteur avec une rare érudi

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