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SÉANCE DE CLOTURE

La séance s'ouvre ensuite à 9 heures sous la présidence de Mgr Turinaz, entouré de MM. Théry et de Vienne.

Au début de la séance les congressistes reçoivent avec une joie respectueuse communication de la dépêche suivante envoyée au nom de S. S. Pie X par Mgr Merry del Val, secrétaire d'Etat, à Mgr Turinaz:

<< Saint-Père bénit de cœur jurisconsultes catholiques réunis à Nancy et il les remercie de leur hommage. ▸

M. Lambert examine ensuite, dans un rapport plein d'intérêt la question de savoir ce qu'il faut entendre par délit de congrégation, et ce que peut encore faire en France sans encourir de pénalité un religieux, se reconnaissant religieux. Mgr Turinaz MM. Boyer de Bouillane, Dubos, Théry, Berlier de Vauplane, Joseph Lucien-Brun, de Bernon, de Crevoisier, dom Besse, de Fromont, se livrent à un échange d'observations des plus intéressantes sur la question de la propriété litté– raire des religieux.

M. Thery, à l'heure où va s'achever le Congrès, remercie les congressistes, dans un langage ému et élevé. 11 se félicite de voir l'Eglise attaquée, n'est ce pas en effet la preuve que la France est inséparable de l'Eglise ; or l'Eglise ne périra pas.

Il veut avant tout remercier Mgr Turinaz de sa présence qui a été pour les congressistes un honneur, une force et une joie.

Mgr Turinaz, dont la parole éloquente avait inauguré les travaux du Congrès les clôture par des remerciements et des souhaits dignes de son cœur d'Evêque et de Français.

Il félicite et remercie les jurisconsultes d'être venus à Nancy; il les remercie surtout de leurs travaux ac

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complis pour le triomphe de la France et de l'Eglise. Les semences qu'ils jetttent germeront un jour sur cette terre de France. Vous défendez, dit-il, la justice, la vérité, la liberté, comment Dieu ne bénirait-il pas vos efforts.

« Vous avez pu voir, Messieurs, déclare l'Evêque de Nancy, que notre ville, qui renferme tant de catholiques et d'hommes éminents, n'était pas indigne de cet honneur. Je remercie les jurisconsultes de leur esprit de foi. Ils travaillent pour l'avenir. Mais un jour, la moisson viendra, car c'est sur une bonne terre, la terre de France, que la semence est jetée. La France restera catholique, car on y respecte encore les principes de liberté et de justice qui viennent de Dieu. Allons aux hommes; montrons-leur la vérité, ouvrons-leur notre cœur, et un jour, nos enfants, en chantant le Te Deum de la délivrance, béniront la mémoire de tous ceux qui luttent en ce moment. >>

Le congrès est clos sur ces paroles d'encouragement. Les congressistes ont passé leurs soirées à la maison de famille des étudiants, où l'accueil le plus cordial et le plus gai leur a été réservé; ces réunions n'ont pas été le moindre attrait du congrès, et M. Théry a tenu ȧ témoigner à M. de Vienne toute la reconnaissance des jurisconsultes pour l'organisation parfaite du Congrés dans la ville de Nancy.

Joseph LUCIEN-BRUN,

Avocat à la Cour de Lyon.

DISCOURS DE M. GUSTAVE THÉRY

C'est une déception pour nous tous de ne point voir notre président, M. de Lamarzelle, diriger les travaux de ce congrès.

Un accident sans gravité d'ailleurs, je suis heureux de vous le dire, le condamne à quelques jours de repos absolu.

C'est ce qui me vaut, Messieurs, l'honneur et la charge de vous présider.

Monseigneur, permettez aux juriconsultes catholiques de vous remercier tout d'abord de l'accueil que vous avez bien voulu leur faire dans votre ville épiscopale.

Lorsque l'on apprit que le congrès se tiendrait à Nancy, une même pensée se présenta à tous les esprits : la ville de Mgr Turinaz; et tous nous nous sentîmes paticulièrement heureux de venir parler droit devant l'évêque défenseur du droit, devant l'évêque qui l'affirme par ses paroles et par ses actes, devant l'évêque qui souffre persécution pour la justice et qui nous montre combien la force matérielle est misérable lorsqu'elle se heurte à la force morale au service du droit.

Nous espérons, Monseigneur, que vous voudrez bien, présider effectivement nos réunions, ce sera, pour nous, un très grand honneur, et le plus précieux des encouragements.

Nous sommes réunis, Messieurs, pour nous occuper du droit, en l'appliquant aux diverses situations de fait qui, actuellement, préoccupent les jurisconsultes catholiques.

N'éprouvez-vous pas souvent, Messieurs, un singulier embarras, lorsque vous êtes consultés par les honnêtes gens qui, trop fréquemment de nos jours, se

sentent menacés dans leurs droits. Ne vous semble-t-il pas, que le terrain sur lequel vous êtes habitués de marcher se dérobe sous vos pieds?

Le rôle du jurisconsulte consiste à connaître la loi de son pays, à l'interpréter conformément aux règles de la saine raison en s'éclairant de l'équité naturelle qui forme la base de toute loi digne de ce nom.

Lorsqu'il est arrivé ainsi à dégager le droit, le jurisconsulte compte sur l'intelligente honnêteté du juge pour en assurer au besoin le respect.

C'est ce que résume la vieille formule: Forum et jus, mon droit et des juges.

L'honnêteté du législateur et l'honnêteté du juge forment la base de toute société, la seule et véritable sauvegarde des droits des citoyens.

On peut et l'on doit, par diverses combinaisons constitutionnelles, chercher à mieux assurer cette honnêteté, à lui donner des garanties, à protéger l'homme en fonction, contre les faiblesses inséparables de la nature.

Mais quoi que l'on fasse, si cette honnêteté n'existe pas, les droits des citoyens deviennent de vains mots.

L'autorité n'est plus que la force au service de la passion, les droits les plus indiscutables sont foulés aux pieds, ceux qui réussissent à s'emparer du pouvoir n'en usent que pour faire sentir aux autres le poids de leur tyrannie.

Ne sont-ce point là les réflexions qui vous sont venues bien des fois à l'esprit dans ces derniers temps, lorsqu'appelés à défendre des droits évidents, vous vous sentiez à l'impossible d'en assurer le respect.

Combien nous sommes loin de la définition que, dans son épitre aux Romains, saint Paul donnait de l'autorité civile: Dei enim, disait-il, minister est tibi in bonum, si autem malum feceris, time; non enim sine causa gladium portat.

Notre gouvernement, ne semble-t-il pas le contrepied

de cette définition? La crainte n'est plus pour ceux qui font le mal, ils savent que tout leur est permis, ils peu vent piller les églises, envahir les propriétés, attenter à la liberté du travail. Ils savent que pour eux le glaive reste au fourreau.

Il n'en sort que pour protéger les crochetages de couvents, les fermetures d'écoles, la main mise sur les biens des œuvres catholiques.

Notre gouvernement semble avoir adopté, en la retournant, la devise qui fit la fortune du second Empire: que les bons tremblent, que les méchants se rassurent.

D'où cela vient-il, Messieurs, d'où vient ce renversement de l'ordre social, qui fait servir la puissance publià opprimer ce qu'elle devrait protéger au contraire?

Les causes de ce désordre sont multiples et complexes. Il en est une, toutefois, que je veux vous signaler, car elle rentre essentiellement dans le domaine du jurisconsulte: On a chassé Dieu de la loi humaine.

Au principe: Omnis potestas a Deo, on a substitué cette formule Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation.

Par suite, la loi humaine est devenue « l'expression de la volonté générale », au lieu d'être une règle de raison, reflet et développement de la loi que Dieu luimême a imposé à l'homme comme conséquence de sa nature, je veux dire la loi naturelle.

Il n'y a donc, dans notre système légal actuel, rien au-dessus de l'homme, rien au-dessus de sa volonté, rien au-dessus de son caprice: la volonté sans frein ni loi est-elle autre chose que son caprice? C'est la force substituée au droit. Aussi entendait-on récemment dans une enceinte législative cette réponse cyniquement opposée aux légitimes revendications du droit: Le droit c'est nous.

De là aussi est né le fétichisme de la loi, qui se traduit par cette formule des juristes modernes: La loi

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