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LES DOCTRINES ÉCONOMIQUES

DANS LE PASSÉ ET LE PRÉSENT

(suite)1

VIII

SOCIALISME CHRÉTIEN ET DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE

Le socialisme, avons-nous dit plus haut (§ 6), se rattache à l'économie politique et sociale comme la pathologie se rattache à la physiologie, ou, si l'on veut, comme l'hérésie se rattache à la doctrine qu'elle dénature.

Nous ne saurions terminer cette revue des divers systèmes socialistes sans mentionner une forme particulière de la même erreur, forme d'autant plus dangereuse qu'elle avait cherché à se placer sous le patronage auguste de l'Eglise, et qu'elle était professée par des hommes généralement désintéressés et sincèrement convaincus. Nous voulons parler de ce qu'on a appelé le socialisme chrétien, auquel il a été déjà fait allusion à l'occasion du regretté Claudio Jannet, l'un de ses plus brillants adversaires.

A cette école se rattache, sinon quant à une communauté d'idées du moins par un état d'esprit analogue et sous l'impulsion de mobiles semblables, une école appelée naguère Démocratie chrétienne. Celle-ci ne doit pas être confondue cette remarque est d'une haute importance-avec les doctrines que S. S. Léon XIII, dans sa récente encyclique Graves de communi1, désigne en concédant ce terme, et qui en sont au contraire la réfutation. Mais si nous continuons à critiquer l'école de la pseudo-Démocratie chrétienne sous cette

Voir numéros de juillet, août, septembre et octobre 1903. 18 janvier 1901.

rubrique, faute d'une autre permettant de la désigner sans périphrase, il doit être bien entendu qu'il s'agit des erreurs et des excès réprouvés par cette Encyclique elle-même.

<< I importe peu (parvi admodum refert), dit cet Acte de l'Autorité suprême, que l'application des catholiques à soulager et à relever le peuple, ce qui est en complète harmonie avec l'esprit de l'Eglise, soit appelée Action chrétienne populaire ou démocratie chrétienne, pourvu que Nos recommandations soient accueillies avec la déférence qui leur est due et intégralement observées1».

Or, la « démocratie chrétienne » d'avant l'Encyclique de 1901 ne tendait pas seulement à soulager et relever le peuple », ou du moins elle y tendait par des moyens que réprouve l'Autorité du Chef de l'Eglise.

On peut faire remonter l'origine lointaine de la pseudo-démocratie chrétienne à la Révolution de 1848. A cette époque, la pensée républicaine n'était pas, au moins chez les masses pacifiques et dans les têtes intelligentes du parti, hostile comme aujourd'hui à l'idée religieuse et chrétienne: presque partout le clergé était convié à bénir les Arbres de la liberté », et le populaire, à Paris, s'inclinait devant un crucifix porté par des élèves de l'Ecole polytechnique. Les socialistes euxmêmes aimaient à se donner des origines chrétiennes et à rattacher leurs idées sur la liberté, l'égalité et la fraternité aux enseignements évangéliques. Prétention qui, pour être justifiable, aurait dû s'appuyer sur une interprétation toute différente de ces nobles principes.

Voici le texte intégral de ce passage:

Maneat igetur studium istud catholicorum solandæ erigendoque plebis congruere cum Ecclesiæ ingenio. En vero quæ ad id conducant, utrum actionis christianæ, nomine appellentur, an democratic christianæ, parvi admodum refert, siquidem impertita a Nobis documenta, quo par est obsequio, integra costudiantur.

On vit alors paraître des publications comme celles-ci: la Revue nationale, organe de la démocratie chrétienne, dirigée par Buchez, ancien Saint-Simonien, ancien carbonaro; le Christ républicain-démocrate-socialiste, journal quotidien; Du christianisme et de son origine démocratique, brochure écrite par Proud'hon lui-même. La plume de Louis Blanc honorait l'idée de Dieu et adoptait le christianisme en principe sinon dans son application. Si bien que bon nombre de catholiques. alors, se laissèrent prendre à ces amorces; et le journal catholique l'Ere nouvelle, que dirigeait l'économiste De Coux avec la collaboration de Lamennais et où se fourvoya un instant cette noble, belle et pure intelligence que fut le P. Lacordaire, recommandait le papiermonnaie, l'impôt progressif et le droit au travail compris dans le sens inacceptable de l'intervention obligée de l'Etat dans le cas de travail manquant ou insuffisant. Ces illusions ne résistèrent pas aux sanglants désaveux que le socialisme révolutionnaire se chargea luimême, tant en 1848 qu'en 1849, d'infliger à de trop généreuses tendances; et l'Encyclique que, du haut du rocher de Gaëte, Pie IX publia à ce sujet le 8 décembre 1849, acheva de dessiller les yeux des catholiques trop confiants de ce temps-là.

Comment se fait-il que, après les orgies sanglantes de la Commune de 1871, bien autrement significatives que les journées de juin 1848, et même que les séditions. romaines de 1849, il se soit trouvé des catholiques pour faire de téméraires et dangereux emprunts aux systèmes socialistes? Comment n'ont-ils pas vu le paradoxe ou, si l'on préfère, le paralogisme de pareilles assimilations? Que peuvent avoir de commun avec la sainte égalité devant Dieu et les générosités de la charité chrétienne, des théories d'égalilé forcée, de soli-, darité imposée, de contrainte et de spoliation? Alors qu'aux versets 15 et 17 du Décalogue (Exode, chap. xx,)

le respect de la propriété d'autrui et des lois du mariage est impérativement prescrit, et, plus encore, à chaque page du Nouveau Testament, comment un chrétien pourrait-il avoir quoique ce soit de commun avec le socialisme qui prêche soit la confiscation par l'Etat, soit la suppression pure et simple de la propriété, et l'abolition du mariage? Tous les protagonistes du socialisme poussent à l'assouvissement des passions, à la réhabilitation de la chair; la morale de l'Evangile est fondée sur la mortification des sens et la lutte contre les passions; où donc trouver un terrain de rapprochement?

Et cependant, à l'encontre de textes si clairs et si formels, à l'encontre des termes de l'Encyclique Rerum norarum, où Léon XIII déclare que le « droit de propriété privée émane de la nature et non des lois humaines, » et que l'autorité publique « agit contre la justice et l'humanité quand, sous le nom d'impôts, elle grève outre mesure les biens des particuliers » ; il s'est trouvė à la même époque (mai 1891) des catholiques en France et ailleurs, pour affirmer que si la théologie catholique regarde comme naturelle la propriété des biens mobiliers, la majeure partie de ses auteurs adopte la thèse de l'origine humaine et arbitraire de la propriété foncière, ce qui est manifestement faux. Le P. Liberatore a combattu et réfuté une thèse analogue qu'avait soutenue, en 1887, une revue irlandaise.

Tel était le « socialisme chrétien » qui, sans doute par réaction contre la prédominance absorbante de l'élément juif en Autriche, a pris en ce pays une extension et une action plus grande qu'ailleurs. Mais la défense contre les juifs, remarque notre auteur, n'est pas dans l'emploi des moyens violents, bien moins encore dans l'adoption des formules fausses du socialisme auxquelles

1 C., Hist. doctr. économ., pp. 706 à 707.

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l'antisémitisme confine si souvent, « elle est bien plutôt dans la connaissance impartiale et éclairée des lois économiques et dans les procédés intelligents que la connaissance de ces lois peut inspirer. »><

Ce qui le prouve, c'est, comme l'a remarqué Claudio Jannet, que les sociétés les plus éclairées et les plus fortes sont celles qui résistent le mieux à l'infitration sémitique. Même financièrement parlant, dit l'ẻminent économiste dans Capital, spéculation et finance au XIX siècle, les juifs sont d'autant moins malfaisants que la société est plus chrétienne et que l'état économique est plus sain'. »

La démocratie chrétienne » n'est pas précisément socialiste; elle ne remonte guère d'ailleurs au-delà de 1896, car semblable appellation adoptée par les socialistes de 1848 ne leur avait pas survécu. Mais elle émettait cette prétention passablement outrecuidante qu'une république démocratique est par essence la forme de gouvernement la plus chrétienne! Elle excluait l'action du patronat, ou tout au moins excitait à la défiance contre le patron; elle voulait éliminer ce qu'on a appelé -plus par tradition que par le sentiment de la réalité actuelle les classes dirigeantes ». Quelques-uns de ses adeptes ne parlaient de rien moins que de substituer à la vieille charité chrétienne ce qu'ils appellent « la justice », tendance qui paraît confiner de très près au socialisme.

Certains adeptes de cette pseudo « démocratie chrétienne » ne reculaient pas devant la distinction de Karl Marx entre le vol objectif et matériel qu'est la propriété suivant le fondateur de la formule soidisant scientifique du socialisme et le vol subjectif et formel. Ils expliquent ainsi le prêt à intérêt dont la

Cité par l'auteur, p. 706, ad not.

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