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De la particule dite nobiliaire

Par Michel BREUIL, docteur en droit, Paris, Larose 19031.

Ce livre, très élégamment écrit et très ironiquement actuel, s'attaque avec succès à l'idolâtrie injustifiée dont la propoposition de est vaniteusement l'objet. Après des remarques préliminaires tirées de la grammaire comparée de la fameuse particule, l'auteur consulte l'histoire, et il en recueille cette réponse la particule de n'a jamais été autre chose qu'une très vulgaire préposition, employée pour dire le lieu de naissance ou de résidence (auquel cas elle est ablative), ou la filiation... la domesticité, aussi bien que la seigneurie (auxquels cas elle est génitive): Pierre de Z... signifie Pierre, né ou résidant à Z... ou Pierre fils de Z... ou Pierre, ancien serviteur de Z... ou Pierre attaché à la glèbe Z... ou Pierre, propriétaire de la terre Z : la particule n'est donc pas l'indispensable acolyte de la noblesse, d'une part, et, d'autre part, la noblesse n'est point le corollaire de la particule.

D'où vient donc le préjugé si commun auquel ce tout petit mot du langage doit d'être si jalousement envié? D'un paradoxe vaniteux, accrédité par ceux qui, dépités de n'être point nobles, voulurent se donner l'illusion de l'être en ajoutant à leur nom la particule qui, ordinairement, coïncidait avec les noms des nobles. Cette innocente folie atteignit son paroxysme à la fin de l'ancien régime. Le paradoxe dut ensuite de s'enraciner: 1o à la timidité des nobles qui, au lendemain de la Révolution, n'osant pas encore reprendre leurs titres, 1eprirent du moins la particule qui faisait ordinairement partie de leurs noms; 2o à l'oubli des vrais caractères de la noblesse, quelque peu effacés dans la tourmente révolutionnaire; 3o à une fausse interprétation de la loi de 1858 qui punit l'usurpation des distinctions honorifiques telles que la particule erronément, mais usuellement considérée comme telle —, et dans laquelle on vit faussement la reconnaissance légale de cette distinction comme titre de noblesse.

En réalité, la particule est une partie du nom, aussi simple que les autres parties. Aussi quiconque y a droit, fût-il roturier, peut-il la revendiquer devant les tribunaux civils, comme le reste de son nom, comme on revendique un lopin de terre. Réciproquement, quiconque, fût-il noble, altère son nom en le mariant publiquement à la séduisante particule, est passible de répression devant les tribunaux correctionnels.

L'auteur développe ces principes en conduisant très juridiquement leur révolution autour de ces deux pôles qui sont l'art. 259 du Code pénal et la loi de 1858.

A rapprocher de La propriété du nom, par Joseph Robert, docteur en droit. (Lyon, Legendre, 1903.)

Il conclut logiquement que la légende de la particule dite nobiliaire est historiquement et juridiquement inexacte >> (p. 270).

Inutile d'ajouter que M. Michel Breuil respecte la vraie noblesse, qui rappelle des services rendus au pays et fut associée pendant tant de siècles aux grands faits de notre histoire nationale.

C. B.

Après la neuvième heure, par M. R. Montlaur.

Paris, Plon.

Ce tardif compte-rendu ne semble-t-il pas le réveil d'un souvenir déjà lointain? et les quelques mois écoulés depuis la publication de cette seconde œuvre de M. R. Montlaur, n'ontils pas fait pâlir le reflet du « Rayon » qui se projetait sur ces pages?

Nous serions tentés de le croire en dépit du succès extraordinaire obtenu par le premier de ces deux ouvrages. Les esprits futiles et blasés des époques de décadence, comme la nôtre, sont incapables d'enthousiasme, ils ne connaissent plus que l'engouement, et l'engouement est aussi fragile que l'idole qu'il élève et qu'il encense. Mais dans ses fantaisies passagères on peut discerner souvent l'indice d'un « état d'âme pour parler cette langue moderne chère à l'auteur de « Après la neuvième heure ». Au risque de provoquer l'étonnement, l'indignation même des admirateurs (peut-être serait-il plus juste de dire des admiratrices!) de cette littérature pseudo-évangélique et chrétienne, nous avouerons que la faveur dont elle jouit, nous paraît un fàcheux symptôme de cette religiosité vague et sensuelle, de cette piété molle et névrosée, qui remplacent pour beaucoup d'àmes la foi lumineuse, et la forte discipline morale de nos pères.

Certes l'ordre d'idées et de sentiments, sur lesquels s'appuie ce petit essai d'apologétique subjective, n'est point à dédaigner; ce n'est pas d'aujourd'hui que les apologistes ont étudié les harmonies de la foi et du cœur humain, et invoqué le témoignage de « l'âme naturellement chrétienne. » Déjà des écrivains illustres avaient tenté de revêtir ce témoignage des charmes d'une fiction humaine. Mais ce qui nous semble inadmissible, c'est de faire du Verbe Incarné, du Fils de Dieu, le héros d'une œuvre d'imagination, si fidèle qu'on la suppose aux données évangéliques; de rabaisser cette figure divine à nos proportions misérables; d'affadir la vérité éternelle dans les banales sentin...talités d'un roman.

Aussi n'est-ce pas pour nous le moindre mérite de « Après la neuvième heure » de n'y voir plus apparaître que vivant

par son souvenir dans le cœur de ses amis, et voilé dans leurs sanctuaires, Celui qui faisait le centre du premier récit. Autour de lui, attirés par sa beauté suprême ou sa compatissante bonté, se groupent les âmes d'élite, les esprits nobles et délicats, les cœurs aimants et déçus par la vie. C'est là un aspect vrai sans doute et séduisant du christianisme naissant; ce n'est pas le seul, et peut-être l'austère notion du sacrifice, si bien connue et pratiquée de nos premiers ancêtres, risque-t-elle de s'effacer un peu sous cette parure fleurie. N'est-ce pas d'ailleurs le danger du roman surtout, dirons-nous, du roman religieux : fausser en prétendant l'déaliser, la situation qu'il devrait peindre.

Les descriptions (plus brillantes peut-être qu'exactes) des fêtes égyptiennes, et des pompes du culte d'Isis; et surtout les pages émouvantes de la mort d'Hélos, du martyre de Susanne, sont faites pour assurer au second ouvrage de M. R. de Montlaur les sympathies des lecteurs et des lectrices (et le nombre en est grand!) avides d'émotions et d'impressions vives. Mais pourquoi revêtir un sujet élevé, noble et touchant de cette forme maniérée, de ce style dont le modernisme affecté est aujourd'hui la seule originalité (bien banale!) des auteurs à court d'idées et en quête de succès? Le sujet et l'auteur méritait et pouvait mieux.

La Coopération, par M. P. HUBERT-VALLEROUX, avocat à la Cour d'appel de Paris. Un vol. in-12. Prix: 2 francs. Librairie VICTOR LECOFFRE, 90, rue Bonaparte, Paris.

Sous ce titre « La Coopération », M. Hubert-Valleroux vient de publier un livre d'une haute portée scientifique et d'un intérêt très pratique. On sait toutes les espérances qu'avait provoquées le premier essor de la coopération; on sait aussi tous les services que rendent les sociétés coopératives, quand elles sont bien organisées, bien dirigées, sagement adaptées aux besoins d'une classe déterminée de consommateurs ou de producteurs. M. Hubert-Valleroux a divisé son travail en deux parties principales, l'une sur les sociétés de production, l'autre sur les sociétés de consommation. Un chapitre plein d'aperçus intéressants sur les coopératives agricoles traite aussi de la culture en commun, des achats et des ventes en commun. Toute l'expérience du siècle dernier, toute celle des peuples étrangers se trouve là, condensée sous une forme précise, vive, rapide et piquante. Ce nouvel ouvrage est digne de tous les travaux qui ont valu à M. Hubert-Valleroux tant de hautes récompenses à l'Ecole de Droit, à l'Académie des sciences morales et politiques, au Musée social, et qui ont fait de lui l'une de nos principales autorités dans le monde de l'économie sociale et de l'économie politique.

L'éloge de M. Hubert-Valleroux est depuis longtemps superflu auprès des juriconsultes catholiques. Tous ceux qui ont assisté à nos congrès savent quelle est la sûreté et la richesse de son érudition, la force de son argumentation, l'autorité persuasive de sa parole. Tous les lecteurs de la Revue aiment à voir fréquemment sa signature qui leur promet toujours une lecture instructive et attachante. Aussi signalons-nous ce livre à nos lecteurs, bien moins pour faire l'éloge d'un ouvrage que le nom seul de son auteur suffit à recommander, que pour remercier M. Hubert-Valleroux de son dévouement et du zèle avec lequel il combat le bon combat dans notre Revue qui est fière, à juste titre, de le compter parmi ses collaborateurs.

H. L.

Jean-Jacques Rousseau et le Rousseanisme, par Jeantelin Nourrisson, publié par Paul Nourrisson. Un fort volume in. 8°. - Librairie A. Fontemoing, 4, rue Le Gaff. Paris. Prix: 7 fr. 50.

Il y a deux ans à peine, le Père Thedenat, membre de l'Institut, publiait sous le titre : une carrière universitaire, un volume contenant le très séduisant récit d'une belle existence: celle de M. Jean-Félix Nourrisson, membre de l'Institut. Il pouvait commencer son avant-propos par ces lignes : « Si le spectacle d'une vie entièrement vouée au devoir, à l'honneur, au culte du vrai est utile, s'il est moral que le succès soit le prix d'un long et patient effort, s'il est juste enfin que le mérite qui s'est volontairement dérobé à l'éloge, soit, par la piété des survivants, défendu contre l'oubli, il est permis d'espérer que ce livre fera quelque bien, et prolongera le sillon laborieusement tracé par celui qui l'a inspiré. » M. Nourrisson a consacré sa vie à un incessant labeur, comme en témoignent ses œuvres considérables, et ses écrits multiples parmi lesquels il faut remarquer, au début de sa carrière universitaire, son histoire des Pères de l'Eglise. Il consacra ses derniers loisirs à rédiger de curieuses études sur Jean-Jacques Rousseau, qu'il pensait communiquer à ses auditeurs du collège de France, avant de les publier en volume. La mort l'empêcha d'achever sa rédaction: son fils, un des membres les plus distingués du barreau de Paris, et qui se donne tout entier à la défense des idées religieuses ou sociales, si vivement attaquées de nos jours, dont d'ailleurs les travaux sur la franc-maçonnerie ont acquis une légitime réputation, a réuni en les revisant les notes manuscrites de son père, et ainsi, suivant el désir du biologue, prolonge le sillon laborieusement tracé.

Au surplus, c'est bien l'heure de faire connaître sous soe vrai jour Jean-Jacques Rousseau et son œuvre. L'influence dn ses doctrines est encore considérable, et nos pires politiciens s'emparent de ses idées, en les adaptant à leurs passions sectai

res leurs discours lui empruntent souvent des passages tout entiers. Ses productions sont loin d'être suffisamment connues, même par ceux qui s'en font les panégyristes : encore bien moins sont-elles toujours sainement jugées par ceux qu'attire la séduction de leur charme littéraire. Pour les apprécier, il faut connaître aussi sa vie et compléter ou rectifier les confession par les études critiques publiées de nos jours et par la volumineuse correspondance des contemporains ou de Rousseau luimême, correspondance mieux connue dans ces dernières années, grâce à des découvertes récentes, mais trop peu utilisée jusqu'ici.

M. Nourrisson étudie les œuvres de Rousseau, en suivant pour ainsi dire leur élaboration à travers les phases de cette existence si aventureuse, et si tristement curieuse à observer et à décrire ce procédé donne un attrait tout particulier à son travail.

Rien n'est sacrifié cependant des habitudes de sévère critique de l'auteur, qui apporte dans l'examen des sources, et dans l'exactitude des informations la même conscience qui a toujours fait un des principaux mérites de ses ouvrages. Il rapporte des citations fort curieuses qui révèlent, une fois de plus, que chez trop d'hommes le caractère est rarement au niveau du talent. Jean-Jacques Rousseau s'y manifeste parfois avec une absence attristante de sens moral, qui contraste avec des principes dont il se réclame, il y étale aussi un contentement de lui-même qui le fait s'étonner que ses contemporains ne songent à lui élever de son vivant une statue. Il devançait déjà nos contemporains dans cette soif de se poser en idoles, alors qu'ils négligent ou raillent le seul culte nécessaire, puisque c'est un hommage à la puissance et à la bonté de Dieu qui aime, mais jugera l'humanité.

Aussi, les hommes appelés à combattre les funestes entrainements de nos penseurs modernes, méditeront-ils avec fruit ces pages qui éclairent la portée d'œuvres si vantées, et font honneur à la science comme aux sentiments si chrétiens et si élevés de M. Nourrisson, un de ces anciens universitaires qui ne craignaient pas d'affirmer leur foi en une immortelle destinée, et à reconnaître qu'une intelligence, si brillante soitelle, n'est qu'un reflet de l'intelligence supérieure qui a organisé tous esprits et toutes choses.

Ch. BOULLAY,
Avocat à la Cour.

Le Gérant: X. JEVAIN.

[yon. -- Imp. X. Jevain, r. François Dauphin, 18.

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