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La reconnaissance ou autorisation n'est pas la permission de mener la vie religieuse, mais l'autorisation d'agir, quant aux biens collectifs possédés par les religieux, comme le ferait une personne; c'est la reconnaissance comme personne civile.

Les religieux, qui ne demandent rien à l'Etat, gèrent leurs biens collectifs suivant les règles du droit commun. Mais certains religieux pouvaient être autorisés à les gérer suivant un droit exceptionnel.

Telle était, avant 1901, le seul effet de la reconnaissance ou autorisation.

Ce droit exceptionnel réglait la capacité des personnes, l'acquisition, la gestion et la transmission des biens collectifs.

Aux termes de l'article 5 de la loi du 24 mai 1825 la religieuse, membre d'une communauté reconnue, ne pouvait donner à l'établissement ou à ses membres plus du quart de sa fortune, si la disposition excédait dix mille francs.

L'établissement ne pouvait acquérir ou aliéner d'immeuble sans autorisation du gouvernement.

Un membre ne pouvait demander sa quote part des biens communs, il ne transmettait aucune partie de ces biens à ses héritiers.

Par contre, l'établissement payait l'impôt de mainmorte, ce qui n'empêcha pas, en 1884, de le soumettre au droit d'accroissement.

Remarquons, en terminant ce point, que les « biens des congrégations reconnues sont aussi des biens collectifs de religieux, possédés par eux et gérés suivant une législation spéciale.

II

Loi du 1er juillet 1901 - Associations.

La loi du 1er juillet 1901 s'occupe d'abord des associations.

Au point de vue des personnes, l'association est libre. Au point de vue des biens, l'article 2 semble rendre les associés, qui n'ont pas déclaré leur association, incapables de posséder des biens collectifs,

L'article 2, en effet, s'exprime ainsi : « Les associations de personnes peuvent se former librement sans autorisation ni déclaration préalable, mais elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l'article 5. >>

Il semble résulter de cet article que l'on peut s'associer librement, mais que les associés n'ont aucune capacité juridique, s'ils n'ont pas déclaré leur association.

Tel n'est pas, cependant, si l'on s'en réfère aux travaux préparatoires, le sens de la loi.

Voici ce que le rapporteur de la loi disait au Sénat dans la séance du 17 juin 1901, répondant à notre honorable président, M. de Lamarzelle. (Officiel, Sénat, p. 898).

:

Pour soutenir son amendement, M. de Lamarzelle part de ce principe « Les citoyens sont libres de former comme ils l'entendent une association. » Je suis d'accord avec lui, mais quand il ajoute : « Ils sont également libres de former un être moral, un être à part qui bénéficiera de tous les droits accordés par notre loi civile aux citoyens », je me sépare de lui.

Cet être moral, en effet, il faut l'appeler de son vrai nom : c'est une fiction. C'est un nouveau-né que les associés présentent à l'État qui a le droit de le reconnaître et de poser à sa reconnaissance ses conditions, parce que l'Etat a le souci de l'intérêt général et que son devoir est de rechercher si ce nouveau venu ne va pas être gênant pour la Société.

Voilà pourquoi la loi actuelle précise les conditions d'existence de cet être.

Le rapporteur distinguait donc l'association qui ne forme pas un être moral distinct des associés, et peut se former librement, et l'association qui forme un être moral distinct des associés, « un être à part »>, et ne peut naître qu'aux conditions réglées par la loi.

Le président du Conseil, M. Waldeck-Rousseau, in

tervient à son tour pour poser plus nettement encore cette destination.

Il me semble que, dit-il, l'on confond deux choses absolument distinctes: l'être moral, que toute société ou que toute association constitue et qui n'est nullement distinct de la personne de ses membres, et la fiction - je maintiens ce mot parce que je le crois exact au moyen de laquelle on arrive à constituer un être moral qui,lui, au contraire, est complètement distinct de tous les associés ou de tous les sociétaires.

Donc il faut, dans le système de la loi, distinguer entre les associés et l'association-fiction.

Les associés sont propriétaires de leurs biens collectifs, comme de leur patrimoine personnel, leur convention fera leur loi comme celle de leurs biens.

A contraire, ils n'ont aucun droit sur les biens de l'association-fiction. Par contre, l'Etat seul donne et peut donner l'existence à cette fiction.

Nous verrons en traitant des congrégations ce que vaut cette distinction.

Dès à présent, nous pouvons nous demander si M. Waldeck-Rousseau, esprit éminemment précis et juridique, a cru à cette théorie bien qu'il l'ait soutenue énergiquement.

III

Congrégations Des personnes

La loi de 1901 s'occupe ensuite des associations entre religieux sous la rubrique des congrégations.

Au point de vue des personnes, la loi interdit la vie religieuse sans autorisation du gouvernement, autorisation d'ailleurs refusée d'avance, comme l'événement l'a prouvé.

C'est là l'une des atteintes les plus graves qui puisse être portée à la liberté humaine.

J'ai prononcé le mot de liberté. C'est un mot dont on abuse singulièrement, il est donc nécessaire de vous dire le sens que j'y attache.

Chacun se réclame de la liberté, on grave ce mot sur les églises que l'on fermera bientôt, peut-être, au nom de la liberté.

Sous prétexte de liberté, on détruit les écoles catholiques, on expulse les religieux. Il semble que nos gouvernants entendent par liberté le droit de faire ce qui leur plaît et de tyranniser impunément ceux qui ne pensent pas comme eux.

Qu'est-ce donc que la liberté ?

Je définirai la liberté comme le faisait Auguste Nicolas « Le droit de faire ce que l'on veut, pourvu que l'on fasse ce qu'on doit. » Ce qui nous met immédiatement en présence de la question des droits et des devoirs.

Justifions cette définition.

L'homme a des droits qu'il tient de Dieu lui-même. Le premier et le plus important de ces droits, qui contient directement ou indirectement tous les autres, est celui d'atteindre sa fin, c'est-à-dire d'arriver par la connaissance et l'amour de Dieu au bonheur éternel.

Cette fin, Dieu lui-même l'a imposée à l'homme, par conséquent, il lui a nécessairement donné le droit de l'atteindre, en faisant tout ce qui peut l'y conduire, c'està-dire le bien. Car on peut définir le bien : tout ce qui conduit l'homme à sa fin; le mal: tout ce qui l'en éloigne.

L'homme a donc le droit de faire le bien; il n'a aucun droit de faire le mal. Où puiserait-il ce droit, qui le lui aurait donné?

L'autorité peut tolérer le mal, c'est même, dans certaines circonstances, une règle de prudence; si elle croit au contraire devoir le réprimer, elle ne viole en cela aucun droit.

Si rien ne m'entrave dans la possibilité d'exercer mes droits, je suis libre.

Cette définition de la liberté, basée sur la distinction

du bien et du mal, est très bonne pour un catholique, me dira-t-on, mais l'Etat peut-il se constituer théologien et se guider d'après cette distinction?

Cette objection, Messieurs, est du pur libéralisme. Une chose peut paraître vraie à l'un, fausse à un autre, c'est sans influence sur sa nature même. Si elle est vraie, elle l'est absolument, elle l'est même pour ceux qui ne le comprennent pas.

Aussi, celui qui a mission de faire respecter le droit, impose sans hésiter son autorité même à ceux, et à ceuxlà spécialement, qui méconnaissent le droit.

Nier ces principes, c'est supprimer l'autorité. Réfléchissons, si vous le voulez-bien. Est-ce que l'Etat ne se fait pas à chaque instant théologien ?

Gouverner, qu'est-ce autre chose sinon protéger le bien et réprimer le mal. Ce n'est pas, il est vrai, ce que fait notre gouvernement; il protège le mal et opprime le bien; mais avons nous véritablement un gouvernement? La législation n'est que la distinction codifiée du bien et du mal.

L'Etat, d'ailleurs, ce sont les hommes qui gouvernent; or, l'homme, dans toutes les circonstances de sa vie et chaque fois qu'il choisit entre le bien et le mal, se fait nécessairement théologien.

Quand le code pénal punit le vol il fait de la théologie morale.

Que penseriez-vous d'un législateur qui refuserait de punir un voleur sous prétexte que celui-ci professe que la propriété c'est le vol, ce serait digne du « bon juge ».

Le législateur civil impose donc sans hésiter son opinion sur ce qui est bien et sur ce qui est mal; seulement il ne peut réprimer tout mal quelconque, aussi la législation pénale est une sélection entre le mal qu'il faut réprimer et celui qu'il vaut mieux tolérer; mais cela même suppose nécessairement, de la part du législateur, la distinction préalable du bien et du mal.

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