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ARCHIVES PARLEMENTAIRES

SECONDE RESTAURATION

REGNE DE CHARLES X

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. RAVEZ.

Séance du vendredi 7 avril 1826.

La séance est ouverte à deux heures par la lecture et l'adoption du procès-verbal.

M. le président du conseil des ministres et M. le président du bureau du commerce sont présents.

M. le Président. L'ordre du jour est la continuation de la délibération des articles du projet de loi concernant les douanes. La Chambre a entendu hier les développements de l'amendement de M. de Saint-Chamans sur les cotons.

M. Bonnet de Lescure. Messieurs, vous avez entendu avec quel sentiment d'effroi se sont exprimés les deux députés de la Seine-Inférieure qui ont combattu à cette tribune la proposition qui vous a été faite d'une augmentation de droits d'entrée sur les cotons. Vous avez entendu leurs sinistres présages sur les malheurs affreux que devait produire cette mesure. Ils l'ont repoussée comme une calamité publique; elle a été représentée comme devant compromettre le sort d'un milliard de capital, et de près d'un million d'hommes engagés dans l'industrie des cotons. Vous n'aurez pas manqué sans doute, Messieurs, de reconnaître dans cette vivacité d'affection avec laquelle nos deux honorables collègues se sont exprimés sur les intérêts d'une industrie si importante pour leur département, cette chaleur qui s'emparé de tous les cœurs généreux quand on se bat pour ses foyers et pour ses autels.

Si l'on établissait avec netteté la question que discute la Chambre, elle ne causerait pas d'aussi vives alarmes, et on la trouverait peut-être facile à résoudre. Il ne s'agit pas de faire rétrograder et encore moins d'anéantir une industrie qui produit

r. XLVH.

en France des valeurs qui s'élèvent au-dessus de 400 millions. C'est en attribuant des effets si pernicieux à l'amendement qu'on vous propose, que l'on trouve des arguments sans réplique pour le combattre. Mais si l'on voulait se renfermer dans la question, il serait sans doute plus difficile de soutenir que la mesure proposée est contraire à la prospérité publique. Nous supplions nos adversaires de ne pas dénaturer cette proposition, et de ne pas nous répondre comme si l'objet de l'amendement était de diminuer l'activité actuelle de nos manufactures de coton. Nous ne voulons autre chose que contenir cette industrie dans ses bornes actuelles; nous ne voulons pas la faire reculer, mais nous la voyons sur le point d'envahir le domaine d'autres industries, dont la propriété est pour nous de la plus haute importance, et c'est là que nous voulons l'arrêter.

Le projet de loi que discute la Chambre impose des taxes plus élevées que celles qui existaient dans les lois précédentes sur les laines et sur les toiles étrangères.

Le but de cette augmentation de taxes est de protéger notre fabrication en diminuant la concurrence, et en soutenant les prix à un taux plus élevé que celui où ils étaient autrefois. Ainsi, l'effet nécessaire du système du projet de loi sera le renchérissement, au moins pendant quelques années, de nos toiles et de nos étoffes de laine. Il n'est pas difficile de connaitre l'effet que ce renchérissement produira sur la consommation des tissus de coton. Il est évident qu'elle sera d'autant plus grande que le prix des étoffes de laine et des tissus de chanvre et de lin sera plus élevé. Il est évident que l'industrie du colon tendra d'autant plus à s'étendre que les produits des industries rivales deviendront plus chers. C'est en quelque sorte donner une prime de faveur aux tissus de coton que d'entrer dans un régime dont l'effet immédiat est le renchérissement des toiles et des étoffes de laine.

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communications avec les pays qui produisent le coton, pouvons-nous arrêter sans effroi notre pensée sur la malheureuse condition où cette population serait réduite? Vous savez à quelles alternatives de prospérité et de misère sont exposées dans un pays voisin ses nombreuses manufactures de coton. Vous savez quelles secousses menacent la tranquillité publique en Angleterre, lorsque la population qui travaille à ces inanufactures manque de moyens de subsistance. Consentiriez-vous à précipiter la France dans une situation si périlleuse? Comment pourriez-vous soutenir une longue guerre maritime, si par vos lois imprudentes, vous aviez attaché l'existence d'une grande masse de population à une industrie qui ne peut fleurir en France qu'avec la paix ? Vous verriez alors cette partie de la population, condamnée par la guerre à une misère effroyable. Dans une telle situation, vous ne pourriez pas attendre la paix. Les descendants de Louis XIV seraient réduits à la demander.

D'où provient, Messieurs, l'accroissement prodigieux de la consommation du coton en France? La principale cause en est sans doute dans le bon marché des tissus de cette substance, comparativement au prix des autres étoffes; et cependant ce prix a été si bas depuis quelques années, à raison surtout de l'avilissement des laines, que vous avez jugé nécessaire de le relever par tous les moyens qui étaient en votre pouvoir. N'est-il pas évident que, puisque l'industrie du coton a dù son rapide essor à la valeur plus grande des autres tissus, cet essor va devenir bien plus rapide encore maintenant, que le prix de ces tissus deviendra plus élevé? Et remarquez, Messieurs, que cette augmentation que vous allez produire dans la consommation des tissus de coton, atténuera d'une manière sensible l'effet que vous vous promettez de la loi actuelle, pour le prix des laines et pour celui des toiles. Vous voulez soutenir ces prix; mais pour cela, il ne suffit pas de protéger les tissus de laine et de chanvre contre la concurrence étrangère, il faut encore que la consommation intérieure ne diminue pas. Or, si l'effet de la loi est comme nous croyons l'avoir démontré, d'augmenter de plus en plus l'usage du colon, il s'ensuivra que celui des toiles de tissus et de laine sera diminué, et par conséquent la fabrication des toiles et les producteurs de laine ne recevront qu'un faible secours d'une loi qui était cependant conçue pour le soutien de leurs intérêts. Les fabricants de coton seront ceux qui en retiront peut-être les principaux avantages. Ainsi cette loi produira en faveur de ce filament un effet que vous ne cherchiez pas à produire, et cet effet combattra sans cesse le bien que vous vouliez faire au commerce des toiles et des laines. Il y a donc dans ses dispositions un vice à réfurmer, et c'est à cela que tend l'amendement de mon honorable collègue M. de Saint-Chamans.

Si l'on ne peut pas contester les conséquences que nous indiquons comme attachées au système de la loi proposée, on reconnaîtra qu'elle tend à augmenter parmi nous la consommation des tissus de coton, et la discussion se trouvera réduite à la question suivante: Est-il de l'intérêt de la France d'accroître par ses lois de douane la tendance extrême que manifestent depuis quelques années toutes les classes de la population à préférer l'usage des tissus de coton à celui des tissus de lin, de chanvre, de laine et de soie? C'est sur ce point seulement que nous avons à délibérer; il ne s'agit pas comme on voit, et comme nous ne pouvons trop le répéter, de priver une seule de nos fabriques de coton de ses moyens d'activité, il s'agit seulement de ne pas leur en fournir de

nouveaux.

Je ne pense pas que l'on puisse regarder comme un avantage pour la France l'accroissement d'une industrie qui s'exerce sur une matière étrangère, et qui est en concurrence avec les deux fabrications les plus importantes pour nous, et les plus utiles à notre agriculture, celles des toiles et des étoffes de laine; j'ajouterai même celle des étoffes de soie. Il en coûte plus de 60 millions chaque année à la France pour s'approvisionner de coton. Il est vrai de dire qu'une forte partie de cette somme nous rentre par les exportations des tissus. Mais trouvera-t-on qu'il soit utile d'augmenter la consommation d'une matière qui nous rend tribulaires des étrangers? Verra-t-on sans inquiétude l'accroissement de cette population déjà si nombreuse qui ne peut subsister que ar le travail d'une matière qu'il faut aller chercher au delà des mers? Et si la guerre venait à interrompre nos

Nous entretenons à grands frais notre armée et notre marine, nous construisons des vaisseaux et des places fortes pour être en état de soutenir la guerre; niais si nous augmentons parmi nous le nombre des hommes qui ne peuvent exister que par la paix, ne ressemblons-nous pas à un commandant de place forte qui, prévoyant un long siege, fortifierait de tous ses moyens les dehors de la place, sans s'occuper de la subsistance des habitants qui y sont renfermés? Ce n'est pas ainsi qu'on peut se promettre une longue résistance. Vous vous prépareriez, Messieurs, des regrets bien amers, vous vous exposeriez à des reproches mérités d'un manque de prévoyance et de sagesse, si ce grave danger n'excitait pas votre attention.

Si nous examinons maintenant sous un autre point de vue la question qui nous occupe, nous demanderons pourquoi, lorsque toutes nos productions territoriales paient des contributions, qui s'élèvent à 20 pour 100 de leur valeur, lé coton, produit étranger, ne paie guère que 10 pour 100 de la sienne.

Si la France possédait une province dans des latitudes plus méridionales: si le colonnier était pour nous un arbre indigène, peut-on douter que son pro duit ne fût soumis, comme tous ceux de notre sol, à un impôt considérable? Faudra-t-il continuer à ménager cet enfant gå é de nos douanes, parce qu'il vient d'une terre étrangère?

N'augmentez pas l'impôt, vous disent avec effroi les défenseurs des manufactures de coton, n'augmentez pas l'impôt; vous porteriez atteinte à la prospérité de nos fabriques.

C'est à vous, Messieurs, qu'on tient ce langage, lorsqu'on sait que vous avez été témoins des progrès immenses que fit cette industrie malgré les droits énormes dont le régime impérial l'avait grevée. Mais, vous dit-on encore, c'est un mauvais impôt que celui qui se perçoit sur une matière première; les fabricants sont obligés par ce mode de faire l'avance de la contribution qu'ils ont à payer, et cette obligation est mortelle à l'industrie.

Messieurs, les faits répondront à cette allégation.

Les fabricants de coton ont été obligés pendant plusieurs années de faire des avances énormes de cette sorte, et vous savez si leur industrie en a été paralysée. La soie a payé pendant de longues années en Angleterre plus du ters de sa valeur à son entrée; et c'est sous le poids de cet impôt que l'industri u travail de la soie

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s'est élevée dans ce pays à un tel degré de prospérité, qu'elle s'est mise en état de rivaliser avec la nôtre.

Il n'est donc pas vrai que l'on ne puisse pas charger d'un droit élevé une matière première sans nuire au développement de l'industrie qui s'exerce sur cette matière.

Et pourquoi d'ailleurs, des craintes si vives, des ménagements si particuliers pour l'industrie des cotons? En a-t-on réclamé de semblables pour des produits plus importants encore que les siens? Lorsque le viu a été condamné à payer de' différentes manières plus de 50 0/0 de sa valeur réelle, s'est-on occupé du dommage qu'une aussi énorme taxe causerait à la vente de cette production?

Lorsque le sel a été frappé d'un impôt égal à vingt fois sa valeur, a-t-on été arrêté par l'idée du tort iminense que l'on causait aux producteurs de cette denrée : le blé lui-même n'est-il pas chargé d'une contribution qui écrase l'agriculture? Ce sont des produits indigènes, ils font partie de notre richesse territoriale, ils entretiennent une population robuste, et l'on ne songera pas à reje er une partie de l'impôt qui les accable sur un produit étranger qui n'est soumis à presque aucune contribution.

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Messieurs, au nom de votre agriculture, nom des intérêts de l'industrie fondée sur des productions indigènes, je demande de contenir dans ses bornes actuelles une fabrication précieuse à la France, mais dont l'accroissement peut être pour nous la source d'un grand dommage et d'un grand danger.

M. de Saint-Crieq, commissaire du roi. On vous propose de quintupler le droit sur les cotons en laine. Les droits actuels donnent un produit de six millions de francs à peu près : c'est donc un impôt de 24 millions qu'on vous invite à créer. Je dis un impôt et non pas seulement un revenu, parce qu'en matière de douane, j'appelle revenu le produit de tout droit établi dans le seul but de protéger l'agriculture ou l'industrie du pays contre la rivalité de l'agriculture et de l'industrie étrangères: tels sont les droits sur les laines, les bestiaux, les fers, les toiles, etc.; et j'appelle du nom d'impôt le produit de tout droit ayant pour unique objet d'enrichir le fisc par un prélèvement sur les consommations: tels sont les droits sur les sucres, les cafés, les poivres, les cacaos et autres objets de même nature. Tel est aussi le droit actuellement perçu sur les cotons; genre de taxe supprimé en 1814, et rétabli en 1816 sur le seul motif des besoins extraordinaires de l'Etat, mais qui a survécu et doit survivre à ces besoins, parce que, même en présence des plus impérieuses circonstances, il fut calculé dans de justes et raisonnabise proportions et dans un esprit d'équitable sollicitude envers l'industrie à laquelle on 'imposait. Je dis donc, Messieurs, que c'est un impôt de 24 millions qu'on vous invite à créer. Je consulte les précédents de la Chambre, et je n'en connais aucun qui recommande une telle proposition; ce qui n'est pas une fin de non-recevoir que j'oppose à l'nonorable auteur de la proposition: c'est une observation grave que je confie à vos réflexions. Et quels motifs fait-on valoir?

On se flatte d'étendre ainsi la fabrication de la laine, du lin, de la soie.

Mais d'abord, avons-nous surabondance de ces matières? Je suis fondé à dire que non, puisque nous tirons chaque année pour 30 millions de soie du dehors; puisque des droits fort considérables,

assurément, ne nous empêchent pas de demander encore annuellement pour dix millions de laine à l'étranger, et puisque nous importons à peu près autant de lin que nous en exportous.

dirige à son gré la mode, les goûts, les besoins Et puis, Messieurs, pense-t-on donc que l'on de trente millions de consommateurs? La mode veut des cotonnades, et la mode n'est pas ici un pur caprice, elle est aussi un calcul. Quel tissu, en effet, est susceptible de procurer au même prix des jouissances si diverses, aussi fréquemment renouvelées? Chargez le coton d'un fort droit, vous diminuerez sans doute la consommation des cotonnades, mais vous diminuerez en même temps le travail et les jouissances publiques, et vous ne ferez pas fabriquer une aune de drap, une aune de soie, et bien peu d'aunes de toiles de plus.

Le coton est un produit exotique, dit-on, il faut en restreindre l'emploi.

Sans doute, le coton est un produit exotique; mais ce produit est un immense élément de travail; et il n'est pas seulement l'élément du travail auquel il s'applique, il crée de plus le travail par lequel nous en payons le prix. Ce prix, nous l'acquittons en vin, en eaux-de-vie, en soieries, en draperies, en toiles, en cotonnades même. Car, remarquez, Messieurs, que si nous achetons pour cinquante à soixante millions de coton en laine, déjà nous vendons à l'étranger pour près de quarante millions de coton manufacturé, c'està-dire que si, comme je le crois, une valeur de quarante millions de tissus fins, et ce sont ceuxlà que nous exportons qu'exclusivement, suppose l'emploi d'une valeur de quatre à cinq millions en coton, soit deux à trois millions de kilograinmes, notre exportation seule, c'est à-dire le douzième au plus de notre fabrication totale, nous acquitte en main-d'œuvre de plus de moitié de la somme dont l'importation de vingt-cinq millions de kilogramines nous a rendus débiteurs. Es-ce, Messieurs, un présent si funeste que le coton? et si, comine on vous le disait hier, sans s'en flatter beaucoup, je pense, nos colonies, où l'île de Corse, venaient à remplacer nos fournisseurs actuels, est-il bien prouvé, quelqu'un même consentira-t-il à croire que nous solderions nos fournisseurs nouveaux en monnaies aussi protitables?

Enfin, Messieurs, on a fait valoir l'intérêt du revenu public, l'avantage d'adoucir d'autres impôts indirects, à l'aide du produit qu'on obtiendrait d'un fort droit sur le coton. Messieurs, tout revenu n'est pas bon pour un Etat; il en est de funestes; celui-ci serait de ce nombre. Sans doute, des adoucissements dans quelques impôts indirects sont désirables; mais c'est de leur accroissement par l'accroissement des consommations qu'il faut attendre la possibilité d'en atténuer successivement la quotité; et ce serait un étrange moyen d'accroître ces consommations, et avec elles le produit des impôts auxquels elles sont soumises, que d'atténuer dans la plus importante, la plus vaste de nos fabrications, le travail, qui seul étend la faculté de consommer. Que l'honorable auteur de la proposition veuille bien y réfléchir, et il comprendra lui-même que, loin d'atteindre au but vers lequel il tend, la mesure qu'il conseille ne ferait que nous en écarter.

Il est vrai qu'il ne paraît pas croire que le travail en fût notablement altéré. Qu'est-ce, dit-il, qu'un surcroît de deux sous sur une aune de tissu de la valeur d'un franc? Je réponds que ce

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serait un dixième, et que si la consommation et, par suite, le nombre des travailleurs venaient aussi à se réduire d'un dixième, ce serait déjà un mal et un mal très grave. Mais je conteste ses calculs. Voici les miens: Une livre de coton produit 4 aunes de tissu ordinaire, du prix de 20 sous l'aune. Cette livre de coton paierait 10 sous par navires français, 14 sous par navires étrangers, terme moyen 12 sous, ou 60 centimes. Ajoutez le décime et un autre décime au moins pour l'avance de fonds du fabricant contribuable; voilà 75 centimes. Appliqués à une valeur de 4 francs, c'est près de 18 0/0. Je vous laisse à penser, Messieurs, quelle perturbation porterait une telle charge dans une industrie qui, grâce à la modération actuelle du droit, a grandi dans une telle proportion, que, n'employant en 1813 (époque où nous tenions sous nos lois ou sous notre influence 60 millions de consommateurs, mais où d'énormes droits pesaient sur elle), que 9 millions de kilogrammes de matière en employait déjà 17 millions en 1819, et s'est élevée en 1824 et 1825, à 26 millions de kilogrammes, terme moyen.

Et ne croyez pas que cette perturbation résultât seulement du découragement de consommation dans l'intérieur. Une perturbation plus grande peut-être naîtrait de la contrebande. Quelle prime nouvelle, Messieurs, qu'un surcroît de prix de 18, et peut être de 20 pour 100! Vous avez les meilleures douanes du monde; et savez-vous où va leur puissance quant aux tissus? à porter la prime d'assurance à 25 p. 0/0. Et cette prime serait insuffisante à nos fabriques, si la loi n'y eût judicieusement ajouté la puissance des recherches et de la saisie dans l'intérieur. Retranchez 20 p. 0/0 de cette prime, et comptez que vos fabriques sont désormais sans défense.

J'ai parlé des échanges utiles auxquels donne lieu l'achat du coton. L'honorable membre ne croit pas à ces échanges; on lui a assuré que les navires américains qui apportent le coton dans nos ports, s'en retournent le plus souvent sur leur lest. Je conviendrai volontiers que ces navires sont beaucoup moins chargés au retour qu'à l'arrivée, mais vous n'en concluerez rien contre l'importance de nos échanges, quand vous saurez qu'un tonneau de coton vaut 800 francs, et qu'un tonneau de soieries vaut 100,000 francs. Or, la moitié de nos ventes aux Etats-Unis consiste en soieries. En fait, nous avons reçu des Etats-Unis, en 1824, pour 50 millions de produits, dont 38 millions en coton et 5 millions en tabac. Nous leur avons fourni une valeur de 55 millions, dont 28 millions en soieries, 4 millions en autres tissus, et 9 millions en vins et en eaux-de-vie. Je ne connais pas encore exactement les résultats de l'année 1825; mais j'ai lieu de croire que nos exportations se seront élevées à 8 ou 10 millions de plus.

C'est du Brésil que nous vient la plus grande partie du coton que nous ne tirons pas des EtatsUnis; et nous lui vendons plus forte somme des produits de notre sol et de nos manufactures. J'ai lieu de croire que nous devrons très prochainement à la paternelle sollicitude du roi le bienfait d'un traité de commerce favorable avec ce pays. Le moment serait-il bien choisi pour troubler, par une taxe que nos autres intérêts repoussent, des rapports qui promettent d'être si profitables, et qui peut-être même auront besoin pour s'accomplir de quelques modifications dans les droits actuellement perçus sur les cotons?

En résultat, Messieurs, je regarde la taxe proposée comme un présent ruineux offert au Trésor, comme une atteinte funeste au travail du pays, comme une infaillible altération de nos plus utiles moyens d'échange, et je supplie la Chambre de la rejeter.

M. de Berthier. Messieurs, les résultats que vient de vous présenter M. le commissaire du roi pourraient vous paraître effrayants, s'ils étaient tous de la plus grande exactitude, et s'ils n'étaient pas susceptibles d'être combattus. Il a présenté la proposition de M. de Saint-Chamans, non comme une protection accordée à certaines portions importantes de notre industrie, mais comme un impôt de 24 millions offert au Trésor. Je commence par combattre cette idée, car toute augmentation de tarif est une augmentation de produit pour le Trésor. Je suis étonné qu'on repousse aujourd'hui, avec tant de vivacité, l'augmentation proposée sur les cotons, lorsqu'on s'est montré si favorable à la demande d'augmentation sur les droits d'entrée des fers. C'était aussi un impôt cependant, et un impôt qui froissait considérablement notre industrie agricole.

Arrivons maintenant au fait : Quel est le but avoué par le gouvernement et par la commission des douanes? C'est de protéger les intérêts intérieurs du royaume. L'important est de combiner les droits, de manière à ce que rien ne soit froissé, et que tout soit partagé dans une égale proportion. Je m'explique: Toutes les fois qu'une loi de douane, en favorisant les fabriques et les manufactures, froisserait le commerce ou l'agriculture, j'en demanderais la modification. Si une loi de douane, en protégeant d'une manière spéciale quelques parties d'industrie, froissait d'autres parties d'industrie, j'en demanderais également la modification c'est ce qui se présente dans le cas actuel. Je crois que les fabriques de coton, qui sont d'une grande importance en elles-mêmes, et que nous sommes loin de vouloir arrêter dans leur essor, présentent de grands inconvénients, et diminuent d'une manière trop forte les avantages qui devraient résulter des draps, des soieries et surtout des toiles.

J'ajouterai que s'il est vrai, en économie politique, qu'une protection égale doit être accordée à tous les genres d'industrie, il semble que quand une industrie emploie des produits indigènes, s'il y avait faveur, la faveur devrait être pour ce genre d'industrie. Ainsi, les draps qui emploient nos laines, favorisent en même temps les progrès de l'agriculture. Les soieries présentent une partie de ces avantages: non seulement elles servent aux vêtements; elles sont encore favora bles à l'engrais des terres. Les toiles emploient un produit indigène de la plus haute importance, car, dans les départements où le chanvre est cultivé avec succès, cette culture est une véritable richesse.

Eh bien, Messieurs, il est positif que le commerce de nos toiles diminue tous les jours. Bientôt une des cultures les plus avantageuses sera à peu près anéantie. C'était dans cette hypothèse que la plupart des membres de la cominission demandaient d'une manière spéciale une augmentation d'entrée sur les toiles étrangères. On s'y est refusé en présentant des considérations qui me paraissent respectables. Mais alors on a porté ses vues d'un autre côté, et l'on a cherché à établir une balance entre le progrès excessif des cotonnades et la perte presque totale de nos toiles. Qu'y a-t-il là qui soit injuste? Rien sans doute.

Je dis même que c'est entrer dans le système le plus juste, celui de protéger dans une égale proportion tout ce qui peut procurer à la France avantage et prospérité.

On a parlé des exportations considérables qui ont lieu pour les cotonnades, et l'on a dit que l'amendement les annulerait. Il n'en est rien, puisque l'on pourrait prendre le parti que l'on suit à l'égard des draps, c'est-à-dire restituer à la sortie des tissus les droits qui ont été perçus à l'entrée de la matière première, comme on le fait à l'égard des laines. Quant à la consommation intėrieure, je ne puis me rendre aux calculs de M. le commissaire du roi. Il n'a parlé que des cotonnades à 20 sous l'aune, et ses calculs ne s'accordent pas avec ceux de M. de Saint-Chamans, que j'ai vérifiés ce matin, et que j'ai trouvés exacts. Je n'ai trouvé dans sa proposition qu'une augmentation de 2 sous sur les toiles à bas prix, et de 3 sous et quelques centimes sur celles d'un prix plus élevé.

S'il en est ainsi, Messieurs, croyez-vous que la consommation intérieure puisse être beaucoup diminuée, parce que nous paierons la toile de coton deux ou trois sous de plus par aune, et même parce que l'augmentation serait portée jusqu'à quatre ou cinq sous? Je crois que la consommation ne serait aucunement diminuée par cette addition. Je vous prie d'ailleurs d'observer que l'augmentation porterait surtout sur les classes aisées, car dans les campagnes le coton n'est employé que pour quelques usages très communs, comme pour robes et schals, tandis que les personnes plus aisées l'emploient pour les ameublements, pour le linge de corps, et en général pour la plus grande partie de leur consommation; ce qui expulse presque entièrement de l'intérieur des villes les toiles et les soieries. La consommation ne sera pas diminuée par une légère addition au prix, et quant aux exportations, la restitution du droit lèvera toute espèce de difficulté. En même temps que vous ne changeriez rien ni à la consommation intérieure, ni aux exportations, vous donneriez un secours nécessaire à trois dé nos produits les plus avantageux. Il me semble que, dans de pareilles circonstances, c'est agir avec sagesse que d'obtempérer à la proposition de M. de Saint-Chamans.

Je ne ferai que résumer ce qui a été déjà dità cette tribune en vous faisant remarquer que les fabriques de nos draps, de nos soieries et de nos toiles peuvent prospérer en temps de guerre comme en temps de paix, tandis qu'avec la supériorité maritime que l'Angleterre à conservée, nos fabriques de coton souffriraient essentiellement en cas de guerre. A cet égard, je vous rappellerai que M. le rapporteur de la commission, qui naturellement doit défendre les cotonnades avec intérêt, puisqu'il appartient à un département dont elles font la richesse...

M. Fouquier-Long. Je n'ai pas parlé en mon nom, mais au nom de la commission.

M. de Berthier. A la bonne heure; mais en témoignant la crainte que les ouvriers en coton n'eussent pas d'ouvrage, vous avez fait observer que ces ouvriers, n'étant accoutumés qu'à ce genre de travail, auraient de la peine à se livrer à une autre industrie. Cela est vrai, et c'est un inconvénient de l'emploi des mécaniques, que l'homme qui y travaille devient lui-même une espèce de machine et n'est propre qu'à cela.

Eh bien, Messieurs, sans doute il y aurait des époques où la nombreuse population qui est employée au travail des cotonnades pourrait se trouver sans ressources, l'époque où aurait lieu une guerre maritime. Je ne m'étendrai pas à cet égard; mais vous pouvez vous souvenir que la plupart des troubles qui ont eu lieu en Angleterre ont commencé à Manchester. Cette circonstance pourrait peut-être nous servir de leçon.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, je suis loin de vouloir diminuer les fabriques de coton; mais je suis persuadé que même avec les droits proposés, il pourra y avoir encore des améliorations. Je crois que les autres industries étant essentiellement froissés par le tarif, c'est un tort qu'il faut réparer. Cependant comme j'adopte volontiers la réflexion faite hier par M. le président du conseil, réflexion qui m'a engagé à ne pas insister sur l'amendement que j'avais proposé relativement au droit d'entrée des chevaux, et qui consiste en ceci : Qu'en matière de douanes il faut toujours procéder avec lenteur et précaution, je présente un sous-amendement à l'amendement de M. de Saint-Chamans, et je propose de réduire à moitié les droits qu'il a voulu mettre sur les cotons. Je crois que cette mesure n'aurait aucun inconvénient, et j'en suis tellement convaincu, que je m'engage à demander moi-même le rapport de mon sous-amendement, si l'on peut démontrer l'année prochaine que les fabriques de coton aient éprouvé la moindre perte, ou qu'un seul ouvrier soit resté sans ouvrage.

M. de Lastours. Je viens combattre l'amendement proposé par notre honorable collègue, M. de Saint-Chamans. Je le fais avec d'autant plus de regret que le but qu'il se propose est très honorable; mais ses moyens pour y arriver me paraissent insuffisants pour protéger notre agriculture et en même temps dangereux pour notre industrie manufacturière.

Que veut, en effet, l'auteur de l'amendement? Il cherche à protéger la fabrication de nos toiles et la culture de nos lins. Il n'est aucun de nous qui n'applaudisse à cette intention : chacun gémit avec lui de l'espèce de guerre que nous faisons aux produits de notre sol, en faveur des produits étrangers.

Pour remédier à cet abus, notre honorable collègue voudrait tellement élever les droits d'entrée sur les cotons en laine, que ces droits qui produisent aujourd'hui de 7 à 8 millions, donneraient au Trésor une augmentation d'environ 20 millions; en sorte que sur 64 millions de cotons qui entrent annuellement en France, le droit qui est, en ce moment, le 8° à peu près de sa valeur, serait porté aux deux cinquièmes de cette même valeur.

M. de Saint-Chamans observe que ce droit n'augmenterait que d'une manière insensible le prix des toiles de coton.

Mais l'on voit déjà le vice de la proposition, car ce n'est que l'augmentation du prix des tissus de coton qui peut favoriser la vente des toiles de lin; qu'importe au consommateur, que le coton paye 40 au lieu de 12 0/0, si le tissu qui en provient ne lui coûte que quelques sols de plus ? Il n'en achètera ni plus ni moins, et le débit des toiles de lin n'en sera nullement augmenté; de ce côté notre agriculture u'aura rien à gagner.

Toutefois, l'augmentation excessive du droit d'entrée nuirait essentiellement aux fabricants et ruinerait trop brusquement une branche d'industrie, dont on doit à la vérité diminuer la vi

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