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tion. D'ailleurs, ajoute-t-on, l'observation des faits généraux offre la preuve que les droits sur le chanvre n'ont causé aucun dommage à la fabrication des cordages, car il n'y a pas de réduction sur nos exportations.

Telles sont les seules objections qui aient été présentées, et je ne les crois pas assez fortes pour appuyer le refus d'une protection réclamée par les cordiers autant que par le commerce des ports de mer.

Quant à la crainte de restituer sur le goudron un droit qui n'aurait été payé que par le chanvre, elle se réduit à très peu de chose; car si le chanvre paie 8 francs de droits, le goudron en paie 5, ainsi la difficulté se bornerait à 3 francs par 100 kil.

Il convient d'ailleurs de vous faire observer que si vous adoptiez mon amendement, le principe seul de la restitution se trouverait posé, et que la part du goudron sera faite par l'administration, alors que c'est elle qui déterminera les proportions de cette restitution.

Peut-on craindre, Messieurs, que le cordier vint à prodiguer l'emploi du goudron pour obtenir une restitution plus forte, en augmentant le poids de ses cordages? Je ne le crois pas; car il ne suffit pas d'exporter, il faut encore trouver des acheteurs, et les contenter par la bonne qualité du produit. Cette nécessité devient la garantie des intérêts du Trésor, et cette garantie résulte encore de la valeur relative de ces objets.

Les 100 kil. de cordages valent au moins 100 francs, le goudron 20 francs, et les droits sur le chanvre ne s'élèvent qu'à 8 francs par 100 kil. S'il est évident que les acheteurs de cordages ne consentiront jamais à payer 100 francs pour le goudron qui n'en vaut que 20, il est plus évident encore que le cordier ne dépensera pas 20 francs pour en toucher 8, et il n'est personne en France qui calcule assez mal pour vouloir frauder à ce prix.

Quant aux faits généraux qui sont opposés à ma proposition, je leur oppose à mon tour, Messieurs, les tableaux officiels de nos exportations, et je vous prierai de comparer les exportations de 1820, qui se sont élevées à 825,874 kil., avec le résultat de toutes les années postérieures à l'établissement du droit de 8 francs sur les chanvres, et dout aucune n'a excédé 689,000 kil. formant l'exportation de l'année 1824.

Mais alors même que je n'aurais pas à vous citer, Messieurs, cette preuve d'une réduction d'environ 20 0/0 sur nos exportations, il serait encore vrai de dire que la prospérité générale la plus évidente ne détruit pas l'évidence des souffrances particulières, et qu'il est cruel pour ceux qui souffrent de se voir repousser par des faits généraux; car c'est leur dire en d'autres termes : les éléments de prospérité qui vous échappent se sont développés sur d'autres points de la France, ainsi de quoi vous plaignez-vous ?

La protection du gouvernement doit s'étendre à tous les intérêts, et je n'admets d'autres limites à cette protection que le danger de compromettre les intérêts les plus importants.

Vous êtes juges, Messieurs, des divers intérêts qui se lient à cette discussion; vous avez à concilier la protection de l'agriculture avec les besoins de la marine, et les intérêts de l'industrie qui s'applique à la fabrication des cordages.

S'il résultait encore des tableaux de notre importation que celle du chanvre, 4,667,312 kil. en 1820 et avant le droit de 8 francs, s'élève également à 5,198,033 kil. en 1824, et que la moyenne

des années intermédiaires atteint 4,791,401 kil.; ne serais-je pas autorisé à dire, Messieurs, que le droit sur le chanvre n'ayant pas diminué l'importation des chanvres du Nord, nous avons aggravé sans fruit la lutte de nos navigateurs avec des rivaux, favorisés déjà sous tant de rapports, et que les consommateurs français se soumettant au paiement du droit, sans renoncer à l'emploi du chanvre étranger, vous pouvez accueillir sans inconvénient une disposition qui tend à conserver les consommateurs étrangers, parce qu'elle ne peut exercer aucune influence sur le prix ou sur l'emploi du chanvre indigène.

J'ai proposé, Messieurs, la restitution du droit sur les cordages, parce que j'ai la conviction qu'elle est la seule condition sous laquelle nous puissions espérer conserver à la France la fabrication pour l'étranger, et la mise en œuvre des qualités supérieures de chanvre que l'étranger seul peut nous fournir.

Connaissant moins exactement la position de ce commerce dans nos ports de mer, ces grands intérêts trouvant ici l'appui de leurs défenseurs naturels, je me borne à vous exposer les faits que je suis plus spécialement appelé à connaître. Dans les localités que je connais, la question se réduit aux termes très simples que voici :

La navigation marchande du Rhin ne peut employer que les cordages faits avec les chanvres teillés du grand-duché de Bade, parce que la force et la longueur des filaments de cette qualité de chanvre résiste mieux que toute autre à l'action corrosive des brouillards et des eaux du Rhin.

Cette navigation est exercée par les bateliers français, en concurrence avec les bateliers de la rive opposée, et les cordiers de Strasbourg ont travaillé, jusqu'ici, pour les bateliers des deux

rives.

Lorsque nous avons mis un impôt sur les chanvres, le gouvernement de Bade a répondu par un impôt sur les cordages; il en résulte un bénéfice évident, dans leur fabrication, sur les lieux mêmes qui produisent la matière première, et nous perdons une occasion de travail, qui devient une nouvelle conquête pour nos voisins.

Dira-t-on qu'il faut employer les chanvres français ? Je répondrai que l'Alsace est une des provinces qui produit le plus de chanvre, qui donne le plus de soins à sa culture; et, qu'honoré des suffrages de mon pays, ce n'est, certes, pas moi qui vous proposerais une atteinte à sa prospérité. Notre culture suit de bonnes traditions; elle demande au sol ce qu'il produit le plus avantageusement, et, trouvant par les échanges, la garantie réciproque de la vente des produits, elle ne repousse pas ceux que nos voisins ont à leur tour plus d'intérêt ou plus d'avantages à cultiver. C'est ainsi, Messieurs, que l'Alsace cultive de préférence la qualité de chanvre qui donue les meilleurs tissus, qu'elle en exporte une partie dans le grandduché de Bade, et qu'elle en reçoit les qualités qui servent à la fabrication des cordages.

Je vous présente, Messieurs, ces observations dans l'intérêt d'une ville qui voit tarir successivement toutes les sources de son antique prospérité.

Placée à l'extrême frontière, elle était, elle devait être le point central d'un commerce d'échange et de consommation qui ajoutait à la richesse nationale; séparée déjà de la moitié de ses acheteurs, par l'effet inévitable de la guerre des douanes, blessée dans tous ses intérêts par les représailles de vos tarifs, elle supporte avec résignation des maux auxquels elle ne voit pas de remède; mais

ce n'est pas sans une douleur nouvelle qu'elle se verrait condamnée à perdre une nouvelle branche de travail, alors que vous pouvez la lui conserver. Et qu'on ne dise pas que ce travail soit un faible élément de prospérité! L'importance relative des intérêts ne peut pas décider sous un seul point de vue. Placé dans le centre des richesses, on peut être entraîné au dédain des sources moins abondantes de la fortune; mais on calcule plus sévèrement, alors qu'on a déjà beaucoup perdu, et telle est la position des intérêts que j'ai le devoir de défendre.

M. de Saint-Cricq. Ainsi que l'honorable préopinant vient de vous le rappeler, la commission de l'année dernière avait proposé l'amendement qu'il présente aujourd'hui, et la Chambre ne doutera pas que cette proposition n'ait été une grave recommandation auprès du conseil de commerce, si elle veut bien remarquer que presque tous les amendements proposés par cette même commission ont été admis par l'ordonnance du 13 juillet, et se retrouvent dans le projet de loi sur lequel vous délibérez. Cependant, il n'a pas cru devoir admettre la disposition tendant à rembourser le droit sur les chanvres à l'exportation des cordages. Voici quels ont été ses motifs :

On s'est dit d'abord qu'un tel remboursement ne serait convenable qu'autant qu'il serait reconnu que le droit atténue les exportations, car si les exportations ne souffrent pas, il en faut conclure une de ces deux choses: ou que le droit a trop peu d'influence sur le prix de l'objet fabriqué avec la matière étrangère pour en gêner la vente au dehors, ou que l'objet fabriqué et vendu au dehors est généralement le produit de matière française.

Dans le premier cas, le renseignement est inutile et jamais rien d'inutile ne doit être fait en ce genre, parce que l'on sait que toutes les fois qu'on se résout à de tels remboursements, parce qu'ils sont reconnus indispensables pour éviter de plus grands dommages, ils ne sont jamais sans inconvénients, les acquits représentés n'auront jamais au témoignage certain de l'identité des droits acquittés avec la matière qui est le sujet de l'importation.

Dans le second cas le remboursement est nuisible, parce qu'en désintéressant le fabricant d'employer la matière française, il invite à employer la matière étrangère, et nuit ainsi à l'écoulement de la première. Or, en se reportant aux faits, qu'a-t-on vu? Qu'en 1821, époque où le chanvre étranger ne payait qu'un droit insignifiant, nos exportations de cordages furent de 642,000 kilogrammes; qu'en 1822, époque de l'augmentation du droit, l'exportation fut de 646,000 kilogrammes; en 1823, de 644,000; en 1824, de 688,000, enfin, en 1825, de 790,000. Dans cet état de choses, s'est-on dit, accorder une prime calculée sur les droits par lesquels on protège le produit français, n'est-ce pas courir le risque d'atténuer l'emploi de ce même produit et annuler volontairement une partie des effets qu'on demande à la protection?

Une autre considération a vivement frappé. On sait qu'indépendamment des cordages employés aux gréements des navires, aucun d'eux ne se met en mer sans être muni de cordages de rechange. Ces cordages, aussi bien que les premiers, sont un des emplois que le droit sur les chanvres étrangers a pour but de réserver à nos propres chanvres. Mais si une prime est acquise à la sor

tie, tous les cordages ainsi embarqués seront déclarés, non pour les besoins des navires, mais pour l'exportation, et nous aurons ainsi dégrevé par le fait notre marine d'une charge que nous lui imposons à regret, sans doute, mais que nous lui imposons au profit de notre production territoriale, pour qui il y aurait là une nouvelle cause d'atténuation d'écoulement. Ce serait adopter indirectement une proposition que vous avez rejetée il y a peu de jours, et qui tendait à affranchir des droits les chanvres étrangers qui seraient employés à l'armement de nos vaisseaux de commerce. Ce serait un avantage pour notre navigation, sans doute mais vous avez jugé qu'il y avait ici à défendre un intérêt plus pressant en

core.

L'honorable M. de Turckheim vous a parlé de ce qu'il y a de spécial dans cette question pour l'Alsace qu'il représente. Mais indépendamment de ce que l'on ne comprend pas bien pourquoi les cordages destinés à la navigation du Rhin seraient plus nécessairement fabriqués avec des chanvres étrangers que les cordages destinés à la grande navigation maritime, je dirai que nous ne pouvons faire des lois de douanes applicables à chaque localité. Bien des dispositions de votre tarif, nous dit M. de Turckheim, nuisent à l'Alsace; faites-lui du moins ce peu de bien. Si certaines dispositions du tarif vous sont fâcheuses, lui répondrai-je, combien d'autres vous sont favorables. L'Alsace est riche en forges et en manufactures de coton. Nous protégeons les premières par un droit énorme, les secondes par une prohibition absolue. Il faut bien se résoudre à subir les charges quand on veut garder les bénéfices. Les tarifs ne sont pas autre chose qu'une alternative des unes et des autres. Le meilleur est celui où la somme des bénéfices dépasse de beaucoup celui des charges. Je crois que la nôtre est dans

ce cas.

M. Gautier. Messieurs, je viens vous présenter quelques considérations qui feront peut-être ressortir, sous d'autres rapports que ceux qu'a fait valoir mon honorable collègue M. de Turckheim, les avantages qui résulteraient, pour l'industrie et le commerce, de la modification qui vous est proposée.

La fabrication du cordage, Messieurs, est une industrie peu connue dans l'intérieur, mais qui a dans les ports de mer une grande étendue, qui occupe un nombre considérable d'ouvriers, qui fait vivre beaucoup d'individus de la classe la plus pauvre du peuple, et qu'il est par conséquent d'un grand intérêt de protéger.

Cette industrie est en souffrance, et les conséquences de notre législation actuelle ont déjà amené une décroissance sensible dans son activité.

L'augmentation du droit sur les chanvres étrangers, établie par la loi des douanes de 1822, a supprimé presque en entier les importations de chanvre de Russie, et a produit sur cette matière, et par conséquent aussi sur le cordage, une hausse qui est aujourd'hui de près de 40 0/0.

Il résulte de la suppression des importations étrangères, que la matière manque à la fabrication, et de la hausse du prix du cordage, que les débouchés de ce produit se ferment successivement.

La matière manque à la fabrication, parce que la production du chanvre en France est beaucoup trop bornée pour pouvoir subvenir à la fois et

aux consommations intérieures et aux besoins très étendus de la navigation.

Le gouvernement fournit lui-même en ce moment une première preuve de cette assertion. C'est que malgré les ordonnances qui prescrivent aux ports et arsenaux du roi de ne s'approvisionner que de chanvres indigènes, la marine royale vient d'être forcée de publier qu'elle recevra en septembre prochain des soumissions pour la fourniture de 350,000 kilogrammes de chanvre de Russie, destinés au besoin du port de Brest.

Mais d'autres considérations, Messieurs, justifient plus évidemment encore le fait que je viens d'avancer. La culture du chanvre, qui n'occupe en France, selon les renseignements que M. Chaptal a puisés dans les détails du cadastre, que 50 à 55,000 hectares, est excessivement disséminée. Cependant quelques parties de la France s'y sont livrées avec assez d'étendue pour avoir, après que les besoins des industries et des consommations locales sont satisfaits, un excédent à vendre ailleurs. L'Alsace, la Champagne, l'Anjou, l'Auvergne, la Bretagne et l'Agenais sont les provinces où cette culture est le plus développée. Mais dans presque toutes pourtant, la production est absorbée en grande partie par les fabrications de toiles, de ficelles de toute espèce, et de cordages pour la navigation des rivières et les usages domestiques. Ce sont là les emplois naturels de la production indigène, et elle les a toujours possédés exclusivement, car jamais le chanvre étranger n'a été employé que pour les besoins de la navigation maritime.

Mais en outre, celles de ces provinces qui sont éloignées de la mer ne peuvent pas concourir à l'approvisionnement de la marine, parce que le chanvre est une marchandise de trop de volume, et de trop peu de valeur, pour pouvoir supporter les frais d'un transport par terre, même par la navigation intérieure, pour peu que la distance à franchir soit considérable. Aussi la Bretagne, l'Anjou et l'Agenais sont-elles les seules de ces provinces qui concourent en quelque chose à la fourniture du commerce maritime. Je crois pouvoir affirmer que, jusqu'à présent, ce que la production indigène a fourni à la marine marchande n'a pas excédé la proportion du dixième des consommations de celui-ci. Il n'en est pas ainsi pour la marine royale; mais aussi, là marine royale paye évidemment un surcroît de frais la nécessité de favoriser la production intérieure, et encore est-elle habituellement obligée, et notamment en ce moment même, d'acheter des chanvres étrangers.

Il me reste à donner quelques renseignements, puisés dans ma propre expérience, sur la diminution progressive des débouchés de cette fabri

cation.

Le cordage français, Messieurs, est égal pour la perfection du travail, au meilleur cordage anglais, et supérieur à celui que fabriquent la plupart des autres peuples. A prix égal de la matière première, le cordage français peut aussi être établi à plus bas prix que celui que fournissent l'Angleterre ou les Etats-Unis, à cause du bon marché relatif à la main-d'oeuvre.

J'ai été témoin moi-même que des capitaines américains ou même anglais, qui faisaient habituellement les voyages de France, attendaient d'être arrivés dans nos ports pour se munir de rechanges de cordage, parce qu'ils l'y achetaient meilleur ou aussi bon, et toujours à plus bas prix que chez eux. Il ne peut plus en être ainsi

depuis que le prix du cordage, par une conséquence nécessaire de l'augmentation du droit et de l'insuffisance des approvisionnements, s'est élevé de 30 0/0 au moins. Je cite ce fait, non pour m'en faire un moyen de démontrer qué nos débouchés ont diminué, car je sais bien que l'emploi dont je viens de parler n'avait pas une grande importance; mais seulement pour prouver que nous fournissions autrefois le cordage en qualité meilleure ou du moins pareille, à plus bas prix que nos concurrents.

Mais ce qui est une perte très réelle et très funeste à notre industrie, c'est que nous ne pouvons plus faire les exportations considérables de cordage, auxquelles donnait lien il y a quelques années notre commerce tout borné qu'il était alors.

Vous concevez en effet facilement, Messieurs, qu'aujourd'hui que ce produit fabriqué qui était à cette époque à plus bas prix qu'ailleurs, y coûte au moins 30 0/0 de plus que sur les marchés étrangers, on ne peut plus nous en demander. Il ne vous échappera pas non plus que dans un moment où de nouvelles relations de commerce s'ouvrent avec l'Amérique méridionale, et où la marine marchande et militaire de plusieurs nouveaux Etats y prend un développement progressif, il eût été très important d'assurer à la France le privilége de fournir à ces produits dont l'usage est indispensable, et la consommation susceptible d'un grand accroissement.

Mais bien loin qu'il en soit ainsi, le prix élevé du cordage tend à supprimer les débouchés que nous possédions déjà, et en attendant, des nations rivales, qui entendent trop bien leurs intérêts pour frapper d'un droit élevé une matière indispensable à leur marine et qui fournit à leur population un travail important, s'emparent d'une fourniture qui serait à nous, si nous n'avions jugé à propos de nous en priver nous-mêmes.

Enfin, Messieurs, l'approvisionnement de notre propre navigation échappe lui-même en partie à notre industrie et va enrichir nos voisins.

Le cordage entrant pour un dixième au moins dans les frais de tout armement, et ce dixième étant renchéri de 30 0/0, il en résulte évidemment que les frais de notre navigation, déjà plus coûteux de beaucoup que celle de tous les autres peuples, en sont accrus de 3 0/0. Les armateurs s'efforcent, ainsi que cela est naturel, de se soustraire à ce préjudice, et en conséquence, ils font venir du cordage étranger, qu'ils déclarent en entrepôt, et qu'ils chargent ensuite sur leurs navires comme faisant partie de la cargaison; mais au lieu de le vendre avec le reste du chargement, ils l'emploient aux rechanges de leurs navires, et échappent ainsi au surcroît de frais qui résulterait pour eux de l'augmentation du prix du cordage en France. Ainsi, en outre du préjudice qui résulte pour notre commerce et notre industrie de l'impossibilité de mettre en œuvre le chanvre étranger, notre fabrication perd une partie notable de notre propre marine.

M. le commissaire du roi vient nous opposer, les états de douanes à la main, que nos exportations de cordage ont été les mêmes en 1824 que dans les années antérieures. Je n'ai point de défense, je l'avoue, contre cette arme à deux tranchants qui sert à combattre tour à tour les deux partis opposés. Mais s'il faut absolument que je croie que nous avons vendu autant de cordage, alors qu'il coûte 25 à 30 0/0 de plus que celui de l'étranger, que lorsqu'il était au même

prix ou au-dessous, on me permettra du moins de penser que si la valeur des nôtres ne s'était pas élevée, nous en aurions exporté beaucoup davantage.

J'ai parlé de la cherté relative de notre navigation. Ce sujet est assez important, Messieurs, pour que vous me permettiez de vous en dire encore un mot. Vous aurez pu juger vous-mêmes des désavantages qui en résultent, en jetant les yeux sur les Etats de douanes qui vous ont été distribués. Sur un mouvement de 1,500,000 tonneaux auquel ont donné lieu en 1824 nos importations et nos exportations, 760,000 ont été transportés par bâtiments étrangers, et 640,000 seulement par navires français.

Ainsi, la navigation étrangère a concouru pour près des deux tiers aux transports par mer auxquels donne lieu notre propre commerce, tandis que nous n'en avons fait nous-mêmes qu'un peu plus du tiers, en y comprenant même la navigation de nos colonies, que nos lois nous réservent exclusivement. Si l'on calculait, Messieurs, ce que coûte annuellement à la France le fret de ces 900,000 tonneaux environ qu'elle laisse transporter par la navigation étrangère, au préjudice de la sienne, on trouverait, je crois, que c'est là une dépense assez considérable pour que ce fut la peine de s'occuper de la réduire. On s'en occupe, dira-t-on, il est vrai; par des taxes que l'on maintient inexorablement, on double le prix du fer, on augmente du tiers celui du chanvre, on renchérit daus des porportions variées, mais toujours élevées, le prix du brai, du goudron, du cuivre, du plomb, des mâtures, des bois, des toiles à voile, enfin de tous les articles nécessaires à l'armement des vaisseaux, et ensuite on ordonne des enquêtes pour rechercher pourquoi la navigation française coûte 20 à 25 0/0 de plus que celle de toutes les autres nations; c'est se donner une peine bien inutile. La cause de cette cherté relative, Messieurs, est surtout dans nos tarifs, et il ne tiendrait qu'à nous de la détruire.

L'amendement de mon honorable collègue M. de Turckheim, vous offre les moyens, Messieurs, d'échapper, sans aucune dérogation à vos principes, à une faible partie des désavantages que j'ai fait connaître. Il ne présente, dans l'exécution, aucun inconvénient, parce qu'en constatant la quantité de chanvre étranger qui sera retirée de l'entrepôt pour être mise en œuvre, on peut déterminer, dans une proportion qui ne laisse aucun accès à la fraude, la quantité relative de cordage dont l'exportation donnera droit à la restitution de la taxe; et que, comme je l'ai dit, le chanvre étranger ne peut nulle part entrer en concurrence avec le chanvre indigène pour les emplois intérieurs.

J'appuie donc l'amendement de M. de Turckheim.

M. Basterrèche. L'utilité de l'amendement de M. de Turckheim me semble avoir été complétement justifiée par le développement que vous venez d'entendre. Je dois donc me restreindre à répondre à quelques-uns des raisonnements de M. le commissaire du roi. Il est certain que la proposition qui vous est faite en ce moment fut longuement discutée l'année dernière dans la commission des douanes, qu'elle y fut adoptée, et que M. le commissaire du roi lui-même y donna son assentiment.

Cette année M. le commissaire du roi nous dit que le conseil du commerce n'a pas cru devoir

adopter cette proposition, parce qu'ayant jeté les yeux sur les états d'exportation des cordages, il a trouvé que ces exportations n'avaient pas été diminuées par les droits actuels. Mais pour bien juger la chose, il faut se reporter aux époques : lorsque les droits sur les cordages ont été augmentés, nous n'avions presque aucune relation avec les Etats d'Amérique. Si les exportations se sont augmentées depuis, c'est que ces relations se sont accrues; et les exportations auraient été bien plus considérables si une prime avait été donnée; car nos cordages ont la préférence, parce que nulle part on ne les fabrique aussi bien qu'en France. Ainsi, le tableau qu'on vous a présenté ne doit faire aucune impression sur vos esprits.

Il y a, dites-vous, un inconvénient qu'il faut éviter on prendrait des cordages dans les entrepôts, et on ferait payer une prime pour ces cordages; mais quel moyen avez-vous d'empêcher ce qui existe aujourd'hui ? Depuis l'établissement du droit, les étrangers et principalement les Russes nous envoient des cordages tout fabriqués, ils trouvent à cela un avantage de 15 à 20 0/0. Vos entrepôts, dans certains ports, sont continuellement remplis de ces cordages: on les embarque comme cargaison. Vos navires ne prennent que très peu de cordages de rechanges; et quand ils sont en mer ils emploient des cordages étrangers. C'est un inconvénient que personne ne peut nier et qui résulte du système actuel.

Messieurs, il y a un grand intérêt à favoriser tout ce qui à rapport à la navigation, que M. Gautier vous a montré être attaquée de tous côtés. Tous les établissements relatifs à la marine doivent être protégés particulièrement, et surtout les cordiers, car ce sont presque tous des marios. Ils sont d'une grande ressource pour nos armements particuliers, et en cas de guerre pour la marine militaire souvent on trouve parmi eux d'excellents contre-maîtres; ils sont pour la plupart accoutumés aux manoeuvres, et dès leur début ils font des matelots parfaits. Ce fait, qui mérite toute l'attention de la Chambre, doit la déterminer à accueillir l'amendement. Je suis convaincu qu'avec la prime l'exportation des cordages sera doublée et triplée avant deux ans, et que vous aurez dans chaque port une corderie de plus.

Ne craignez pas que cette mesure nuise au chanvre indigène. La marine donne toujours la préférence à nos cordages. Il est vrai que notre chanvre ne peut suppléer le chanvre du Nord pour les cordages; mais malgré cela aucune partie du chanvre qui se récolte en France ne reste invendue; on pourrait même en augmenter la culture; mais il faudrait pour cela des encouragements qui n'existent pas.

Je ne conçois pas comment M. le commissaire du roi a pu changer si complétement depuis l'année passée. Le motif qu'il vient d'en donner n'a aucun poids; car nos exportations n'ont augmenté que parce que nos relations ont pris de l'étendue. La base des raisonnements de M. le commissaire du roi étant ainsi détruite, le reste s'écroule de lui-même, et il ne subsiste plus rien qui puisse détourner la Chambre d'adopter l'amendement.

M. de Villèle, ministre des finances. Messieurs, un pays comme la France peut avoir la prétention de faire fournir par son agriculture et par ses manufactures tout ce qui est nécessaire à sa

consommation, du moins dans une très grande partie des choses nécessaires à cette consommation; et quand un pareil but peut être atteint, c'est celui qu'il est plus important de poursuivre. Relativement aux chanvres, nous nous trouvions dans cette position que des provinces en fournissaient en assez grande quantité, et étaient empêchées d'en trouver le débit par les importations extraordinaires qui nous venaient de l'étranger. On a mis un droit sur les chanvres, et vous venez d'entendre quel en a été le résultat. Les chanvres, a-t-on dit, ont augmenté de 30 0/0. Je crois que cette évaluation est exagérée; mais enfin ils ont augmenté suffisamment pour faire naître les plaintes que vous venez d'entendre. Or, ces plaintes sont la justification du droit; et en définitive, c'est le droit qu'on a réellement attaqué. On demande une prime, et l'on a donné des raisons plutôt pour attaquer le droit que pour justifier la demande de là prime. Commençons par examiner le résultat qu'a amené le droit.

Notre agriculture ne sait, en vérité, que produire. Produira-t-elle des céréales? elles sont à vil prix. Produira-t-elle des bestiaux, nous venons, il est vrai, de protéger cette production autant qu'il a été en nous, et cependant l'éducation des bestiaux ne donne que peu de bénéfice à ceux qui s'en occupent. Quant aux vins, vous avez entendu ce qu'on vous a dit à leur sujet. Permettez du moins que nous prenions à l'intérieur toutes les branches de notre industrie que nous y pouvons trouver; permettez que l'agriculture, chargée chez nous d'un impôt direct considérable, puisse, du moins, vendre ses produits. Ce n'est qu'à l'abri des droits que vous avez établis qu'elle le pourra.

Relativement au chanvre, nous n'avons qu'à nous féliciter d'en avoir établi; cette branche de notre agriculture a trouvé un grand appui dans ces droits. Voyons si quelque autre partie en a souffert, car on doit avoir égard à tous les intérêts: il ne faut pas sacrifier celui de notre navigation à l'agriculture; il faut tâcher de les concilier. Mais ceux qui nous disent que les manufactures de cordages ont souffert, sont-ils fondés? Nous avons les quantités de cordages qui ont été exportés depuis plusieurs années. En 1819, il en a été exporté 632,000 kilogrammes; en 1820, 825,000 kilogrammes; en 1821, 642,000; en 1822, 646,000; en 1823, 644,000; en 1824, 688,000; en 1825, 892,000.

Vous voyez donc qu'il n'y a pas eu de décroissance dans l'exportation des cordages, et les auteurs des amendements eux-mêmes nous ont fourni le moyen de justifier les motifs sur lesquels est fondée la non diminution de cette exportation, en disant que nos cordages étaient les mieux fabriqués, et que la faible augmentation qu'a éprouvée la matière première n'est pas suffisante pour nous enlever l'avantage que nous donne notre bonne fabrication. Quant à ce qui a été dit du dommage porté à notre navigation, on l'avait déjà allégué à propos des fers et de plusieurs autres objets; la Chambre a suffisamment apprécié ces allégations pour qu'il n'y ait pas besoin d'insister. Mais quant aux chanvres, nos adversaires nous ont indiqué eux-mêmes les motifs pour lesquels notre navigation ne doit pas souffrir de l'augmentation. On prend, dit-on, à l'entrepôt des cordages russes pour le cours de la traversée, et l'on ajoute que nous perdons à cela la fabrication pour la quantité de cordages qui auraient été employés par nos bâtiments. Je réponds à cela que je ne crois pas qu'il y ait un grand danger dans

cette espèce de fraude, et que les plaintes mêmes qu'on fait entendre, au nom de la navigation, sont une preuve que cette fraude n'a pas lieu à un haut degré. Notre fabrication est tellement supérieure que je doute qu'il y ait intérêt pour les navigateurs français à prendre en entrepôt des cordages russes qui, s'ils coûtent un peu moins, durent aussi beaucoup moins que les cordages français.

La marine s'approvisionnait autrefois de chanvre étranger dans la proportion des quatre cinquièmes; ce genre d'approvisionnement a été réduit cette année à un cinquième; c'est-à-dire que la marine royale prend dans l'intérieur trois cinquièmes du chanvre de plus qu'elle ne faisait. J'imagine que voilà des avantages assez notables, résultant du système où nous nous trouvons.

Mais il faut une bonne fois s'entendre sur le système des primes. Restituer les droits à la sortie, c'est en général annuler les droits, c'est enlever à nos produits la protection qu'on avait voulu leur donner. Mais cette restitution de droits a encore pour effet d'empêcher que jamais votre production puisse s'étendre à la partie que vous avez à exporter. Car dès que vous mettez un droit, c'est que la production extérieure est à meilleur marché que la vôtre. Lorsque vous rendez le droit à la sortie, vous devez vous attendre à ce que la matière première de vos exportations sera prise à l'étranger. Ainsi vous bornez votre propre production à la consommation intérieure ; car les produits étrangers exempts du droit étant à meilleur marché que les vôtres, et le droit étant restitué à la sortie, les exportateurs auront intérêt à employer les produits étrangers de préférence à ceux de l'intérieur.

Tel est, Messieurs, l'effet des primes. Je ne pense pas que la Chambre veuille sortir d'un système qui a produit des résultats aussi heureux que ceux dont se sont plaints les défenseurs de l'amendement, pour entrer dans un système qui commence par annuler la protection que vous avez voulu accorder à vos produits; un système qui s'oppose à ce que vous produisiez plus que ne demande votre consommation; et qui vous assure que toutes vos exportations se composent d'objets pris à l'extérieur.

(M. Renouard de Bussière a la parole.)

M. Renouard de Bussière. Messieurs, c'est dans l'intérêt d'une industrie particulière à la ville de Strasbourg, que je viens appuyer l'amendement qui vous est proposé.

Les rives du Rhin, fertiles en chanvre, en produisaient de deux espèces; ceux de la rive française, propres à la confection des toiles, fournissent abondamment la matière première nécessaire à ces fabriques, et même à une assez forte exportation.

Ceux de la rive allemande, beaucoup plus longs, plus forts, et rouis dans des ruisseaux qui leur donnent une qualité particulière, sont seuls propres à la confection des cordages nécessaires à la navigation du Rhin, et sont depuis des siècles employés par les cordiers de l'Alsace à la fabrication de cordages, qui ont une juste réputation auprès de tous les bateliers du Rhin, et jusqu'en Hollande, d'où l'on vient s'en approvisionner à Strasbourg. Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer que les droits sur les chanvres, s'ils ne sont pas restitués à l'exportation des cordages, transporteront sur la rive droite du Rhin cette industrie avec toutes celles dont nous a déjà privés le monopole du tabac, sans qu'il en résulte

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