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mentation du revenu qu'il perd et qui profitera à l'échangiste.

M. le Président observe qu'il ne résulte des observations faites sur l'article 1er aucune proposition formelle d'amendement à cet article. Il en met aux voix l'adoption provisoire.

Elle est prononcée par la Chambre.

L'adoption des articles 2 et 3 n'éprouve aucune difficulté. L'un et l'autre sont adoptés sans discussion, dans les termes du projet et pour la teneur suivante :

«Art. 2. La cession à M. le prince de Chalais, comte de Périgord, de trois hectares quatre-vingtseize ares soixante-dix-huit centiares de la forêt de l'île Adam, situés à l'extrémité de son parc, contre le bois Ballot, dont il est propriétaire, commune de Maffliers, et qui contient trois hectares soixante-quinze ares trente-deux centiares, est autorisée.

L'échangiste est tenu de payer à l'Etat une plus-value de 1,348 fr. 22 c., et d'acquitter en outre la totalité des frais auxquels l'échange pourra donner lieu.

« Art. 3. L'Etat cède en toute propriété à la ville d'Avignon la chapelle de Saint-Nicolas, située hors du mur d'enceinte, sur la rive gauche du Rhône, et occupée aujourd'hui par le bureau de perception des droits de navigation, pour la rendre à son ancienne destination.

La ville abandonne en échange la propriété de l'une des tours de son rempart, située entre les portes de la ligne et de Saint-Lazare, où elle fera transférer à ses frais le bureau de l'octroi de navigation.

«La ville sera tenue de verser, en outre, à la caisse des domaines, la somme de 908 francs, montant des réparations qu'il est reconnu indispensable de faire à cette tour, pour y établir le bureau de perception. »

La délibération des articles se trouvant ainsi terminée, M. le président annonce qu'il va être voté au scrutin sur l'ensemble du projet.

M. le marquis de Marbois, avant qu'il soit procédé au scrutin, croit devoir soumettre à la Chambre une observation qui n'est pas sans importance. Les trois articles du projet obtiendront également le suffrage de l'opinant; mais on conçoit qu'il pourrait adopter l'un d'eux sans donner aux autres son assentiment. Il serait donc forcé de rejeter la loi entière, parce qu'il ne pourrait en admettre une partie. Cette réflexion suffit pour établir la nécessité de diviser en autant de fois différentes qu'il y a d'intérêts distincts les propositions de ce genre, et le noble pair ose se flatter que le gouvernement y aura égard dans les lois ultérieures qui seront présentées.

Cette observation entendue, M. le président désigne, suivant l'usage, par la voie du sort, deux scrutateurs pour assister au dépouillement des

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L'ordre du jour appelle, en second lieu, la discussion, en Assemblée générale, du projet de loi relatif à la répartition de l'indemnité stipulée en faveur des anciens colons de Saint-Domingue par l'ordonnance du roi du 17 avril 1825.

Le Conseiller d'Etat, directeur des contributions directes, commissaire du roi pour la défense de ce projet, est présent.

La commission spéciale, dont le rapport a été entendu dans la séance du 11 de ce mois, ayant conclu à l'adoption du projet, modifié par divers amendements, M. le président appelle d'abord à la tribune un orateur inscrit pour combattre cette adoption.

M. le marquis de Raigecourt (1). Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis soulève une de ces grandes questions de droit public et de haute politique qui tiennent à l'essence même de notre gouvernement constitutionnel; mais que votre commission a à peine effleurée, et qu'elle a supposée décidée d'avance dans le sens du ministère.

Par l'article 14 de la Charte, le roi s'est réservé à lui seul le droit de déclarer la guerre, de faire des traités de paix, d'alliance et de commerce. Cet article est clair; les droits dont il est question sont inhérents à la couronne, et si elle n'en jouissait pas nous nous flatterions en vain de vivre sous un gouvernement monarchique.

Aussi rien n'est plus juste que ce que nous a dit M. le président du conseil, à l'égard de l'étranger le roi est la France. Lui seul peut négocier, conclure et même ratifier les traités.

Mais suit-il de là, que si dans un traité d'alliance, par exemple, le roi s'est engagé à payer un subside à une puissance étrangère; que si dans un traité de paix le souverain a été forcé, pour éviter de plus graves inconvénients, de stipuler la cession d'une partie du territoire de la France, ou de ses dépendances; ces clauses ne doivent pas être postérieurement soumises à l'approbation des Chambres? Tel est le véritable état de la question déjà élevée dans l'autre Chambre, et qui mérite notre attention la plus sérieuse.

Je ne suis pas de ceux qui veulent diminuer la prérogative royale, et mettre le gouvernement dans les Chambres. Mais, dans cette question, je n'hésite pas de me prononcer pour l'affirmative, et je crois remplir mon devoir et mon serment de loyal pair de France, en avouant et discutant franchement mon opinion.

Ceux qui, par zèle pour la prérogative royale la plus illimitée, embrassent l'opinion contraire, et qui n'hésiteraient pas à confisquer toute la Charte au profit de l'article 14, doivent, pour être conséquents, soutenir aussi que, pour l'exécution d'un traité de subside, le roi doit, sans le concours des Chambres, avoir le droit de lever l'argent nécessaire, et d'en faire l'emploi stipulé avec son allié.

Ils doivent avouer qu'un roi dissipateur, abusant de sa prérogative, pourra très légalement par un traité, ou par une ordonnance, ou par un acte quelconque, céder et vendre au profit de sa liste civile telle colonie, telle ville, telle province qui serait à la convenance de l'étranger. Pareil abus a existé en Angleterre, sous les derniers Stuarts, témoin la vente de Tanger aux Maures, celle de Dunkerque à la France. Ce système ne me parait pas soutenable.

(1) Le Moniteur ne donne qu'une analyse du discours de M. le marquis de Raigecourt.

Remarquez, Messieurs, que ce n'est qu'en vertu de la Charte, et du droit qu'elle concède aux Chambres de voter l'impôt, et d'en régler l'emploi, que je pense qu'un traité de subside conclu par le roi doit être soumis à leur approbation. Mais c'est en vertu des antiques lois de la monarchie que je soutiens que toute cession de territoire, toute aliénation de la souveraineté de nos rois, ne peut avoir légalement et définitivement lieu sans leurs concours.

En effet, avant la Révolution, le roi réunissait en lui seul la puissance politique, législative et administrative. Son autorité était presque absolue, et cependant elle se trouvait limitée par un grand principe de notre droit public, principe avoué par tous nos anciens publicistes: c'est que le roi n'était que l'usufruitier de sa couronne; qu'il ne pouvait ni en disposer, ni la partager, ni la dé

membrer.

C'est pour la défense de ce principe fondamental, ainsi que de cet autre principe qualifié de loi salique, qui fixe la succession au trône de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, que la France a soutenu cent trois ans de guerres presque continuelles depuis la mort de Charles IV, en 1328, jusqu'à celle de Charles VII en 1641. Ces principes devenus lois fondainentales ont survécu à la Révolution; elles ne sont point, il est vrai, inscrites dans la Charte; mais elle n'a pu les abolir, car elles sont restées gravées dans le cœur de tous les Français.

C'est du principe que le roi est simple usufruitier que sont venues toutes les lois qui, depuis longtemps, ont reconnu l'inaliénabilité de son domaine. Et aujourd'hui, sous notre régime constitutionnel, n'est-ce pas une inconséquence de soutenir à la fois que le souverain ne peut aliéner, pas même échanger quelques arpents du domaine de l'Etat sans le concours des Chambres, que la loi que nous venons de voter était nécessaire pour valider l'échange d'une chapelle contre une vieille tour; mais qu'en vertu, soit du pouvoir politique dont le roi n'a pas fait la concession, soit en vertu de l'article 14 de la Charte, il a le droit illimité sans concours et sans contrôle de démembrer la France, de céder à l'étranger une partie quelconque de ses dépendances, ou même de son territoire.

Telles sont pourtant, Messieurs, les conséquences du système établi par les ministres, soutenu dans l'autre Chambre avec beaucoup de talent et d'érudition, mais que Vos Seigneuries ne laisseront pas introduire sans réclamation; elles défendront avec fermeté le vieux principe de notre antique monarchie. La France lui a dù en plus d'une occasion l'intégrité de son territoire, et c'est à lui que nous devons notamment la rupture des funestes traités de Londres, de Brétigny, de Madrid. On a nié avec raison l'intervention des Etats Généraux dans le traité de Brétigny, mais c'est précisément à défaut de leur ratification que la paix de Brétigny ne fut qu'une trève qui laissa les choses in statu quo, et que Charles V put rompre très légitimement, lorsque la France remise de ses pertes, il fit sommer son sujet, le fameux Prince noir, à comparaître devant son parlement de Paris, pour y répondre aux plaintes portées contre lui par les habitants de la Guienne.

Des publicistes modernes, poussés par un zèle inconsidéré, s'efforcent aujourd'hui d'ébranler notre ancien droit public. Ils se donnent beaucoup de peines et de soins pour établir la distinction du domaine de l'Etat et du territoire de l'Etat; le roi, disent-ils, ne peut aliéner le premier, mais

il peut céder le second? qui en doute, les Etats ne sont pas plus que les particuliers à l'abri des événements de force majeure, et une loi qui décréterait l'incessibilité du territoire serait complètement absurde; ce n'est que sur la forme que doit subir cette céssion lorsqu'elle est devenue indispensable, que nous ne sommes pas d'accord: sera-t-elle définitivement consommée par un simple acte de la volonté du roi; peut-il selon son bon plaisir se dépouiller arbitrairement d'un droit de souveraineté dont il n'est que dépositaire, et qu'il doit transmettre intact à son successeur désigné par la loi et par la nature? Qu'ils y prennent garde, ceux qui soutiennent l'affirmative ne songent peut-être pas, que l'on peut conclure de la partie au tout, et que dès lors ils légitimeraient d'avance un traité tel que nous en avons vu de nos jours, qui ferait passer la France entière sous le joug d'un tyran étranger.

Que l'on parcoure avec impartialité les monuments de notre histoire, beaucoup de traités ont été conclus par nos rois; la plupart procuraient à l'Etat une augmentation de territoire, quelques uns après des événements malheureux stipulaient la cession de quelques parties: presque toujours, et surtout dans ce dernier cas, on verra nos rois les plus absolus chercher à s'appuyer sur une espèce de sanction nationale, et demander l'approbation, soit des grands feudataires, soit des Etats Généraux, soit d'une assemblée de notables, soit enfin et faute de mieux, la vérification et l'enregistrement au parlement. On verra même souvent les étrangers l'exiger, en faire une clause du traité, parce qu'ils savaient aussi bien que nous, qu'en France, le roi simple dépositaire de la souveraineté, ne pouvait stipuler que pour lui, et n'engageait pas son successeur. Et aujourd'hui que la nation est légalement représentée dans les deux Chambres créées par la Charte, on voudrait que le roi renonçât à cette espèce de sanction, que même il la repoussât comme une atteinte à sa prérogative, cela me paraît incompréhensible.

La France a toujours fait une exception dans le droit public de l'Europe; dans les autres Etats la couronne est patrimoniale, les filles en héritent; ses souverains en disposent par des pactes de famille, par des pragmatiques, par des ukases, par des testaments. En France, un usage qui a bien plus de force qu'aucune loi écrite, qu'aucune Charte, a fixé la succession au trône. Les Francs libres, ont voulu avoir à leur tête une seule famille pour les gouverner; une suite de bons et grands rois, qui se sont succédé dans cette famille, a justifié leur choix ; mais cependant ils n'en sont pas devenus la propriété.

On objecte, pour combattre notre opinion, que si le roi était dans l'obligation de soumettre à l'approbation de la législature les traités contenant promesse de subside ou cession de territoire, Sa Majesté se trouverait gênée dans ses négocia tions avec les puissances étrangères, qui ne pourraient plus prendre la même confiance en ses paroles. Messieurs, cette obligation existe nécessairement dans les républiques où tous les traités doivent être soumis à la ratification du corps qui représente l'Etat; mais elle existe aussi dans les gouvernements constitutionnels, notamment en Angleterre. Là, comme en France, le roi, à l'égard de l'étranger, se confond avec l'Etat; mais, le traité conclu, ses ministres sont obligés de le communiquer officiellement au parlement, où il est discuté, contrôlé, blâmé et définitivement approuvé car il est sans exemple que la parole royale, une fois engagée, ait été désavouée,

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Il en serait de même en France, et, hors des cas aussi rares, aussi extraordinaires que ceux des traités de Londres et de Madrid, ce ne serait pas des Chambres françaises qui désavoueraient leur roi. Mais en France, comme en Angleterre, les ministres, chargés de suivre une négociation, seraient obligés de consulter l'opinion publique, de sonder celle des Chambres avant de conclure un traité peut-être désastreux; et quelle force dans des circonstances malheureuses ne tireraient-ils pas de cette obligation pour résister aux prétentions exagérées d'un ennemi victorieux! Ils allégueraient alors, avec raison, l'impossibilité où serait le roi de faire agréer par ses Chambres des conditions honteuses à la Nation; et si, comme lors des conférences de Gertruidenberg, l'ennemi l'opiniâtrait à abuser des droits éphémères de la victoire, l'énergie du peuple français réveillé par le compte qui en serait rendu aux Chambres, ne tarderait pas à l'en faire repentir.

Je suis si convaincu de l'utilité réelle qu'en de graves circonstances le roi et l'Etat peuvent retirer de ce droit, que j'attribue aux Chambres, de concourir par leur approbation à l'exécution de tout traité, soit de subside, soit de cession de territoire et de souveraineté, que quand même il ne découlerait pas, comme je le prétends, et de notre régime constitutionnel, et surtout de notre ancien droit public, je pense qu'il serait de la haute sagesse du roi de l'établir.

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Mais remarquez, Messieurs, que ce n'est que subséquemment à la conclusion, et même à la ratification d'un traité que je requière cette approbation. Les Chambres ne peuvent ni doivent, en aucun cas, concourir aux négociations; et je me plais à le répéter avec M. le Président du conseil, dans toutes les relations extérieures la France c'est le roi.

Je ne me dissimule pas non plus que cette obligation, que je crois devoir être imposée aux ministres négociateurs ou contre-signataires d'un traité, peut être désagréable pour eux. En France, comme en Angleterre, il existera toujours un parti d'opposition; le traité le plus honorable, un traité désavantageux, mais que des circonstances impérieuses auraient forcé d'accepter, y seront également critiqués, biâmés à tort ou à droit ; l'autorité du roi ne sera pas compromise par toutes ces clameurs, mais l'amour-propre des ministres pourra en souffrir, leur crédit ministériel pourrait en être ébranlé, c'est un inconvénient inhérent à la nature de notre gouvernement et auquel nos ministres actuels, et ceux qui depuis la Restauration ont occupé des portefeuilles, doivent déjà être accoutumés.

La responsabilité des ministres, dont on parle tant, et qu'on nous offre comme une garantie contre la signature d'un traité désastreux, ne pourrait être régulièrement introduite par les Chambres qu'après la présentation officielle de ce traité. Pour moi, je regarde toujours cette responsabilité comme un être de raison, une responsabilité purement morale; et dût-elle exister en France comme en Turquie, la tête d'un Godoï ine paraîtrait une misérable compensation pour tous les maux qu'un traité tel que celui de Bayonne aurait attirés sur ma patrie.

Dans mon opinion que le roi ne peut pas légalement et définitivement aliéner sans notre concours ses droits de souveraineté, je ne fais pas d'exceptions pour les colonies: ce sont des Français qui les ont fondées, elles sont la propriété de la France et non celle du roi. L'ar

ticle 73 de la Charte dit bien qu'elles seront régies par des lois particulières; mais il ne confère pas au roi le droit d'en disposer et de les détacher de la mère-patrie. J'avoue que les partisans du système opposé ont soutenu avec plus de raison qu'avant la Révolution nous avons perdu et cédé beaucoup de colonies, et qu'on ne trouverait pas un seul exemple d'un traité de ce genre soumis à la sanction des Etats Généraux, ni même à la vérification des parlements. Effectivement, ce n'est que postérieurement à l'époque où l'on a cessé d'assembler les Etats Généraux que les colonies furent fondées, et la juridiction des parlements ne s'est jamais étendue sur nos possessions d'outre-mer; il est donc tout simple qu'en vertu de son pouvoir absolu, le roi ait eu alors le droit d'en disposer. Un abus de ce droit fut sans doute la vente de la Louisiane à l'Espagne. Aujourd'hui, et sous notre régime constitutionnel, les Chambres doivent avoir le même droit de contrôle sur des actes de cette nature que sur tout autre acte revêtu de la signature d'un ministre responsable. Le système que les peuples sont la propriété des rois est universellement réprouvé aujourd'hui, et ce ne sera pas Charles X qui cherchera à le faire revivre.

Comment penser que la dignité royale se trouverait dégradée parce qu'après la conclusion forcée d'un traité onéreux, les ministres viendraient dans cette Chambre, comme en novembre 1815, nous dire :

« Messieurs, le roi nous a ordonné de vous communiquer et de déposer sur votre bureau le traité conclu et signé tel jour. Sa Majesté déplore les circonstances qui l'ont forcée à consentir telle ou telle cession; elle compte que ses fidèles sujets ne douteront pas qu'elle a fait tout ce qui dépendait d'elle pour leur éviter ce douloureux sacrifice et le démembrement de sa cou

ronne.»

Après ces considérations générales, je passe, Messieurs, à la question spéciale qui nous occupe.

Depuis plus de trente ans la colonie de SaintDomingue est perdue pour la France; et, à mon avis, nous n'avons aucun espoir fondé de la rattacher à la mère-patrie, encore moins de faire rendre, par la voie des armes, à nos malheureux colons, les propriétés qui leur ont été violerament arrachées. L'usurpateur, après avoir soumis l'Europe, l'a tenté vainement. Ses efforts, malgré un sacrifice immense d'hommes et d'argent, n'ont abouti qu'à consommer la ruine de cette belle colonie et le massacre du petit nombre de familles qui avaient échappé aux premiers désastres. Depuis la Restauration, le roi a tenté sans succès la voie de la persuasion. La séparation de l'Amérique entière avec l'Europe s'est consommée. Le voisinage des nègres de SaintDomingue, tant que nous restions avec eux dans un état de demi-hostilité, pouvait devenir funeste aux faibles colonies que nous conservons encore dans les Antilles. Dans ces circonstances, que devait faire le roi? Précisément ce qu'il a fait, avec toute la dignité et la noblesse qui conviennent au roi de la nation française.

Il ne pouvait entrer en négociation avec des rebelles; mais exerçant un dernier acte de souveraineté, Sa Majesté, par son ordonnance du 17 avril, octroie l'indépendance à l'ancienne colonie de Saint-Domingue. Il ordonne que, pour prix de cette concession, notre commerce y jouira de certains privilèges, et que les habi

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tants actuels de l'ile paieront une indemnité de 150 millions, que dans sa justice elle destine aux malheureux colons depuis si longtemps expropriés. Cette ordonnance a été acceptée avec reconnaissance par les autorités actuelles de

l'île.

Le roi a concilié par cet acte tout ce qu'il devait à la dignité de son trône et au bien de l'Etat, et jusqu'ici les conseillers de la couronne ne méritent qu'une juste approbation.

Je me hâte même de les laver d'un reproche qu'on leur a fait. On a dit que, par son ordonnance, le roi disposait arbitrairement des propriétés de ses sujets. Non, Messieurs, l'ordonnance ne fait rien de tel. Dans l'impossibilité de reconquérir l'île, et en lui octroyant l'indépendance, le roi stipule bien une indemnité qu'il destine aux malheureux colons réfugiés en France, mais il ne met aucun obstacle à ce que ceux qui le préfèreront aillent à Saint-Domingue revendiquer leurs anciens domaines; leurs droits restent intacts. Seulement, c'est auprès des autorités actuelles de l'ile qu'ils auront à les faire valoir; et l'iniquité du refus qu'ils éprouveront vraisemblablement ne peut être imputé ni au roi ni à ses ministres.

Ce n'est que depuis l'ouverture de la session que la conduite des derniers me paraît blesser les droits des Chambres, ou pour mieux dire ceux de la Nation. Ils devaient, à mon avis, nous communiquer officiellement l'ordonnance dont nous n'avons encore connaissance que par les journaux. Ils devaient nous faire proposer par le roi un projet de loi pour régulariser ce que cet acte d'insolite et d'illégal dans sa forme. Ils n'ont pas rempli ce devoir.

Ils se contentent de nous apporter un projet de loi qui n'est que la conséquence d'un acte que nous sommes encore censés ne pas connaître. La Chambre se trouve par leur fait dans une fausse position. Si elle discute et adopte la loi proposée, ce sera une reconnaissance tacite de la légalité de l'acte sur lequel elle est basée. Et, à mon avis, cette reconnaissance entraînerait l'abolition d'une de nos lois fondamentales préexistantes à la Charte. Ce serait reconnaitre que le roi n'est plus simple dépositaire des droits de la souveraineté, obligé de les transmettre au successeur que la loi lui désigne aussi intacts que lui-même les a reçus. Ce serait avouer, enfin, que propriétaire de la couronne, le roi, par un traité, par une ordonnance, par un testament, par un simple acte de sa volonté, peut légalement aliéner aujourd'hui une colonie, demain une province, un jour peut-être disposer de la France entière. En un mot, ce serait avouer qu'un nouveau traité de Troyes mériterait notre respect et notre soumission. Ce serait reconnaître que les Dunois, les Clisson, les La Hire, qui replacèrent la couronne sur la tête de Charles VII, avaient été des rebelles.

Nous avons tous admiré, Messieurs, la réponse magnanime du feu roi, aux propositions que l'usurpateur lui fit faire à Varsovie; mais si ce généreux prince,désespérant alors de sa position eût eu la faiblesse de consentir à entrer en négociation, d'abandonner par exemple ses droits au trône de France, contre la possession précaire de quelqu'une de ces principautés éphémères que le dominateur de l'Europe distribuait alors avec tant de libéralité, croyez-vous que dès que l'occasion favorable se serait présentée, dès que le colosse aurait été abattu, tout ce qu'il y avait de royalistes en France, et ils étaient encore nom

breux, ne se seraient pas joints à notre monarque actuel, à ses augustes fils, aux princes de son sang, pour protester contre cette renonciation, pour déclarer que,contraire aux lois du royaume, elle était radicalement nulle, que le roi était dans l'heureuse impuissance de conclure un pareil traité.

Et nos ministres eux-mêmes, les savants orateurs qui les ont soutenus dans l'autre Chambre, le noble collègue qui doit me succéder à cette tribune pour m'y combattre, n'auraient pas été les derniers à entrer dans la lice; et vous les auriez vus alors développer avec beaucoup plus de force, de talent et d'érudition que je ne puis le faire, les vieux principes de la monarchie française que j'ai essayé de mettre sous vos

yeux.

L'ordonnance du 17 avril m'a paru y porter atteinte; c'est un acte qui, en lui-même, est sage, politique, nécessaire, aussi avantageux que possible, et auquel il ne manque, pour avoir mon entière approbation, d'autre condition que celle qu'on veuille bien me la demander.

Mais, dans son état actuel, les conséquences qu'on peut en induire m'ont vivement frappé, et j'ai cru servir les vrais intérêts du roi et de I'Etat en vous les exposant.

Si la Chambre partageait mon opinion, je pense que la manière la plus ferme et la plus respectueuse de faire connaître au roi son attachement aux anciens principes de la monarchie, serait de rejeter, sans discussion, la loi qui vous est proposée.

Je crois cette loi inutile ou dangereuse; elle est dangereuse, dans mon opinion, parce qu'elle suppose l'adhésion de la Chambre à des principes qui ne sont pas ceux de l'ancienne monarchie; elle est inutile dans l'opinion contraire, parce que si le roi a eu le droit de céder la souveraineté de Saint-Domingue par une simple ordonnance, ila, à plus forte raison, celui de disposer du prix de cette cession par une autre ordonnance. Les Chambres ne doivent pas plus intervenir pour régler l'emploi de cet argent que celui de tout autre fonds de la liste civile.

Je vote purement et simplement contre la loi, laissant aux ministres le soin de la rédaction de l'ordonnance; je prends seulement la liberté de leur recommander les intérêts des colons contre leurs créanciers, qui, par trop de respect pour le droit commun, jouiraient seuls de l'effet de la libéralité du roi.

(La Chambre ordonne l'impression du discours de M. le marquis de Raigecourt.)

M. le Président appelle à la tribune le premier orateur inscrit pour défendre le projet de loi.

M. le comte de Saint-Roman (1). Messieurs, le noble pair que vous venez d'entendre et dont j'honore les sentiments, mais dont cette fois je ne partage pas l'opinion, a reproduit des arguments dont plusieurs très certainement ne vous sont pas inconnus. En effet, la loi qui vous est proposée a suscité hors de cette enceinte l'examen des plus hautes questions politiques; et comme la discussion n'a pas retiré les esprits d'un vague de doctrines qui n'est propre qu'à laisser le champ libre aux propagateurs infatigables des

(1) Le Moniteur ne donne qu'une analyse du discours de M. le comte de Saint-Koman,

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plus funestes théories, je me résous, quoique avec peine, à rentrer dans la carrière des combats. Je serai aussi constant dans la défense qu'on peut l'être dans l'attaque; non qu'il soit possible que la voix d'un faible orateur soit entendue, lorsque de tant de ruines s'élèvent de si puissants avertissements et qu'ils ne sont point écoutés; mais si l'insuffisance de la parole dans de si pénibles circonstances n'est que trop assurée, le devoir est moins douteux encore, et il faut lui obéir.

La loi dont nous nous occupons est attaquée sous plusieurs points de vue dont la plupart sembleraient devoir lui demeurer étrangers. On dispute au roi la faculté de rien détacher de son empire sans la participation des Chambres législatives. On accuse l'ordonnance du 17 avril 1825 d'autoriser toutes les révoltes et d'en sanctionner le succès; et enfin, comme par surcroit, bien qu'il semble qu'on en aurait dû faire le point principal de l'attaque, on élève l'objection que cette loi, et que l'ordonnance qui l'a rendue nécessaire, disposent de propriétés particulières sur lesquelles le pouvoir du monarque ne saurait s'étendre, puisqu'il est du devoir de tout gouvernement de protéger les citoyens dans leur personne et dans leurs biens, et de ne pas les livrer à leurs ennemis.

Reprenons tous ces griefs et remarquons d'abord que la première objection opposée à l'émancipation de Saint-Domingue, et, par conséquent, au fondement même de la loi, se tire de la maxime consacrée parmi nous de l'inaliénabilité du domaine de la couronne.

Je n'examinerai pas le droit des orateurs à déplacer les questions sans aucune participation de l'initiative royale. Puisque, dans leur infatigable imagination, ils se transportent à chaque instant dans tous les pays, et à toutes les époques, pour y puiser des citations favorables à leurs doctrines, il faut bien les y suivre, opposer des faits à des faits, prouver qu'en s'appuyant sur des points isolés de l'histoire des peuples et sur des usages tombés en désuétude, il n'est pas de système qu'on ne puisse essayer de faire prévaloir; et se bornant à recueillir des aperçus généraux communs au développement et à la décadence de tous les Etals, arriver à cette vérité, qu'en toutes choses les remèdes aux maux qui affligent l'humanité doivent être appropriés aux circonstances où elle se trouve placée, et qu'un délire fatal serait celui de théoristes résolus à ne point étudier les maladies nouvelles et inconnues, et à ne jamais leur appliquer que les anciens traitements.

Que les temps sont changés, Messieurs! Il y a moins d'un siècle que l'indépendance et que le courage pouvaient sembler encore appartenir presque exclusivement à ces hommes qui détestent les abus de pouvoir, élevaient une voix accusatrice contre les excès des anciennes tyrannies. Alors, sans doute, alors le mot de servilisme, si l'on en avait fait usage, aurait pu s'employer à juste titre pour désigner le caractère des adulateurs de la royauté. Mais, je le demande, quel est aujourd'hui le servile, de celui qui suit le torrent du siècle, et qui se range à la domination des masses, ou de celui qui, tout en mesurant les obstacles, ne compte pour rien ni le nombre ni les passions des hommes, lorsque sa conscience lui commande de s'opposer de tout son pouvoir à l'oppression des sociétés humaines, par la violence des partis et par les multitudes populai

res.

Cependant,je le répète et je ne le conteste pas,

il fut des temps peut-être encore assez rapprochés de nous où le désir d'assurer le bien des sujets pouvait faire regarder comme une conquête presque légitime,et s'il m'est permis de me servir d'un terme moins relevé, comme de bonne prise ce qu'on arrachait à la royauté pour en accroitre les attributions des autres pouvoirs. Mais la Révolution a parlé, et elle nous a impérieusement avertis de nous arrêter pour observer le cours de la nature et l'époque à laquelle nous étions parvenus. Aussi n'est-ce plus vers les obstacles mais vers l'efficacité du pouvoir et de la direction qu'il faut marcher avec constance et fermeté; c'est en faveur des gouvernements, c'est pour sauver les rois qu'on doit user de toutes ses facultés et réunir tous ses efforts. Et pourquoi cette préférence accordée à la cause des rois sur ce qu'on appelle la cause des peuples? C'est qu'à l'époque où nous vivons on ne peut sauver les peuples que par l'autorité des rois, et que quelque désir de domination qu'on suppose à ces derniers, il leur est moralement impossible, du moins chez les nations civilisées, d'arriver jusqu'au point de commettre à volonté de notables injustices.

J'ai sommé plus d'une fois, hors de cette enceinte, des adversaires qui croient suivre les progrès de leur siècle, mais que la nature, je le dis à regret, semble avoir privés de l'esprit d'observation; je les ai sommés, et s'ils pouvaient en ce moment entendre mes paroles je les sommerais encore du haut de cette tribune de déclarer si les vertus privées et les actes publics des souverains assis sur les trônes de l'Europe ne sont pas dignes de tous nos hommages et de toute notre admiration; et si cependant, soumis comme nous le sommes tous à la condition humaine, ces princes ont un privilège particulier d'équité et de modération que n'ont pas toujours eu leurs ancêtres, c'est, Messieurs, qu'aux circonstances seules appartient de développer les nobles qualités qu'il a plu au Créateur de toutes choses de placer dans nos âmes. Il n'est pas aujourd'hui dans les royaumes européens un seul monarque qui ne sache que ses actes passent avec une incroyable rapidité sous les yeux et presque sous l'examen de tous ses sujets et, bien plus, de tous les peuples de l'univers.

Dès lors, il s'accoutume à ne céder jamais qu'aux sentiments les plus purs et les plus élevés. Mais cette éducation des choses qu'est-elle maintenant du côté des sujets? Une excitation continuelle aux murmures et aux mécontentements; une inspiration d'orgueil et de toute science qui cherche à persuader à l'ignorance la plus grossière qu'aux masses seules appartient de juger de la vérité, et qui trouvant, à plus forte raison, un accès facile chez les classes supérieures de la société, y suscite une ardeur de raisonnement pleine de confiance dans les plus vaines théories, et puisant toutes ses connaissances dans les livres du jour, et bien rarement, si ce n'est peut-être jamais, dans l'étude silencieuse des causes qui ont amené la naissance, l'accroissement et la chute des empires. Qui le croirait? L'éloignement pour la véritable analyse des lois communes à tous les êtres physiques et intellectuels de l'univers est poussé jusqu'à ce point, d'ignorer entièrement la ressemblance, eu quelque sorte parfaite, qui existe entre les corps sociaux et les corps destinés par leur organisation à croitre, à déchoir et à disparaître. Ceux-ci prennent leur origine dans un principe de vie qui d'abord ne domine que trop sur l'ensemble du système. Tout

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