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(Page 373, n° LXXX): « Le morcellement de la propriété foncière a donc étendu ses bras de mort sur toutes les classes et sur tous les biensfonds, à l'exception de ceux qui se sont trouvés substitués. Il a subdivisé dans une proportion effrayante, et impossible à concevoir, toutes les fermes, toutes les métairies, et multiplié les mendiants dans la même porportion. Dans les comtés de Clarc et de Limerick, et nous pouvons dire hardiment dans toute l'Irlande, on rencontre de nombreux exemples de fermes de quatre à cinq cent acres qui, il y a une quarantaine d'années, n'étaient occupées que par une seul fermier, et sur lesquelles se trouvent maintenant, dans la fange de l'abrutissement et de la misère, de cent à cent cinquante familles. Aussi la population de l'Irlande qui, en 1785, n'était que de 2,845,000, s'élève dans ce moment-ci (1824) à sept millions. Qu'en résulte-t-il, ajoute la Revue d'Edimbourg? C'est qu'un malheureux paysan, propriétaire de cinq, de dix ou de quinze acres, n'a pas même de pain à donner à sa famille, et qu'il la nourrit exclusivement de pommes de terre! La Revue termine par une comparaison entre l'effrayante position de l'Irlande et celle qui commence à envahir la France, comparaison dont je me refuse à présenter le tableau à Vos Seigneuries.

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En voilà assez, je l'espère, pour prouver la vérité des assertions de lord Liverpool, qui, on peut le supposer, connaît, mieux que personne, les causes du malaise de l'Irlande et des malheurs qui accablent sa population.

Ainsi donc, tout ce qui peut arrêter le trop grand morcellement de la propriété foncière est favorable à l'intérêt agricole du pays; et ici je m'empare de l'aveu même d'un noble duc, qui, dans toute discussion, apporte autant de bonne foi que de talent. Qu'a dit le noble duc ? et vous le savez, Messieurs, ses paroles sont bonnes à recueillir. Il a dit : « Si j'avais à me prononcer entre la petite et la grande culture, je choisirais cette dernière comme économisant le travail et multipliant les produits. » Que de remerciements ne dois-je pas au noble duc, pour avoir si bien rendu ma pensée. Mais quel coup de massue sur ses amis quel feu meurtrier sur ses propres troupes! Quoi! la grande culture économise le travail et multiplie les produits! Mais, Messieurs, n'est-ce pas là le nec plus ultrà de toutes les exploitations agricoles; et n'est-ce pas tout justement le but auquel le morcellement ne saurait jamais atteindre?

la faim et la misère ! Observez l'existence de nos fermiers ou plutôt celle de nos paysans propriétaires; malgré les immenses avantages qu'ils ont retiré de l'acquisition, souvent à vil prix, pendant la Révolution, des terres les plus productives, leurs enfants passent-ils du nécessaire à l'aisance? de l'aisance à la richesse? non, Messieurs, loin de monter l'échelle du bien-être domestique, ils la descendent.

On peut donc soutenir l'opinion que non seulement le partage égal est l'ennemi de la prospérité agricole, mais qu'il l'est également de l'industrie et du commerce. Je vous le demande, Messieurs, si le partage égal, et par conséquent le morcellement avec toutes ses misères, devenait tout à coup la loi de toute l'Europe, quel ne serait pas le désespoir du commerce, dont le luxe et les richesses sont les principaux éléments? Que deviendraient vos belles manufactures, vos grandes fabriques, vos soieries, vos riches tapis, vos cristaux, vos porcelaines?

En vous proposant des substitutions limitées basées sur le droit de primogéniture, il ne s'agit pas, comme a paru le craindre un noble baron, de nous ramener vers cet état de choses, où la noblesse dépouillée de droits et de fonctions, n'avait plus que de vains priviléges. Il s'agil, Messieurs, comme on l'a fort bien observé le noble marquis, ministre de la guerre, il s'agit de consolider ce qui est, ce qui existe : c'est-àdire la monarchie représentative. En vérité, si quelque chose pouvait faire désespérer de l'affermissement de nos institutions, ce serait ce qui s'est passé dans cette discussion. Je le demande, qui aurait jamais pu prévoir que l'opinion, dite constitutionnelle, eût été tout justement celle qui aurait repoussé les éléments indispensables au maintien de nos libertés ? celle qui aurait défendu avec le plus d'ardeur une législation toute favorable à la république et au despotisme? La France, qui n'est pas tout entière dans les pétitions, n'aurait-elle pas quelque droit de dire à nos nobles adversaires: Comment,la Couronne vous offre les moyens de créer des éléments d'indépendance dans la société, et vous les rejetez! Elle vous offre les moyens de vous soustraire à la centralisation, d'établir un régime municipal, d'organiser les communes, d'ouvrir des soupiraux aux ambitions locales, afin que toutes les passions et toutes les prétentions ne viennent pas étouffer le cœur de l'empire et transporter, pour ainsi dire, le royaume dans la capitale, et vous les rejetez! Elle vous offre les moyens d'arrêter le morcellement qui nous individualise

l'esprit de famille, base de l'esprit national, et vous les rejetez ! Comment! vous voulez conserver une législation qui convenait à Bonaparte et à une nation enchaînée, maintenant que nous sommes libres et que notre roi légitime est remonté sur le Trône de ses ancêtres! Que répondraient nos nobles adversaires à ce langage peu profond par son érudition à la vérité, mais dicté par le bon sens et puisé dans le sentiment national?

Maintenant je passe à l'intérêt industriel quia rous ote toute force politique, de rétablir semble dominer toutes les pensées de nos nobles adversaires. Eh bien ! là encore les substitutions limitées apparaissent avec de grands avantages; en effet, l'intérêt l'industrie ne demande-t-il pas d'arracher à la petite culture cette énorme quantité de bras qui ne multiplient pas les produits, et de les livrer à nos manufactures et à notre commerce? D'immenses débouchés se préparent pour la génération qui nous suit; un monde entier, un monde vierge, sortant pour ainsi dire des mains de la Providence, présente ses ressources, ses richesses, ses trésors à l'activité et aux spéculations de nos industriels. Comment, dans leur propre intérêt, ne sentent-ils pas qu'une exubérance de population agricole très pauvre, très circonscrite dans ses besoins, très attachée à toutes ses misères territoriales, est tout justement ce qu'il a de plus fâcheux pour le commerce de la France? Ce sont de bien pauvres consommateurs que ceux qui ne sont occupés qu'à chasser

Messieurs, on a beaucoup parlé d'égalité dans cette discussion: égalité devant la loi, égalité des droits; à ce sujet, un noble marquis, que l'on retrouve toujours au premier rang quand il s'agit de défendre le trône et nos libertés, vous a fait une distinction très frappante entre l'égalité et l'esprit de l'égalité. Mais, Messieurs, entendons-nous : qu'est-ce que l'égalité des droits sans libertés légales et sans institutions protectrices?

L'égalité des droits! mais n'existe-t-elle pas dans toute sa plénitude dans les pays les plus despotiques? là aussi tout le monde a des droits égaux? Mais à quoi? A la servitude et à la mort. Et certes, le firman du Grand-Seigneur et le fatal cordon sont, pour les Turcs, des garanties de l'égalité des droits pour le moins aussi puissantes que ne l'est, pour, nous, l'article 1er de la Charte. Disons-le donc, sans libertés légales, sans institutions nationales, l'égalité des droits n'est et ne peut être que l'égalité de la servitude.

Je termine les substitutions limitées sont évidemment dans l'ordre monarchique; combinées avec le droit de primogéniture, elles se trouvent en harmonie avec la loi qui régularise la succession au trône; et, en les admettant dans notre législation, nous donnons au trône et à nos institutions les appuis qui leur sont indispensables et nous les établissons dans le sein de la nation. (La Chambre ordonne l'impression du discours de M. le baron de Montalembert.)

M. le comte Roy obtient la parole contre l'amendement proposé. De courtes observations lui suffiront pour établir qu'il ne saurait être admis. Le Code civil détermine, suivant les différents cas, la portion de bien dont il est permis de disposer, et cette portion comprend les objets mobiliers comme les biens-immeubles. La même loi porte que les biens dont les pères et mères ont la faculté de disposer pourront être, par eux, donnés, en tout ou en partie, à un ou plusieurs de leurs enfants, par actes entre-vifs ou testamentaires, avec la charge de rendre les biens aux enfants du donataire, nés ou à naître, au premier degré seulement. On propose aujourd'hui, et c'est l'objet principal de l'article en discussion, d'étendre au second degré la faculté de substituer bornée au premier, par le Code civil, sans rien changer d'ailleurs à ses dispositions quant à la nature des biens compris dans la portion disponible, et la qualité des personnes appelées à la substitution. L'amendement soumis à la Chambre établit un système tout différent, et contradictoire avec lui-même. D'abord il restreint aux biens-tonds et immeubles l'objet de la substitution, c'est-à-dire la portion disponible qui comprend aujourd'hui les biens de toute nature, dont elle est, suivant les différents cas, la moitié, le tiers ou le quart. Ainsi les substitutions, qui ne sont qu'une application particulière de la portion disponible, ne seraient plus régies par les dispositions du Code relatives à cette portion, et qui en déterminent la nature et la quotité. Elles formeraient une sorte de hors-d'œuvre et rompraient l'unité qu'il est si utile de conserver dans la législation. Ensuite l'amendement, tout en admettant avec le Code que la substitution pourra être faite au profit d'un ou de plusieurs enfants du donataire, nés ou à naître, limite ainsi cette clause: dans la descendance légitime de mâle en mâle et par ordre de primogéniture. Mais comment concilier entre elles ces deux parties de la disposition? Comment concevoir qu'une substitution, faite au profit de plusieurs enfants d'un même père, puisse avoir lieu par ordre de primogéniture? Yaura-t-il donc entre eux plusieurs aînés? Ajoutons que, dans le système de l'amendement, ce n'est plus le donateur qui, suivant les vues, suivant les besoins de sa famille, fixerait l'ordre des appelés à recueillir la substitution: c'est la loi qui déterminerait elle-même cet ordre, et comme la disposition du Code civil pour les substitutions à un degré n'est pas abolie, et que

dans celles-ci, l'ordre des appelés est réglé par la volonté du donateur, nons aurions en matière de substitution deux lois différentes, selon que les substitutions se borneraient au premier degré ou s'étendraient au second. Le noble pair en a dit assez pour combattre un tel système, et convaincre l'Assemblée de l'impossibilité d'adopter la proposition qui lui est soumise.

L'amendement n'étant pas appuyé, M. le président invite les autres pairs qui auraient des amendements à proposer sur l'article 3 à les présenter à la Chambre.

M. le vicomte Lainé qui, dans le cours de la discussion générale, avait annoncé l'intention de proposer un amendement tendant à réduire à un seul degré les substitutions que l'article a pour but d'autoriser, déclare que le principal motif de cet amendement ayant disparu, il renonce à le présenter. Le motif principal de la réduction qu'il aurait désirée était en effet l'existence simultanée du droit d'aînesse, des majorats et des substitutions à deux dégrés. La Chambre n'ayant point adopté le principe du droit d'aînesse, et d'une autre part le gouvernement, par l'organe d'un des ministres, ayant en quelque sorte annoncé le projet de modifier la législation des majorats, les inconvénients des substitutions à deux dégrés ne sont plus les mêmes. Cependant, une observation importante doit être faite en comparant les dispositions du Code avec celles des anciennes ordonnances sur les substitutions, on s'aperçoit facilement que la législation sur cette matière sera loin d'être complète après l'adoption du projet de loi. Si les précautions prises par le Code étaient suffisantes pour des substitutions qui ne s'étendaient qu'à un degré, et ne constituaient ainsi qu'un simple usufruit, d'autres précautions seront nécessaires pour des substitutions de plus d'un degré, et tout annonce qu'une loi ultérieure deviendra indispensable. Mais en attendant que cette loi puisse être présentée, il est un point sur lequel il faut bien fixer le sens du projet, soit par l'adoption d'une rédaction plus positive, soit au moins par des explications qui lèveraient tous les doutes. L'ordonnance de 1747 disposait, comme on l'a déjà dit, que les degrés seraient comptés par tête et non par génération; telle a été sans doute aussi l'intention des rédacteurs du projet. Mais le projet ne contient à cet égard aucune disposition explicite, et il est bon qu'il ne reste pas d'incertitude sur un point de cette importance.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, observe que, depuis l'ordonnance de 1747, la question de savoir si les degrés se comptaient par tête ou par génération n'a plus donné lieu à aucune difficulté, l'ordonnance ayant à cet égard un texte précis. Cependant, cette ordonnance pouvant paraître entièrement abrogée par le Code, une explication aurait pu être nécessaire, et les auteurs du projet l'auraient certainement insérée dans sa disposition même, si des monuments nouveaux de législation n'établissaient d'une manière suffisante le mode de supputation qui doit être adopté. Il a paru au gouvernement que le Code civil, dont la loi proposée ne s'écarte en ce point que pour le nombre des degrés, indiquait précisément, ou du moins supposait comme toujours subsistante la supputation par tête, et cette vérité a été tellement reconnue, que, depuis la promulgation du Code, aucune difficulté ne s'est élevée à cet égard. Pourquoi contesterait-on

aujourd'hui ce que l'on a toujours observé? Pourquoi la loi nouvelle, qui ne change rien sous ce rapport, à l'état actuel, ferait-elle naître plus de doute que n'en a fait naître la disposition du Code?

M. le vicomte Lainé, qui avait cru devoir provoquer cette explication, déclare qu'elle satisfait à tous ses scrupules, et il se félicite d'avoir contribué ainsi à jeter encore plus de lumière sur une question qui ne saurait être trop éclaircie.

M. le marquis de Rougé demande s'il ne pourrait pas résulter des termes de la loi quelque incertitude sur la question de savoir si le grèvé doit ou non compter dans les deux degrés.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, observe que jamais le grevé n'a compté pour un degré. Le texte de la loi ne lui paraît à cet égard susceptible d'aucune difficulté; les deux degrés ne pouvant s'entendre que des deux appelés successifs,

D'après ces explications, l'article est mis aux voix et adopté.

La commission proposait d'insérer dans le projet, immédiatement après cet article, une disposition additionnelle ainsi conçue:

« Néanmoins, si le grevé vient à décéder sans laisser de biens libres suffisants à l'existence de ses enfants, et si ces enfants n'ont pas de biens personnels qui y suppléent, les tribunaux leur attribueront, à titre de pension alimentaire, une part du revenu des biens substitués, en raison de la valeur de ces biens. »

« Cette pension cessera s'ils acquièrent des biens qui en tiennent lieu. »

M. de Peyronnet, garde des sceaux, demande à être entendu sur cette proposition. L'article additionnel, en accordant aux puinés, sur la substitution dévolue à leur aîné, une pension alimentaire, constitue à leur profit une sorte de doit de copropriété dans les biens substitués.

Or, d'où pourrait dériver pour eux un semblable droit? Si la substitution a été faite par le testateur, soit dans sa parenté collatérale, soit en faveur d'une famille étrangère à la sienne, il est évident que les frères puînés de celui auquel la substitution doit revenir, n'ont aucun titre pour réclamer une partie de ses biens, soit en capital, soit même en usufruit. Le testateur a pu avoir, en faveur de celui qu'il a appelé à la substitution, des motifs de prédilection ou de sagesse qui ne s'appliquent pas aux autres enfants. Et comment pourrait-on contrarier sa volonté à cet égard? Ce qu'il a dorné étant sa propriété, il était libre, aux termes des lois, d'en disposer intégralement en faveur de qui il lui plaisait, et s'il en a qualifié tel enfant plutôt que tel autre, il n'a fait qu'user de son droit, et personne ne peut être admis à critiquer et à réformer ce qu'il à jugé convenable. Quant aux substitutions faites en faveur de descendants en ligne directe, la difficulté serait plus grave, et cependant le ministre eût peut-être hésité à combattre l'article additionnel si on l'eût borné à ce cas. En principe néanmoins les raisons de décider sont les mêmes, et avec cette restriction, l'article additionnel ne saurait encore être admis. De quoi en effet pourra se composer la substitution? De la portion disponible seulement, c'est-à-dire de cette partie de la succession dont le père avait la disposition absolue, et qu'il pouvait donner à un étranger aussi bien qu'à un fils, puisque la loi

lui accordait cette latitude; il n'a donc pas excédé ses droits, lorsqu'il a donné cette portion à l'un de ses enfants, à la charge par celui-ci de la conserver à l'un des siens qu'il désignait. Il n'a fait en cela aucun tort aux puînés, et la loi ne peut attribuer aucun droit sur des biens dont elle ne leur réservait aucune partie. Un sentiment d'équité peut bien faire désirer qu'ils obtiennent une pension alimentaire sur les biens d'un frère enrichi par de grandes substitutions; mais ce ne peut être qu'un désir, et la loi ne saurait en faire une règle précise. Ce serait la première fois qu'une disposition de ce genre serait introduite dans la législation. On a bien cité des exemples, mais ils sont loin d'être concluants. Il est vrai que, sans qu'aucune loi positive pût fonder une pareille prétention, quelques parlements ont cru devoir accorder dans certains cas, aux puînés, une légitime de grâce calculée suivant leur besoin et la richesse de la substitution. Mais cette jurisprudence, qui pouvait être nécessaire dans un temps où une si grande étendue avait été laissée à la faculté de tester, est au moins inutile aujourd'hui que cette faculté a été restreinte dans de justes bornes, par l'établissement d'une quotité disponible contre les proportions de laquelle personne ne réclame. En résumé, la disposition proposée ne peut, en aucune façon, être admise pour les substitutions faites en ligne collatérale ou en faveur d'un étranger; et si elle inspire plus de faveur en ce qu'elle a de relatif aux substitutions faites dans la ligue directe, elle n'en est pas moins contraire aux vrais principes. Le ministre espère donc qu'elle ne sera point adoptée par la Chambre.

M. le vicomte Lainé, membre de la commis-
sion, obtient la parole pour la défense de l'article
additionnel. Cet article, proposé à l'unanimité par
la commission, se fonde sur des raisons de jus-
tice et d'humanité; il a pour but de donner aux
tribunaux un moyen d'adoucir un des plus få-
cheux effets des substitutions. Sans lui, il est
douteux que les cours de justice eussent le droit
de donner des aliments aux frères indigents d'un
frère qui recueillerait au second degré de la
substitution tout l'héritage paternel. La législa-
tion actuelle, en effet, est toute positive à l'égard
des juges, et s'ils peuvent interpréter, ils n'ont
pas le pouvoir d'ajouter à la loi. Pour l'hypothèse
à laquelle s'applique l'article, l'origine de la
substitution et la qualité du substituant ne doi-
vent pas être considérés. Il ne s'agit que de savoir
si un seul des enfants du grevé recueillera toule
la substitution des mains du père commun, dé-
cédé sans autres biens, et si ses frères ou sœurs,
dans l'indigence, doivent être privés d'aliments?
Sans doute, la substitution, à son origine, n'a été
que de la quotité disponible; mais lorsque les
objets substitués forment exclusivement tout le
patrimoine, la raison qui faisait accorder une
légitime de grâce subsiste aujourd'hui. Il faut
envisager la question par ses effets à venir, et
dans la suite le cas se présentera aussi souvent
qu'autrefois, sans que les tribunaux aient la
même autorité. Il n'y aura pas de contraste dans
la législation, car il y a une grande différence
entre la donation et la substitution. La donation
ne rend pas la quotité disponible donnée inalié-
nable, et si le donataire veut la substituer, il est
obligé de laisser une réserve à ses enfants.
Qu'importe que la substitution ait été faite en
collatérale; les descendants du grevé sont toujours
en ligne directe, et il s'agit, dans tous les cas,

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d'enfants qui ne trouvent rien, qui n'ont rien, lorsque leur frère a tout. Il y a plus; c'est que la substitution faite par un collatéral n'est pas même restreinte à une quotité disponible, et ce sont les collatéraux qui ont toujours fait les substitutions les plus considérables; aussi est-ce à l'égard de ces substitutions que les parlements se montrèrent plus faciles, et c'est pour cette raison que la petite nièce du cardinal de Tournon obtint plus que des aliments contre son frère, qui avait recueilli l'émolument de la substitution. Le noble pair cite encore plusieurs autres décisions rendues par les anciens parlements. En Espagne, le possesseur des biens substitués est obligé de nourrir ses frères dans l'indigence. Si nos tribunaux n'ont pas le droit de suivre ces exemples, la loi ne doit-elle pas le leur conférer, pour éviter à l'avenir un contraste choquant? Refuser l'article additionnel, ce serait créer une substitution de misère sans secours à côté d'une substitution de fortune inépuisable; en l'adoptant, au contraire, la Chambre, qui vient de se montrer assez touchée du sort des puînés vivants, pour n'avoir pas voulu amoindrir leur part héréditaire, ne sera que la providence charitable d'enfants à naître qu'elle vient de permettre de déshériter pendant plusieurs générations. Le noble pair lui présente en leur nom, pour obtenir un jour des aliments, une humble pétition qui ne paraîtra pas séditieuse, sans doute, car elle est faite pour des êtres encore dans le sein de Dieu, et qui feraient bien d'y rester si l'article additionnel était refusé.

M. le comte de Corbière, ministre de l'intérieur, prend part à la discussion Il se bornera, pour combattre l'article additionnel, à la réflexion la plus simple. Il est toujours dangereux d'introduire dans la législation une disposition qui ne soit pas en harmonie avec le système général des lois existantes. Or, tel serait évidemment l'article proposé. Suivant le Code, en effet, chacun peut disposer de la quotité disponible avec une latitude indéfinie, et cette faculté de disposer s'étend à toute la succession s'il n'existe pas d'ascendants ou de descendants. La loi ne connaît d'autre légitime que celle qu'elle a formellement établie, et dont elle a réglé les propor tions. Hors de là, la donation la plus étendue, soit en faveur d'un collatéral, soit en faveur même d'un étranger, ne donne lieu à aucune légitime de grâce, à aucune réclamation de la part d'un frère. Pourquoi en serait-il autrement lorsque la donation aurait été chargée de la condition de rendre? Ne serait-ce pas établir dans la loi une anomalie qui ne peut être justifiée? Quelle serait d'ailleurs la conséquence de cette gêne imposée aux substitutions? Restreintes comme elles le sont aujourd'hui à un degré, elles inspirent déjà peu de faveur; que sera-ce si l'on y rattache de nouvelles charges? La Chambre, qui les trouve bonnes en elles-mêmes, et qui sans doute désire en voir augmenter le nombre, ne voudra pas mettre à leur établissement un obstacle de plus. Elle ne voudra pas davantage déposer dans la loi qu'elle va faire un germe éternel de division et de procès. Or, c'est ce qui arriverait infailliblement si la faculté laissée aux tribunaux d'arbitrer ainsi la pension alimentaire autorisait chaque frère à traduire son frère en justice pour y discuter sa fortune, et pour obtenir contrairement aux volontés manifestées par le donateur, une pension sur les biens substitués. Le ministre insiste sur le rejet de l'article proposé.

M. le baron Séguier demande si les majorats eux-mêmes, qui forment assurément la substitution la plus étendue qu'on puisse imaginer, ne contiennent pas cependant des clauses qui réservent aux puinés sans fortune une provision alimentaire sur le majorat.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, expose qu'il faut distinguer à cet égard entre les majorats formés avec des biens appartenant en propre aux fondateurs, et ceux qui ont été formés avec des biens donnés en dotation par le domaine extraordinaire. Quant aux premiers, aucune restriction n'y est opposée à l'entier accomplissement de la volonté du fondateur, et la seule réserve qui soit autorisée par les statuts est en faveur de la femme survivante qui, dans le cas assez rare où elle ne trouve pas dans sa fortune un revenu égal au tiers de celui du majorat, peut, à des conditions assez difficiles, demander sur le majorat une pension alimentaire égale à ce tiers. Quant aux dotations, comme le chef du gouvernement pouvait imposer à sa munificence telles conditions qu'il jugeait à propos, il a été réglé par les statuts que si les puînés en bas âge restaient sans aucune fortune, il serait pourvu à leur éducation au moyen d'une pension fort restreinte, et qui ne doit durer que jusqu'à leur majorité. L'on voit facilement toute la différence qui existe entre cet état de choses et celui qu'on veut établir.

Aucun autre orateur ne réclamant la parole sur l'article additionnel, cet article est mis aux voix et rejeté.

Un autre article additionnel, proposé par un noble pair, avait pour but de statuer que, dans toute succession, les pièces de terre dont la contenance était inférieure à un demi-hectare, seraient licitées lorsqu'elles ne pourraient entrer intégralement dans la composition des lots.

M. le duc de Lévis, auteur de cet article additionnel, déclare qu'il le retire, se réservant seulement d'en faire, s'il y a lieu, par la suite, l'objet d'une proposition séparée.

La disposition proposée sous forme d'amendement, au commencement de la séance, et qui avait pour but d'attribuer à l'aîné, dans toute succession le principal manoir, est également retirée par son

auteur.

La délibération sur les articles du projet de loi se trouvant ainsi terminée, M. le président annonce qu'il va être voté au scrutin sur l'ensem ble du projet, réduit par le rejet des deux premiers articles à la disposition unique qui formait l'article 3.

On procède au scrutin par appel nominal, dans la forme usitée pour le vote des lois.

Le résultat du dépouillement donne, sur un nombre total de 213 votants, 160 suffrages en faveur du projet.

Son adoption est proclamée, au nom de la Chambre, par M. le président.

La séance est levée avec ajournement à mardi prochain 11 du courant, à une heure.

ANNEXE

à la séance de la Chambre des pairs du 8 avril 1826.

NOTA. Nous insérons ici une opinion de M. le duc de La Rochefoucauld sur le projet de loi rela

tif aux successions et aux substitutions. Cette opi- | nion n'a pas été prononcée, mais comme elle a été imprimée, distribuée et qu'elle est mentionnée dans la table des procès-verbaux, elle fait partie des documents parlementaires de la session de 1826.

M. le duc de La Rochefoucauld (1). Messieurs, je viens m'opposer à l'amendement qui vous est proposé, non que je ne convienne qu'il apporterait au projet de loi quelque amélioration; il en rendrait l'exécution moins odieuse en faisant disparaître la rétroactivité; mais cet amendement supposerait l'admission de la loi, que tout me fail un devoir de repousser; loi qui créerait des priviléges, en blessant toutes les règles de la justice, et qui mettrait à la fois la discorde dans les familles et le désordre dans l'état social. Ce n'est pas ainsi que la Charte nous a constitués ; elle a admis des priviléges dans l'ordre politique; elle a consacré l'égalité dans les droits civils.

Après les savants orateurs qui m'ont précédé à la tribune, et qui ont développé avec autant de force que d'évidence les vices de la loi, je puis, moins que personne, avoir la prétention d'ajouter aux lumières qui ont déjà éclairé la question sous tous ses rapports; mais il sera permis à un père de famille de vous soumettre quelques réflexions sur la partie morale de ce projet de loi :

En bouleversant nos usages et nos mœurs, en établissant des castes, non plus seulement entre des masses de population, mais dans le foyer domestique, entre les frères, et sous le toit paternel, cette loi détruirait et rendrait impossible l'union des familles, laquelle est aussi un appui, une force de l'ordre social, et par cela même un des éléments du maintien de l'ordre public, et de l'attachement au gouvernement sous lequel nous avons le bonheur de vivre.

M. le garde des sceaux vous a dit, dans l'exposé des motifs, que cette loi était contraire aux mœurs nationales; et il n'a jamais prononcé une plus exacte vérité. Vous en pouvez juger, Messieurs, par l'abondance des pétitions qui assiègent votre bureau et celui de la Chambre des députés, témoignage incontestable de la désapprobation générale dont elle est frappée par toutes les classes de la société, pères et enfants, aînés, comme cadets, et à quelque opinion politique qu'ils appartiennent.

Quel est le but prétendu de cette loi? Les propriétés, les fortunes, nous dit-on se subdivisent à l'infini par l'égalité des partages. Les grandes fortunes qui servent au trône de base et de maintien s'évanouissent chaque jour et le laissent à découvert; elles ne suffisent même plus pour défendre nos institutions constitutionnelles, et manquent autant à la liberté contre le trône qu'au trône contre la liberté. Il faut donc refaire les grandes fortunes, les grandes propriétés, pour sauver le trône et nos autres institutions. Voilà, Messieurs, le langage employé par les défenseurs de la loi, pour légitimer le droit d'aînesse.

Mais que fait-on pour atteindre ce but? sentant la force de l'état actuel de la société, n'osant qu'avec embarras lui faire violence, on veut que dans le cas où le père n'aurait pas songé à y pourvoir, la partie disponible de sa fortune aille de droit à l'aîné de ses fils.

D'après la législation sous laquelle nous vivons encore, il fallait, pour que la quantité disponible advint à l'aîné, que le père en eût prononcé

(1) L'opinion de M. le duc de La Rochefoucauld n'a pas été ínsérée au Moniteur.

l'expresse volonté; d'après la loi proposée, il suffira qu'il oublie de faire ses dispositions testamentaires; qu'il les ait retardées, qu'il ait été prévenu dans leur exécution par une mort prématurée, pour que cette partie disponible vienne grossir la part de l'aîné. Voilà le moyen proposé pour constituer de grandes fortunes, de grandes existences. Assurément la faiblesse de la loi est ici bien évidente, et d'un autre côté la grande latitude qu'elle laisse pour échapper à ses intentions, est encore un aveu manifeste de l'impuissance où l'on est de changer un état de société aussi fort, et j'oserai dire aussi enraciné que celui sous lequel nous vivons et sans lequel sont constitués nos sentiments, nos mœurs et nos habitudes.

ora

Mais s'il était vrai que cette loi fût jugée politiquement. nécessaire au maintien de la Couronne, pourquoi, comme l'ont déjà dit plusieurs teurs, n'est-elle pas rendue impérative? Pourquoi laisser la faculté de son exécution à la volonté d'une population que l'on sait la réprouver? Et si elle n'est pas de cette éminente nécessité, quel motif a pu déterminer les auteurs de la loi à forcer les volontés, pourquoi en tourmenter les esprits, pourquoi jeter dans la nation un ferment d'agitation et de mécontentement, un sujet de crainte et de défiance pour l'avenir?

Mais cette loi dût-elle atteindre le but dont elle annonce l'intention; eût-elle toutes les conditions qui rendraient son exécution impérieuse, nécessaire, inévitable, serait-elle encore admissible par vous, Messieurs?

On nous dit que les lois civiles doivent être mises en concordance avec les lois politiques, s'ensuit-il que cette alliance doive faire divorce avec la morale?

J'avoue, Messieurs, que j'avais cru jusqu'ici que la morale était la base essentielle de toute législation; et, si cette pensée est une erreur, je suis loin d'en être relevé.

Si la loi, considérée dans ses moyens, est faible et insuffisante; si son exécution est même incertaine et s'il est possible d'en attendre le bien prétendu qu'on se flatte d'en obtenir, elle est, au contraire, d'une activité toute puissante pour produiresur-le-champ un mal réel et trop étendu. On ne fera pas la propriété féodale, sans doute, mais on troublera la paix des familles; on y sèmera la méfiance, la haine et les dissensions.

Autrefois, Messieurs, lorsque l'habitude du privilége de la primogéniture était établie; lorsque les cadets étaient, dès leur enfance, accoutumés à regarder l'ataé comme le représentant de la famille, le conservateur de son nom et de son éclat, comme ayant droit à ce titre, à tout le patrimoine, ils étaient résignés en quelque sorte, à chercher fortune dans les armées ou dans l'église; l'intérieur des familles pouvait, jusqu'à un certain point, n'être pas troublé par l'inégalité de partage, quoiqu'il y ait du reste beaucoup d'exemples du contraire. Mais aujourd'hui que le régime de l'égalité a habitué les enfants d'un même père à se considérer comme égaux en droits, à espérer une même part dans le patrimoine commun, pourra-t-on rétablir l'inégalité sans éveiller les jalousies, sans provoquer les discordes? Celui qui ignore ses droits voit sans peine que d'autres jouissent d'un bien dont il est privé; mais quand une fois ces droits sont connus, estil possible d'en faire le sacrifice sans regrets, sans haine pour celui qui les usurpe? Jusqu'ici il suffisait que le père ni les enfants ne s'en occupassent point, pour que l'égalité fût conservée. Main

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