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intéressés. Il choisit principalement les remplaçants, d'après le mode qu'il inique, parmi les anciens soldats, et assure ainsi de bons choix. Il ne solde au remplaçant, au moment du remplacement, qu'une faible prime sur le prix de son engagement, et place le reste sur l'Etat, où ce placement devient pour le remplaçant une ressource assurée pour l'avenir, en même temps que le remplacé trouve dans ce dépôt un gage de sécurité. Par les sommes résultantes enfin du mode qu'il propose, il assure aux anciens soldats une caisse de retraite, propage ainsi dans les classes pauvres le goût du service, et attache à ses drapeaux le jeune soldat, qui voit en perspective l'espoir de recueillir un jour le fruit de ses travaux et de sa constance.

Je sais, Messieurs, que de la théorie à l'exécution il y a bien loin, et que les projets les plus séduisants en apparence s'évanouissent trop souvent au moment de leur essai; mais celui que présente le pétitionnaire m'a paru aussi dégagé que possible de vues interessées, digne en tout de l'attention de la Chambre, et par ces considérations, j'appuie le renvoi de la pétition au ministre de la guerre, et je propose en outre le renvoi avec les pièces à l'appui au bureau des renseignements.

M. de Villèle, ministre des finances. Le ministre de la guerre n'est pas resté indifférent aux considérations que vient de développer devant vous notre honorable collègue. Le projet dont il s'agit a été soumis à trois reprises différentes au comité de la guerre, et il a été repoussé trois fois par des motifs puisés dans l'intérêt général. Je n'entretiendrai pas la Chambre de tous les détails de l'entreprise; je dirai seulement qu'il résulte des conditions auxquelles on voudrait l'établir, que l'intérêt de l'inventeur et celui de l'administration qui la dirigerait, figurent en première ligne, puisque les frais de cette administration ne monteraient pas à moins de 15 0/0, et que le versement à faire par les jeunes gens serait de 700 fr.

Messieurs, quoique l'administration de la guerre éprouve souvent les inconvénients qui résultent des mauvais remplaçants, on ne peut dire cependant qu'elle cherché à éluder la volonté de la loi au sujet des remplacements, puisqu'il est reconnu que sur cent jeunes gens appelés au service, il y en a 25 qui se font remplacer. Mais ce qui prouve combien la qualité des remplaçants doit être surveillée, c'est que, sur cent militaires qui sont condamnés aux compagnies de discipline, il y a 36 remplaçants. L'administration, averte par un pareil fait, a dû examiner la question dans l'intérêt public; et prescrire les intérêts particuliers qui viendraient se mêler ainsi entre le service public et ceux qui sont appelés à y participer.

Je m'attendais, de la part de l'orateur qui descend de la tribune, à des conclusions tout à fait opposées à celles qu'il a prises, lorsque j'ai entendu dire que rien n'était plus désirable que de voir l'administration s'emparer elle-même des moyens de faciliter aux familles les remplacements, et, par là, se mettre à même de surveiller la qualité des remplaçants, dans l'intérêt de l'Etat. Je croyais qu'après avoir ainsi parlé, l'orateur conclurait au rejet d'une administration particulière, parce qu'en effet ce n'est pas une administration particulière qui peut être interposée utilement entre les familles et les corps qui ont à recevoir des jeunes soldats; car cette administration ne manquerait jamais de prélever la dime pour son propre compte. Dans le cas actuel, il

s'agit de plus que de la dime, car le prélèvement sur toutes les iransactions est de 15 0/0.

J'avoue toutefois qu'il me semble difficile que le gouvernement intervienne directement en pareille matière; aussi ne l'a-t-il pas entrepris jusqu'à ce moment. Je regarderais comme une chose dangereuse que le gouvernement protégeât des entreprises particulières, faites dans le but d'un commerce qu'on pourrait appeler la traite des hommes. Le gouvernement n'a accordé aucune protection à ces entreprises. Devez-vous leur en accorder davantage? Je ne le pense pas; et je vous prie de ne pas oublier que le projet dont il s'agit dans la pétition a été examiné trois fois, et trois fois repoussé par le comité de la guerre.

M. de Berthier. Messieurs, la question qui vous occupe ne manque pas d'une certaine gravité. Il est assurément nécessaire qu'on admette des remplaçants. M. le ministre des finances en est convenu. La loi le permet; les lettres, les arts et les sciences souffriraient si l'on apportait des entraves aux remplacements. Il ne s'agit que de faire en sorte que les remplacements aient lieu dans l'intérêt de l'Etat. Je suis fâché de n'avoir pas entre les mains le projet du pétitionnaire, et si je l'osais, je demanderais à M. le ministre des finances de me le prêter. (M. le ministre des finances fait remettre ce projet à l'orateur.)

M. le ministre vous a parlé d'un prélèvement de 15 0/0. Au premier aspect, cela paraît considérable, mais je vous prie d'observer que dans les transactions qui ont lieu ordinairement pour les remplacements les frais sont bien supérieurs. Ces 15 0/0 ne sont pas destinés seulement à la compagnie; une partie en est destinée au notaire qui doit passer l'acte. Différentes propositions pour les remplacements m'ont passé sous les yeux à une certaine époque, et je dois dire que les bénéfices de celle-ci me sembient les plus minimes. La compagnie qu'il s'agirait d'établir serait aussi favorable qu'il est possible aux particuliers; elle ne serait pas intermédiaire, mais simplement bureau d'adresse. Les transactions se passeraient devant des notaires, de manière qu'il n'y aurait pas à craindre des transactions honteuses ou désavantageuses pour les parties.

Voilà ce qui concerne l'intérêt des contractants. Venons à ce qui regarde l'Etat. M. le ministre de finances vous dit qu'en général les remplaçants étaient loin de valoir les jeunes gens appelés directement. Cela est vrai; mais comme il est nécessaire d'avoir des remplaçants, il faut chercher le moyen d'avoir les meilleurs remplaçants possibles. Ce moyen se trouve contenu dans la pétition. Ceux qu'elle offre pour remplaçants sont des soldats qui déjà ont fait leur temps de service, et qui, à l'instant de rentrer dans leurs foyers, sont amenés par un encouragement bien légitime à reprendre du service. Vous êtes sûrs de trouver en eux des hommes tout formés à la discipline et au service militaire. C'est un très grand avantage, qui remplira parfaitement les vues des officiers généraux, qui se plaignent assez généralement de ce que la plupart des soldats quittent le service quand leur temps est expiré.

M. le ministre des finances nous a dit que le gouvernement ne peut accorder une protection spéciale à telle ou telle entreprise. La compagnie dont il s'agit ne demande pas précisément protection spéciale; c'est une simple autorisation qu'il lui faut. Si cette compagnie recevait l'autorisation royale voulue par le Code, elle serait sous

la surveillance du gouvernement, qui empêcherait qu'elle ne s'écartât de ses règlements. J'ajouterai qu'une foule de compagnies de ce genre existent déjà et, pour la plupart, ont des vues beaucoup plus intéressées. Celle-ci doit d'autant mieux attirer notre attention, que le pétitionnaire et ses associés proposent de laisser faire le ministre de la guerre s'il le désire.

Messieurs, au commencement de l'autorité de Napoléon, alors qu'il n'englobait pas encore la population tout entière, et qu'il cherchait à avoir une armée bien composée, le gouvernement se chargeait du remplacement j'en puis parler, car j'ai été remplacé moi-même en payant 1,200 francs au gouvernement. Les remplacements alors étaient faits d'une manière plus utile au gouvernement et à l'armée. Je crois que, sans préjuger sur le projet qui nous est soumis, et qui, comparé à tous ceux qui nous ont été présentés sur la même matière, contient de grands avantages, la Chambre doit renvoyer la pétition au ministre de la guerre, qui l'examinera de nouveau et fera ce qu'il croira utile.

M. le général Sébastiani. Je commencerai comme le préopinant en disant que la question est très grave; mais je conclurai tout autrement que lui. L'Etat a droit, comme l'a dit M. de Laurencin, de demander à tous le service très honorable de défendre la patrie. Plusieurs jeunes gens ne peuvent remplir ce service lorsqu'ils y sont appelés, et cependant il faut que les cadres de l'armée soient complets; de là, par conséquent, la nécessité de recourir aux remplaçants, et de prendre des moyens pour que ces remplaçants soient aussi bons que possible. Mais autoriser des compagnies qui seraient chargées d'organiser pour ainsi dire l'armée sur tous les points de la France, a-t-on bien examiné tout ce qu'un pareil projet présenterait d'inconvénients? Mais ces compagnies, dont l'action s'étendrait sur toute la monarchie, pourraient dans des circonstances extraordinaires devenir infiniment dangereuses. Dans les circonstances ordinaires, vous n'avez qu'une voie à suivre, laisser faire l'intérêt des familles. Celui qui a besoin d'un remplaçant saura bien le trouver au prix le plus économique, et il le fournira aussi bon qu'il le pourra, afin de n'avoir pas à en fournir un second. Gardez-vous bien, Messieurs, de protéger un établissement qui pourrait devenir fort dangereux pour l'Etat, et qui pèserait nécessairement sur les familles. L'intérêt de l'Etat et celui des familles vous commandent de laisser la législation intacte, et de passer à l'ordre du jour.

M. Bacot de Romand. Je serais fort disposé à appuyer l'ordre du jour, si je ne craignais que cette décision n'eût l'air de témoigner de l'indifférence de la part de la Chambre relativement aux mesures susceptibles de faciliter les remplacements. Il est certain qu'il y a une lacune à cet égard, je ne dirai pas dans nos institutions, mais dans la loi du recrutement. Il existe entre les départements une disparité fâcheuse relativement à la facilité de se fournir des remplaçants, et aux prix qu'ils peuvent coûter.Il serait avantageux que le gouvernement voulut bien aviser, comme je crois qu'il a commencé à le faire, aux moyens de faciliter la rentrée dans les cadres de l'armée, des hommes qui ont achevé leur temps de service. La proposition du pétitionnaire me paraît digne de votre attention. Et vous en donnerez la preuve en prosengant le renvoi aux ministres de

la guerre et de l'intérieur, et, en outre, le dépôt au bureau des renseignements.

Plusieurs membres réclament la clôture de la discussion et l'ordre du jour. (La discussion est close, et la Chambre passe à l'ordre du jour sur cette pétition.)

M. le comte de Caumont-Laforce, rapporteur continue: Le colonel Thierry et autres détenus pour dettes à Sainte-Pélagie ont l'honneur de vous exposer que, tous les ans, ils sont dans l'attente qu'on adoucisse la rigueur de la loi qui les frappe, soit par une augmentation d'aliments, soit en abrégeant la durée de leur détention.

Depuis leur première réclamation, dix sessions se sont écoulées sans que leur espérance soit réalisée. 55 centimes par jour que paie le créancier ont peine à les faire subsister.

Il est certain, Messieurs, que parmi ces détenus, il peut s'en trouver qui ne soient victimes que de l'usure; et quelquefois de légères fautes se trouvent sévèrement punies: mais on ne saurait être trop sévère pour forcer le débiteur à tenir son engagement vis-à-vis de son créancier; et en affaire de commerce, la plus grande exactitude est indispensable dans toute transaction, c'est la base de toute sécurité.

de

Mais s'il y avait possibilité, Messieurs, pouvoir obtenir cette sécurité sans employer des moyens si rigoureux, et d'apporter quelque adoucissement au sort des détenus, que des modifications à la loi puissent s'effectuer sans inquiéter le commerce, nous n'y verrions aucun obstacle. Votre commission vous propose le renvoi de la pétition à M. le garde des sceaux.

M. Hyde de Neuville. Depuis dix ans, des pétitions de ce genre nous sont présentées; depuis dix ans, les ministres trouvent que les pétitionnaires ont raison, et cependant depuis dix ans, le ministère garde le silence sur ces pétitions. La voix du malheur a peine à se faire entendre, le bruit du monde l'étouffe, l'égoïsme et l'insouciance la repoussent comme importune.

Je ne sais, Messieurs, si notre siècle aura bien mérité le titre pompeux qu'il se donne de siècle des lumières; mais il me semble que la postérité pourra sans injustice le surnommer le siècle des contrastes et des inconséquences. En effet, Messieurs, pour parvenir à faire ce qu'on appelle du crédit, nous rendons des lois qui favorisent, alimentent le jeu, l'agiotage, et cependant nous punissons avec une incroyable dureté les victimes imprudentes, souvent innocentes, de l'agiotage et du jeu.

Nous avons des lois sévères contre l'usure, et notre législation sur la contrainte par corps, qui ne devrait protéger que le commerce et l'industrie, tourne principalement au profit de la classe abjecte des usuriers, de ces âmes de glace et de boue, qui, chaque jour, transgressent, foulent aux pieds les lois divines et humaines, et concourent, par l'immoralité de leurs transactions claudestines, aux plus grands désordres, et peut-être aux plus grands crimes qui effraient et désolent la société. Nous déplorons le sort de ces hommes généreux qui ont tout perdu par la Révolution, fors l'honneur, et Sainte-Pélagie devient la retraite, l'hôtel des invalides, de l'émigré, du roya liste, qui a tout sacrifié pour la monarchie, du rentier, du chevalier de Saint-Louis accablé d'années et de misères, et du brave légionnaire quia bien appris dans nos camps l'art si éminemment

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français de fixer la victoire, mais non le secret quelquefois si honteux de fixer la fortune.

Voulez-vous connaître, Messieurs, l'état actuel de Sainte-Pélagie: 206 prisonniers pour dettes y gémissent; 150 ne sont arrêtés que pour de très petites sommes; 30 sont militaires de tous grades, et plusieurs décorés des Ordres royaux de Saint-Louis et de la Légion-d'honneur. Enfin, dans ce grand nombre d'infortunés on ne compte, il faut le dire, que deux prisonniers véritablement négociants; la masse se compose de porleurs d'eau, charpentiers, petits marchands de vin, presque tous pères de famille. Sur 18 étrangers appartenant à diverses nations, l'un est captif depuis dix-huit années; un autre, depuis huit ans; un troisième, depuis six; enfin, un quatrième, depuis quatre, et cela pour une modique somme de 150 francs.

Est-il possible, Messieurs, qu'un tel état de choses subsiste plus longtemps, et le gouvernement n'aurait-il pas dû déjà s'occuper de la réforme d'une législation, que tous les amis de l'humanité et tous les jurisconsultes éclairés regardent, et avec raison, comme essentiellement vicieuse.

Notre législation sur la contrainte par corps est vicieuse en ce qu'elle donne lieu à des interprétations différentes, tellement qu'il arrive souvent qu'un tribunal prononce la mise en liberté d'un prisonnier pour dettes, tandis qu'une autre cour refuse de briser les fers d'un détenu qui se trouve placé dans les mêmes circonstances.

Une telle jurisprudence, disait M. le garde des Sceaux en 1818, a le grave inconvénient« d'abandonner les tribunaux et les parties aux inductions

tirer d'une législation morcelée et incohérente. Eh bien, Messieurs, depuis 1818, cette législation morcelée et incohérente continue à recevoir son exécution... Ne serait-il pas temps d'y apporter remède?

Notre législation sur la contrainte par corps est vicieuse en ce qu'elle prolonge au delà du terme voulu par la raison, le bon sens, l'intérêt du commerce, la captivité du prisonnier pour dettes, et cependant l'épreuve doit avoir des bores, dit avec humanité et sagesse la cour royale d'appel de Paris. Elle est cruelle envers l'étranger en ce qu'une fois sous les verrous, elle ne lui laisse pour ainsi dire de perspective que la

mart.

Elle est impolitique en ce qu'elle nous met en arrière de la législation des autres peuples, même de ceux qui se livrent presque exclusivement au commerce. Consultons, Messieurs, le code des autres nations; consultons surtout l'édit de justice et de charité rendu le 5 octobre 1824, par S. S. Léon XII, et nous verrons comment on peut concilier tous les intérêts, sans perdre de vue la miséricorde et la pitié.

Enfin, nos lois sur la contrainte par corps sont inhumaines, en ce qu'elles n'assurent pas même au détenu le pain nécessaire à sa subsistance. Qui, Messieurs, sous ce rapport, les pauvres prisonniers pour dettes sont moins bien traités que les plus vils de nos forçats.

Tout le monde avoue, et quatre garde des sceaux en sont successivement convenu, que le taux actuel des aliments est insuffisant. Et comment pourrait-il suffire quand ce taux n'a point augmenté depuis Henri IV, quand le malheureux détenu ne reçoit que 13 fr. 50 c. par mois! (Murmures. Une voix: Dites 20 francs.) Oui, Messieurs, 20 francs sur lesquels il s'opère une retenue de 6 fr. 50 c. pour d'autres frais que ceux de

nourriture; de sorte que le prisonnier n'a réellement que 13 fr. 50 c. pour vivre, et parfois pour aider sa pauvre famille. De tels faits, ne sont-ils pas bien dignes d'attention?

Je ne finirai pas, Messieurs, sans rappeler qu'au mois d'avril 1816, je signalai à cette tribune le fâcheux état de choses dont je viens de vous entretenir; que ma proposition fut prise en considération à la presque unanimité, et que la clôture seule de la discussion mit obstacle à la délibération de la Chambre.

En 1818, la Chambre des pairs traita cette question importante, et ce fut alors que M. le garde des sceaux déclara que notre législation sur la contrainte par corps était morcelée et incohérente.

Enfin, Messieurs, en 1820, les prisonniers pour dettes furent défendus, avec autant de sensibilité d'âme que de talent, par l'homme vertueux dont la perte sera longtemps déplorée par tous les amis de la religion, dù trône, de l'humanité et de nos institutions; par cet homme à qui tout Israël et son roi venaient de remettre avant tant de confiance et d'espérance le soin du flambeau de David. Messieurs, celui dont la mort devait être aussi belle que la vie; celui qui était encore, il y a seize jours, l'exemple de toutes les vertus sur la terre, veille aujourd'hui au ciel avec les saints, à ce que le flambeau précieux qui n'a été rallumé que par un miracle, ne s'éteigne jamais.

Prenez pitié, Messieurs, des prisonniers pour dettes, et donnez-leur promptement du pain, quand ce ne serait que pour exaucer la prière du bon duc Mathieu de Montmorency!

M. Pardessus. Je n'ai pas l'intention de combattre la proposition de la commission, à laquelle adhère le préopinant; je ne m'oppose pas au renvoi au garde des sceaux, parce qu'il peut y avoir quelques améliorations à faire dans la législation; mais je crois qu'à l'occasion d'une pétition, il ne faut pas déconsidérer dans l'esprit du peuple une législation qui n'a pas l'imperfection qu'on prétend exister. Il y a trois positions particulières qu'on a confondues probablement sans le vouloir, mais qui doivent être distinguées. La contrainte par corps au civil n'est jamais que le résultat d'une escroquerie, de ce qu'on appelle stellionat, c'est-à-dire de l'action par laquelle un homme a vendu ou hypothéqué un bien qui ne lui appartenait pas. Quant à cette sorte de contrainte, aucune loi n'a dit qu'elle dût finir après un temps déterminé. Quant à la contrainte par corps, en matière commerciale, il faudrait peut-être élaguer de la législation qui la régit quelques dispositions incohérentes; mais ce sera le résultat du travail général qui se fait pour élaguer du bulletin des lois tout ce qui se trouve réformé par quelques lois subséquentes.

La législation en matière commerciale est infiniment préférable, sous le rapport de l'humanité, à la législation antérieure. Elle déclare qu'après cinq ans de détention, le débiteur, sans payer sa dette, recouvre de plein droit sa liberté; et, dans l'ancienne législation, cette faveur n'existait pas. Les lois faites pendant la Révolution ont donc amélioré le sort des débiteurs.

A la vérité il y a une troisième classe de débiteurs, les étrangers, qui ne jouissent pas de cette faveur. La raison en est simple: c'est que l'étranger ne donne pas, comme le débiteur national, la garantie qu'une fois sorti de prison, il pourra reprendre ses affaires, les améliorer, et finir par payer ses dettes. Il était d'ailleurs naturel de faire à l'égard des étrangers ce qu'on fait à l'extérieur

contre les Français. Fallait-il, lorsque les Français sont poursuivis rigoureusement en Angleterre pour leurs dettes, appliquer aux Anglais une législation faite spécialement pour les Français?

Messieurs, pour les trois positions que je viens de vous désigner, il n'y a aucun embarras dans Ja législation ni dans la jurisprudence. Il est vrai qu'il y a huit ou dix ans des opinions différentes ont été émises par la cour royale et par la Cour de cassation. La cour royale croyait que la cessation de la détention après cinq ans avait été abolie; mais la Cour de cassation a fixé la jurisprudence par un grand nombre d'arrêts; elle a décidé que le Code civil ne parlait que de la contrainte par corps en matière civile, et qu'en matière commerciale la loi de l'an VI subsistait toujours, que la détention devait cesser au bout de cinq ans, et cela n'est plus contesté maintenant.

Je me garde bien de dire que 20 francs par mois soient suffisants pour la subsistance des détenus; aussi ne m'opposé-je pas au renvoi; mais j'ai voulu défendre la législation, qu'il faut respecter tant qu'elle subsiste, et ne pas déconsidérer aux yeux du peuple.

Plusieurs membres: Aux voix!... L'ordre du jour !...

M. Hyde de Neuville. Je me flatte, Messieurs, qu'il n'est pas dans vos intentions d'interdire l'accès de la tribune à la défense des malheureux. J'ai cité des faits. J'ai dit que M. le garde des sceaux était convenu lui-même, à la Chambre des pairs, que notre législation était morcelée et incohérente. Ce sont là ses expressions; elles sont consignées dans le rapport du duc de Montmorency. Ce premier fait est donc incontestable.

J'ai dit que les tribunaux prononçaient d'une manière diverse. J'aurais pu citer, à cet égard, une consultation au bas de laquelle se trouvent les noms de MM. Pardessus et Bellart. (M. Pardessus: C'est d'après cette consultation que la question a été jugée !)

J'ai dit encore que la loi soumettait les malheureux détenus à une épreuve trop longue, et j'ai pu le dire, puisque la cour royale de Paris l'a déclaré elle-même, il y a environ quinze mois, dans son arrêt sur une affaire dont le nom m'échappe en ce moment. J'ai dit que les prisonniers pour dettes recevaient pour aliment, non réglé par ce qui a été réglé depuis vingt ans, mais ce qui a été depuis Henri IV (M. Pardessus : Sous Henri IV on ne donnait que 10 francs par mois!......) J'ai dit que nous sommes en arrière de la législation de tous les peuples, de la législation anglaise qu'on vient de citer (et pour s'en convaincre il n'y a qu'à ouvrir Blackstone); de la législation portugaise; de la législation de Genève, pour citer une république, et surtout de l'édit si plein de miséricorde que vient de rendre S. S. Léon XII, et qui prouve qu'il est possible de concilier tous les intérêts avec la pitié.

Je n'ai rien dit qui ne puisse être répété par tous ceux qui connaissent la législation, et je répète que quatre gardes des sceaux ont déclaré successivement que les aliments sont insuffisants; j'ai ajouté qu'ils sont tellement in-uffisants qué beaucoup de détenus seraient morts de faim si le roi ne leur eût accordé ce qu'on nomine pitance. Mais cette pitance peut être retirée; elle l'a été même, malgré la disposition bienveillante du roi, sur plus de deux cents prisonniers : il n'y en a que cinquante qui reçoivent cette pitance,

quoique le roi eût voulu qu'il ne fût pas fait d'exception; cela tient à ce que partout on recherche ce qu'on appelle la moralité, alors qu'on est soi-même étranger aux premiers sentiments de l'humanité.

Je demande le renvoi au garde des sceaux; espérons qu'entin on rompra un silence qui devient un abus, un silence qui devient criant et même désolant.

M. de Villèle, ministre des finances. M. Pardessus vient de vous exposer quelques-uns des motifs qui ont fait que le gouvernement a gardé le silence sur la question qui vous occupe. Parmi ces motifs, il en est un que je pourrai déduire sans être homme de loi, et que vous sentirez comme moi. La détention d'un prisonnier pour dette ne peut être prolongée jusqu'à cinq ans que par la conviction où sont ses créanciers qu'il a le moyen de les payer, qu'il possède des ressources cachées qu'il tient en réserve pour les leur soustraire. Comment les créanciers consentiraient-ils à faire les frais d'entretien du débiteur s'ils n'avaient pas la conviction que ce débiteur n'est pas de bonne foi?

Votre législation, qu'on a présentée comme plus sévère que celle des autres peuples, est loin de l'être autant que celle des Anglais. par exemple. Aussi y a-t-il en Angleterre beaucoup moins de fraude de la part des débiteurs envers les créanciers. Aussi vous êtes placés dans une telle position que tout ce que vous feriez en apparence au profit de l'humanité, tournerait en réalité au profit de la mauvaise foi. Au lieu de diminuer le nombre des prisonniers pour dettes, vous ne feriez que l'augmenter en adoucissant la législation. Vous pourrez vous en convaincre par la comparaison de ce qui se passe en France et en Angleterrre. Dans un pays où la législation est sévère contre les débiteurs, il y a facilité d'emprunter pour l'honnête homine; dans le pays, au contraire, où la législation est plus faible, on y regarde à plusieurs fois avant de faire un crédit. Or, vous le savez, il n'y a pas de condition qui ne soit exposée à recourir au crédit. La question incidentelle qui se présente devant vous est donc beaucoup plus importante qu'elle ne pourrait le sembler au premier aspect; cela seul suffit pour Vous prouver que si le gouvernement a gardé le silence jusqu'à présent ce n'a été ni par indifférence, ni par inhumanité.

J'ai été bien aise de présenter ces considérations à la Chambre. N'étant pas versé dans l'étude des lois, je n'ai pu leur donner autant d'étendue que n'aurait pas manqué de le faire M. le garde des sceaux, s'il lui avait été possible d'assister à cette séance. Mais tout ce que je puis dire, c'est qu'il n'a pas mis d'indifférence dans cette question, qui plus d'une fois a été agitée au conseil du roi. Je me souviens que dans une de ces discussions, portant principalement sur les aliments, il a été considéré que peut-être la meilleure chose à faire était de revenir à ce qui avait lieu autrefois, c'est-à-dire à fixer chaque année, et dans le ressort de chaque cour, ce qu'il serait nécessaire d'accorder pour les aliments. Je me souviens en même temps que loin d'avoir été regardée comme inhumaine et barbare envers les debiteurs, la législation actuelle a été considérée, au contraire, comme peu sévère et presque insuffisante. Au surplus, je ne m'oppose pas au renvoi je me joins même à ceux qui l'ont demandé; mais j'ai voulu montrer à la Chambre que le

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gouvernement n'avait nullement été indifférent sur cette question.

(La Chambre, consultée, prononce le renvoi à M. le garde des sceaux.)

M. le comte de Caumont-Laforce, rapporteur, poursuit: Le comte de Selve, à Besançon, vous adresse un projet de loi pour donner suite à celui relatif à l'indemnité donnée aux émigrés pour leur tenir lieu des biens dont ils ont été dépossédés.

Le seul et unique article du projet qui vous est soumis est ainsi conçu :

Les Français qui, en vertu de la loi du 27 avril 1825, ont reçu en indemnités des confisca➡ tions révolutionnaires des inscriptions de rente 3 0/0, ont le droit de faire comprendre les intérêts des 2/5 en non-valeur dans cette rente, comparée aux 5 0/0 sur les bordereaux d'impositions exigés par la loi des élections; et ces 5 0/0 de non-valeur en intérêts leur seront comptés comme contributions retenues par l'Etat, pour être portés sur les listes d'électeurs et d'éligibles, soit dans les grands, soit dans les petits colléges élec

toraux. »>

Votre commission est d'avis qu'aucune suite ne peut être donnée à la proposition de M. le comte de Selve, et vous propose de passer à l'ordre du jour. (La Chambre passe à l'ordre du jour.)

M. de Montlembert, propriétaire à Rouen, se plaint des dommages qu'éprouvent les riverains des forêts royales, par la hauteur des arbres des bordures qui couvrent les terres qui les environnent, et empêche les propriétaires de pouvoir y faire aucune récolte.

Le pétitionnaire pense que l'ordonnance de 1669, qui prescrivait aux riverains de ces forêts l'obligation de faire des fossés de séparation sur leur terrain et de les entretenir à leurs frais, ce qui a été exécuté, ne peut laisser aucun doute sur le droit qu'ils ont à la propriété de ces fossés, qui souvent leur est contestée.

Il pense aussi que l'article 552 du Code civil, qui accorde à tout propriétaire du sol la possession du dessus et dù dessous, n'est point susceptible d'exception, et que les arbres des forêts royales dont la cime et les branches couvrent la terre du voisin doivent être ébranchées conformément au règlement, ce que l'on refuse d'exé

cuter.

Dans les temps éloignés, les terres ayant moins de valeur, le propriét ire n'était point aussi jaloux du maintien de ses droits, et les forestiers, sous prétexte de se former des lisières, ont multiplié sur les limites des domaines confiés à leur administration, des réserves. L'effet de ce systême est de priver tout territoire voisin de productions, l'ombrage qui couvre les terres en labour arrêtant toute végétation, et les racines qui s'étendent à de grandes distances empêchant toute culture.

Toutes les lois et coutumes ont astreint les propriétaires de bois ou de hautes plantations à les tenir à des distances désignées. Les coutumes d'Orléans et de Normandie exigent une plus grande distance pour les arbres de hautes futaies que pour les arbres fruitiers. L'administration des forêts se croit fondée à agir comme par le passé, et chaque jour de nombreuses difficultés s'élèvent entre les riverains et cette administration.

D'après ces divers motifs, le pétitionnaire propose l'adjonction au Code forestier des deux articles qu'il vous soumet:

1° Que ce Code fixe la distance des propriétés riveraines à laquelle il sera permis de laisser croître des arbres de haute tige dans les anciennes forêts royales. Le long des terrains en état de culture à l'espace de 5 mètres pour celles qui en sont séparées par des fossés, et à celui de 10 mètres pour celles qui ne sont pas fosoyées;

2o Que le Code forestier rétablisse les riverains dans la propriété des fossés qui bordent les forêts royales, et détermine la partie desdits fossés qui leur servira de ligne limative.

Votre commission a pensé que la pétition de M. de Montlembert, traitant d'intérêts généraux, et signalant des abus, devait être renvoyée à Son Exc. le ministre des finances. (La Chambre ordonne ce renvoi.)

Les habitants de la ville de Pornic, Loire-Infé◄ rieure, exposent que l'encombrement. toujours croissant de la Loire, rend la navigation de ce fleuve extrêmement difficile et très dispendieuse, et que l'attention du gouvernement ne saurait être appelée trop tôt sur un objet de cette importance. Le commerce intérieur et extérieur, ainsi que la ville de Nantes, y ont le plus vif intérêt. Diverses propositions ont été adressées au ministre pour le rétrécissement du lit de ce fleuve, pour le curage ou construction de digues et autres travaux d'art; mais jusqu'ici rien n'a été statué.

En 1789, un projet de M. le marquis de BrieSerran, tendant à faire un canal de communication de Nantes à la mer par le port de Pornic, fut présenté avec plan figuratif et autres pièces à l'appui. Des commissaires nommés par le roi, après l'examen des localités et la vérification des calculs de dépenses, approuvèrent le projet de M. de Brie-Serran.

Les autorités municipales des villes de Nantes, Angers, Saumur, Tours, Orléans, Blois, Laval, y donnèrent leur assentiment, ainsi que les Etats de Bretagne.

Les pétitionnaires entrent dans de grands développements, et ont réuni dans leur pétition de nombreux motifs pour prouver l'avantage d cette canalisation; mais il serait impossible d les extraire de la pétition, très volumineuse sans allonger prodigieusement ce rapport.

Votre commission pense que c'est à l'administration à apprécier l'avantage ou le désavantage du projet, dont l'exécution est réclamée par les habitants de Pornic, et vous propose le renvoi de la pétition à S. Exc. le ministre de l'intérieur. (Ce renvoi est ordonné.)

Le sieur Gauthier, desservant de Formery, département de l'Yonne, demande que les registres de l'état civil soient remis entre les mains des ministres de la religion, ou que le mariage religieux précède le mariage civil, et que dans le cas où l'une ou l'autre de ces deux propositions ne seraient point adoptées, on rétablisse la loi du divorce.

En fixant son attention sur les motifs qui ont déterminé la demande du pétitionnaire, votre commission a dû reconnaître la pureté des vues et des principes qui le faisaient agir. Elle n'a pu expliquer le parti extrême qu'il indique comme le seul moyen, dans le cas où sa demande ne serait pas accueillie, de parer aux inconvénients qu'il signale, que comme un témoignage du vif intérêt et de l'importance extrême qu'il met à prévenir des abus dont la morale et la religion ont à s'effrayer.

Mais votre commission, considérant que la

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