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M. le Président. M. Benjamin Constant a la parole.

Plusieurs voix: C'est assez! La clôture!

M. Benjamin Constant demande et obtient la parole contre la clôture.

M. Benjamin Constant. Au moment où s'engage une discussion sur des questions très importantes, et que le discours du premier opinant a rendu plus importantes encore, je puis m'étonner d'entendre demander la clôture.

M. de La Bourdonnaye et autres membres: Non, non; parlez, parlez!

M. Benjamin Constant. Je cède la parole à M. Royer-Collard. (Mouvement d'étonnement.)

M. Royer-Collard. Messieurs, je n'abuserai pas de l'attention que la Chambre voudra bien m'accorder; je ne suivrai pas le premier orateur dans le vaste champ qu'il a ouvert à la discussion. Mais je me sens obligé, ayant déposé moi-même un assez grand nombre de pétitions sur le bureau, et particulièrement une pétition de la ville de Reims, qui est de mon département: je me sens, dis-je, obligé de repousser et de désavouer les imputations que mon honorable collègue, M. de Saint-Chamans, a peut-être trop facilement prodiquées et contre les petitions, et contre les pétitionnaires contre les pétitions en les attribuant à l'esprit révolutionnaire; contre les pétitionnaires, en les taxant d'ignorance et d'incapacité politique.

M. de Saint-Chamans. Je n'ai pas dit cela.

M. Royer-Collard. Si M. de Saint-Chamans n'a pas dit cela, j'ai tort; mais j'ai cru l'entendre, et je parle dans cette supposition.

Plusieurs voix: Oui, il l'a dit, nous l'avons entendu aussi.

M. Royer-Collard. Si l'on peut dire en certains cas je ne le sais pas, et cependant je l'affirme; à plus forte raison peut-on dire : j'affirme, parce que je sais. Or, dans le cas présent, je sais positivement que les 400 signataires de la ville de Reims sont les hommes les plus honorables du pays; des hommes assez élevés par leur position sociale pour que leur indépendance et leurs lumières soient suffisamment garanties. Plusieurs d'entre eux ont donné leur voix à M. de SaintChamans; ce jour-là du moins ils doivent à ses yeux avoir fait preuve suffisante de sagacité et de bon sens politique. (Mouvement d'adhésion. Rire prolongé.)

Je ne parlerai pas du droit d'aînesse. Je ne ferai pas même de théorie sur le droit de pétition. Mais je regrette qu'on ait renouvelé, en cette occasion, des reproches usés depuis longtemps. Je remarque d'abord que le mot droit de petition, est impropre, car là pétition est plus qu'un droit; c'est une faculté naturelle comme la parole. Quiconque a la parole, peut demander quoi que ce soit à qui que ce soit; il se fait des pétitions partout, à Constantinople comme à Paris; seulement à Paris elles se groupent en signatures sur une feuille de papier; à Constantinople, les pétitionnaires brûlent les maisons et incendient les palais! (Sensation.)

Je crois que la pétition de Paris est d'une meilleure nature que celle de Constantinople.

La pétition étant moins un droit qu'une faculté, elle n'a de limite que la pensée de l'homme. (Murmures à droite.) Messieurs, une pétition n'est pas un commandement: c'est l'expression d'un væeu, d'une pensée, de la plainte, si l'on veut; comment pourrait-on concevoir là quelque limite?

On dit que les pétitions sont une entrave, un empiétement de l'initiative. Il y a là une profonde illusion contre laquelle je suis bien aise d'avoir cette occasion de m'expliquer. L'orateur suppose qu'il y a véritablement usurpation de l'initiative, que c'est, en effet, une initiative exercée sur Vous, et sur laquelle vous délibérez. Mais il n'en est rien vous ne délibérez pas sur les pétitions; vous ordonnez seulement le renvoi à un ministre, à une commission ou au bureau des renseignements; ces formes sont trompeuses, illusoires; c'est la fiction d'une délibération qui n'est pas réelle, et qui est même impossible; et vous le savez si bien, que vous ne vous croyez pas obligés d'être en nombre compétent pour prononcer de cette manière. Quand une pétition vous a été présentée, et qu'il vous en à été rendu compte à la tribune, tout est consommé. La Chambre ne délibère constitutionnellement que sur des projets de loi et sur des proportions faites par un de ses membres. Hors de là, je ne sais pas au juste ce qu'elle fait; mais ce que je sais très bien, c'est qu'elle ne délibère pas.

C'est par un raisonnement vicieux qu'on soutient que les pétitions n'ont pour objet que des intérêts privés, et qu'elles ne doivent pas toucher aux intérêts publics. S'il en était ainsi, si les pétitions étaient resserrées dans cette limite, ce serait une tromperie faite à la nation, car vous ne pouvez rien pour les intérêts privés, vous ne pouvez pas redresser un grief. M. de Saint-Chamans concède le droit de pétition contre un abus de l'autorité; mais il ne vous est pas donné de remédier à cet abus; vous n'êtes pas un tribunal ni une autorité administrative; vous ne redressez rien : seulement les pétitions vous foot connaître l'état général de la France, l'esprit de l'administration, et il peut s'ensuivre, soit pour le gouvernement, soit pour chacun de vous, l'obligation de rechercher par quelles propositions il pourrait y être apporté remède. Cela est si vrai que, je suppose qu'on vous révélât un attentat tel que l'accusation s'ensuivit, l'acte qui y aurait donné lieu subsisterait et ne pourrait être réparé que par une autre mesure. Ainsi, par exemple, s'il s'agissait d'une arrestation arbitraire, ce ne serait pas le décret d'accusation qui ouvrirait les portes de la prison, mais un ordre émané des autorités compétentes. Il n'y a donc aucun fondement à la distinction des intérêts publics et des intérêts privés.

M. de Saint-Chamans a dit une chose qui peut faire quelque impression. Ces pétitions sont inspirées par l'esprit révolutionnaire. Ce qui le prouve, c'est que l'égalité des partages est contemporaine de la Révolution. Messieurs, quand il est question de la Révolution, il est difficile et délicat de s'exprimer convenablement. Ce n'est pas que j'aie une cause personnelle à y défendre, on le sait bien. Oui, Messieurs, avec la Révolution a été établi le principe, de l'égalité des partages; mais avec la Révolution sont nés bien d'autres principes. Je me trompe, ces principes étaient éternels comme la justice, et cette date ne fut que celle de leur promulgation.

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Pourriez-vous me dire dans quelle loi étaient écrits, avant 1789, les droits publics des Français, l'égalité devant la loi, la liberte de conscience, la liberté de la presse? Il ne faut pas demander sans cesse à la Révolution des souvenirs irritants, qui ne sont propres qu'à troubler et diviser les csprits: elle a fait beaucoup de mal, mais elle a fait aussi quelque bien; elle a été l'origine de beaucoup d'erreurs, mais elle est aussi la date de beaucoup de vérités.

On a abusé du droit de pétition, mais on en a aussi généreusement usé. Qui de vous ne sait pas que des milliers d'hommes ont exposé leur vie en signant des pétitions, qui n'ont pas eu la vertu de sauver ce qui ne pouvait plus être sauvé, mais qui du moins attesteront à jamais que le droit de pétition peut être exercé par de bons citoyens ? (Vifs mouvements d'adhésion.)

On en a abusé : inais de quoi n'abuse-t-on pas ? Est-ce qu'on ne peut pas abuser des élections? Est-ce qu'on ne peut pas abuser de cette tribune même ? Est-ce que ce n'est pas à la tribune qu'a été commis le plus exécrable des crimes? Faut-il pour cela renverser la tribune? Non, il ne faut pas la renverser; il faut la maintenir, parce qu'elle est l'instrument nécessaire de la liberté, la garantie de nos droits. Et les pétitions aussi sont un instrument de liberté, une précieuse garantie des droits de tous. J'appuie les conclusions de la commission.

Voix nombreuses: Bravo! bravo!

:

M. de Saint-Chamans. Je désire seulement rétablir ce qui a été mal entendu. Je n'ai pas dit que les pétitions fussent révolutionnaires; je n'ai pas condamné ceux qui les avaient faites je n'ai pas même discuté le mérite de la loi J'ai dit seulement que des hommes très honorables avaient été dans l'erreur en signant ces pétitions. J'ai ajouté que ce qui marquait les manoeuvres d'un parti c'était le déchaînement qui avait eu lieu dans plusieurs endroits contre le projet de loi, et dont le signal avait été donné par les journaux du parti le lendemain du jour où la loi fut présentée.

M. Casimir Périer. C'est que la loi était mauvaise.

M. de Saint-Chamans. Je n'ai plus qu'un mot à dire. Je crois, Messieurs, ne pouvoir mieux témoig er ma reconnaissance aux électeurs qui in'ont nommé qu'en disant toujours et en osant toujours dire tout ce que je crois, dans ma conscience, utile au bien de mon pays. (Mouvement d'adhésion.)

Un grand nombre de voix: Bien ! très bien !

M. le Président. La commission a proposé le renvoi des pétitions à la commission future qui serait chargée d'examiner le projet de loi. M. Bourdeau a demandé, en outre, qu'elles fussent renvoyées à M. le président du conseil des ministres. M. de Saint-Chamans a conclu à l'ordre du jour. L'ordre du jour doit avoir la priorité. Est-il appuyé?

Plusieurs voix: Oui, oui!

M. de Cambon. La question préalable sur la proposition de M. de Saint-Chamans.

M. le Président. On ne peut invoquer la question préalable sur l'ordre du jour, puisque l'ordre du jour écarte lui-même la proposition.

M. de Cambon. Je demande la parole pour le rappel au règlement.

M. le Président. Vous avez la parole.

M. de Cambon. Il y a peu de jours, M. le président a dit que la question préalable n'était qu'un mode de délibérer. Je puis donc invoquer ce mode-là. Il me semble que la question préalable, si je l'entends bien, est un moyen par lequel la Chambre décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition faite.

Je demande que la Chambre ne délibère pas sur la proposition de l'ordre du jour, que je regarde comme inconstitutionnelle. M. de SaintChamans l'a motivée sur ce que ces pétitions lui paraissaient un abus du droit de pétition. Le droit de pétition est consacré par la Charte, et motiver l'ordre du jour là-dessus, c'est refuser l'exercice d'un droit consacré par la Charte, c'est faire une chose inconstitutionnelle.

M. le Président. En demandant la parole pour le rappel au règlement, M. de Cambon a oublié qu'il ne s'agit pas ici de faire l'application de la question préalable, ni de nous occuper des motifs pour lesquels un de nos collègues demande qu'on passe à l'ordre du jour. La Chambre ne motive pas ses délibérations sur les pétitions, pas plus qu'elle ne les renvoie avec recommandation. Je fais cette observation parce qu'il y a peu de jours on demanda un renvoi avec recoinmandation, et l'on répondit que la Chambre n'était pas dans l'usage de le faire. D'après l'article 29 du règlement, les propositions d'ordre du jour ont toujours la priorité sur toute autre. Sans doute, lorsqu'une proposition textuelle est faite, et qu'on ne veut pas s'en occuper, c'est le cas de réclamer la question préalable, c'est-à-dire qu'il n'y a pas lieu à délibérer; mais ici la proposition est l'ordre du jour lui-même. Il n'est pas possible de mettre aux voix la question préalable.

M. le Président met aux voix l'ordre du jour.

Une première épreuve ayant paru douteuse au bureau, elle est renouvelée, et MM. les secrétaires se rendent à la tribune pour mieux juger de l'épreuve.

L'ordre du jour est rejeté à une évidente majo rité.

M. le Président. Je vais mettre aux voix le renvoi à la commission.

Plusieurs voix: Il n'y a pas de commission. Le renvoi plutôt au bureau des renseignements. (La Chambre décide que les pétitions seront déposées au bureau des renseignements.)

M. le Président. On a demandé le renvoi à M. le président du conseil est-il appuyé ?...

MM. Benjamin Constant et Méchin. Oui, oui!...

(Le renvoi est mis aux voix et rejeté à la presque unanimité.)

M. le Président. Lundi, la Chambre reprendra sa délibération sur les articles du tarif des douanes. La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. RAVEZ.

Séance du lundi 10 avril 1826.

La séance est ouverte à deux heures par la lecture et l'adoption du procès-verbal.

M. le Président fait lecture d'une lettre par laquelle M. le vicomte de Gourgue annonce qu'il est empêché par l'état de sa santé de venir partager les honorables travaux de la Chambre; mais qu'il s'empressera de se rendre au milieu de ses collègues aussitôt que cela lui sera possible.

M. le Président. Quoique je connaisse parfaitement le désir et les voeux de la Chambre, je n'ai pas cru devoir écrire, avant d'avoir reçu son autorisation, au grand-maître des cérémonies de France, pour le prier de prendre les ordres du roi au sujet de la Chambre, relativement à l'anniversaire de la rentrée de Sa Majesté dans ses Etats. J'écrirai aujourd'hui.

L'ordre du jour est la suite de la délibération sur les articles du projet de loi de douanes. La Chambre se rappelle l'amendement proposé dans la séance de vendredi, par M. Potteau d'Hancardrie, sur les toiles. M. Potteau d'Hancardrie a la parole.

M. Potteau d'Hancardrie. L'honorable rap. porteur de la commission a repoussé l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer, et qui a pour objet de reporter la toile de 12 fils à la seconde classe, en disant que cette toile payait 15 0/0, et qu'elle n'en paierait plus que 7.

Je croyais avoir prouvé que, suivant le projet, elle paierait 24 0/0 au lieu de 15; et, en effet, Messieurs, puisqu'on est convenu, dans un autre temps, qu'elle payait 8 0/0 au droit de 35 francs, elle en paiera nécessairement 24 au droit de 115 fr. 20 c., qui est celui qu'on vous propose, compris le décime. Cette toile peut à peine être évaluée 5 francs le kilogramme, mais admettons 5 francs placée dans la seconde classe, elle paiera encore plus de 14 0/0, prise isolément, et plus de 15, si on prend le terme moyen de toutes les toiles de la même classe. Le classement que je demande est donc conforme au principe que gouvernement a dit vouloir adopter. Aucune objection n'a été faite contre la modeste proposition de substituer les expressions moins de 8 fils, qui se trouvaient dans l'ancien tarif, à celles-ci 7 fils et au-dessous. Si je dois considérer ce silence comme un consentement, je ne m'en plaindrai pas. Quoi qu'il en soit, j'y persiste, parce que je crois ce changement utile, nécessaire même, pour empêcher les difficultés et les contestations entre les agents de la douane et le négociant, et pour que l'un des amendements ne nuise pas à l'autre, j'en demande la division.

le

M. de Saint-Cricq. C'est en effet, comme on yous le dit, Messieurs, une proposition fort modeste qui vous est faite, puisqu'il s'agit uniquement de la transposition d'un fil. Toutefois, cette

modeste proposition ne tend à rien moins qu'à bouleverser l'économie d'un travail fait à grande peine, et qui ne peut subir d'altération dans une de ses parties, sans cesser d'être vrai dans son ensemble. Nous vous avons dit que les droits équivalent à 15 0/0; ce qui veut dire que la valeur moyenne des toiles comprises dans une même classe, et cependant composées d'un nombre de fils différents, est telle, que la taxe de chacune d'elles, appliquée à cette valeur moyenne, représente assez exactement 15 0/0, tandis qu'elle représenterait nécessairement ou plus ou moins, si on l'appliquait à la valeur propre de chaque fraction prise isolément. Augmenter sur une de ces fractions, c'est prétendre nous condamner à compliquer tellement la perception qu'elle deviendrait impossible pour l'employé et vexatoire pour le négociant. J'ajoute que, dans le chiffre même qu'on a trouvé pour la toile de douze fils, on s'est gravement trompé; et une telle démonstration étant impossible à faire à cette tribune, commission, lequel, d'accord avec celui du gouj'invoque de nouveau le témoignage de votre vernement, non moins désintéressé qu'elle dans cette question, me semble, pour le point de fait, votre plus sûre règle. Cela posé, disons qu'un honorable député de Lille demande purement et simplement une diminution partielle sur le droit de 15 0/0, à défaut de la diminution générale que vous nous avez refusée. J'ai combattu la diminution générale, je ne puis que m'inscrire par les mêmes motifs, contre toute diminution partielle. Je demande le rejet de l'amendement.

Les deux parties de l'amendement de M. Potteau d'Hancardrie sont successivement mises aux voix et rejetées.

M. le Président fait lecture d'un amendement proposé en ces termes par M. Leclerc de Beaulieu.

« Toiles de lin ou de chanvre écrues ou sans apprêt (y compris les mouchoirs), dont la chaîne présente, dans l'espace de cinq millimètres:

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600

« 20 et au-dessus.. La parole est donnée à M. Leclerc de Beaulieu pour développer cet amendement.

M. Leclerc de Beaulieu. Messieurs, j'ai eu pour but dans la rédaction de mon amendement d'élever le droit sur les toiles étrangères à 25 0/0: je n'ai cependant atteint ce but que très imparfaitement; ayant supposé que les chiffres du projet de loi exprimaient un droit de 15 0/0, ce qui n'existe point. Le contraire m'est démontré par un excellent mémoire qui m'est parvenu trop tard pour que j'aie pu le remettre en temps utile à la commission des douanes. Ce mémoire prouve également la nécessité de la division de deux fils en deux fils jusqu'à 24 au moins, si l'on veut constater la valeur réelle des toiles soumises au droit et atteindre les toiles fines. Je ne reproduirai point ici les calculs et les raisonnements développés chaque année par nos négociants devant vos commissions des douanes.

Je partage l'opinion de M. le président du bureau de commerce, que l'on ne saurait se faire comprendre à la tribune avec des chiffres, qu'il faut y venir avec des faits. Eh bien, Messieurs,

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les faits, les voici. La vente annuelle du département de la Mayenne, qui s'élevait à 17 millions, ne dépasse pas maintenant 4 millions. Sur 16 blanchisseries qui existaient à Laval, dont une seule blanchissait jusqu'à 720,000 aunes par an (et ce n'était pas comme à Lille des toiles étrangères), trois ou quatre des plus petites seulement sont aujourd'hui en activité. Interpellez les députés des autres villes manufacturières, ils vous répondront que partout existe ce même état de décadence. Mon amendement, je le sais, n'est point en proportion avec nos souffrances; mais, délaissés comme nous le sommes, nous ne devons pas être trop exigeants, la modestie et la discrétion conviennent surtout à ceux qui ne trouvent qu'abandon et indifférence là où ils eussent dù trouver secours et protection.

Voici, Messieurs, ce que disait en 1824 l'honorable rapporteur de la commission :

« Quel a été le résultat d'un trop long abandon des principes? Des importations énormes qui, supportables peut-être jusqu'en 1820, si l'on considère les exportations qui les compensaient, se sont élevées progressivement pendant ces trois dernières années jusqu'au point d'excéder 30 millions de francs en 1823, époque où nos exportations ne se sont plus élevées qu'à 18 millions. » Je remarquerai que dans l'état de 1824 nos importations excédent 36 millions, et nos exportations continuent de ne s'élever qu'à 18 millions. Que si l'on me répond que cet ordre de choses est antérieur à l'ordonnance du 13 juillet 1825, je demanderai pourquoi l'on ne nous a fourni aucun état postérieur à cette époque; je demanderai si le silence sur le mouvement des derniers mois de 1825 n'équivaut pas à l'aveu de la nuilité de l'ordonnance et du refus de protection. Je reprends ma citation.

« Ce fait seul (continuait l'honorable rapporteur) parle assez haut pour ne laisser aucun doute sur l'indispensable nécessité de mettre obstacle à une invasion devenue si funeste à une industrie si digne de notre ttention. Aussi n'a-t-il rien moins fallu que les considérations que le gouvernement a fait valoir pour que la commission ne vous proposât pas d'élever ces droits à 30 0/0 au moins, droits qui seraient nécessaires pour être réellement efficaces... et nous faisons un grand sacrifice au désir de nous associer aux dispositions amicales qui ont dicté la proposition du gouvernement en ne proposant qu'une taxe, à notre avis insuffisante, de 20 0/0. »

Quelles étaient alors ces considérations qui avaient arrêté la commission? M. le président du bureau de commerce les avait expliquées dans l'exposé des motifs du projet de loi, après avoir énuméré tous nos griefs contre le gouvernement des PaysBas, après avoir remarqué que l'importation des toiles des Pays-Bas entrait pour cinq sixièmes et plus dans notre importation totale de toiles étrangères; que dans notre balance de commerce avec eux, les importations de toute espèce dépassaient 70 millions, et nos exportations ne s'élevaient pas à 50; M. le président du bureau de commerce concluait ainsi :

« Le gouvernement français n'a rien négligé pour obtenir du gouvernement des Pays-Bas le redressement d'une mesure (l'ordonnance du 20 août 1823) que rien de notre part n'a ni motivée, ni justifiée; il lui répugnerait de suivre un exemple qu'il n'a pas donné, d'atténuer son tarif par des distinctions dont il s'est jusqu'ici défendu. Il espère que la modération dont il use encore aujourd'hui, celle qu'il désire vous voir

T. XLVII.

conserver à vous-mêmes, ne sera perdue ni pour l'un ni pour l'autre pays. » Je vous en fais juges, Messieurs; cette dernière phrase ne contient-elle par l'engagement d'une modération, fondé sur la réciprocité, en même temps que celui d'une conduite toute différente en cas que cette modération soit perdue?

Ainsi, Messieurs, que ce droit de 20 0/0 ne fût point un droit protecteur pour nos toiles, qu'il ne fût que le résultat d'une modération calculée dans l'intérêt de quelques autres de nos produits, c'était un fait convenu en 1824, et depuis cette époque, une trop malheureuse expérience l'a confirmé de plus en plus. La question se réduit donc à celle-ci : Si nos fabriques de toiles ont dû être offertes en holocauste au gouvernement des Pays-Bas, quel fruit en a su retirer notre gouvernement? Si le droit de 20 0/0 proposé au moment même où l'on négociait a paru encore trop fort et a été baissé à 15, quel a été le prix d'une telle complaisance? Ceux qui sont condamnés à payer pour tous, ont bien le droit de demander quels avantages on a recueillis en retour de leur ruine. Comment le ministère se présente-t-il dans cette discussion, sans nous dire qu'il a obtenu le rapport de l'ordonnance du roi des Pays-Bas du 20 août 1823, sans nous démontrer par des états positifs que de nouveaux avantages commerciaux, non seulement ont fait cesser nos griefs, mais ont plus que compensé nos pertes sur nos fabriques de toiles? Le silence de M. le président du bureau de commerce, dans l'exposé des motifs de 1826, l'embarras de notre honorable rapporteur lorsqu'il se borne à des vœux stériles et à de vaines consolations, nous prouveraient-ils que nous n'avons rien à apprendre, que nous n'avons rien obtenu; que, d'une part, tout a été accordé, et que, de l'autre, rien n'a été cédé ? Eh quoi! l'Angleterre qui exerce une si grande influence dans les Pays-Bas, croit faire beaucoup en réduisant le droit sur les toiles à 25 0/0; et nous auxquels, selon l'expression de M. le président du bureau de commerce, les Pays-Bas imposent des génes, des entraves qu'ils épargnent aux autres, nous les craignons à ce point de ne pas oser protéger notre industrie à l'égal de celle de l'Angleterre Avec une telle faiblesse, remercions la Providence d'avoir donné à la France un beau ciel, un sol fertile, une population active et industrieuse, présents avec lesquels l'aisance et la prospérité ne sauraient lui manquer, malgré la large part de sacrifices que nous faisons à tous nos voisins.

Messieurs, l'on a dit, avec quelque raison, que la discussion de la loi de douanes n'était le plus souvent que le choc des divers intérêts particuliers. Ici, l'intérêt particulier existe encore; mais il va diminuant de jour en jour, et en quelques années il n'existera plus. Le département de la Mayenne, dont j'ai l'honneur d'être député, n'a point encore abandonné une manufacture qui lui est chère; qui depuis bien des années lui avait procuré quelque aisance malgré un sol ingrat, qui a laissé des souvenirs dans un grand nombre de familles; mais la manufacture abandonne le pays, et malgré tout ce qu'il pourra faire, il ne saurait longtemps la retenir. Nos fileuses cultivent la terre; des filatures de coton les remplacent; le tisserand fait du calicot. Aussi ai-je repoussé toute protection pour les toiles provenant d'un tribut quelconque demandé aux fabriques de coton. Qu'arrivera-t-il cependant à la première guerre maritime que la France aura à soutenir ? Je parle ici comme député de toute 4

M. le Président. Lundi, la Chambre reprendra sa délibération sur les articles du tarif des douanes. La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. RAVEZ.

Séance du lundi 10 avril 1826.

La séance est ouverte à deux heures par la lecture et l'adoption du procès-verbal.

M. le Président fait lecture d'une lettre par laquelle M. le vicomte de Gourgue annonce qu'il est empêché par l'état de sa santé de venir partager les honorables travaux de la Chambre; mais qu'il s'empressera de se rendre au milieu de ses collègues aussitôt que cela lui sera possible.

M. le Président. Quoique je connaisse parfaitement le désir et les vœux de la Chambre, je n'ai pas cru devoir écrire, avant d'avoir reçu son autorisation, au grand-maître des cérémonies de France, pour le prier de prendre les ordres du roi au sujet de la Chambre, relativement à l'anniversaire de la rentrée de Sa Majesté dans ses Etats. J'écrirai aujourd'hui.

L'ordre du jour est la suite de la délibération sur les articles du projet de loi de douanes. La Chambre se rappelle l'amendement proposé dans la séance de vendredi, par M. Potteau d'Hancardrie, sur les toiles. M. Potteau d'Hancardrie a la parole.

M. Potteau d'Hancardrie. L'honorable rap. porteur de la commission a repoussé l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer, et qui a pour objet de reporter la toile de 12 fils à la seconde classe, en disant que cette toile payait 15 0/0, et qu'elle n'en paierait plus que 7.

Je croyais avoir prouvé que, suivant le projet, elle paierait 24 0/0 au lieu de 15; et, en effet, Messieurs, puisqu'on est convenu, dans un autre temps, qu'elle payait 8 0/0 au droit de 35 francs, elle en paiera nécessairement 24 au droit de 115 fr. 20 c., qui est celui qu'on vous propose, compris le décime. Cette toile peut à peine être évaluée 5 francs le kilogramme, mais admettons 5 francs placée dans la seconde classe, elle paiera encore plus de 14 0/0, prise isolément, et plus de 15, si on prend le terme moyen de toutes les toiles de la même classe. Le classement que je demande est donc conforme au principe que le gouvernement a dit vouloir adopter. Aucune objection n'a été faite contre la modeste proposition de substituer les expressions moins de 8 fils, qui se trouvaient dans l'ancien tarif, à celles-ci

fils et au-dessous. Si je dois considérer ce silence comme un consentement, je ne m'en plaindrai pas. Quoi qu'il en soit, j'y persiste, parce que je crois ce changement utile, nécessaire même, pour empêcher les difficultés et les contestations entre les agents de la douane et le négociant, et pour que l'un des amendements ne nuise pas à l'autre, j'en demande la division.

M. de Saint-Cricq. C'est en effet, comme on vous le dit, Messieurs, une proposition fort modeste qui vous est faite, puisqu'il s'agit uniquement de la transposition d'un fil. Toutefois, cette

modeste proposition ne tend à rien moins qu'à bouleverser l'économie d'un travail fait à grande peine, et qui ne peut subir d'altération dans une de ses parties, sans cesser d'être vrai dans son ensemble. Nous vous avons dit que les droits équivalent à 15 0/0; ce qui veut dire que la valeur moyenne des toiles comprises dans une même classe, et cependant composées d'un nombre de fils différents, est telle, que la taxe de chacune d'elles, appliquée à cette valeur moyenne, représente assez exactement 15 0/0, tandis qu'elle représenterait nécessairement ou plus ou moins, si on l'appliquait à la valeur propre de chaque fraction prise isolément. Augmenter sur une de ces fractions, c'est prétendre nous condamner à compliquer tellement la perception qu'elle deviendrait impossible pour l'employé et vexatoire pour le négociant. J'ajoute que, dans le chiffre même qu'on a trouvé pour la toile de douze fils, on s'est gravement trompé; et une telle démonstration étant impossible à faire à cette tribune, l'invoque de nouveau le témoignage de votre commission, lequel, d'accord avec celui du gouvernement, non moins désintéressé qu'elle dans cette question, me semble, pour le point de fait, votre plus sûre règle. Cela posé, disons qu'un honorable député de Lille demande purement et simplement une diminution partielle sur le droit de 15 0/0, à défaut de la diminution générale que vous nous avez refusée. J'ai combattŭ la diminution générale, je ne puis que m'inscrire par les mêmes motifs, contre toute diminution partielle. Je demande le rejet de l'amendement.

Les deux parties de l'amendement de M. Potteau d'Hancardrie sont successivement mises aux voix et rejetées.

M. le Président fait lecture d'un amendement proposé en ces termes par M. Leclerc de Beaulieu.

Toiles de lin ou de chanvre écrues ou sans apprêt (y compris les mouchoirs), dont la chaîne présente, dans l'espace de cinq millimètres:

« 7 fils et au-dessous..

« 8, 9, 10 et 11 fils..

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12, 13, 14 et 15 fils.

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«< 20 et au-dessus. La parole est donnée à M. Leclerc de Beaulieu pour développer cet amendement.

M. Leclerc de Beaulieu. Messieurs, j'ai eu pour but dans la rédaction de mon amendement d'élever le droit sur les toiles étrangères à 25 0/0: je n'ai cependant atteint ce but que très imparfaitement; ayant supposé que les chiffres du projet de loi exprimaient un droit de 15 0/0, ce qui n'existe point. Le contraire m'est démontré par un excellent mémoire qui m'est parvenu trop tard pour que j'aie pu le remettre en temps utile à la commission des douanes. Ce mémoire prouve également la nécessité de la division de deux fils en deux fils jusqu'à 24 au moins, si l'on veut constater la valeur réelle des toiles soumises au droit et atteindre les toiles fines. Je ne reproduirai point ici les calculs et les raisonnements développés chaque année par nos négociants devant vos commissions des douanes.

Je partage l'opinion de M. le président du bureau de commerce, que l'on ne saurait se faire comprendre à la tribune avec des chiffres, qu'il faut y venir avec des faits. Eh bien, Messieurs,

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