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serait un dixième, et que si la consommation et, par suite, le nombre des travailleurs venaient aussi à se réduire d'un dixième, ce serait déjà un mal et un mal très grave. Mais je conteste ses calculs. Voici les miens: Une livre de coton produit 4 aunes de tissu ordinaire, du prix de 20 sous l'aune. Cette livre de coton paierait 10 sous par navires français, 14 sous par navires étrangers, terme moyen 12 sous, ou 60 centimes. Ajoutez le décime et un autre décime au moins pour l'avance de fonds du fabricant contribuable; voilà 75 centimes. Appliqués à une valeur dé 4 francs, c'est près de 18 0/0. Je vous laisse à penser, Messieurs, quelle perturbation porterait une telle charge dans une industrie qui, grâce à la modération actuelle du droit, a grandi dans une telle proportion, que, n'employant en 1813 (époque où nous tenions sous nos lois ou sous notre influence 60 millions de consommateurs, mais où d'énormes droits pesaient sur elle), que 9 millions de kilogrammes de matière, en employait déjà 17 millions en 1819, et s'est élevée en 1824 et 1825, à 26 millions de kilogrammes, terme moyen.

Et ne croyez pas que cette perturbation résultat seulement du découragement de consommation dans l'intérieur. Une perturbation plus grande peut-être naîtrait de la contrebande. Quelle prime nouvelle, Messieurs, qu'un surcroît de prix de 18, et peut être de 20 pour 100! Vous avez les meilleures douanes du monde; et savez-vous où va leur puissance quant aux tissus? à porter la prime d'assurance à 25 p. 0/0. Et cette prime serait insuffisante à nos fabriques, si la loi n'y eût judicieusement ajouté la puissance des recherches et de la saisie dans l'intérieur. Retranchez 20 p. 0/0 de cette prime, et comptez que vos fabriques sont désormais sans défense.

J'ai parlé des échanges utiles auxquels donne lieu l'achat du coton. L'honorable membre ne croit pas à ces échanges; on lui a assuré que les navires américains qui apportent le coton dans nos ports, s'en retournent le plus souvent sur leur lest. Je conviendrai volontiers que ces navires sont beaucoup moins chargés au retour qu'à l'arrivée, mais vous n'en concluerez rien contre l'importance de nos échanges, quand vous saurez qu'un tonneau de coton vaut 800 francs, et qu'un tonneau de soieries vaut 100,000 francs. Or, la moitié de nos ventes aux Etats-Unis consiste en soieries. En fait, nous avons reçu des Etats-Unis, en 1824, pour 50 millions de produits, dont 38 millions en coton et 5 millions en tabac. Nous leur avons fourni une valeur de 55 millions, dont 28 millions en soieries, 4 millions en autres tissus, et 9 millions en vins et en eaux-de-vie. Je ne connais pas encore exactement les résultats de l'année 1825; mais j'ai lieu de croire que nos exportations se seront élevées à 8 ou 10 millions de plus.

C'est du Brésil que nous vient la plus grande partie du coton que nous ne tirons pas des EtatsUnis; et nous lui vendons plus forte somme des produits de notre sol et de nos manufactures. J'ai lieu de croire que nous devrons très prochainement à la paternelle sollicitude du roi le bienfait d'un traité de commerce favorable avec ce pays. Le moment serait-il bien choisi pour iroubler, par une taxe que nos autres intérêts repoussent, des rapports qui promettent d'être si profitables, et qui peut-être même auront besoin pour s'accomplir de quelques modifications dans les droits actuellement perçus sur les cotons?

En résultat, Messieurs, je regarde la taxe proposée comme un présent ruineux offert au Trésor, comme une atteinte funeste au travail du pays, comme une infaillible altération de nos plus utiles moyens d'échange, et je supplie la Chambre de la rejeter.

M. de Berthier. Messieurs, les résultats que vient de vous présenter M. le commissaire du roi pourraient vous paraître effrayants, s'ils étaient tous de la plus grande exactitude, et s'ils n'étaient pas susceptibles d'être combattus. Il a présenté la proposition de M. de Saint-Chamans, non comme une protection accordée à certaines portions importantes de notre industrie, mais comme un impôt de 24 millions offert au Trésor. Je commence par combattre cette idée, car toute augmentation de tarif est une augmentation de produit pour le Trésor. Je suis étonné qu'on repousse aujourd'hui, avec tant de vivacité, l'augmentation proposée sur les cotons, lorsqu'on s'est montré si favorable à la demande d'augmentation sur les droits d'entrée des fers. C'était aussi un impôt cependant, et un impôt qui froissait considérablement notre industrie agricole.

Arrivons maintenant au fait : Quel est le but avoué par le gouvernement et par la commission des douanes ? C'est de protéger les intérêts intérieurs du royaume. L'important est de combiner les droits, de manière à ce que rien ne soit froissé, et que tout soit partagé dans une égale proportion. Je m'explique: Toutes les fois qu'une loi de douane, en favorisant les fabriques et les manufactures, froisserait le commerce ou l'agriculture, j'en demanderais la modification. Si une loi de douane, en protégeant d'une manière spéciale quelques parties d'industrie, froissait d'autres parties d'industrie, j'en démanderais également la modification: c'est ce qui se présente dans le cas actuel. Je crois que les fabriques de coton, qui sont d'une grande importance en elles-mêmes, et que nous sommes loin de vouloir arrêter dans leur essor, présentent de grands inconvénients, et diminuent d'une manière trop forte les avantages qui devraient résulter des draps, des soieries et surtout des toiles.

J'ajouterai que s'il est vrai, en économie politique, qu'une protection égale doit être accordée à tous les genres d'industrie, il semble que quand une industrie emploie des produits indigènes, s'il y avait faveur, la faveur devrait être pour ce genre d'industrie. Ainsi, les draps qui emploient nos laines, favorisent en même temps les progrès de l'agriculture. Les soieries présentent une partie de ces avantages: non seulement elles servent aux vêtements; elles sont encore favora bles à l'engrais des terres. Les toiles emploient un produit indigène de la plus haute importance, car, dans les départements où le chanvre est cultivé avec succès, cette culture est une véritable richesse.

Eh bien, Messieurs, il est positif que le commerce de nos toiles diminue tous les jours. Bientôt une des cultures les plus avantageuses sera à peu près anéantie. C'était dans cette hypothèse que la plupart des membres de la cominission demandaient d'une manière spéciale une augmentation d'entrée sur les toiles étrangères. Ün s'y est refusé en présentant des considérations qui me paraissent respectables. Mais alors on a porté ses vues d'un autre côté, et l'on a cherché à établir une balance entre le progrès excessif des cotonnades et la perte presque totale de nos toiles. Qu'y a-t-il là qui soit injuste? Rien sans doute.

Je dis même que c'est entrer dans le système le plus juste, celui de protéger dans une égale proportion tout ce qui peut procurer à la France avantage et prospérité.

On a parlé des exportations considérables qui ont lieu pour les cotonnades, et l'on a dit que l'amendement les annulerait. Il n'en est rien, puisque l'on pourrait prendre le parti que l'on suit à l'égard des draps, c'est-à-dire restituer à la sortie des tissus les droits qui ont été perçus à l'entrée de la matière première, comme on le fait à l'égard des laines. Quant à la consommation intėrieure, je ne puis me rendre aux calculs de M. le commissaire du roi. Il n'a parlé que des cotonnades à 20 sous l'aune, et ses calculs ne s'accordent pas avec ceux de M. de Saint-Chamans, que j'ai vérifiés ce matin, et que j'ai trouvés exacts. Je n'ai trouvé dans sa proposition qu'une augmentation de 2 sous sur les toiles à bas prix, et de 3 sous et quelques centimes sur celles d'un prix plus élevé.

S'il en est ainsi, Messieurs, croyez-vous que la consommation intérieure puisse être beaucoup diminuée, parce que nous paierons la toile de coton deux ou trois sous de plus par aune, et même parce que l'augmentation serait portée jusqu'à quatre ou cinq sous? Je crois que là consommation ne serait aucunement diminuée par cette addition. Je vous prie d'ailleurs d'observer que l'augmentation porterait surtout sur les classes aisées, car dans les campagnes le coton n'est employé que pour quelques usages très communs, comme pour robes et schals, tandis que les personnes plus aisées l'emploient pour les ameublements, pour le linge de corps, et en général pour la plus grande partie de leur consommation; ce qui expulse presque entièrement de l'intérieur des villes les toiles et les soieries. La consommation ne sera pas diminuée par une légère addition au prix, et quant aux exportations, la restitution du droit lèvera toute espèce de difficulté. En même temps que vous ne changeriez rien ni à la consommation intérieure, ni aux exportations, vous donneriez un secours nécessaire à trois de nos produits les plus avantageux. Il me semble que, dans de pareilles circonstances, c'est agir avec sagesse que d'obtempérer à la proposition de M. de Saint-Chamans.

Je ne ferai que résumer ce qui a été déjà dità cette tribune en vous faisant remarquer que les fabriques de nos draps, de nos soieríes et de nos toiles peuvent prospérer en temps de guerre comme en temps de paix, tandis qu'avec la supériorité maritime que l'Angleterre à conservée, nos fabriques de coton souffriraient essentiellement en cas de guerre. A cet égard, je vous rappellerai que M. le rapporteur de la commission, qui naturellement doit défendre les cotonnades avec intérêt, puisqu'il appartient à un département dont elles font la richesse...

M. Fouquier-Long. Je n'ai pas parlé en mon nom, mais au nom de la commission.

M. de Berthier. A la bonne heure; mais en témoignant la crainte que les ouvriers en coton n'eussent pas d'ouvrage, vous avez faît observer que ces ouvriers, n'étant accoutumés qu'à ce genre de travail, auraient de la peine à se livrer å une autre industrie. Cela est vrai, et c'est un inconvénient de l'emploi des mécaniques, que l'homme qui y travaille devient lui-même une espèce de machine et n'est propre qu'à cela.

Eh bien, Messieurs, sans doute il y aurait des époques où la nombreuse population qui est employée au travail des cotonnades pourrait se trouver sans ressources, l'époque où aurait lieu une guerre maritime. Je ne m'étendrai pas à cet égard; mais vous pouvez vous souvenir que la plupart des troubles qui ont eu lieu en Angleterre ont commencé à Manchester. Cette circonstance pourrait peut-être nous servir de leçon.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, je suis loin de vouloir diminuer les fabriques de coton; mais je suis persuadé que même avec les droits proposés, il pourra y avoir encore des améliorations. Je crois que les autres industries étant essentiellement froissés par le tarif, c'est un tort qu'il faut réparer. Cependant comme j'adopte volontiers la réflexion faite hier par M. le président du conseil, réflexion qui m'a engagé à ne pas insister sur l'amendement que j'avais proposé relativement au droit d'entrée des chevaux, et qui consiste en ceci : Qu'en matière de douanes il faut toujours procéder avec lenteur et précaution, je présente un sous-amendement à l'amendement de M. de Saint-Chamans, et je propose de réduire à moitié les droits qu'il a voulu mettre sur les cotons. Je crois que cette mesure n'aurait aucun inconvénient, et j'en suis tellement convaincu, que je m'engage à demander moi-même le rapport de mon sous-amendement, si l'on peut démontrer l'année prochaine que les fabriques de coton aient éprouvé la moindre perte, ou qu'un seul ouvrier soit resté sans ouvrage.

M. de Lastours. Je viens combattre l'amendement proposé par notre honorable collègue, M. de Saint-Chamans. Je le fais avec d'autant plus de regret que le but qu'il se propose est très honorable; mais ses moyens pour y arriver me paraissent insuffisants pour protéger notre agriculture et en même temps dangereux pour notre industrie manufacturière.

Que veut, en effet, l'auteur de l'amendement? Il cherche à protéger la fabrication de nos toiles et la culture de nos lins. Il n'est aucun de nous qui n'applaudisse à cette intention : chacun gémit avec lui de l'espèce de guerre que nous faisons aux produits de notre sol, en faveur des produits étrangers.

Pour remédier à cet abus, notre honorable collègue voudrait tellement élever les droits d'entrée sur les cotons en laine, que ces droits qui produisent aujourd'hui de 7 à 8 millions, donneraient au Trésor une augmentation d'environ 20 millions; en sorte que sur 64 millions de cotons qui entrent annuellement en France, le droit qui est, en ce moment, le 8° à peu près de sa valeur, serait porté aux deux cinquièmes de cette même valeur.

M. de Saint-Chamans observe que ce droit n'augmenterait que d'une manière insensible le prix des toiles de coton.

Mais l'on voit déjà le vice de la proposition, car ce n'est que l'augmentation du prix des tissus de coton qui peut favoriser la vente des toiles de lin; qu'importe au consommateur, que le coton paye 40 au lieu de 12 0/0, si le tissu qui en provient ne lui coûte que quelques sols de plus ? Il n'en achètera ni plus ni moins, et le débit des toiles de lin n'en sera nullement augmenté; de ce côté notre agriculture u'aura rien à gagner.

Toutefois, l'augmentation excessive du droit d'entrée nuirait essentiellement aux fabricants et ruinerait trop brusquement une branche d'industrie, dont on doit à la vérité diminuer la vi

gueur, mais qu'on ne doit affaiblir qu'avec l'aide du temps.

En principe, tout droit d'entrée sur une matière première étrangère à notre sol ne devrait être soumise à aucun droit, car dans ce cas notre production agricole se trouve totalement desiotéressée. Il n'en est pas de même lorsque la matière première figure parmi nos produits, mais en trop petite quantité pour suffire à la consommation; dans ce cas, le droit d'entrée devient indispensable pour garantir la production indigène contre la production exotique. Or, la culture du coton nous étant malheureusement interdite, voici le toit que fait le droit d'entrée à l'industrie qui met en œuvre cette matière étrangère.

Il entre, dit-on, en France, pour 64 millions de cotons en laine; ces cotons fabriqués donnent une valeur de 400 millions; par conséquent, 8,000 francs de coton rendent 50,000 francs de tissus.

En exigeant d'un fabricant 1,000 francs de droits sur 8,000 francs qu'il destinait à ses achats, vous réduirez d'un huitième la matière première qu'il se serait procurée, et vous diminuez, dans la même proportion, le travail de ses ouvriers, ainsi que le produit de ce travail. Tel est le résultat du tarif actuel.

Si vous adoptez le nouveau tarif qu'on vous propose, au lieu d'un huitième, la perte sur le travail et le produit manufacturé sera nécessairement des deux cinquièmes.

Voilà, Messieurs, les tristes conséquences de l'amendement.

L'auteur de la proposition veut, dit-il, imposer la consommation des tissus de coton; mais il se trompe, en ce qu'il impose les fabricants et non les consommateurs.

Et moi aussi j'appelle de tous mes vœux une taxe sur la consommation des tissus de coton; mais en même temps je désire ardemment la suppression du droit d'entrée sur les cotons en laine. A mon avis, les 8 millions que payent aujourd'hui les manufacturiers fout plus de tort à leur industrie qu'une taxe décuple qui serait à la charge des consommateurs. C'est à ceux-ci que vous pouvez demander impunément dix, quinze, et même 20 0/0, sans que la diminution de la consommation réagisse sensiblement sur les manufacturiers dégagés du droit d'entrée. Par ce moyen, au lieu de 7 à 8 millions que donnent actuellement les cotons, vous pourrez en obtenir dans la suite jusqu'à 80, et ramener graduellement les consommateurs à l'usage des toiles de lin et des étoffes de soie qui réclament si justement votre protection.

Je vote contre l'amendement.

M. Humann. S'il est vrai que la législation des douanes ne saurait être fondée sur des principes absolus, il n'est pas moins vrai que le défaut de fixité dans les doctrines est un mal, qu'il est dangereux d'improviser des systèmes sur une matière aussi compliquée, et que rien n'est plus décourageant pour l'industrie que de voir remet tre sans cesse en question les lois sur lesquelles elle fonde sa sécurité.

Vous voulez protéger le travail par le système de douanes dans lequel vous êtes engagés. L'adoption de l'amendement en discussion produirait inévitablement un résultat contraire; peu de mots suffiront pour le démontrer. Mais d'abord, à qui profiterait le tarif qui vous est proposé? ce ne serait pas apparemment aux consommateurs, car ils seraient obligés de payer plus cher

la marchandise fabriquée; ce ne serait pas non plus aux fabricants, dont les ressources, les capitaux productifs, seraient diminués par l'avance de la surtaxe, en même temps que leurs débouchés décroîtraient par le renchérissement de leurs produits.

La proposition se réduit donc à une question fiscale. Or, est-il certain que le fisc gagnerait les vingt millions qu'on lui promet? J'ai la profonde conviction du contraire, et ma conviction est fondée sur l'expérience.

Le tarif proposé diffère peu de celui de l'empire, et je me bornerai à vous rappeler un de ses résultats. Les sucres bruts y étaient imposés au droit de 220 francs, et le produit de cette taxe exagérée était, pour tout l'empire, d'une vingtaine de millions. Le droit est aujourd'hui de 49 fr. 50 c. seulement, c'est-à-dire de moins du quart, et son produit est pour la France réduite à ses anciennes limites, de plus de quarante millions; tant il est vrai qu'en matière d'impôt le revenu ne suit pas l'élévation des taxes, qu'il décroît au contraire quand celles-ci sont excessives. Mais quand même le fisc recueillerait du tarif proposé quelques millions de plus, je déplorerais pour ma part ce résultat, car il serait obtenu aux dépens d'une industrie précieuse; d'une source féconde de prospérité et de richesse, en un mot, aux dépens du bien-être général du pays. Et ne perdez pas de vue, M ssieurs, qu'il existe entre les éléments de la richesse du pays une intime solidarité, l'agriculture est en souffrance quand le travail manufacturier décroît; le bien-être général a pour condition le développement complet de toutes les parties de la fortune publique.

Je n'envisagerai point le principe que toute matière première, dont la fabrication procure une forte somme de travail, doit être adinise en franchise de tout droit. Je reconnais que s'il s'agit de matières que le pays peut produire, il est sage d'encourager la production indigène. Mais je soutiens que la franchise pleine et entière devrait être accordée à l'introduction des produits bruts que notre sol et notre climat nous refusent. L'auteur de l'amendement nous dit, il est vrai, que la Corse et le Sénégal sont très propres à la culture du coton et, sur la foi de ses espérances, il en fait un article de son tarif. Je n'ai en cela qu'une objection à faire: c'est que le premier cotonnier est à planter dans ces pays, et je ne pense pas que les lois doivent être fondées sur des éventualités, sur des projets et des épargnes à faire dont rien ne garantit le succès.

J'arrive au motif principal que l'on fait valoir en faveur de l'amendement, qui est de protéger la fabrication des toiles de lin, des étoffes de laine et des soieries. Les soieries et les étoffes de laine sont placées sous la protection la plus efficace qu'il soit possible d'accorder: la prohibition. Les toiles de lin sont protégées par de fortes taxes, que l'on peut renforcer encore si on les juge insuffisantes. Je ne vois donc pas que les exploitations de ces industries aient lieu de se plaindre. Et remarquez, Messieurs, combien leurs défenseurs sont peu d'accord avec eux-mêmes. D'abord ils vous signalent l'envahissement des cotons, et vous engagent à y mettre un terme; ensuite ils cherchent à vous rassurer sur le sort des manufactures de coton, et vous assurent que la surtaxe qu'ils provoquent ne changera rien à l'état des choses, qu'il ne se fabriquera pas une aune de toile de coton de moins. Une contradiction aussi evidente prouve assez, ce me semble,

que l'erreur est du côté de la proposition que je combats.

Il est une autre considération qui doit nous faire repousser l'amendement que je discute. Les douanes sont appelées à protéger l'industrie nationale contre la concurrence étrangère; mais peuvent-elles, doivent-elles intervenir dans les rapports des diverses branches de l'industrie du pays? A Dieu ne plaise que vous fassiez prévaloir ce système qui nous ramènerait insensiblement aux réglements de fabrication, aux jurandes, à toutes ces entraves dont le maintien prolongé a si bien servi nos rivaux et sans lesquelles la France serait devenue peut-être la première puissance industrielle du monde. La surtaxe est insignifiante, nous dit-on. Messieurs, appliquezla aux prix actuels des cotons, et vous vous convaincrez qu'elle représente, par terme moyen, une surcharge de 40 0/0. Songez-y, Messieurs, l'industrie des cotons est devenue pour la France la plus importante de toutes; elle emploie un milliard de capitaux; nul autre n'occupe un aussi graud nombre d'ouvriers, et cette belle conquête, Vous risqueriez de la compromettre pour procurer au Trésor une recette incertaine de quelques millions de plus? Non, il n'en sera pas ainsi. Je ne crains pas de le dire, l'ado tion de la mesure que l'on vous propose ne trouverait des approbateurs éclairés qu'au delà du détroit, parmi nos rivaux, jaloux de notre prospérité et toujours attentifs à profiter de nos erreurs et de nos fautes.

M. de Saint-Chamans. M. le commissaire du roi vous a dit, Messieurs, que mon amendement avait pour effet d'établir un impôt et non un revenu. Je lui réponds qu'il s'agit à la fois d'un impôt et d'un revenu, s'il appelle revenu la taxe mise pour protéger les tissus à l'intérieur ; car l'augmentation est de proteger les tissus français; c'est donc un revenu. C'est ensuite une taxe de consommation, et la meilleure de toutes; car les meilleures sont celles qui portent sur un objet d'une consommation étendue, et qui cependant n'est pas tout à fait de première nécessité.

Tout revenu n'est pas bon pour un Etat, a ajouté M. le commissaire du roi. Je conviens de ce principe, et c'est parce que l'impôt foncier, l'impôt sur les vins, sur les sels, l'impôt de la loterie, et d'autres encore sont trop pesants, qu'il serait important pour la France d'avoir une recette de 24 millions qui, sans faire de tort à personne, donnerait le moyen de diminuer celui de ces impôts qu'il serait le plus urgent de réduire.

M. le commissaire du roi a prétendu que mes calculs n'étaient pas exacts, et que le droit qu'il s'agit d'imposer serait de 18 0/0. Eh bien, Messieurs, le rapport de 18 à 100 est d'un sixième. Il s'agit donc d'imposer le sixième de 18 à 20 sous, ou bien 3 sous par aune de tissu commun, ce qui bien certainement n'arrêterait pas la consommation. Quant aux toiles fines, le droit serait si minime qu'on ne s'en apercevrait pas. La consommation ne sera donc pas diminuée; et si la consommation ne diminue pas, vous ne devez pas craindre de voir diminuer les exportations; car les besoins étant les mêmes, les mêmes demandes nous seront faites, soit du Brésil, soit des Etats-Unis.

Je ne regarde pas M. de Lastours comme un adversaire. Il voudrait un droit plus fort sur les cotous, mais un roit imposé à l'extérieur. Ce qu'il a dit à ce sujet me paraît être plutôt a l'ap

pui de mon opinion que contraire à mon amendement. Mais il a prétendu que le droit à l'entrée est payé par le fabricant. Le fabricant, tant que la consommation continuera, n'aura rien de plus à payer; il n'aura que quelques avances de plus à faire. Remarquez, Messieurs, que le droit qui existait avant la Restauration n'a pas empêché les fabricants de faire les avances. Il ne manquera jamais de capitaux en France pour un objet dont le débit sera assuré.

M. Humann s'est plaint qu'on inquiétât l'industrie Il faut convenir au moins qu'on ne l'inquiète pas souvent. Une loi de douanes. discutée en trois ans, ne peut lui donner d'extrêmes inquietodes; et si l'on ne prenait pas ce moment pour faire les propositions qu'on croit utiles, il faudrait renoncer à jamais rien améliorer, à jamais rien changer à ce qui existe.

On a dit aussi que c'était le tarif de l'empire que je proposais de rétablir; à cela je réponds que pour les longues sois je ne propose pas le cinquième du droit qui existait alors, et que je ne demande que le sixième pour les courtes soies.

On a dit encore qu'il n'y a pas de cotonniers en Corse, je ne le sais pas par moi-même, mais je tiens de M. Peraldi que des essais y ont été courounés de succès.

M. Sébastiani. Il n'y en a pas !

M. de Saint-Chamans. Je cite ce que l'on m'a dit. Je sais que les nouvelles cultures sont toujours très chères, et qu'il est impossible que la Corse soutienne dès à présent la concurrence avec les pays d'où nous tirons le coton; mais c'est justement à cela que je veux remédier par le droit que je propose, et qui, en soutenant nos premiers essais, ferait que plus tard la concurrence pourrait être soutenue.

L'orateur à qui je réponds en ce moment a prétendu que les anciens règlements de la France avaient fait de l'Angleterre la première puissance du monde. Je crois que le contraire est plus probable. C'est en 1787 et 1788 que pour la première fois, depuis le commencement du siècle, le commerce d'Angleterre a paru souffrir et que la balance du commerce a été contre elle. Cependant à cette époque les règlements dont on parle subsistaient en France. On sait que, depuis l'abolition de ces règlements, notre commerce de draps dans le Levant a beaucoup soulfert, parce qu'il s'est trouvé des fabricants qui y ont envoyé de mauvaises marchandises. Je sais néanmoins que ce n'est pas là la principale cause de la décadence de notre commerce, et que c'est la guerre qui a donné la supériorité à l'Angleterre, et qui l'a mise à même de commercer seule sur les mers. Le moyen de remédier à cela est d'avoir une marine qui nous mette en situation de ne jamais craindre qu'une autre puissance puisse commercer seule sur les mers.

On a demandé à quoi servirait l'impôt que je propose, s'il ne diminuait pas la fabrication. Il est facile de retourner cet argument. Ou l'impôt produira de l'effet, et alors nos toiles et notre agriculture seront protégées; où il ne produira aucun effet, et alors vous ne refuserez pas de prendre une recette de 24 millions qui ne fera de tort à personne, et qui vous donnera le moyen de diminuer le droit sur les sels ou quelque autre impôt.

Je conviens avec M. de Berthier qu'il pourrait y avoir de l'inconvénient à faire un changement trop brusque. Je me range donc à la proposition

qu'il vous a faite. Si vous l'adoptez, les tissus communs ne paieront qu'un sou l'aune, rien n'en sera dérangé, et l'Etat y gagnera 12 millions; ce sera un avantage pour tout le monde.

M. Fouquier-Long, rapporteur. Malgré tout ce qui vous a été dit dans la question qui vous occupe, je crois devoir prendre la parole pour insister sur une conséquence dangereuse de la mesure proposée, qui ne vous a pas été signalée : je veux parler du danger de la contrebande. On fait des calculs pour prouver que le droit ne pèserait que pour deux ou trois sous sur chaque aune de tissu fabriqué. Peut-être ne résulterait-il pas de là un avantage assez grand pour qu'on cherchât à faire la contrebande sur les tissus de coton; mais il y aurait avantage à faire une autre espèce de contrebande qui serait ruineuse pour nos fabriques celle des cotons filés. Lorsque, d'après l'amendement de M. de Saint-Chamans, on aurait imposé un droit de 100 franes sur 100 kilogrammes de coton, la valeur de cette denrée sera augmentée de 1 à 2. Or, je vous le demande, ne sera-t-il pas possible à un homme de se charger de 20 livres de coton filé et de l'introduire en contrebande? il trouvera 10 francs de bénéfice chaque fois qu'il recommencera son expédition; il y a là de quoi le tenter. Bientôt nos filatures se trouveraient inactives; l'immense population qu'elles enrichissent, privée de travail, ne consommerait plus ni les toiles de lin ni les tissus de laine qu'on veut protéger. On serait donc bien loin d'avoir atteint le but qu'on se propose. Je crois donc qu'alors même qu'on regarderait comme impossible de faire la contrebande sur les tissus, il faudrait redouter celle qui pourrait être faite sur les cotons filés, et c'est une raison suffisante pour déterminer le rejet de l'amendement.

M. le Président met aux voix le sous-amendement de M. de Berthier, ayant pour objet de réduire à la moitié les différents droits proposés par M. de Saint-Chamans, sous amendement auquel N. de Saint-Chamans s'est réuni. (La Chambre le rejette.)

M. le Président. M. de Puymaurin demande la suppression du droit d'entrée sur les sangsues. (On rit.) M. de Puymaurin a la parole.

M. de Puymaurin. Messieurs, vous devez être étonnés de l'amendement que j'ai l'honneur de présenter à la Chambre, en demandant l'exemption de tous droits, tant sur l'importation que sur l'exportation des sangsues. Ce qui m'a déterminé à présenter cet amendement, c'est le peu de revenu que présente cet impôt, 2,294 francs, la difficulté de le lever, les contraventions ìnévitables, et qui causent des procès-verbaux, des amendes ruineuses. L'an passe, deux habitants des Pyrénées, de mon département, revenant d'Espagne, où ils avaient été employés comme faucheurs, passant auprès d'un lac fécond en sangsues, en raniassèrent environ 2,000, qu'ils portérent chez eux, ne croyant pas que ces insectes dégoûtants fussent sujets à payer des droits à leur entrée en France. Ils furent condamnés à une amende de 250 francs. L'humanité de notre bon collègue, M. de Castelbajac, lui fit réformer cette cruelle décision, et les malheureux paysana ne payèrent que 50 francs.

Depuis cette époque, on continue d'importer des sangsues en France, dans des havresacs, en

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passant par des sentiers périlleux. Les commis ne se soucient guère de mettre la main dans le sac. (On rit beaucoup.) L'impôt reste odieux et ne se paie pas.

Depuis que le système du feu docteur Sangrado, de saignante mémoire, a gagné l'Europe et l'Amérique (Nouveaux rires), les marais de la France ne peuvent fournir assez de sangsues à l'Angleterre et aux Etats-Unis. Les sangsues venant d'Espagne, augmentent notre exportation, et sont pour nous une vraie marchandise de transit.

Au reste, ces ramasseurs de sangsues ont à craindre, outre les douaniers de France, la jalousie des Espagnols qui suivent le même commerce. Il y a environ huit mois que ces barbares prirent un Français qui cherchait des sangsues: ils le mirent tout nu, l'attachèrent à un arbre, et lui appliquèrent les sangsues qu'il portait. (Mouvement). Ce malheureux, ainsi abandonné, aurait péri sous la morsuré de ces sangsues, si des Français, ses camarades, ne l'avaient délivré. (Même mouvement.) On me dira peut-être que l'importation des sangsues étrangères gêne l'industrie de ceux qui, après avoir trouvé le genre de nourriture qui leur convient, étudié leurs mœurs et même leurs amours (Eclats de rire), se vouent à l'éducation des sangsues, je répondrai que ces sangsues deviennent, ainsi rassemblées, la proie de leurs ennemis, les rats d'eau et les canards sauvages. (On rit de nouveau.) Un cultivateur de la Sologne ayant gagné 30,000 francs, dans quatre ans, par le commerce des sangsues, les avait multipliées dans un petit étang aŭ nombre de 200,000 disponibles dans l'année. 11 regardait son étang comme un nouveau Pactole (On rit), quand plusieurs vols de canards sauvages, chassés du nord de l'Europe par la rigueur de l'hiver, s'abattirent sur son étang, et dans vingt-quatre heures eurent englouti ses sangsues et ses espérances. (Rire prolongé. )

En attendant qu'un nouveau système ennemi des humeurs ait succédé au système sanguinaire actuel (On rit.), que l'on ait dressé un martyrologe des victimes des sangsues, nous ne pouvons gêner une importation que l'on croit nécessaire. Déjà les Hippocrates d'Italie, ne connaissant que l'émétique, disent non aux sangsues, tandis que les Galliens français disent encore oui (On rit.) : la discorde s'est introduite dans le sanctuaire d'Hygie. Peut-être en bannira-t-on les sangsues; alors le droit serait inutile, et les sangsues ne seront plus un mal nécessaire, et un objet de re

venu.

Je demande que les droits sur l'importation et l'exportation des sangsues soit aboli.

M. de Saint-Cricq. La Chambre comprendra aisément qu'on tient peu à un droit qui ne rapporte que deux mille francs. Mais il n'y a pas au tarif un seul article qui n'ait une taxe quelconque; on ne peut pas mettre une taxe de zéros: qu'on mette un chiffre quelconque, aussi faible que l'on voudra, 5 centimes si l'ou veut ; mais il faut mettre un chiffre.

M. de Puymaurin. Eh bien, je demande qu'on mette cinq centimes.

M. le Président met aux voix cet amendement de M. de Puymaurin, ainsi modifié. Il est rejeté.

M. le Président. M. de Puymaurin demande la réduction de moitié des droits sur le plomb

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