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aisance bornée, ne peut rien risquer sans tout compromettre. Relisez l'histoire. Les hommes sans propriété sont les instruments des factions; mais les chefs des factieux furent de tout temps de grands propriétaires.

Enfin, j'arrive à la dernière question: Les substitutions sont-elles favorables, soit à la propriété comme augmentant sa valeur, soit aux propriétaires, comme les maintenant dans un état d'aisance?

Ici je suis forcé de vous rappeler quelques-unes des choses qui vous ont déjà été dites; mais je tâcherai de les resserrer en peu de mots.

Que font les substitutions? Elles enlèvent à celui qui aurait intérêt à vendre une propriété la faculté de la vendre; elles privent celui qui aurait intérêt à acheter une propriété, de la faculté de l'acheter. Par là même elles empêchent l'homme dans les mains duquel la propriété est plus ou moins stérile de l'échanger contre des capitaux dont il tirerait un plus grand avantage, et elles empêchent l'homme qui vendrait cette propriété productive et féconde d'employer ses capitaux à la féconder. Par elles, le non propriétaire trouve plus difficile d'arriver à la propriété; le propriétaire trouve impossible d'ainéliorer sa propriété par son crédit.

Les substitutions ôtent aux biens-fonds le caractère le plus précieux que puissent avoir aujourd'hui tous les geures de biens, je veux dire la circulation, qui, se prêtaut à tous les calculs, à tous les besoins, à toutes les spéculations individuelles, favorise tous les perfectionnements.

Les substitutions enfantent les procès, favorisent la fraude, créent les embarras, attisent les haines domestiques.

Lisez le préambule de l'ordonnance de 1747, vous y verrez le grand nombre de difficultés que les substitutions font éclater, l'infinité de contestations qu'elles suscitent; en sorte, dit ce préambule, que par un événement contraire aux vues de l'auteur de la substitution, il est arrivé que ce qu'il avait ordonné pour l'avantage de sa famille en a causé la ruine.

Et cependant l'ordonnance de 1747 date d'une époque où l'égalité n'était pas encore un principe reçu, où le sentiment de l'égalité ne s'était pas infiltré dans tous les coeurs avec l'air qu'on respire, où le dogme de l'égalité n'avait point en sa faveur les serments du troue. On remarque dans l'auteur de ce préambule la crainte de toucher aux privileges chéris d'une caste puissante. Il proteste qu'il ne veut point porter atteinte à la liberté de faire des substitutions, qu'il ne se propose que de les rendre plus utiles aux familles mêmes.

Mais après ce tribut payé aux prétentions et aux vanités, il est contraint de reconnaître que ces vanités, ces prétentions, et la complaisance de la loi qui les autorise, nuisent au commerce, et font de la législation un labyrinthe hérissé de piéges, et fertile en contestations.

Les substitutions, dit-on, conservent les familles. Eh! Messieurs, consultez les faits, les familles qui ont joui de substitutions ont toujours langui, dépéri, succombé sous le poids de ce privilége onéreux et illusoire. Si l'on prenait en main le dictionnaire des noms historiques de la France, on les verrait, malgré les substitutions qui devaient perpétuer les mêmes propriétés dans le même sang, s'éteindre au bout d'un très petit nombre de générations, et ces noms reportés, soit par des alliances, soit par les faveurs royales, à d'autres familles.

Si nous tournons nos regards vers l'étranger, tous les pays, où les substitutions furent le plus en force, nous montreraient les races nobiliaires gênées, au milieu d'une opulence illusoire; sans crédit, malgré d'immenses possessions mal cultivées, et subissant prématurément je ne sais quel rapetissement graduel, châtiment imposé par la nature aux classes qui veulent s'isoler du reste de l'espèce humaine.

Et comptez-vous pour rien, Messieurs, les effets qu'auraient les substitutions sur notre ordre constitutionnel? J'aperçois en elles le germe d'une aristocratie qui, se concentrant toujours davantage, par la seule force des choses, attirerait, plus ou moins rapidement, dans son enceinte privilégice les électeurs et les éligibles, dénaturerait ainsi toutes les portions constitutives de la monarchie fondée sur la Charte, rendrait la portion élective aussi héréditaire et plus oligarchique que la véritable et seule aristocratie consacrée par cette Charte, préparerait des embarras pour le trône, en le séparant du peuple, comme autrefois, par une caste de propriétaires substitués qui s'empareraient de tous les pouvoirs, et ne léguerait à ce même peuple, justement blessé de cette réintroduction de l'inégalité dans un régime dont l'égalité fait la base, que la misère, le mécontentement, la désaffectation et tous les maux qui en résultent car la majorité de ce peuple, privé de ses droits et trompé dans sa coufiance, ne se verrait pas seulement dépouillé par la concentration des propriétés. A cette concentration se joindrait bientôt nécessairement celle des emplois. Il faudrait nourrir les parents déshérédités de ceux qu'auraient enrichis les substitutions. Il faudrait les entourer eux-mêmes de luxe et de richesse. L'éclat, et pour employer l'expression à la mode, l'honneur des familles exigeraient que la fortune publique vint au secours des membres maltraités de ces familles favorisées dans leur chef; et de la sorte après avoir créé, par le droit, le monopole des propriétés territoriales, on le compléterait de fait par le monopole des salaires.

Ce serait, sous ce rapport, l'ancien régime, non dans sa splendeur, mais dans ses vexations et son injustice, sous d'autres formes et sous un autre nom. Ce serait pis que l'ancien régime. Car l'ancien régime, en réservant tout ce qu'il y avait de brillant pour la noblesse, lui défendait de déroger par des professions obscures et lucratives, qui restaient ouvertes aux autres classes. Aujourd'hui rien ne déroge, et parmi les moyens de soutenir les noms historiques, on compte les bureaux de loterie et les débits de tabac.

Je crois avoir résolu, aussi bien du moins que j'étais capable de le faire, les questions de principe. Il en reste une néanmoins qui ne tient pas aux principes, mais qui, pour vous, Messieurs, n'en est pas moins grave.

L'industrie et la propriété peuvent au fond être amies. La circulation libre des propriétés même territoriales, peut être un moyen de prospérité, leur concentration peut être un mal, les substitutions peuvent avoir des effets fâcheux et injustes; mais au milieu de l'état social qui va se créant, avec cette circulation des propriétés, avec ces envahissements de l'industrie, que deviendra la noblesse?

Nous voici sur un autre terrain. Nous avions déjà passé des choses aux personnes, des propriétés aux propriétaires : nous passons maintenant aux prérogatives, des propriétaires aux privilégiés. Mais soyons toujours de bonne foi, et peut-être nous entendrons-nous.

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ouverte à quiconque a les moyens d'y entrer, ou une classe plus ou moins fermée, et par conséquent objet de malveillance et d'envie.

Je puis me tromper, mais je n'hésite pas à me prononcer en faveur de la première opinion. Le règne des castes est passé. Que ce soit un mal, que ce soit un bien, n'importe. C'est un fait. Dès lors, moins une classe de la société ressemble à une caste, mieux cela vaut pour elle. Or, ce qui caractérise les castes, c'est le monopole. Plus vous désirez que la propriété soit sacrée, plus vous devez lui ôter tonte ressemblance avec le monopole.

Remarquez en même temps que l'industrie, tout en mettant la propriété plus en circulation, fournit cependant aussi à ceux qui veulent conserver leur propriété plus de moyens de la conserver. S'ils ne s'obstinent point à rester étrangers au mouvement du siècle, s'ils veulent profiter des occasions de richesse que l'industrie leur offre, ils seront moins souvent contraints d'aliéner leurs terres.

La qualité d'industriel, car les grandes exploitations agricoles sont une industrie, la qualité d'industriel, dis-je, doit aujourd'hui se réunir à celle de propriétaire. Alors rien ne se combat el tout se concilie. Le propriétaire s'attache à ses domaines sous un double rapport. Il a plus de moyens de les féconder; et, par là même, il est plus sûr de n'être pas réduit à les vendre.

Quant au second résultat de l'industrie, le morcellement des propriétés, ce morcellement est-il un mal? Je ne puis aborder ici la question si bien discutée dans une autre Chambre, de la petite ou de la grande culture, question dont la solution serait indispensable pour apprécier les dangers ou les avantages du morcellement. Mais je dirai qu'à l'exception de circonstances extraordinaires et momentanées, telles que celles qu'avait créées la Révolution, le morcellement des terres s'arrêtera toujours au point au delà duquel il deviendrait funeste; que déjà il s'est arrêté; que l'espèce de passion avec laquelle la classe laborieuse semble aspirer encore à la qualité de propriétaire, tient en grande partie aux vexations qu'elle a éprouvées durant des siècles, en sa qualité de prolétaire; qu'elle voit dans ses réminiscences du passé et dans ses craintes que je n'appellerai pas tout à fait chimériques sur l'avenir qu'on lui prépare, l'acquisition d'une propriété, si faible qu'elle soit, comme sa sortie d'une situation humiliante et sans défense, et qu'un arpent de terre lui paraît un asile ou une

centrée dans les mains d'un petit nombre de grands
propriétaires?

Sur ce point, je pressens qu'on m'opposera l'a-
ristocratie anglaise, appuyée en effet sur une con-
centration effrayante des propriétés; mais il serait
facile de démontrer que c'est à des causes toutes
différentes de cette concentration et des substi-
tutions qui la maintiennent que sont dues et l'il-
lustration et l'influence de cette puissante aris-
tocratie. Cette influence et cette illustration sont
la récompense de ce que, depuis le roi Jean, une
portion nombreuse de cette aristocratie habile ou
généreuse s'est identifiée avec les intérêts popu-
laires; et si elle est encore respectée dans ce siècle
industriel et sous quelques rapports niveleurs,
c'est que, lors d'une mémorable crise, elle s'est
acquis un double titre à la reconnaissance du
people, d'une part, en sauvant sa liberté civile et
religieuse des serres d'une corporation redouta-
ble qui s'était emparée d'un monarque faible; et,
d'une autre part, eu empêchant un mouvenient
nécessaire de tomber aux mains d'une démocratie
violente et rancuneuse.

il

Et cependant, Messieurs, est-ce bien le moment de nous vanter la concentration des propriétés en Angleterre, quand, tous les trois ou quatre ans, la classe déshéritée se soulève, et n'est refoulée dans l'ordre établi que par le déploiement de la force armée ? Me dira-t-on qu'elle se soulève contre l'industrie, qu'elle n'attaque pas les châteaux, mais les métiers et les machines qui lui disputent ses moyens de subsistances?

Sans doute, elle s'en prend à ce qui lui paraît la cause immédiate de son dénuement; mais qui be sent que ce dénuement tient à une cause plus éloignée, le système de concentration, qui laisse des milliers de prolétaires à la merci de chaque circonstance, et fait tourner jusqu'aux perfectionnements et aux inventions les plus utiles au détriment de l'humanité?

Et n'est-il pas remarquable que la Grande-Bretagne soit le seul pays où l'abolition totale de la propriété se trouve professée par une secte politique, qui. tantôt, violente, et tantôt philanthropique, fait, sous cette double forme, de rapides progrès? Il n'y a peut-être pas un homme en France qui ne recule devant cette opinion. Pourquoi? C'est qu'en France les propriétés divisées attachent au système propriétaire tous les intérêts. tandis qu'en Angleterre les propriétés concentrées irritent et provoquent les intérêts les plus actifs et les besoins les plus impérieux. Et qu'il me soit permis de répondre en passant à un autre raisonnement qu'on reproduit sans

egide. Ce motif existe moins aujourd'hui esse, parce qu'il a un fond de vérité; mais on le

n'existerait plus du tout sous un régime réellement libre, et l'on peut affirmer que l'homme agissant alors d'après son intérêt, sans en être détourné par des considérations étrangères, ces terres ne se diviseraient qu'autant qu'il le faut pour être mieux cultivées et plus productives.

J'ajouterai que toutes ces lamentations ministérielles sur le résultat fâcheux du morcellement des propriétés, contrastent d'une manière bizarre avec d'autres lamentations sur la trop grande abondance de la production. Certes, si la terre, morcelée comme elle l'est, produit plus qu'autrefois, le morcellement, du moins tel qu'il est jusqu'ici, ne la rend pas stérile. Car si l'effet du morcellement était de rendre la culture moins bonne et par conséquent la terre moins productive, d'où viendrait la surabondance ruineuse dont vous vous plaignez si pathétiquement?

Je passe à la seconde question. Est-il désirable pour un pays que la propriété territoriale soit con

lui enlève, où le fausse, en confondant deux idées distinctes.

Sans doute, les propriétaires fonciers sont des appuis de l'ordre social; mais cet avantage et ce mérite appartiennent bien plus à la classe nombreuse de propriétaires de ces moyennes fortunes que tout désordre pourrait engloutir, qu'a ce petit nombre de grands propriétaires dont les possessions inébranlables par leur masse même bravent les révolutions et se retrouvent, après l'orage, reconstituées comme par miracle. L'homme qui n'a rien à perdre est menaçant pour la société, je ne le nie pas; mais celui qui peut beaucoup perdre, sans être ruiné, n'est pas moins dangereux. L'un risque ce qu'il n'a pas peu lui importe; l'autre risque une partie de ce qu'il a : et peu lui importe aussi; car il espère de gagner beaucoup cu conserver le reste. Celui-là seul est attaché à l'ordre établi, qui, ne possédant qu'une

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aisance bornée, ne peut rien risquer sans tout compromettre. Relisez l'histoire. Les hommes sans propriété sont les instruments des factions; mais les chefs des factieux furent de tout temps de grands propriétaires.

Enfin, j'arrive à la dernière question: Les substitutions sont-elles favorables, soit à la propriété comme augmentant sa valeur, soit aux propriétaires, comme les maintenant dans un état d'aisance?

Ici je suis forcé de vous rappeler quelques-unes des choses qui vous ont déjà été dites; mais je tâcherai de les resserrer en peu de mots.

Que font les substitutions? Elles enlèvent à celui qui aurait intérêt à vendre une propriété la faculté de la vendre; elles privent celui qui aurait intérêt à acheter une propriété, de la faculté de l'acheter. Par là même elles empêchent l'homme dans les mains duquel la propriété est plus ou moins stérile de l'échanger contre des capitaux dont il tirerait un plus grand avantage, et elles empêchent l'homme qui vendrait cette propriété productive et féconde d'employer ses capitaux à la féconder. Par elles, le non propriétaire trouve plus difficile d'arriver à la propriété; le propriétaire trouve impossible d'améliorer sa propriété par son crédit.

Les substitutions ôtent aux biens-fonds le caractère le plus précieux que puissent avoir aujourd'hui tous les geures de biens, je veux dire la circulation, qui, se prêtaut à tous les calculs, à tous les besoins, à toutes les spéculations individuelles, favorise tous les perfectionnements.

Les substitutions enfantent les procès, favorisent la fraude, créent les embarras, attisent les haines domestiques.

Lisez le préambule de l'ordonnance de 1747, vous y verrez le grand nombre de difficultés que les substitutions font éclater, l'infinité de contestations qu'elles suscitent; en sorte, dit ce préambule, que par un événement contraire aux vues de l'auteur de la substitution, il est arrivé que ce qu'il avait ordonné pour l'avantage de sa famille en a causé la ruine."

Et cependant l'ordonnance de 1747 date d'une époque où l'égalité n'était pas encore un principe reçu, où le sentiment de l'égalité ne s'était pas infiltré dans tous les cœurs avec l'air qu'on respire, où le dogme de l'égalité n'avait point en sa faveur les serments du troue. On remarque dans l'auteur de ce préambule la crainte de toucher aux privileges chéris d'une caste puissante. Il proteste qu'il ne veut point porter atteinte à la liberté de faire des substitutions, qu'il ne se propose que de les rendre plus utiles aux familles mêmes.

Mais après ce tribut payé aux prétentions et aux vanités, il est contraint de reconnaître que ces vanités, ces prétentions, et la complaisance de la loi qui les autorise, nuisent au commerce, et font de la législation un labyrinthe hérissé de piéges, et fertile en contestations.

Les substitutions, dit-on, conservent les familles. Eh! Messieurs, consultez les faits, les familles qui ont joui de substitutions ont toujours langui, dépéri, succombé sous le poids de ce privilége onéreux et illusoire. Si l'on prenait en main le dictionnaire des noms historiques de la France, on les verrait, malgré les substitutions qui devaient perpétuer les mêmes propriétés dans le même sang, s'éteindre au bout d'un très petit nombre de générations, et ces noms reportés, soit par des alliances, soit par les faveurs royales, à d'autres familles.

Si nous tournons nos regards vers l'étranger, lous les pays, où les substitutions furent le plus en force, nous montreraient les races nobiliaires gênées, au milieu d'une opulence illusoire; sans crédit, malgré d'immenses possessions mal cultivées, et subissant prématurément je ne sais quel rapetissement graduel, châtiment imposé par la nature aux classes qui veulent s'isoler du reste de l'espèce humaine.

Et comptez-vous pour rien, Messieurs, les effets qu'auraient les substitutions sur notre ordre constitutionnel? J'aperçois en elles le germe d'une aristocratie qui, se concentrant toujours davantage, par la seule force des choses, attirerait, plus ou moins rapidement, dans son enceinte privilégice les électeurs et les éligibles, dénaturerait ainsi toutes les portions constitutives de la monarchie fondée sur la Charte, rendrait la portion élective aussi héréditaire et plus oligarchique que la véritable et seule aristocratie consacree par cette Charte, préparerait des embarras pour le trône, en le séparant du peuple, comme autrefois, par une caste de propriétaires substitués qui s'empareraient de tous les pouvoirs, et ne léguerait à ce même peuple, justement blessé de cette reintroduction de l'inégalité dans un régime dont l'égalité fait la base, que la misère, le mécontentement, la désaffectation et tous les maux qui en résultent car la majorité de ce peuple, privé de ses droits et trompé dans sa coufiance, ne se verrait pas seulement dépouillé par la concentration des propriétés. A cette concentration se joindrait bientôt nécessairement celle des emplois. Il faudrait nourrir les parents déshérédités de ceux qu'auraient enrichis les substitutions. Il faudrait les entourer eux-mêmes de luxe et de richesse. L'éclat, et pour employer l'expression à la mode, l'honneur des familles exigeraient que la fortune publique vint au secours des membres maltraitės de ces familles favorisées dans leur chef; et de la sorte après avoir crée, par le droit, le monopole des propriétés territoriales, on le compléterait de fait par le monopole des salaires.

Ce serait, sous ce rapport, l'ancien régime, non dans sa splendeur, mais dans ses vexations et son injustice, sous d'autres formes et sous un autre nom. Ce serait pis que l'ancien régime. Car l'ancien régime, en réservant tout ce qu'il y avait de brillant pour la noblesse, lui défendait de déroger par des professions obscures et lucratives, qui restaient ouvertes aux autres classes. Aujourd'hui rien ne déroge, et parmi les moyens de soutenir les noms historiques, on compte les bureaux de loterie et les débits de tabac.

Je crois avoir résolu, aussi bien du moins que j'étais capable de le faire, les questions de principe. Il en reste une néanmoins qui ne tient pas aux principes, mais qui, pour vous, Messieurs, n'en est pas moins grave.

L'industrie et la propriété peuvent au fond être amies. La circulation libre des propriétés même territoriales, peut être un moyen de prospérité, leur concentration peut être un mal, les substitutions peuvent avoir des effets fâcheux et injustes; mais au milieu de l'état social qui va se créant, avec cette circulation des propriétés, avec ces envahissements de l'industrie, que deviendra la noblesse?

Nous voici sur un autre terrain. Nous avions déjà passé des choses aux personnes, des propriétés aux propriétaires: nous passons maintenant aux prérogatives, des propriétaires aux privilégiés. Mais soyons toujours de bonne foi, et peut-être nous entendrons-nous.

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ouverte à quiconque les moyens d'y entrer, ou une classe plus ou moins fermée, et par conséquent objet de malveillance et d'envie.

Je puis me tromper, mais je n'hésite pas à me prononcer en faveur de la première opinion. Le règne des castes est passé. Que ce soit un mal, que ce soit un bien, n'importe. C'est un fait. Dès lors, moins une classe de la société ressemble à une caste, mieux cela vaut pour elle. Or, ce qui caractérise les castes, c'est le monopole. Plus vous désirez que la propriété soit sacrée, plus vous devez lui ôter tonte ressemblance avec le monopole.

Remarquez en même temps que l'industrie, tout en mettant la propriété plus en circulation, fournit cependant aussi à ceux qui veulent conserver leur propriété plus de moyens de la conserver. S'ils ne s'obstinent point à rester étrangers au mouvement du siècle, s'ils veulent profiter des occasions de richesse que l'industrie leur offre, ils seront moins souvent contraints d'aliéner leurs terres.

La qualité d'industriel, car les grandes exploitations agricoles sont une industrie, la qualité d'industriel, dis-je, doit aujourd'hui se réunir à celle de propriétaire. Alors rien ne se combat et tout se concilie. Le propriétaire s'attache à ses domaines sous un double rapport. Il a plus de moyens de les féconder; et, par là même, il est plus sûr de n'être pas réduit à les vendre.

centrée dans les mains d'un petit nombre de grands
propriétaires?

Sur ce point, je pressens qu'on m'opposera l'a-
ristocratie anglaise, appuyée en effet sur une con-
centration effrayante des propriétés; mais il serait
facile de démontrer que c'est à des causes toutes
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tutions qui la maintiennent que sont dues et l'il-
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la récompense de ce que, depuis le roi Jean, une
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généreuse s'est identifiée avec les intérêts popu-
laires; et si elle est encore respectée dans ce siècle
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c'est que, lors d'une mémorable crise, elle s'est
acquis un double titre à la reconnaissance du
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religieuse des serres d'une corporation redouta
ble qui s'était emparée d'un monarque faible; et,
d'une autre part, en empêchant un mouvenient
nécessaire de tomber aux mains d'une démocratie
violente el rancuneuse.

Quant au second résultat de l'industrie, le morcellement des propriétés, ce morcellement est-il un mal? Je ne puis aborder ici la question si bien discutée dans une autre Chambre, de la petite ou de la grande culture, question dont la solution serait indispensable pour apprécier les dangers ou les avantages du morcellement. Mais je dirai qu'à l'exception de circonstances extraordinaires et momentanées, telles que celles qu'avait créées la Révolution, le morcellement des terres s'arrêtera toujours au point au delà duquel il deviendrait funeste; que déjà il s'est arrêté; que l'espèce de passion avec laquelle la classe laborieuse semble aspirer encore à la qualité de propriétaire, tient en grande partie aux vexations qu'elle a éprouvées durant des siècles, en sa qualité de prolétaire; qu'elle voit dans ses réminiscences du passé et dans ses craintes que je n'appellerai pas tout à fait chimériques sur l'avenir qu'on lui prépare, l'acquisition d'une propriété, si faible qu'elle soit, comme sa sortie d'une situation humiliante et sans défense, et qu'un arpent de terre lui paraît un asile ou une égide. Ce motif existe moins aujourd'hui; il n'existerait plus du tout sous un régime réellement libre, et l'on peut affirmer que l'homme agissant alors d'après son intérêt, sans en être détourné par des considérations étrangères, ces terres ne se diviseraient qu'autant qu'il le faut pour être mieux cultivées et plus productives.

J'ajouterai que toutes ces lamentations ministérielles sur le résultat fâcheux du morcellement des propriétés, contrastent d'une manière bizarre avec d'autres lamentations sur la trop grande abondance de la production. Certes, si la terre, morcelée comme elle l'est, produit plus qu'autrefois, le morcellement, du moins tel qu'il est jusqu'ici, ne la rend pas stérile. Car si l'effet du morcellement était de rendre la culture moins bonne et par conséquent la terre moins productive, d'où viendrait la surabondance ruineuse dont vous vous plaignez si pathétiquement?

Je passe à la seconde question. Est-il désirable pour un pays que la propriété territoriale soit con

Et cependant, Messieurs, est-ce bien le moment de nous vanter la concentration des propriétés en Angleterre, quand, tous les trois ou quatre ans, la classe déshéritée se soulève, et n'est refoulée dans l'ordre établi que par le déploiement de la force armée ? Me dira-t-on qu'elle se soulève contre l'industrie, qu'elle n'attaque pas les châteaux, mais les métiers et les machines qui lui disputent ses moyens de subsistances?

Sans doute, elle s'en prend à ce qui lui paraît la cause immédiate de son dénuement; mais qui ne sent que ce dénuement tient à une cause plus éloignée, le système de concentration, qui laisse des milliers de prolétaires à la merci de chaque circonstance, et fait tourner jusqu'aux perfectionnements et aux inventions les plus utiles au détriment de l'humanité?

Et n'est-il pas remarquable que la Grande-Bretagne soit le seul pays où l'abolition totale de la propriété se trouve professée par une secte politique, qui. tantôt, violente, et tantôt philanthropique, fait, sous cette double forme, de rapides progrès? Il n'y a peut-être pas un homme en France qui ne recule devant cette opinion. Pourquoi? C'est qu'en France les propriétés divisées attachent au système propriétaire tous les intérêts. tandis qu'en Angleterre les propriétés concentrées irritent et provoquent les intérêts les plus actifs et les besoins les plus impérieux.

Et qu'il me soit permis de répondre en passant à un autre raisonnement qu'on reproduit sans cesse, parce qu'il a un fond de vérité; mais ou le Jui enlève, où le fausse, en confondant deux idées distinctes.

Sans doute, les propriétaires fonciers sont des appuis de l'ordre social; mais cet avantage et ce uérite appartiennent bien plus à la classe nombreuse de propriétaires de ces moyennes fortunes que tout désordre pourrait engloutir, qu'a ce petit nombre de grands propriétaires dont les possessions inébranlables par leur masse même bravent les révolutions et se retrouvent, après l'orage, reconstituées comme par miracle. L'homme qui n'a rien à perdre est menaçant pour la société, je ne le nie pas; mais celui qui peut beaucoup perdre, sans être ruiné, n'est pas moins dangereux. L'un risque ce qu'il n'a pas peu lui importe; l'autre risque une partie de ce qu'il a: et peu lui importe aussi; car il espère de gagner beaucoup cu conserver le reste. Celui-là seul est attaché à l'ordre établi, qui, ne possédant qu'une

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Enfin, j'arrive à la dernière question: Les substitutions sont-elles favorables, soit à la propriété comme augmentant sa valeur, soit aux proprićtaires, comme les maintenant dans un état d'aisance?

Ici je suis forcé de vous rappeler quelques-unes des choses qui vous ont déjà été dites; mais je tâcherai de les resserrer en peu de mots.

Que font les substitutions? Elles enlèvent à celui qui aurait intérêt à vendre une propriété la faculté de la vendre; elles privent celui qui aurait intérêt à acheter une propriété, de la faculté de l'acheter. Par là même elles empêchent l'homme dans les mains duquel la propriété est plus ou moins stérile de l'échanger contre des capitaux dont il tirerait un plus grand avantage, et elles empêchent l'homme qui vendrait cette propriété productive et féconde d'employer ses capitaux à la féconder. Par elles, le non propriétaire trouve plus difficile d'arriver à la propriété; le propriétaire trouve impossible d'améliorer sa propriété par son crédit.

Les substitutions ôlent aux biens-fonds le caractère le plus précieux que puissent avoir aujourd'hui tous les geures de biens, je veux dire la circulation, qui, se prêtant à tous les calculs, à tous les besoins, à toutes les spéculations individuelles, favorise tous les perfectionnements.

Les substitutions enfantent les procès, favorisent la fraude, créent les embarras, attisent les haines domestiques.

Lisez le préambule de l'ordonnance de 1747, vous y verrez le grand nombre de difficultés que les substitutions font éclater, l'infinité de contestations qu'elles suscitent; en sorte, dit ce préambule, que par un événement contraire aux vues de l'auteur de la substitution, il est arrivé que ce qu'il avait ordonné pour l'avantage de sa famille en a causé la ruine.

Et cependant l'ordonnance de 1747 date d'une époque où l'égalité n'était pas encore un principe reçu, où le sentiment de l'égalité ne s'était pas infiltré dans tous les coeurs avec l'air qu'on respire, où le dogme de l'égalité n'avait point en sa faveur les serments du troue. On remarque dans l'auteur de ce préambule la crainte de toucher aux privileges chéris d'une caste puissante. Il proteste qu'il ne veut point porter atteinte à la liberté de faire des substitutions, qu'il ne se propose que de les rendre plus utiles aux familles

mêmes.

Mais après ce tribut payé aux prétentions et aux vanités, il est contraint de reconnaître que ces vanités, ces prétentions, et la complaisance de la loi qui les autorise, nuisent au commerce, et font de la législation un labyrinthe hérissé de piéges, et fertile en contestations.

Les substitutions, dit-on, conservent les familles. Eh! Messieurs, consultez les faits, les familles qui ont joui de substitutions ont toujours langui, dépéri, succombé sous le poids de ce privilége onéreux et illusoire. Si l'on prenait en main le dictionnaire des noms historiques de la France, on les verrait, malgré les substitutions qui devaient perpétuer les mêmes propriétés dans le même sang, s'éteindre au bout d'un très petit nombre de générations, et ces noms reportés, soit par des alliances, soit par les faveurs royales, à d'autres familles.

Si nous tournons nos regards vers l'étranger, tous les pays, où les substitutions furent le plus en force, nous montreraient les races nobiliaires gênées, au milieu d'une opulence illusoire; sans crédit, malgré d'immenses possessions mal cultivées, et subissant prématurément je ne sais quel rapetissement graduel, châtiment imposé par la nature aux classes qui veulent s'isoler du reste de l'espèce humaine.

Et comptez-vous pour rien, Messieurs, les effets qu'auraient les substitutions sur notre ordre constitutionnel? J'aperçois en elles le germe d'une aristocratie qui, se concentrant toujours davantage, par la seule force des choses, attirerait, plus ou moins rapidement, dans son enceinte privilégice les électeurs et les éligibles, dénaturerait ainsi toutes les portions constitutives de la monarchie fondée sur la Charte, rendrait la portion élective aussi héréditaire et plus oligarchique que la véritable et seule aristocratie consacree par cette Charte, préparerait des embarras pour le trône, en le séparant du peuple, comme autrefois, par une caste de propriétaires substitués qui s'empareraient de tous les pouvoirs, et ne léguerait à ce même peuple, justement blessé de cette réintroduction de l'inégalité dans un régime dont l'égalité fait la base, que la misère, le mécontentement, la désaffectation et tous les maux qui en résultent car la majorité de ce peuple, privé de ses droits et trompé dans sa coufiance, ne se verrait pas seulement dépouillé par la concentration des propriétés. A cette concentration se joindrait bientôt nécessairement celle des emplois. Il faudrait nourrir les parents déshérédités de ceux qu'auraient enrichis les substitutions. Il faudrait les entourer eux-mêmes de luxe et de richesse. L'éclat, et pour employer l'expression à la mode, l'honneur des familles exigeraient que la fortune publique vint au secours des membres maltraités de ces familles favorisées dans leur chef; et de la sorte après avoir créé, par le droit, le monopole des propriétés territoriales, on le compléterait de fait par le monopole des salaires.

Ce serait, sous ce rapport, l'ancien régime, non dans sa splendeur, mais dans ses vexations et son injustice, sous d'autres formes et sous un autre nom. Ce serait pis que l'ancien régime. Car l'ancien régime, en réservant tout ce qu'il y avait de brillant pour la noblesse, lui défendait de déroger par des professions obscures et lucratives, qui restaient ouvertes aux autres classes. Aujourd'hui rien ne déroge, et parmi les moyens de soutenir les noms historiques, on compte les bureaux de loterie et les débits de tabac.

Je crois avoir résolu, aussi bien du moins que j'étais capable de le faire, les questions de principe. Il en reste une néanmoins qui ne tient pas aux principes, mais qui, pour vous, Messieurs, n'en est pas moins grave.

L'industrie et la propriété peuvent au fond être amies. La circulation libre des propriétés même territoriales, peut être un moyen de prospérité, leur concentration peut être un mal, les substitutions peuvent avoir des effets fâcheux et injustes; mais au milieu de l'état social qui va se créant, avec cette circulation des propriétés, avec ces envahissements de l'industrie, que deviendra la noblesse?

Nous voici sur un autre terrain. Nous avions déjà passé des choses aux personnes, des propriétés aux propriétaires: nous passons maintenant aux prérogatives, des propriétaires aux privilégiés. Mais soyons toujours de bonne foi, et peut-être nous entendrons-nous.

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