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régime, c'est comme moyen, que nous cherchons un prix encourageant pour nos laines, et le noble pair lui-même ne trouve rien d'exagéré dans le droit que nous proposons. Il approuve également le soin que nous avons pris de le compenser pour nos fabricants dans leurs rapports avec l'étranger; il craint seulement que la mobilité des primes, conséquence de la mobilité des tarifs, ne soit pour eux une occasion de trouble ou d'incertitude.

Il m'est facile de le rassurer, en observant que les chiffres des primes ne sont autre chose que la représentation des chiffres mêmes des taxes; qu'en effet notre sollicitude est allée jusqu'à admettre la nécessité de traiter également à l'exportation les tissus fabriqués avec des laines indigènes et ceux fabriqués avec des laines étrangères, supposant ainsi que la plus-value des premières sur nos marchés est égale aux droits dont nous frappons les dernières, bien qu'un effet aussi absolu semble peu probable; que dès lors les fabricants sont toujours assurés d'être au moins indemnisés, et qu'un changement de droits dans les laines les trouve aussi habiles que nousmêmes à calculer avec précision la quotité du changement qui doit en résulter dans les primes.

que je pourrais peut-être me dispenser de rentrer
dans une discussion qu'il a véritablement épuisée.
Cependant, quelques explications peuvent être
encore utiles.

Ce fut en 1814 que, le rétablissement de nos
relations commerciales nous ayant remis en pré-
sence de la concurrence étrangère, il fallut s'oc-
cuper de rechercher quelle défense était désor-
mais nécessaire à nos forges et à nos affineries.
Fut-elle en effet portée trop loin? vous allez en
juger, Messieurs.

C'est du nord, et du nord seulement, que nou tirions avant la guerre les fers qui nous manquaient. Ce fut donc sur les fers du nord, sur ceux de Suède en particulier, que durent s'établir les calculs; 50 francs par cent kilogrammes furent reconnus nécessaires à nos producteurs; une longue enquête donna la conviction qu'au-dessous de ce prix il y aurait dommage et découragement. Un droit de 15 francs portait à deux ou trois francs au delà de ce prix le coût des fers de Suède rendus dans nos ports. Ce droit fut établi pour les fers de tous pays et de toutes fabrications.

Le noble pair veut aussi que nos bestiaux soient protégés. Comme nous, il comprend que c'est ainsi qu'on peut espérer de les multiplier, et de voir s'étendre, par une reproduction plus économique, une consommation demeurée en effet chez nous malheureusement fort en arrière. Il regrette seulement qu'un amendement adopté par l'autre Chambre ait retiré ce ménagement dont les tarifs antérieurs avaient usé envers les animaux maigres, qui, achetés à l'étranger, sont encore un moyen de profit pour nous-mêmes. Nous aurions aussi désiré prévenir cet amendement, mais nous devons faire remarquer que les faits lui ôtent beaucoup de son importance apparente. Nous voyons en effet que sur 12,000 baufs importés en 1825, 4,000 seulement ont été déclarés maigres. C'est faire une faible part à l'abus que de supposer que 1,000 seulement étaient gras; c'est donc peut-être 3,000 bœufs utiles à l'agriculture, ou destinés à l'engrais que la disposition nouvelle charge d'une taxe plus élevée qu'il ne serait désirable: il serait difficile de voir là la source d'un grave dommage.

Mais on apprit bientôt que ce n'était plus dans
le nord que se trouvaient nos plus redoutables
rivaux. Une grande révolution s'était opérée dans
un pays voisin; déjà il ne produisait plus la fonte
qu'à l'aide du coke, le fer qu'à l'aide de la
houille et du laminoir : nul peuple désormais ne
pouvait plus lutter avec lui pour le prix de ce
double produit. Dès 1817, une protection plus
efficace fut vivement réclamée; peut-être fut-ce
une faute de résister trop longtemps. Quoi qu'il
en soit, ce fut en 1822 seulement, que des impor-
tations toujours croissantes, la mévente et l'avi
lissement de nos prix, mais surtout le besoin dé-
sormais reconnu d'appeler et de favoriser chez
nous, par une protection plus tranchée, l'intro-
duction des nouvelles méthodes, déterminèrent
l'élévation du droit à 25 francs, mais seulement
pour les fers traités à la houille et au laminoir.

Les fers ont trouvé et devaient trouver une
grande place dans le discours du noble baron.
C'est, en effet, de tous nos grands objets de con-
sommation, celui peut-être à qui nous faisons les
plus sensibles comme les plus longs sacrifices;
et cependant il n'en est aucun, ainsi que
l'a si habilement montré le noble pair, qu'il
nous importe autant d'obtenir à des prix mo-
dérés. Loin de lui toutefois la pensée de vou-
loir, par des changements prématurés, com-
promettre les sacrifices déjà faits, décourager des
efforts déjà si marqués. Il ne veut pas examiner
si la protection n'a pas été exagérée dans l'ori-
gine, il reconnaît que le moment serait mal choisi
pour la réduire; mais il demande si nos maîtres
de forges sont assez hautement avertis qu'il nous
tarde que les compensations arrivent. Il demande
enfin s'il ne serait pas convenable de marquer le
terme au delà duquel une protection si lourde
pour le consommateur ferait place à des droits
plus modérés.

J'ai dit, Messieurs, le besoin d'appeler et de
favoriser chez nous l'introduction des nouvelles
méthodes. Ne nous le dissimulons pas en effet,
elles seules peuvent désormais nous affranchir
du malheur de payer le fer à trop haut prix; et
à l'accroissement qu'a pris notre consommation,
à la cherté, chaque jour plus inquiétante, du
bois parmi nous, je ne crains pas de dire qu'à
défaut du nouveau système de fabrication, nous
serions réduits, dès ce moment, à la triste alter-
native de payer éternellement le fer 55 à
60 francs, ou de n'obtenir le fer à bas prix que
travail étranger, c'est-à-dire par le sacrifice d'une
bonne partie de nos anciennes forges.

Le noble rapporteur de votre commission a si Jumineusement exposé devant Vos Seigneuries nos raisons de persévérer, et de nous confier dans des faits déjà si merveilleusement accomplis,

du

Heureusement l'activité française, la multiplication des capitaux, cette tendance dont j'ai parlé vers le bien-être individuel, tout cela soutenu, provoqué par des lois franchement protectrices, sont venues à notre aide. Déjà, grâces aux documents officiels que nous avons pris soin de recueillir, et que votre noble rapporteur a su si habilement mettre en lumière, vous savez quels sont nos progrès. Le nombre des établissements nouvellement en activité, de ceux en construction, de ceux permissionnés, de ceux encore en demande, vous est connu. Quarante-quatre millions de kilogrammes déjà produits à la houille et au laminoir, en 1825; cent millions de production prochaine, vous garantissent que nous approchons du moment où la fabrication du fer atteindra, dépassera peut-être les besoins de la consommation. Le noble pair auquel j'ai l'honneur de répondre sait tout cela; aussi sa sagesse

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proclame-t-elle avec nous que le moment serait mal choisi pour innover. Seulement, il se demande pourquoi nous ne retirons pas déjà quelque fruit de tant d'améliorations, pourquoi le prix du fer s'est au contraire aggravé dans ces derniers temps, et si nous ne hâterions pas nos jouissances, en marquant dès ce moment le terme où devront s'arrêter, s'atténuer au moins nos sacrifices.

J'avoue que je pense que nous produirions l'effet contraire. J'avoue de plus que, tout en la regrettant, je me rends compte de la charge trop lourde qui pèse encore sur nous. Sans doute, les maîtres de forges, je parle de ceux qui travaillent selon les méthodes anciennes, ont fait quelque abus des avantages qu'a mis dans leurs mains une haute protection sans laquelle nous aurions vainement attendu le développement des méthodes nouvelles, et nous le leur avons dit assez hautement. Toutefois, nous aurions commis une injustice si nous n'eussions ajouté que l'augmentation considérable du prix du bois, les pertes résultant pour eux du long chômage de l'été dernier, ne leur auraient pas permis peut-être de se contenter du prix de 50 francs, jugé jusque-là suffisant. Et quant aux producteurs à la houille et au laminoir, il faut bien reconnaître que réduits à s'approvisionner de la plus grande partie de leurs fontes en matières fondues au charbon de bois, parce que le développement de la fusion au coke ne saurait marcher aussi vite que le développement de la nouvelle fabrication du fer, ils n'ont pu obtenir encore le fer qu'à des prix fort éloignés de ceux auxquels il leur sera donné de l'établir lorsque la fusion marchera de front avec la fabrication. Déjà cependant ils l'offrent à 55 francs; et je ne crois pas imprudent de dire que si l'époque est peu éloignée où il leur reviendra à peine à 40, nous ne devons pas nous montrer trop impatients de les contraindre à vendre à ce dernier prix. N'oublions pas que les établissements de ce genre exigent d'énormes capitaux; qu'une industrie n'est solidement établie que lorsque le capital engagé est redevenu libre dans les mains de l'entrepreneur, c'est-à-dire lorsque les intérêts de ce capital n'entrent plus pour rien, ou du moins que pour peu de chose, dans le prix de la chose produite; que c'est parce que le manufacturier anglais en est généralement arrivé là, qu'il produit à si bas prix; et que nous-mêmes jouirons un jour d'autant plus sûrement, d'autant plus largement du bon marché, que les premiers profits auront mis le fabricant français en état de gagner aussi dans la suite en vendant au meilleur marché possible. Toutefois, reposons-nous sur la concurrence vers laquelle nous avançons chaque jour, du soin de modérer ces profits-là mêmes. La consommation s'étend, mais avant peu d'années la production s'étendra plus rapidement encore: là est la garantie de cette modération dans les prix, que j'appelle aussi de mes vœux, mais en temps opportun, sans autre secours que celui d'intérêts rivaux, combattant sur notre propre sol, et me gardant surtout d'inquiéter par des menaces, ou seulement par des manifestations trop impatientes, ceux dont la confiance dans notre pro tection peut seule nous faire atteindre au but.

Le noble pair a cité l'Angleterre; il avait dit à une autre époque que les peuples d'Europe, dans leur guerre de tarifs, lui semblaient des armées ennemies, campées sur des hauteurs en présence les unes des autres; aucune d'elles n'osant se hasarder à descendré dans la plaine; l'une d'elles

cependant devant enfin se décider à s'y présenter. L'Angleterre est maintenant pour lui cette armée-là.

Oui, sans doute, l'Angleterre est descendue dans la plaine, mais voyons avec quelles armes : ou pour parler sans figures, elle a abaissé ges tarifs; voyons sur quels articles, et à quelles conditions.

Inutile de parler de la réduction des droits sur les vins; personne n'ignore que cette réduction n'est autre chose qu'un meilleur calcul financier, et que les droits maintenus sont tels encore, qu'aucun pays n'en a jamais imposé de semblables.

Je ne citerai donc que les changements introduits dans le régime des tissus de coton, des tissus de laine, des toiles de lin et de chanvre, des soieries, des fers, des quincailleries; chacun sait que ce sont là les grands éléments du travail, et que les autres fabrications ne compteront jamais que pour d'assez faibles somines dans les importations et les exportations d'aucun peuple.

Or, qu'a fait l'Angleterre pour les tissus de coton ? elle les admet à 10 0/0. C'est un droit modique sans doute ; mais quel peuple enverra des tissus de coton en Angleterre, même à un droit de 10 0/0, lorsqu'il est notoire que l'Angleterre les produit à 30, 40 et jusqu'à 100 0/0 plus bas qu'aucun autre pays du monde?

Elle admet les draps à 15 0/0. Mais là encore, la supériorité, pour les draps ordinaires surtout, lui garantit qu'aucune concurrence étrangère ne saurait menacer ses fabriques.

Elle a réduit à 4 francs par cent kilogrammes le droit de 16 francs qu'elle percevait depuis longtemps sur les fers êtrangers. Mais ce droit, alors qu'elle est parvenue à produire à 20 francs le fer que la Suède ne peut lui envoyer qu'à 36 francs, et que nous n'obtenons nous-mêmes qu'à 50 et plus, qu'était-il autre chose qu'une protection inutile et purement nominale, propre seulement, aussi bien que les droits de 50 à 75 0/0, précédemment imposés sur les tissus de laine et de coton, à mieux justifier la protection réelle par laquelle on s'est enfin partout défendu?

Aussi, ne voyons-nous pas que les fabricants de ces trois articles en Angleterre aient fait entendre aucunes plaintes. Aussi encore, des documents récents font-ils foi que cette grande facilité des tarifs n'a jusqu'ici donné lieu à aucune importation extraordinaire.

D'un autre côté, les quincailleries d'Allemagne offrent une rivalité qui n'est pas à mépriser: aussi, les tarifs anciens ne sont-ils descendus qu'à 20 0/0.

Les Pays-Bas sont des concurrents sérieux pour les toiles; aussi, bien que l'Angleterre ait déjà porté si loia cette industrie, qu'elle en obtient une exportation de 80 millions de francs, cependant elle lui réserve une protection de 25 0/0 pour quelques espèces seulement, et de 40 0/0 pour le plus grand nombre.

Un bill de 1824 autorisait pour le 5 juillet prochain l'entrée des soieries étrangères, moyennant un droit de 30 0/0. On sait quels embarras a suscités au ministère anglais cette détermination, tout ce qu'il lui a fallu de fermeté pour surmouter une des plus vives résistances qu'il ait jamais éprouvée. Cette fermeté, il la puisait dans la conviction acquise et publiquement manifestée que les conditions du travail français et du travail anglais étaient maintenant bien près d'être égales, et qu'une concurrence mitigée par un droit de

30 0/0, pouvait seule désormais achever l'œuvre
d'une prohibition séculaire: et cependant qu'a-t-
il cru devoir faire? Un bill du mois dernier nous
l'apprend. Le droit ne sera point perçu à la va-
leur, mais au poids; et ce droit nouveau est ré-
glé de telle sorte, que, d'après les vérifications
que le bureau de commerce a pris soin de faire
faire par d'habiles manufacturiers, il s'élèvera
pour plusieurs espèces, et, comme on le suppose
bien, pour les plus usuelles, de 36 à 40 0/0. Ainsi,
perception inévitable d'un droit au poids équiva-
lant à près de 40 0/0, au lieu d'un droit nominal
de 30 qui, perçu à la valeur, n'en aurait guère,
d'après les habitudes commerciales, représenté
que 25. Ce n'est pas tout. Les aunages admissibles
sont rigoureusement déterminés, et ils sont tels,
que nos métiers n'en fourniront pas d'analogues
d'ici à une année peut-être. Ainsi, une année en-
core ajoutée par le fait aux deux années accor-
dées à l'industrie anglaise par le bill de 1824, pour
se préparer à la lutte.

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rer à nos colonies notre approvisionnement en
sucre, il nous faille leur créer, à l'aide de tarifs,
une plus-value factice de 15 à 20 fr. par cent
livres. Mais je n'hésiterai pas à ajouter que c'est
là pour elles, pour un temps au moins, une ques-
tion de vie ou de mort; que l'affranchissement
de notre monopole acheté par la perte du mo-
nopole que nous leur réservons chez nous, ne
les sauverait pas; que c'est avant tout notre
marché qu'il faut à leurs denrées; et qu'elles pé-
rissent si ce marché leur est retiré. J'écarte pour
un moment la question commerciale; je veux
même la tenir pour jugée contre le système
colonial mais je laisse à Vos Seigneuries, je
laisse au noble baron lui-même à peser la
question politique, je veux dire la question
de savoir si la France peut vouloir demeurer
sans colonies, renoncer au peu de stations qui
lui restent dans les mers d'Amérique, et ce qui en
adviendrait pour sa puissance maritime, aussi
bien que pour la protection de son commerce gé-
néral.....

Voilà, nobles pairs, ce que l'on fait en Angleterre et je le dis pour louer ses hommes d'Etat, non pour les opposer à eux-mêmes. Ce n'est point à des théories qu'ils obéissent, mais, comme leurs devanciers, à des faits soigneusement constatés. Là où ils ne connaissent plus de rivaux, leur tarif va presque jusqu'à s'effacer; là où une excitation utile peut naître d'un peu de concurrence étrangère, ils l'appellent en la mitigeant par des taxes calculées de telle sorte qu'il y ait profit à hâter les perfectionnements, jamais danger pour le travail du pays; là où une protection puissante est encore nécessaire, ils la maintiennent, ils sauraient l'étendre au besoin. Ainsi entendu, cet exemple est bon à suivre: il nous siérait mal de l'outrepasser, à nous qui, plus jeunes de cent ans que les Anglais dans la carrière des restrictions et des prohibitions, sommes loin encore des avantages de tout genre qu'ils en ont recueillis.

Je n'omettrai pas de faire remarquer cependant que le sacrifice qu'on regrette à juste titre, n'est pas sans compensation: il est juste de tenir compte de 40 à 50 millions de nos produits qui s'écoulent annuellement dans ces mêmes colonies; de sept cents navires, et de cent soixante mille tonneaux employés dans nos rapports avec elles; et que si l'on peut soutenir que notre approvisionnement en sucres, obtenu ailleurs à meilleur prix, donnerait lieu aussi sur ces points-là mêmes à d'utiles échanges, il est cependant permis de douter que nos ventes n'eussent rien à perdre sur des marchés où nous trouverions partout la rivalité étrangère, et qu'il est constant du moins que notre navigation en subirait une assez notable altération. Telle est encore, au reste, l'opinion de la plupart de nos places maritimes, et leur opinion doit aussi être comptée pour quelque chose.

Les sucres sont le dernier objet qui ait occupé le noble baron; il regrette qu'il nous les faille payer à si haut prix. Il se demande si un sacrifice de quinze à vingt millions, imposé pour ce seul article au consommateur français, trouve une compensation suffisante dans les avantages que peut nous procurer le monopole réservé dans nos colonies à notre commerce. Il tient à conserver ces colonies, mais il se demande si nous ne pourrions pas les conserver à de meilleures conditions pour nous et pour elles-mêmes. Il doute qu'on puisse désormais asseoir avec profit la production du sucre sur la culture de la canne par des mains esclaves. Il voit dans l'énormité des dettes dont la plupart des colons sont grevés, une cause permanente et toujours croissante de cette excessive cherté dans la production, d'où résultent pour nous de bien lourdes charges dont il désirerait qu'on pût assigner le terme.

La question est immense, nobles pairs. Je n'essayerai pas de la trancher. Elle est de celles peutêtre qu'il faut laisser au temps et aux événements le soin de résoudre. Je ferai cependant quelques observations.

Les dettes des colons, l'impuissance malheureusement trop constatée de leurs créanciers, le haut prix de l'argent qui en est l'inévitable conséquence, sont un grand dommage, sans doute, puisqu'il serait difficile de n'y pas voir une des causes, et probablement la cause principale de la cherté qui pèse sur nos consommations. Un remède est nécessaire, et le gouvernement s'en occupe. Mais la chose est délicate: l'ordre ramené par une grande secousse serait un désordre; des tempéraments sont indispensables. Espérons qu'on trouvera moyen de concilier ce qui est juste et ce qui est utile.

Et d'abord, je dirai que je ne comprends pas bien comment la culture du sucre serait désormais mal assise sur le travail demandé à des mains esclaves. Les esclaves seuls cultivent encore le sucre à Cuba, au Brésil, à la Jamaïque, dans toutes les iles anglaises, et le sucre qui en provient obtient encore sur tous les points de l'Europe la préférence sur les sucres de l'Inde.

Je conviendrai qu'il est triste que, pour assu

Je dirai fort peu de choses sur le regret expri-
mé par le noble pair à l'égard du changement in-
troduit par le projet de loi dans le régime des
primes appliqué aux sucres. Le noble rapporteur
de votre commission en a nettement déduit les
motifs devant Vos Seigneuries. Sans doute, c'est
un sacrifice que le Tresor s'impose; mais il sera
peu considérable, si, comme on peut le croire,
nos distilleries et nos confiseries persistent dans
l'usage d'employer, de préférence au sucre raffi-
né, les sucres terrés de la Havane, dont ils s'ap-
provisionnaient ces années dernières chez les raffi-
neurs, au moyen de substitutions que nous avons
signalées. Ces substitutions furent prévues lors
de la disposition introduite, par voie d'amende-
ment, dans la loi de 1822; et l'impossibilité main-
tenaut reconnue de les prévenir, la sorte de men-
songe légal qui en résulte, suffiraient pour jus-
tifier le changement proposé. Un autre intérêt
aussi le conseille, et c'est encore le besoin d'ai-
der nos colonies. Dès lors que nous recherchons

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pour elles un prix factice, nous ne sommes que conséquents en écartant tout ce qui pourrait le rendre plus difficile à atteindre. Or, nos colonies ncus fournissent depuis deux ans plus de sucres que nous n'en consommons; il faut donc appeler à leur aide nos moyens de consommation au dehors, sous peine de voir le prix de leurs sucres s'altérer par leur propre concurrence.

(La Chambre ordonne l'impression du discours de M. le comte de Saint-Cricq, commissaire du roi.)

M. le duc Decazes obtient la parole.

Son dessein n'est pas de rouvrir la discussion sur les points qui ont été traités si disertement dans les deux discours que la Chambre vient d'entendre. Il se propose uniquement d'ajouter à ce qui vient d'être dit, quelques observations qui n'entraient point dans le cadre que s'était tracé le noble pair entendu à l'ouverture de la séance. La théorie des douanes peut être envisagée sous un double rapport: sous le rapport fiscal, ce ne peut être, quoiqu'on ait dit, une chose indifférente pour le Trésor qu'un revenu de 100 millions qu'on ne pourrait supprimer sans le remplacer par un impôt d'autre nature; mais cependant on ne peut douter que les douanes n'aient pour but principal d'encourager dans le pays la production et le travail: c'est sous ce rapport seulement que le noble pair considère le projet de loi, laissant même de côté ce qui touche à l'industrie, il ne s'occupera que des productions qui naissent du sol. Le but auquel on doit tendre est sans doute d'encourager ces productions de manière que le pays puisse suffire à sa consommation. Mais peut-on se promettre de ne jamais arriver à jouir, à cet égard, et sous tous les rapports, d'une indépendance complète vis-à-vis des autres pays ? En reconnaissant l'impossibilité d'atteindre un tel résultat, du moins faut-il faire en sorte que, pour les productions de première nécessité, la France ne soit pas tributaire de l'étranger. L'opinant prendra pour exemples les deux articles des bestiaux et des chevaux. Il est loin sans doute de proposer une augmentation sur le tarif des bestiaux: ce tarif lui paraît suffisant, peut-être même trop élevé sur quelques points ainsi le noble pair regrette pour la distinction établie par le projet originaire entre les bestiaux maigres et les bestiaux gras, ait été effacée à l'autre Chambre; il regrette encore de ne voir aucune exception dans le tarif en faveur des animaux destinés à la reproduction, des taureaux, par exemple, ou des vaches de race distinguée, que nos agriculteurs sont obligés d'aller chercher à l'étranger. La latitude la plus grande devrait être laissée pour ces acquisitions, et si la loi ne contient aucune disposition à ce sujet, au moins est-il permis d'espérer que le gouvernement saura dans l'application favoriser, par des exemptions de droits, les efforts des cultivateurs. Sans demander doné aucun changement au tarif proposé, l'opinant exprime le vœu que le produit de la surtaxe serve à donner des encouragements à l'agriculture. Le fonds affecté à cette destination par les budgets ne saurait suffire: le noble pair a vu même avec peine que ce fonds avait été réduit depuis plusieurs années. Cependant l'agriculture réclame des secours efficaces: d'utiles établissements pourraient être créés. Déjà un prince éclairé vient de donner l'exemple en fondant, pour les environs de Paris, une ferme expérimentale, aux frais de laquelle il veut pourvoir lui-même sur sa liste civile: mais cet exemple, l'Etat devrait le

suivre: quatre fermes semblables pourraient être facilement établies en France; un revenu de 25,000 francs suffirait à chacune; et quel emploi plus utile pourrait-on faire des sommes perçues sur l'importation des bestiaux? De semblables établissements dépassent les ressources des particuliers; ils exigent de trop grands sacrifices: c'est au gouvernement à y pourvoir. Il est aussi un autre genre de production qui a un besoin urgent d'encouragements plus efficaces, c'est celle des chevaux. Le droit de 50 francs établi sur ces animaux est utile, sans doute, pour protéger nos producteurs, mais voit-on cependant que les importations diminuent, que le pays puisse se suffire enfin à lui-même? Le gouvernement n'a-t-il pas été obligé, dans les années précédentes, d'aller acheter sur les marchés étrangers les chevaux nécessaires aux remontes de l'armée ? Et si, comme on l'annonce, le ministre de la guerre a pu s'affranchir cette année d'une telle nécessité, tout en acceptant cet heureux augure, peut-on s'empêcher de reconnaître que la France est encore loin de pouvoir se passer, sous ce rapport, des importations étrangères ? Le noble pair assigne plusieurs causes à cet état fâcheux. La première est, suivant lui, que les propriétaires de poulains ne peuvent trouver à les vendre dans les quatre ou cinq premières années: la production des mulets ou des veaux offre, sous ce rapport, plus d'avantages parce qu'on peut s'en débarrasser plus tôt : aussi voit-on beaucoup de cultivateurs élever des mulets de préférence à des poulains. Le noble pair désirerait que le gouvernement français s'occupât des moyens de remédier à ce mal, soit en achetant pour les remontes des chevaux d'un âge moins avancé, soit en admettant les jeunes poulains dans des haras forestiers, comme on le fait en Allemagne. La nécessité d'encourager par de fortes primes les particuliers qui se livrent à l'éducation des chevaux, ne saurait non plus être contestée: pour entretenir chaque année les étalons, 15 ou 1,600,000 francs environ sont dépensés par le gouvernement; ce qui porterait à 1.500 francs la dépense moyenne de chaque animal comment veut-on qu'un particulier lutte, avec ses seules ressources, contre de tels efforts? Enfin pour que les haras de l'Etat fussent convenablement garnis d'étalons, une dépense de 2 millions serait indispensable Sur mille bêtes que renferment ces haras, cinquante environ sont d'une qualité tellement inférieure qu'on se rappelle en avoir vu vendre cinq pour 1,500 francs. Quel service peut-on attendre de pareils animaux ? ce n'est que chez l'étranger qu'ou peut trouver des sujets pour les remplacer, et le noble pair demande instamment qu'un crédit spécial soit ouvert pour cet objet: la somme à dépenser pourrait être répartie en trois ou quatre années. On la prélèverait sans peine sur les produits de la taxe des chevaux étrangers. En exposant ses vues à ce sujet l'opinant s'abstient néanmoins d'en faire l'objet d'un amendement: il lui suffit d'avoir profité de l'occasion qui s'offrait d'appeler sur les besoins de l'agriculture et des haras la sollicitude du gouvernement.

(Aucun autre orateur ne réclamant la parole, la Chambre ferme la discussion sur l'ensemble du projet, et, attendu l'heure avancée, renvoie à lundi prochain la délibération des articles.)

M. le Président ajourne en conséquence l'Assemblée à lundi prochain, 15 du courant, à une heure.

Il lève ensuite la séance.

FIN DU TOME XLVII.

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