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nale de l'inculpé ne prévoit pas l'action incriminée à l'étranger, parce que, dans les circonstances ordinaires, elle n'a aucune raison de la prévoir: tel serait le cas d'un crime maritime, commis au loin par le citoyen d'un pays qui n'a qu'un domaine exclusivement terrestre '.

Voici, entre autres, un texte qui met en plein relief la cor rélation nécessaire : Aucun citoyen suisse ne pourra être livré à un État étranger. Lorsqu'un citoyen suisse est recherché en Suisse par un Etat étranger ponr une infraction prévue dans le traité ou dans une promesse de réciprocité, le Conseil fédéral garantira à l'Etat qui en fera la demande ou auquel il refusera l'extradition que l'individu poursuivi sera jugé et, s'il y a lieu, puni en Suisse conformément à la loi du tribunal compétent suisse 2.

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5. Mais comment expliquer le refus d'extradition? Le plus souvent, on invoque l'un de ces adages qui se répètent sans contrôle, lorsqu'ils sont entrés dans la circulation le juge national est le juge naturel 3. On le développe en argumentant, soit de l'indépendance ou de la dignité de l'État qui semblerait faire acte de faiblesse en livrant ses sujets, soit du devoir de protection envers les sujets et de la défiance envers la justice étrangère.

ayant été condamné) il a pris la fuite avant d'avoir subi sa peine dans pays étranger, il ne sera ni interné, ni jugé en France, ni d'ailleurs extradé. (V. Clunet 1894, p. 211.)

1. Exemple donné, à un autre point de vue, au Congrès d'Oxford. (Rapport de M. Renault, Ann. de l'Inst. de dr. int., t. V, p. 81.)

2. Loi fédérale sur l'extradition aux États étrangers, du 22 janvier 1892, art. 2 (Clunet 1892, p. 782). Il n'est pas inutile de citer aussi la suite du texte : « De son côté, l'État requérant donnera l'assurance que l'individu ne sera pas poursuivi une seconde fois sur son territoire pour le même fait et que la condamnation qui aurait été prononcée contre lui dans l'État requérant ne sera pas exécutée, à moins qu'il n'ait pas subi la peine à laquelle il a été condamné en Suisse. Si cette assurance est donnée, le canton d'établissement ou, à son défaut, le canton d'origine est tenu de procéder, à l'égard de l'individu dont il s'agit, comme si l'infraction avait été commise sur le territoire de ce canton. » Quoique tout ce texte forme un enchaînement logique, il peut advenir que le national suisse réfugié dans son canton n'y soit pas poursuivi, parce que le gouvernement étranger ne serait pas en mesure de donner l'assurance exigée. (Cf. Rapport du Conseil fédéral, motif final, Clunet 1897, p. 1117.) 3. L'expression existait déjà dans notre ancien droit : « Si l'accusé est Français, il ne peut décliner ses juges naturels..., quoique le délit ait été commis hors du royaume. » (R. de Lacombe, Traité des matières criminelles, II. P., ch. I, no 34.)

6. Théorie du Wohnrecht. Ces notions et spécialement le devoir de protection ont donné lieu à une autre formule. Elle paraît bien être l'œuvre des jurisconsultes allemands et elle caractériserait aussi l'état légal de l'Allemagne. Elle mérite à ce titre d'être citée. Ce n'est pas seulement par son expression constitutionnelle, législative, ou coutumière, que le principe de non-extradition diffère, selon les pays, ainsi que nous l'avons dit tout d'abord, ce peut être encore par sa racine même, par le fondement rationnel, que la doctrine lui attribue. Or le système juridique, que nous voulons indiquer, se présente comme un des plus réfractaires à l'innovation préconisée dans les Congrès. Le citoyen tient de sa qualité même de citoyen le droit au séjour, ou Wohnrecht, dans sa patrie. « Le point le plus essentiel, le plus naturel et en somme le plus important du droit de citoyen d'État... c'est le droit de vivre dans l'Etat, c'est-à-dire sur le territoire et sous la protection de l'Etat (der Anspruch, im Staate, d. h. im Gebiet und unter dem Schutz des Staates, leben zu dürfen ). » Il ne peut donc être éloigné de sa patrie malgré lui; il ne peut être expulsé, il ne peut être banni, il ne peut être extradé. Ainsi affirmé sans restriction, le droit individuel du national oppose à l'extradition une résistance absolue : « Le principe jugé digne de prendre place dans la Constitution de l'Empire est légalement sanctionné dans le C. P. de l'Empire, § 9 aucun Allemand ne peut être livré à un gouvernement étranger pour être poursuivi ou puni 2. »

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1. Laband, Das Staatsrecht des deutschen Reichs, t. I, § 16: die Rechte der Reichsangehörigen. Traduit par Boucard et Jèze, avec préface de Larnaude (Le Droit public de l'Empire allemand), t. I, p. 243. V. le rapport de MM. Ivanovsky et Challandes qui critiquent la théorie du Wohnrecht au point de vue de l'extradition (Actes de Bruxelles, II, p. 256); comp. Lammasch, Auslieferungspflicht und Asylrecht, p. 396 et s.).

V., sur l'extradition en droit allemand, Von Liszt, Lehrbuch des deutschen Strafrechts, 22 (8° édit., p. 103 et s.). Von Liszt déclare qu'il y a de bonnes raisons pour combattre le principe de non-extradition. 2. Laband (loc. cit.). · Le principe de non-extradition est très anciennement affirmé dans les lois allemandes. Voici, notamment, ce que nous lisons dans l'édition de 1831, du Précis du droit des gens moderne de Martens, avec notes de Pinheiro -Ferreira, § 101: « L'extradition de propres sujets qui auraient commis un crime dans l'étranger ne s'accorde presque jamais, le cas de traités excepté. Elle est même expressé

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7. Système anglais. L'Angleterre et les Etats-Unis n'admettent pas l'extension de la loi pénale aux faits commis par leurs nationaux hors de leur territoire. La loi pénale est purement territoriale, et non en même temps personnelle. Ce qui se passe au delà des frontières ne la concerne pas, et le sujet britannique rentre en Angleterre sans que les juges de son pays aient à lui demander compte du mal qu'il a pu faire pendant son absence du sol natal.

Il y aurait là un état de choses injuste et peu tolérable; l'expérience l'a, du reste, démontré. Pour y remédier, indépendamment de quelques dérogations importantes au principe de territorialité, l'Angleterre a répondu qu'elle ne s'opposait nullement à l'extradition de ses nationaux. C'est alors, comme précédemment, mais en renversant les solutions, un rapport logique effet simplement territorial de la loi, mais extradition sans exception de nationalité. La Commission royale, nommée en 1877 pour examiner la loi et les traités d'extradition, l'a mis officiellement en lumière dans son rapport, auquel nous emprunterons plusieurs passages «... Comme on ne veut pas assurer l'impunité aux citoyens d'un pays qui, après avoir commis des crimes à l'étranger, réussiraient à se réfugier dans leur propre pays, il faut supposer (si on refuse leur extradition) qu'ils pourront y être jugés. Cette supposition est le plus souvent fausse en Angleterre, où la loi, en principe, ne s'applique qu'aux actes commis en Angleterre, et se désintéresse des actes commis par des Anglais, en dehors de leur pays '. »

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ment défendue par les lois de plusieurs États, par exemple de la Prusse et de la Bavière. Adde Kluber, Droit des gens, 1819, § 66, note b. Mais le principe ne s'applique plus dans les rapports des États compo sant l'Empire d'Allemagne. Après avoir indiqué le droit du citoyen d'Etat, Laband (loc. cit.) ajoute « Mais un État particulier doit livrer ses nationaux à un autre État particulier... Sur ce point, toute force a été retirée au droit du citoyen d'État dans les États particuliers pour servir l'unification de la justice pénale dans l'Empire. »

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En Autriche-Hongrie, le principe produit double effet dans les rapports réciproques de l'Autriche et de la Hongrie, et dans les rapports de l'Autriche-Hongrie, considérée comme unité politique, avec les autres États (V. Chavegrin, Essai sur l'extradition en Autriche, dans le Bull. de la Soc de Lég. comparée, 1886, et tirage à part, p. 2 et 3).

1. Renault, Étude sur l'extradition en Angleterre (Bull. de la Soc. de

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8. La territorialité pure et simple aurait une curieuse explication, si l'on remonte aux origines du jury anglais : « il est bien constaté, écrit le grand jurisconsulte Stephen ', que les jurés étaient originairement des témoins officiels qui faisaient leurs rapports aux justices du roi sur ce qui s'était passé dans leur voisinage. Plus tard ils se divisèrent en deux parties, le grand jury ou jury d'accusation, et le petit jury ou jury de jugement. Les grands jurys ou jurys d'accusation étaient censés savoir ce qui s'était passé dans leur propre comté et pas autre chose. Ainsi ils ne savaient rien d'un crime commis dans un autre comté ou à l'étranger..... »

Mais il importe peu le système s'appuie sur des raisons. intrinsèques, qui n'ont rien d'archaïque, et qui obtiennent au contraire un succès croissant dans la thèse favorable à l'extradition des nationaux : la loi et les tribunaux du pays où s'est passé le fait sont « naturellement compétents »; car c'est cette loi qui a été transgressée; c'est dans ce pays que l'offense a été commise; ce sont « ces tribunaux qui peuvent procéder aux constatations de fait, entendre les témoins » et rendre un jugement dans les conditions les plus satisfaisantes pour la justice et pour la défense de l'inculpé lui-même.

Enfin, il n'est point légitime de refuser l'extradition par défiance pour la justice étrangère. « L'extradition suppose une confiance mutuelle dans la manière dont la justice est rendue par les tribunaux des deux pays; si cette confiance n'existe pas, il ne faut livrer personne, pas plus un étranger qu'un national. C'est faire injure à une nation que de supposer que ses tribunaux ne seront pas impartiaux, parce que ce ne sera pas un de leurs nationaux qui sera traduit devant eux 2. » Et l'argument est devenu de style dans les discussions sur le sujet.

Certes on ne pourrait pas dire que le Gouvernement anglais ait l'habitude de manquer à son devoir de protection

Lég. comparée, 1879, et tirage à part, p. 16.) Il faut toutefois observer que, dans certains cas, et notamment pour le meurtre, le droit anglais suit, par exception, le principe de la personnalité, et que, même alors, i admet l'extradition comme préférable (Pessina, Actes de Bruxelles, II, p. 309).

1. Clunet 1887, p. 129: De l'impuissance de la législation anglaise à punir les nationaux pour crimes ou délits commis à l'étranger.

2. Renault, Etude sur l'extradition en Angleterre, loc. cit.

pour le sujet britannique : nous voici cependant, dans la théorie anglaise de l'extradition, tout à fait à l'opposé du Wohnrecht du citoyen d'Etat allemand.

9. Il faut toutefois compléter la théorie. Si tout traité d'extradition suppose, comme disait la Commission anglaise, une confiance mutuelle entre les deux pays contractants, cela n'est strictement exact que d'une confiance in abstracto; et la défiance reparaît in concreto, dans chaque cas particulier; elle est, au surplus, indépendante de la nationalité, britannique ou étrangère, de l'individu réclamé. Qu'on lise l'Act du 9 août 1870, la Convention du 14 août 1876 avec la France, la Convention du 4 juin 1878 avec l'Espagne.....: non seulement l'extradition ne peut être accordée contrairement à la décision de l'autorité judiciaire, ce que nous rencontrerions quelquefois ailleurs; mais le système anglais demande à l'autorité judiciaire un examen approfondi du procès. Il faut que le magistrat soit assez convaincu, sinon de la culpabilité, du moins de l'existence des charges suffisantes, pour être en mesure de prononcer la mise en jugement du prisonnier dans le cas où le fait dont il est accusé aurait été commis en Angleterre », the committal for trial of the prisoner. Or le committal for trial correspond (autant qu'un rapprochement peut être établi entre deux procédures essentiellement différentes) à l'ordonnance de renvoi devant la chambre des mises en accusation, ordonnance rendue par nos juges d'instruction, lorsqu'ils estiment que la prévention d'un crime à la charge. de l'inculpé « est suffisamment établie ». Il faut en principe, ncus disent les jurisconsultes, une forte ou probable présomption contre l'accusé, « a strong or probable presumption against the accused'. »

Enfin l'on sait combien la procédure devant le magistrat anglais, avec son caractère contradictoire et contentieux, est libérale pour la défense du prisoner 2.

10. Cette méthode est assurément inspirée par un sentiment profond du respect qui est dû à la liberté individuelle, même à la liberté individuelle de l'étranger. Je dirai plus tard

1. Harris's Principles of the criminal law (7* éd., p. 315).

2. C'est une question de droit comparé que nous n'avons point à approfondir en ce moment; mais on trouverait, au besoin, la preuve de notre assertion dans les cas d'extradition que ce Journal a souvent recueillis. V., entre autres, l'article de M. Craies, Clunet 1893, p. 477.

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