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L'adultère dans la législation suisse.

Les discussions juridico-sociales qu'avait soulevées le roman de combat des frères Margueritte, « Les deux Vies », n'étaient pas encore terminées, qu'un fait-divers mondain, dont la banalité n'aurait pas tenté les journaux s'il ne s'était agi d'une princesse1, a ramené l'attention sur la question de l'adultère dans la législation pénale, question qui, comme sa compagne, la question du divorce, a suscité d'ardentes polémiques lors des délibérations devant les Parlements de tous les pays, chargés de les résoudre par la Loi. Un très petit nombre de Conseils législatifs, il est vrai, ont abordé l'examen du principe même de la répression pénale de l'adultère ; presque tous se sont bornés à se demander, non pas si l'on devait punir, mais comment on punirait l'adultère.

L'examen de la législation suisse présente à cet égard un certain intérêt, puisque notre pays (confédération de vingtcinq Etats avec leurs lois pénales propres reflétant peu ou prou des races, des tempéraments, des mœurs différentes) offre un tableau assez complet des systèmes de répression applicables à l'adultère.

Malgré la diversité des législations pénales cantonales, le travail de comparaison et de groupement des dispositions concernant la punition de l'adultère est relativement facile, grâce aux travaux préparatoires dont le Conseil fédéral avait chargé M. le professeur Stoss en vue de l'élaboration d'un projet de Code pénal suisse. En 1890, M. Stoss a fait paraître un volume, « Les Codes pénaux suisses rangés par ordre de matières », contenant le texte des lois pénales des différents cantons et, en 1892 et 1893, deux autres volumes, « Les principes du droit pénal suisse », contenant l'exposé comparatif et critique des dispositions des Codes pénaux cantonaux.

Depuis 1893, les cantons n'ont apporté que peu de modifications à leur législation, justement en prévision d'un futur Code pénal suisse, et ceux qui ont édicté de nouvelles lois n'ont rien ou presque rien changé aux prescriptions relatives à l'adultère.

1. V. Chronique sur l'affaire de la princesse royale de Saxe, supra, p. 318.

CLUNET.-T. 30. No VII-X, 1903.

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De tous les cantons suisses, Genève est le seul où l'adultère reste impuni. Il est assez curieux de constater que dans la cité calviniste et austère, dit-on, où, au XVIe siècle, il était puni de mort, l'adultère n'est plus un délit aujourd'hui. Lors de l'élaboration du Code pénal qui régit encore actuellement le canton de Genève, le rapporteur de la commission a soutenu l'impunité en disant que punir l'adultère, c'est rabaisser la notion du mariage. Heureusement M. Gautier a complété après la lettre cet exposé de motifs par trop sommaire. Dans un article aussi fortement pensé que bien écrit, publié dans la Revue pénale suisse, sous le titre « Contre la répression pénale de l'adultère », le savant professeur donne des arguments théoriques et pratiques qui justifient pleinement la décision du législateur genevois. Devons-nous la regretter, et la mauvaise herbe de l'adultère trouve-t-elle un terrain plus favorable à son développement sur les bords du lac de Genève que sur d'autres rives? Je craindrais de faire des comparai

sons.

Lorsqu'il s'agit d'élaborer une loi contre l'adultère, trois problèmes ardus se posent au législateur et réclament une solution Qui pourra requérir la poursuite? Poursuivra-t-on d'office, en considérant l'adultère comme un délit contre l'ordre ou la moralité publique, ou une plainte de l'époux offensé sera-t-elle nécessaire, parce qu'il s'agit d'un délit d'une nature spéciale et intime? L'adultère sera-t-il punissable pendant le mariage ou seulement après le divorce? Quelle peine doit-on infliger aux coupables?

Voyons comment les législateurs des divers cantons suisses ont résolu ces problèmes dans leurs Codes pénaux respectifs. QUI POURRA REQUÉRIR LA POURSUITE 1?

I.

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Les cantons de Bâle et d'Argovie seuls autorisent la poursulte d'office, sans qu'il soit besoin d'une plainte de l'époux offensé. Dans le canton d'Argovie, le délit d'adultère est puni par une loi spéciale concernant les délits contre la moralité publique.

Tous les autres Codes n'autorisent la poursuite que s'il y a plainte du conjoint offensé, ainsi Thurgovie, Vaud, Berne,

1. Nous laissons de côté dans cet examen le canton d'Uri et les demicantons d'Unterwald Nidwald et Appenzell Rh.-Int. qui n'ont pas de Codes pénaux proprement dits.

Fribourg, Neuchâtel, Valais, Schaffouse, Lucerne, Zurich, Tessin, Zug, Schwytz, Soleure et Saint-Gall.

Grisons même contient une disposition spéciale qui interdit au juge de troubler la paix et la tranquillité du ménage en se basant sur des plaintes vagues qui ne sont corroborées d'aucun fait et en se livrant à des enquêtes intimes, Ce canton cependant autorise exceptionnellement la poursuite d'office : 1° Lorsqu'une femme non mariée est accouchée d'un enfant illégitime et qu'on impute la paternité à un homme marié;

2o Si une femme mariée accouche lorsque le mari est mort depuis plus de dix mois ou a été éloigné d'elle d'une façon ininterrompue pendant ce même laps de temps;

3° S'il existe des preuves suffisantes qu'un époux a favorisé, dans un but de lucre, la vie déréglée de l'autre époux; 4° Lorsque l'adultère est si notoire qu'il a causé un scandale public.

Tessin retire le droit de porter plainte à l'époux qui quitte frauduleusement son conjoint et au mari qui prostitue sa femme ou tolère sa vie déréglée.

Dans la règle, la plainte est indivisible; portée contre un des coupables, elle s'étend à l'autre qui doit être compris dans la poursuite. C'est ce que prévoient expressément les Codes des cantons de Vaud, Neuchâtel, Valais, Fribourg, Tessin et Saint-Gall, et implicitement le Code de Zurich.

Inversement, le retrait de la plainte profite aux deux coupables. Dans certains Codes, le retrait de la plainte peut être tacite. Ainsi, dans le canton de Vaud, la poursuite n'a pas lieu, ou cesse, même à l'égard du complice, si la partie plaignante a pardonné l'adultère, soit expressément, soit tacitement. Dans les cantons du Tessin et de Zurich, la reprise de la vie commune est assimilée à un retrait de plainte.

Enfin la plainte doit être portée dans un certain délai, qui varie suivant les Codes, sous peine de déchéance.

II.

ADULTÈRE PUNISSABLE PENDANT LE MARIAGE OU SEULE-
MENT APRÈS LE DIVORCE ?

Chose étrange, la plupart des Codes pénaux suisses: Vaud, Berne, Valais, Fribourg, Saint-Gall, Grisons, Argovie, Schalfouse, Lucerne, Obwald, Glaris, Zug, admettent la possibilité d'une répression pendant le mariage, comme si la poursuite d'un époux et la condamnation qui s'ensuit n'aggravaient

pas encore l'atteinte portée au lien conjugal; on panse la plaie au fer rouge qui laissera certainement sa trace. Cette répression de l'adultère pendant le mariage s'explique, en quelque mesure, dans les cantons catholiques où le divorce est à peu près inconnu; il s'explique moins dans les cantons protestants.

Cependant Bâle et Soleure n'autorisent la poursuite que si le mariage a été dissous ensuite d'adultère. Le Code de Neuchâtel dispose qu'il ne sera donné suite à aucune plainte en adultère si l'adultère n'a été préalablement constaté par un jugement civil, rendu sur la demande de l'époux offensé, à l'occasion d'une action en divorce. Les cantons de Thurgovie et de Zurich permettent la poursuite quand la demande en divorce a été introduite auprès des tribunaux, et celui du Tessin quand la vie commune a cessé.

III. Quelle Peine doit-on infliger aux coupaBLES ? C'est ici que les législations présentent le plus de variétés entre elles.

Tandis que les unes ne frappent le délit d'adultère que de l'amende (Obwald, Grisons, Appenzell), d'autres décrètent l'emprisonnement (Lucerne, Berne, Fribourg, Zurich, Tessin, Neuchâtel, Schwyz), d'autres enfin prononcent alternativement ou conjointement l'amende et la prison (Thurgovie, Vaud, Bâle, Soleure, Saint-Gall, Glaris, Zug, Valais). Certains Codes prévoient comme peine accessoire la privation des droits civiques pour une certaine durée.

D'une manière générale, l'amende va de 70 à 1.000 francs, et la prison de un jour à six mois. L'adultère de la femme est puni de la même peine que l'adultère du mari; Thurgovie cependant prévoit une peine plus sévère pour la femme (prison de quinze jours à deux mois ou amende de 200 à 400 fr. pour l'époux; prison de un à deux mois ou amende de 200 à 600 francs pour la femme). Dans le canton du Tessin, la peine ne frappe le mari que s'il entretient une concubine.

Le complice est quelquefois moins puni s'il est célibataire et a ignoré que l'autre coupable était marié. La plupart des Codes infligent la même punition au complice qu'à l'époux coupable. Le Code de Berne offre cette particularité qu'il punit le complice de la femme de l'emprisonnement comme cette dernière et, en outre, d'une amende de 50 à 200 francs.

Les Codes de Thurgovie, Lucerne, Obwald, Glaris, Fribourg, Schwyz, Saint-Gall considèrent comme circonstance aggravante le fait que les deux coupables étaient engagés dans les liens du mariage.

La récidive est aussi une circonstance aggravante dans les lois pénales d'Obwald, Appenzell, Grisons (prison au lieu d'amende), Schwyz, Glaris.

Enfin le Code du Tessin prévoit que la peine est aggravée si la femme a abandonné le domicile conjugal avec son complice; elle est diminuée si la femme était légalement séparée du mari.

Tel est, esquissé à grands traits, l'état de la législation suisse relative à la punition de l'adultère. Pour être complet, il ne faut pas oublier de mentionner la disposition contenue dans la loi fédérale sur le mariage et le divorce, applicable à tous les cantons suisses. L'art. 48 de cette loi dispose que lorsque le mariage a été dissous pour cause déterminée par conséquent pour adultère — il est interdit à l'époux contre lequel le divorce a été prononcé de contracter un nouveau mariage pendant le délai d'une année.

Le juge peut étendre ce délai à trois années.

et

Il faut aussi dire quelques mots du projet dc Code pénal suisse qui est prêt à être soumis aux Chambres fédérales. Le principe même de l'unification si désirable du droit civil et du droit pénal ayant été voté par le peuple, et les travaux préparatoires de Stoos pour le droit pénal et de Huber pour le droit civil ayant été achevés, le Conseil fédéral chargea ces derniers de rédiger l'un un avant-projet de Code pénal, l'autre un avant-projet de Code civil, et ces deux avant-projets ont été soumis chacun à l'examen d'une commission d'experts.

La disposition du projet de Code pénal suisse (modifié par la commission d'experts), relative à l'adultère, est la suivante: « L'époux coupable d'adultère ainsi que son complice seront, sur plainte, et lorsque le mariage aura été dissous pour cause d'adultère, punis de l'emprisonnement. La plainte devra être portée dans les trois mois du jour où le jugement en divorce est devenu définitif. Si l'époux offensé meurt, la poursuite pénale tombe. >>

Dans la partie générale du Code, on a prévu que le plai

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