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cinq années à Rouen, la maison de la rue Saint-Romain a été sau-vée par une souscription publique sur l'initiative des Amis des monuments rouennais; la Société des monuments de la vallée de la Loire a acheté pour 15.000 francs l'abbaye d'Asnières; un groupe de Tonnerrois a réuni 15.000 francs pour les réparations du vieil hôpital de Tonnerre; à Alençon, les Amis des monuments ornais ont défendu la maison d'Ozé, et 20.000 francs sont offerts à l'État pour la restauration du vieil édifice, etc... D'autre part, des libéra·lités chaque jour plus importantes enrichissent les musées de province. La loi pourrait donner à tant de bonnes volontés l'occasion de s'exercer d'une manière utile, chaque fois qu'une œuvre d'art précieuse serait exposée à quitter la France. Tout le monde y trou verait avantage : l'État, dont les charges diminueraient, et les particuliers, possesseurs d'œuvres d'art, pour lesquelles la prohibition d'exporter deviendrait moins onéreuse.

Enfin, il serait bon de faire passer dans la loi française — mais, cette fois, sans la moindre atténuation — les sanctions pénales de la loi italienne. Celle-ci ne se contente pas de réserver à l'État le droit, le plus souvent illusoire, de réclamer une indemnité au propriétaire qui a dégradé un monument ou frauduleusement vendu un objet d'art; elle punit, comme nous l'avons vu, toute contravention d'amendes considérables. Cette disposition se retrouve d'ailleurs dans la loi hongroise. La loi roumaine prévoit même la peine de l'emprisonnement. L'amende suffira pour intimider les vandales et les marchands. Mais on ne peut vraiment assez admirer l'imprévoyance des Chambres françaises qui, rédigeant une loi pour la conservation des monuments et des objets d'art, négligèrent de punir ceux qui la voudraient violer. Ce n'est pas une loi, c'est un conseil, une admonestation.

Une pareille législation devrait s'appliquer à tous les édifices qui subsistent encore sur notre sol. Mais, quand il s'agit des œuvres d'art, ne conviendrait-il pas d'assurer cette protection aux seuls objets d'origine française? Faut-il inscrire cette réserve dans la loi ?

Ceux qui veulent la réforme de la loi de 1887 n'ont pas le désir d'enrichir indéfiniment nos musées aux dépens des collections particulières. Leur but est de conserver à la France les trésors de son art, les gloires de son passé : peu leur importe qu'une toile de Rembrandt soit à Paris ou à Chicago, puisque sa vraie place est à Amsterdam. Ils ne voient aucun intérêt à entraver l'exporta

tion des faïences italiennes, des orfèvreries allemandes, des statuettes grecques, des estampes japonaises qui sont aujourd'hui réunies dans les cabinets d'amateurs français ou dans les boutiques des marchands de curiosités. Ils n'ont point la superstition du bibelot. Ils trouvent que, à l'heure présente, nos galeries publiques. renferment des spécimens de tous les arts étrangers ou exotiques en nombre suffisant pour l'amusement des badauds et l'éducation des artistes; que, s'il existe dans ces collections quelques lacunes, on les peut combler par des reproductions, des moulages, des copies ou des photographies; bref, qu'il est beaucoup plus urgent de placer au Louvre un portrait de Jean Fouquet qu'une tiare de Saitapharnès, fût-elle authentique1. Ce qui les guide, ce n'est pas un esprit de protectionnisme artistique, c'est la pensée que les œuvres d'art, pour manifester toute leur beauté, doivent être maintenues au pays où elles sont nées; car là, elles seront toujours mieux comprises et plus admirées. Ils croient ainsi s'acquitter d'un devoir de gratitude et de piété en sauvant de l'exil ces productions du génie français, en leur gardant le lustre et la vie qu'elles perdent sous un ciel nouveau, sous une lumière hostile. Ils seraient donc tout disposés à ne réclamer aucune sauvegarde légale pour les objets d'origine étrangère.

Malheureusement, lorsqu'il faudra découvrir une formule générale, rédiger un texte précis pour établir une telle distinction, quel embarras! De quelle façon déterminer le caractère français d'une œuvre d'art? Va-t-on s'attacher uniquement au lieu où elle fut exécutée ? Des artistes français ont travaillé à l'étranger: Poussin passa une partie de sa vie à Rome. Considérera-t-on la nationalité de l'artiste? Les frontières de la France ont souvent varié Claude Gelée est né sujet du duc de Lorraine. D'autre part, des artistes étrangers se sont fixés en France et s'y sont comme naturalisés: Philippe de

1. D'une excellente étude que vient de publier M. André Girodie sur les musées d'artistes français dans leurs provinces (imprimerie Ducloz, à Moutiers), j'extrais les lignes suivantes : « Pense-t-on que le trésor artistique de la France soit la multitude d'œuvres étrangères qu'elle entasse dans ses musées ?... Sont-ce les marbres de lord Elgin ou les tableaux de Turner qui peuvent augmenter la force esthétique de l'Angleterre ?... Sont-ce les Watteau de Potsdam ou les œuvres d'Albert Dürer qui constituent la gloire de l'Allemagne ? Quelle que soit l'origine (conquête, achat ou dons) de l'œuvre d'art qui figure dans un musée, n'existe-t-il pas, en tout visiteur, un besoin instinctif de restitution de cette œuvre à son style, à son époque, à sa nationalité? » C'est le langage mème du goût et du sens commun.

Champaigne était de Bruxelles. Enfin, combien d'œuvres anonymes que l'on attribue tour à tour à des maîtres divers, même à des écoles différentes! Tel tableau du xve siècle que l'on disait hier flamand, est tenu aujourd'hui pour français. Ce sont là d'inextricables difficultés que ne peut résoudre un article de loi.

Le plus sage serait donc d'imiter la loi italienne : elle n'a point visé d'une façon particulière les œuvres d'art ayant un caractère national. Il suffirait, dans la loi française, qu'un article indiquât dans quel esprit cette protection est organisée. Une arme serait ainsi misc à la disposition de l'Etat. Ce serait à lui de juger quand il devrait en faire usage pour la défense du patrimoine français. Car il faut observer que la loi demeure facultative. On peut toujours permettre l'exportation d'une œuvre d'art et l'Etat reste libre : 1o de classer ou de ne pas classer l'objet; 2o de revendiquer ou d'abandonner son droit de préemption.

Je sais l'objection: « Vous compliquez la tâche de l'administration des Beaux-Arts, vous exigez d'elle beaucoup de zèle, beaucoup de savoir, beaucoup de goût. Sous le régime de la loi de 1887, elle s'est toujours montrée inactive, ignorante et incompétente. Vous n'espérez pas que la vertu d'une loi nouvelle va, soudain, la transformer ... Je ne l'espère pas. Mais je souhaiterais que cette loi donnât à la Commission des monuments historiques une plus grande indépendance, et surtout qu'elle assignât un rôle important aux sociétés provinciales. Tout est à réformer dans les services chargés de la protection des monuments et des œuvres d'art... Et ne vous imaginez pas qu'il en résulterait pour le budget des charges nouvelles! Le jour où l'on consentira à ne plus dépenser tant d'argent pour de vaines restaurations ou pour des achats de bibelots exotiques, on aura sous la main, sans réclamer à la Chambre de nouveaux crédits, les sommes nécessaires à la conservation des œuvres et des monuments français.

Cette législation ne soulèverait, je crois, aucune protestation de la part des artistes, car elle ne saurait gêner leurs transactions commerciales. L'Etat n'a rien à prétendre sur « les édifices ou objets d'art d'auteurs vivants ou dont l'exécution ne remonte pas à plus de cinquante ans ». Tel est l'art. 1er de la loi italienne, tel devrait être aussi l'art. 1er de la loi française. Nous voulons une loi « pour le passé ».

Mais il faut s'attendre à l'hostilité des marchands de bric-àbrac et aux critiques des jurisconsultes.

Les marchands qui, depuis un siècle, ont pillé la France, saccagé les vieilles demeures, négocié les objets du culte catholique, trafiqué de tous les souvenirs de notre passé, trouveront mauvais que l'on contrarie leurs opérations au moment où l'Amérique milliardaire vient, par leur entremise, s'approvisionner chez nous d'art et d'histoire. Ils diront, n'en doutez pas, que l'on veut ruiner le a marché français » et appelleront les économistes à la rescousse. Ces doléances ne seront pas très émouvantes. La brocante est d'essence internationale. Un brocanteur trouve toujours à brocanter. D'ailleurs comme personne ne songe à interdire à ces commerçants le commerce des objets truqués et contrefaits, on ne les laisse point sans ressources. Parmi les brocanteurs, il faut ranger les soi-disants collectionneurs qui spéculent sur la hausse des œuvres d'art: eux aussi combattront la loi nouvelle, mais leurs plaintes sont négligeables. Quant aux véritables collectionneurs, à ceux qui aiment à s'entourer de tableaux précieux et de bibelots délicats, soit pour la joie de leurs yeux, soit pour la satisfaction de leur vanité, que leur importe la prohibition d'exporter ?

Les jurisconsultes sont infiniment plus respectables que les marchands de bric-à-brac. Mais j'ai déjà répondu à la plus forte de leurs objections. J'ajouterai que leurs critiques seraient aujourd'hui tardives et que, en somme, les mesures très sévères prescrites par la loi italienne ne sont pas une si grande nouveauté, même pour un législateur français.

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Le 7 mars 1886, le gouvernement du bey de Tunis sur l'initiative du gouvernement français a rendu un décret pour la conservation des antiquités, monuments et objets d'art. Aux termes de ce décret, on peut classer les immeubles malgré le refus du propriétaire. Quiconque dégrade un monument classé ou détruit la marque de classement, apposée sur un immeuble, est passible d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 100 francs à 500 francs. Quant aux objets mobiliers, l'exportation en est interdite et la violation de cette défense est punie des peines appliquées par la loi française aux contrebandiers.

La France jugea bon d'imposer cette législation rigoureuse à un pays de protectorat. Mais, une année plus tard, elle se donnait à elle-même une loi dépourvue de toute sanction.

On ne voit pas très clairement pourquoi Français et Tunisiens ne furent pas traités de la même façon. Était-ce que l'on s'imaginait les Français moins accessibles que les Tunisiens aux tentations du vandalisme ou de la brocante ? Était-ce que l'on attribuait plus

de prix à une mosaïque romaine qu'à une vierge du XIe siècle? Quoi qu'il en fût, la propriété privée que l'on déclare ici intangible a été moins bien respectée sur l'autre rive de la Méditerranée. Je ne sache pas que le décret beylical ait soulevé l'indignation des juristes. Contentons-nous donc de demander pour les œuvres d'art et les monuments français la même protection que la France assure aux monuments et œuvres d'art de la Tunisie.

Nous le demanderons peut-être longtemps encore; mais nous ne cesserons de le demander, tant qu'il subsistera un monument de la vieille France, tant que toutes nos œuvres d'art n'auront point passé l'Atlantique.

André HALLAYS.

Du droit pour les Français résidant en France à posséder ou recevoir par succession des immeubles aux États-Unis.

Aux États-Unis d'Amérique, les lois qui régissent le transfert des biens, meubles et immeubles, par donation, par contrat ou par testament, sont les lois locales en vigueur dans les différents États. Chaque Etat a le droit de déterminer pour lui-même le mode de mutation de la propriété, les personnes qui peuvent opérer ce transfert et celles qui peuvent acquérir ou posséder des biens, sous cette condition que tous les citoyens des États-Unis soient traités de même dans tous les États.

D'une manière semblable, les lois de chaque État déterminent le mode selon lequel les biens d'une personne décédée doivent être distribués, quand cette personne ne laisse ni de dernières volontés ni de testament. Dans presque tous les États, on donne au propriétaire d'immeubles le droit d'en disposer en totalité, par dernières volontés et testament, en faveur de telles personnes et de telle manière qu'il juge préférable, pourvu qu'il revienne à la femme ou au mari survivant une certaine part de biens dont il ne peut être dépouillé.

Les lois des différents États varient considérablement en ce qui concerne les formalités requises pour exécuter un contrat ou les dernières volontés et le testament d'une personne et aussi en ce qui concerne la manière de les prouver ou de les vérifier (probating).

Chaque État a le droit, inhérent à toutes les nations, de

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