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» contre moi avant d'avoir lu mes écrits. Ai-je » pu faire pour mon livre, moi éloigné, moi » contredit, moi accablé de toutes parts, ceque » M. de Meaux dit qu'il ne pouvait faire lui» même contre ce livre, quoiqu'il fût en auto» rité, en crédit, en état de se faire craindre. » M. de Meaux a dit (1): Les cabales, les fac» tions se remuent; les passions, les intérêts » partagent le monde. Quel intérêt peut enga» ger quelqu'un dans ma cause? De quel côté » sont les cabales, les factions? Je suis seul et » destitué de toute ressource humaine: quicon» que regarde un peu son intérét n'ose plus me » connaître. M. de Meaux continue ainsi (2): »De grands corps, de grandes puissances » s'émeuvent, où sont-ils ces grands corps? » où sont ces grandes puissances dont la faveur » me soutient ? C'est ainsi que ce prélat s'ex» cuse sur ce que le monde paraît partagé pour » un livre qu'il avait d'abord dépeint comme » abominable et incapable de souffrir aucune » saine explication; et c'est dans cette conjone » ture qu'il a jugé à propos de passer de la doe»trine aux faits. »

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Voilà ce que répondait alors Fénélon à ce singulier passage de la Relation de Bossuet.

(1) Dans sa Relation du quiétisme.

(2) Ibid.

Que n'aurait-il pas pu ajouter, s'il eût eu connaissance de toutes les pièces que les derniers éditeurs de Bossuet ont jugé à propos de pu blier (1).

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Il termine sa réponse par ce défi remarquable (2):« S'il reste à M. de Meaux quelqu'écrit » ou quelqu'autre preuve à alléguer contre ma » personne, je le conjure de n'en point faire un » demi-secret pire qu'une publication absolue; » je le conjure d'envoyer tout à Rome, afin » qu'il me soit promptement communiqué par les ordres du pape. Je ne crains rien, dieu » merci, de tout ce qui será communiqué et » examiné juridiquement; je ne puis être en ❝ peine que des bruits vagues ou des allégations » qui ne seraient pas approfondies. S'il me croit » tellement impie et hypocrite, qu'il ne puisse » trouver son salut et la sûreté de l'église qu'en » me diffamant, il doit employer, non dans des > libelles, mais dans une procédure juridique, > toutes les preuves qu'il aura. Pour moi, je ne » puis m'empêcher de prendre ici à témoin ce » lui dont les yeux éclairent les plus profondes » ténèbres et devant qui nous paraîtrons bien»tôt ; il sait, lui qui lit dans mon coeur, que

(1) Voyez les tomes XIII, XIV et XV de la dernière édition des OEuvres de Bossuet..

(2) Réponse à la Relation du quiétisme.

» pour

» je ne tiens à aucune personne ni à aucun li»vre; que je ne suis attaché qu'à lui et à son » église ; que je gémis sans cesse en sa présence lui demander qu'il ramène la paix et » qu'il abrège les jours de scandale; qu'il rende » les pasteurs aux troupeaux; qu'il les réunisse » dans sa maison, et qu'il donne autant de bé» nédictions à M. de Meaux qu'il m'a donné de » croix. »

Il est difficile de se faire une idée de la révolution subite que la réponse de Fénélon opéra dans tous les esprits. Plus la Relation de Bossuet avait fait naître de préventions contre l'archevêque de Cambrai, plus on fut étonné de la facilité avec laquelle il avait dissipé tous les nuages, éclairci tous les faits et montré sa vertu dans tout son éclat.

Bossuet avait fait valoir, avec tant d'art, sa modération et ses ménagements pour Fénélon, dans les premiers temps, qu'on semblait plaindre ce grand homme de n'avoir éprouvé que de l'ingratitude de la part de son ancien disciple. Les témoignages qu'il avait produits de la déférence filiale que l'abbé de Fénélon avait promise, dans tant de lettres, à un prélat que son antiquité (1) et ses grands talents avaient établi

(1) C'est l'expression qu'emploie Bossuet, et que lui seul pouvait hasarder; elle peint à la fois le caractère auguste de cette

l'oracle de l'église de France, paraissaient convaincre l'archevêque de Cambrai d'une espèce d'hypocrisie, par le contraste de sa conduite actuelle.

L'assurance avec laquelle Bossuet avait présenté tous les faits de sa Relation, le nom du roi et de madame de Maintenon, qui y étaient invoqués à chaque page, leur avaient donné une sorte d'évidence qui n'admettait aucune explication et ne permettait aucun doute, On a vu, par tout ce que nous avons déjà rapporté, qué dans ce moment d'une crise si terrible, les amis les plus zélés de Fénélon furent frappés d'une espèce de stupeur: leur triste silence ne laissait entendre que les cris triomphants de ses ennemis; ce n'était plus que dans les prières, dans les larmes et dans cette pieuse confiance que la religion entretient toujours dans les cœurs vertueux, qu'ils cherchaient les consolations nécessaires pour fixer leur opinion incertaine et soulager leurs cœurs oppressés par la douleur.

Ce fut au milieu de toutes les clameurs de la prévention, au milieu de ce grand scandale de la religion, ce fut dans ce deuil de l'amitié consternée que parut tout à coup la Réponse de

figure si noble et si imposante, et ce génie antique et solennel qui semblait avoir assisté à l'origine des choses, pour en retracer l'histoire a la longue suite des générations.

Fénelon : elle rendit, par une espèce d'enchantement, le bonheur, et la sérénité à ceux qui n'avaient pas cessé de croire à la vertu et la confiance, à ceux qui avaient eu la faiblesse d'en douter. Il ne vint à l'idée de personne de blâmer la noble indignation avec laquelle Fénélon avait élevé sa voix pour repousser des accusations qui auraient dégradé la sainteté de son ministère, si elles avaient pu trouver le plus léger fondement dans l'irrégularité de sa conduite.

On sentit qu'écrasé par la puissance et l'autorité, abandonné des hommes dont l'opinion légère était égarée par les prestiges de l'éloquence, il avait le droit de ne se confier qu'au courage de la vertu ; qu'il devait braver toutes les faibles et pusillanimes considérations qui auraient pu arrêter l'essor de sa voix et comprimer les mouvements d'une âme profondément indignée. On l'avait forcé de renoncer à cette modération que sa douceur et sa modestie lui avait preserite jusqu'alors. Réduit à combattre pour l'honneur, l'accusé devait se montrer encore plus imposant que l'accusateur s'il ne vou lait pas rester accablé sous le poids de l'accusation.

On s'était bien attendu que Fénélon; que l'on supposait embarrassé dans ses moyens de justification, chercherait à employer toutes les ressources d'un esprit fécond et brillant pour pal

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