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vateurs, des maçons, des forgerons, des tailleurs. La population fera moins nombreuse, les mœurs plus dures, les vertus plus fortes, les paffions plus véhémentes, les préjugés plus impérieux, les vices plus groffiers, les crimes plus atroces:

Le fage rejettera toujours loin de lui, autant que l'ufage peut le permettre, les productions du luxe, ou il ne les prendra que pour ce qu'elles valent; mais il n'y aura que peu de fages.

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Les autres continueront d'entretenir le luxe par leur fortune ou par leurs travaux ; &, tant qu'ils n'y facrifieront qu'en confultant leurs facultés, la fociété n'en fera que plus active.

Mais quand le vice, compagnon du luxe, ne connaîtra plus de bornes; quand toutes les conditions, toutes les facultés feront confondues; quand la cupidité, toujours aiguisée par des befoins nouveaux, & jamais fatisfaits, aura rendu le fujet étranger à l'état, le citoyen au citoyen, les familles aux familles ; quand, après avoir trouvé ridicule le titre d'hom

me

être

me vertueux, on méprisera inême celui d'honnête homme; quand la profufion, les rapines, la vexation, le brigandage, tous les vices, tous les crimes, auront diffous les derniers liens de la fociété, il faudra bien qu'elle expire : & c'eft peutpar cette affreuse maladie que doivent finir les états les plus floriffants; car tout ce qui exifte eft destiné à la mort. Un riche commerce, une nombreuse population, la culture des arts entretiennent le luxe mais lui-même bientôt détruit les vertus qui entretenaient la population, qui faifaient fleurir le commerce & les arts, & finit par dévorer l'état lui

même.

M

CHAPITRE XXXIV.

Aumône.

MAIS, dira-t-on, le riche n'a pas be foin de diffiper fes revenus en dépenses qui ne foient pas d'abfolue néceffité. Pour quoi faut-il qu'il fatigue les malheureux pour répandre fes richeffes dans leur fein? Qu'il donne à leur mifere ce qu'il donnerait à leur travail.

Il eft beau fans doute d'employer fes facultés à fecourir l'infortune. Mais ici une trifte vérité m'échappe. C'eft que l'aumône, distribuée fans intelligence, peut être fouvent dangereufe.

La meilleure aumône qu'un riche puiffe faire, c'eft de dépenfer fon revenu. Il fait vivre les marchands, les ouvriers, qui, à leur tour, fourniffent à la fubfiftance de ceux dont ils tirent les matieres premieres, ou les chofes néceffaires à la vie, Ainfi chacun vit, chacun travaille, & le pareffeux refte feul inutile dans l'Etat,

Des charités

trop abondantes feraient naître la pareffe. Cet ouvrier qui fubfifte de fon travail, aimerait mieux fe tenir tranquille, & vivre aux dépens du riche qui nourrirait son oisiveté. C'est à préfent un citoyen estimable, puisqu'il eft laborieux; ce ne fera bientôt plus qu'un lâche indigne de vivre.

Je fuppofe qu'un homme, dont la fortune monte à un million de livres, vende fes maisons, fes terres, & diftri bue fon million à deux mille indigents. Voilà d'abord un homme hors d'état d'aider à l'avenir les malheureux : mais voilà deux mille hommes dont la moitié ne travaillera plus qu'avec beaucoup de relâchement, & dont l'autre ne fera rien du tout. Il fuit de là une grande diminution de travail, & par conféquent, une grande perte dans l'Etat. Chacum enfin, ayant diffipé fon partage, fera obligé de retourner au travail, dont il aura perdu l'habitude. Heureux encore, fi, après un fi long repos, ils trouvent l'occafion de travailler! car, parmi ceux

qui vivent de leur labeur, c'eft l'ouvrage qui amene l'ouvrage,

Mais fi au contraire notre riche garde fon bien; il dépenfera chaque année cinquante mille livres, & croyant ne fatisfaire que fes befoins, que fes caprices, il répandra cette fomme en portions inégales fur une quantité confidérable d'homines actifs ou induftrieux, qui ne le connaiffent point, qu'il ne verra jamais, & qui cependant contribuent à fes befoins & à fes plaifirs.

Il eft fans doute néceffaire de fecourir le malheureux, qui trouverait la mort dans une indigence dont il ne peut fortir: mais ces fecours ne doivent pas faire naître en lui la pareffe; ils doivent être proportionnés à fes befoins preffants, le rappeller au travail, & non l'en détour

ner.

Maudit foit le cœur dur qui voit fouffrir le miférable fans prendre pitié de fon fort! mais craignons de faire retomber l'infortuné dans des malheurs plus grands que ceux qu'il éprouve, quand

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