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EPUB

DES

CLASSES OUVRIÈRES

ET

DE L'INDUSTRIE EN FRANCE

DE 1789 A 1870

PAR

E. LEVASSEUR

MEMBRE DE L'INSTITUT
ADMINISTRATEUR DU COLLÈGE DE FRANCE

DEUXIÈME ÉDITION

(ENTIÈREMENT REFONDUE)

TOME PREMIER

PARIS

ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR

14, RUE SOUFFLOT ET RUE TOULLIER, 13


780158

PRÉFACE

En publiant en 1903 la seconde édition de cet ouvrage, je puis reproduire intégralement la préface par laquelle j'ai présenté la première à la veille de l'Exposition universelle de 1867; je n'ai rien à changer à l'expression que je donnais alors à ma pensée:

En publiant l'histoire des classes ouvrières en France depuis la conquête de J. César jusqu'en 1789, j'avais pris l'engagement de poursuivre cette histoire au delà de 1789 jusqu'à nos jours.

La seconde partie de la tâche était plus difficile à remplir que la première. Depuis que la Révolution a émancipé le travail, le travail industriel s'est considérablement développé dans notre pays; il a exercé son influence non seulement sur la richesse de la nation, mais sur l'éducation, sur les mœurs, sur la politique et jusque sur les spéculations philosophiques et les systèmes sociaux. Son histoire, comme son rôle, est devenue beaucoup plus vaste.

J'ai passé huit années à l'écrire, cherchant à appliquer à l'étude des faits contemporains la méthode sévère de l'érudition et à leur appréciation la lumière de la science économique. L'Académie des sciences. morales et politiques avait encouragé un premier essai dont les fragments se trouvent fondus dans cet ouvrage. Quoique j'aie beaucoup refait et beaucoup ajouté, je n'ai pas eu à changer l'esprit dans lequel le mémoire couronné avait été rédigé; mais des changements sont survenus depuis quelques années dans notre politique intérieure, et j'ai dû, sur divers points, remplacer la critique et les regrets par une approbation.

Sous le nom de classes ouvrières, j'ai compris, comme dans mon précédent ouvrage, tous ceux qui vivent du travail de l'industrie, patrons, apprentis, ouvriers, en insistant particulièrement sur ces derniers. J'ai étudié les produits comme les producteurs, parce que

1. L'Académie des sciences morales et politiques avait mis au concours, dès l'année 1849, le sujet suivant: Changements survenus en France, depuis la Révolution de 1789, dans la condition morale et matérielle des Classes ouvrières, etc. Elle a décerné le prix en 1864.

dans un pays libre, l'abondance des uns a des liens intimes avec le bien-être des autres; j'ai envisagé les premiers surtout dans leurs rapports avec l'art, avec la science, avec la législation et avec les débouchés; j'ai cherché à mettre en relief dans les autres les conditions. de la vie matérielle et de la vie morale qui donnent le mieux, pour chaque époque, la physionomie des diverses classes de la société, et je me suis efforcé, faisant en quelque sorte l'histoire économique de la France depuis 1789, de concentrer les différentes parties de mon sujet autour de cette idée que je considère comme la fin de l'économie politique elle-même l'amélioration progressive de la personne humaine. C'est un livre de bonne foi, composé en dehors des préoccupations de parti, mais préparé par de laborieuses recherches et écrit avec une conviction profonde. Je le crois utile à ce double titre. Ceux qui le liront ou le consulteront, quelle que soit leur opinion, y trouveront des renseignements nombreux et précis. Ceux qui l'étudieront sans avoir d'idées préconçues sur la matière seront amenés (je veux du moins l'espérer comme la récompense de mon travail) à penser, avec l'auteur, que les deux grands principes qui ont le plus fait prospérer, dans ce siècle, notre industrie ainsi que nos classes ouvrières, et sur lesquels reposent encore leurs plus solides espérances d'avenir, sont la LIBERTÉ et l'INSTRUCTION.

Février 1867.

Le titre de classes ouvrières peut être critiqué, d'abord parce qu'il n'y a plus de classes, ensuite parce que cette histoire ne porte pas seulement sur les salariés. Je le conserve néanmoins, en y ajoutant Histoire de l'industrie, parce que c'est le titre de la première édition et parce que l'expression « ouvrières», définie comme je l'ai fait, répond à ma pensée. J'ai voulu décrire, comme je le disais en 1867, la condition de tous ceux qui, suivant une vieille expression, «< ouvrent » en industrie, c'est-à-dire font œuvre industrielle et peuvent être qualifiés de travailleurs de l'industrie, à quelque titre qu'ils lui appartiennent.

Depuis que la préface de 1867 a été écrite, les événements qui faisaient le sujet de l'ouvrage se sont éloignés de moi. Ceux dont j'ai été témoin m'apparaissent maintenant dans une certaine perspective de l'histoire et je crois pouvoir les apprécier avec plus de sûreté, grâce à cet éloignement qui a laissé place aux conséquences et qui a dégagé plus nettement les lignes de l'ensemble; je le puis aussi grâce à la maturité d'esprit que je dois à une expérience de trente-six années, pendant lesquelles ma pensée et

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