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Nous sommes en mesure de donner les noms des commissaires de nos deux principales colonies:

A la Guadeloupe, MM. Beausire.

Restelhueber, marié à une créole.
Bonnet, habitant.

A la Martinique, MM. Morel.

Auber Armand, connu par des brochures anti-abolitionistes.

Delhorme, grand planteur qui donna une fête pour célébrer l'acquittement de son géreur Bruno.

Que devient la justice, lorsque le taux de la rançon est ainsi fixé en dernier ressort par ceux-là mêmes qui la perçoivent? Comment les ennemis déclarés de la liberté ne rendraient-ils pas illusoire la loi de liberté quand on leur donne la charge de l'appliquer?

C'est là une telle énormité que nous avons entendu un colon dire « Si j'étais nommé de cette commission, je me récuse<< rais, car mon devoir y serait en opposition trop directe avec << mes intérêts pour que je ne pusse pas craindre d'être par<< tial, même à mon insu. >>

On s'expliquera mieux ce sentiment d'un homme intègre et ce que nous dirons dans toute cette discussion, en ne perdant point de vue, en se rappelant bien que les créoles ont une antipathie passionnée contre le rachat forcé, qu'ils le regardent non seulement comme une profonde atteinte à leurs droits, comme une violation flagrante de leurs priviléges, mais encore comme un moyen de jeter une perturbation mortelle dans leurs ateliers. Faisons remarquer en outre que la disposition très légitime qui permet au créancier de saisir le prix de l'esclave est un motif de plus pour que les habitants apportent tous les obstacles possibles à la libération; car il n'en est presque aucun qui n'ait beaucoup de créanciers.

§ 3.

Ordonnances du 3 novembre 1845 sur le rachat forcé,

Le mal comme on voit est déjà grand. M. Mackau, dans ses ordonnances du 3 novembre 1845, semble avoir pris à tâche de l'augmenter encore. Il est malheureusement trop aisé de prouver que ces ordonnances sont plutôt faites pour entraver que pour faciliter les rachats. Examinons:

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<< Art. 1. (paragraphe premier). Dans le cas prévu, la << demande en fixation du prix de rachat sera transmise à la << commission chargée d'y procéder, par le procureur-général <<< de la colonie, sur l'envoi qui lui en sera fait par le procureur << du roi de l'arrondissement où le maire aura son domicile. >>

<< Paragraphe 2.-Le procureur du roi sera saisi de la << demande, soit directement par l'esclave ou par son maître, << soit par l'entremise et avec l'avis motivé du maire de la <«< commune ou du juge de paix du canton, au choix de l'un « et de l'autre des intéressés. Il la transmettra au procureur<< général avec tous les éléments de l'évaluation. >>

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Ici, d'abord, il faut écarter le maître. Évidemment il ne consentira à faire aucune démarche pour faciliter le rachat d'un esclave qui veut, au nom de la loi, s'éloigner de lui. Il ne reste donc que l'esclave; mais l'ordonnance ne lui donne pas le moyen d'agir, et elle n'ignore pas cependant qu'il en est privé jusqu'à un certain point. L'esclave, nous l'avons déjà expliqué, ne peut sortir de l'habitation sans un billet du maître; quelque part qu'on le trouve sans billet, il est arrêté et conduit comme marron à la geôle. Or le maître ne donnera point de billet à l'homme qui sera disposé à se racheter 1, et si cet homme, allant furtivement présenter sa requête, est arrêté, le maître le fera châtier doublement et pour les frais de geôle qui sont à sa charge et pour la volonté qu'a eue le malheureux de s'affranchir!

Il fallait donc ordonner que, dans ce cas, le maître sera

1 Nous avons fourni un exemple frappant de ces refus, page 451 de l'Histoire de l'esclavage.

obligé de délivrer un billet, et assurer cette obligation par une clause pénale pour ceux qui s'y refuseraient.

Quant aux maires des communes, l'esclave est certain de ne trouver auprès d'eux qu'une hostilité très active, et non pas une protection; ils sont tous planteurs.

:

Maintenant, nous supposons que l'esclave a pu surmonter tant et de si grandes difficultés premières voilà le procureur-général saisi de sa demande. Mais il n'y a point de délai fixé pour la transmission de cette demande du procureur du roi au procureur-général, non plus que du procureur-général à la commission; si bien que chacun de ces fonctionnaires peut reculer l'accomplissement de son devoir, un mois, deux mois, trois mois, sans que le pauvre esclave ait aucune réclamation possible à faire. Encore un moyen d'éluder la loi ou du moins d'en dégoûter ceux pour qui elle est faite.

Ces objections paraissent peut-être méticuleuses; elles ne sont que justes. De telles garanties seraient inutiles autre part, mais dans les colonies on ne saurait stipuler les plus petits détails avec trop de soin, car les magistrats emploient tous les moyens imaginables pour échapper aux lois favorables à l'esclave.

«< Art. 2, paragraphe 1. - La commission statuera sur << pièces, sauf le cas ci-après. Elle pourra, par l'entremise du << procureur-général, réclamer tous les renseignements sup<< plémentaires qui lui paraîtront nécessaires pour servir de <<< base à sa décision. >>

Ainsi, nulle détermination non plus sur le temps que la commission devra mettre à statuer; et, comme elle est composée, ne l'oublions pas, d'hommes qui sont juges et parties, il est très permis de craindre qu'elle tarde volontairement, ou sinon qu'elle ne déploie pas un grand zèle. Que si le procureur-général ne lui donne point les renseignements supplémentaires, elle ne peut procéder à l'estimation. Ces maîtres, qui ont à fixer le sort d'un esclave assez insolent pour exiger sa liberté, ne trouveront-ils pas toujours des raisons pour demander des renseignements supplémentaires, et le pro

cureur-général, maître comme eux, n'en trouvera-t-il pas toujours aussi pour ajourner l'envoi? Il était, par conséquent, indispensable de poser des limites de temps à chaque opération successive. M. de Mackau savait tout cela aussi bien et mieux que nous, pourquoi n'y a-t-il pas pourvu? Hélas! qu'est devenu le sentiment de commisération qui l'animait lorsqu'il répondit à une interpellation de M. Roger : « L'ordonnance sera << conçue dans les termes les plus favorables aux esclaves. Je «suis charmé d'avoir cette occasion de déclarer que, dans <<< toutes les combinaisons, dans les ordonnances et les règle«ments, évidemment le gouvernement sera toujours porté à << venir en aide aux esclaves. » (Séance du 2 juin.)

« Art. 3, paragraphe 1. La commission fera connaître << sa décision au gouverneur par un rapport qu'elle remettra << au procureur-général. »

Très bien; mais si la commission ne donne son rapport qu'au bout de six mois, et que le procureur-général ne le remette au gouverneur qu'au bout d'un an, qu'arrivera-t-il ? Eh bien! il n'y a aucune exagération à dire que les choses se passeront souvent ainsi. Pour n'en fournir qu'une preuve, nous rappellerons un fait rapporté dans la Réforme du 31 mars 1844 : Une femme, qui avait été remise en esclavage, malgré ses droits incontestables à la liberté, resta plus d'une année en instance auprès du procureur-général de la Guadeloupe, M. Bernard, avant d'être rendue à elle-même. Ce n'est pas sans motif, on le voit, que nous redoutons l'incurable mauvais vouloir de la haute magistrature coloniale.

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<< Paragraphe 2. Le procureur du roi déposera le prix du << rachat dans la caisse coloniale.

<< Paragraphe 3. Sur le vu du récépissé du trésorier, le << gouverneur délivrera, d'après le rapport du procureur-gé<< néral, le titre de liberté. »

Voilà donc que le gouverneur, pour délivrer le titre de liberté, est encore obligé d'attendre un nouveau rapport du procureur-général. Dieu sait quand ce magistrat voudra faire tous ces rapports en faveur de misérables esclaves qu'il dé

teste, et quelquefois en faveur de ses propres esclaves, qui voudront s'affranchir malgré lui! Encore une fois, si l'ordonnance n'avait pas voulu rendre la loi fort ardue pour ses bénéficiaires, elle aurait enfermé tous les actes des magistrats dans un délai fixe et déterminé.

Comment! on s'obstine, malgré la raison, malgré le bon sens, à permettre aux magistrats d'avoir des esclaves, et l'on espère que ceux-ci obtiendront justice! Quoi! tel nègre sera obligé de s'adresser à son possesseur, afin que celui-ci, à titre de défenseur d'office, fasse les démarches nécessaires pour se dépouiller de l'homme qu'il est furieux de voir lui échapper. Mais cela est aussi absurde qu'il est monstrueux de donner aux noirs leurs propres maîtres pour les protéger, comme patrons, contre les sévices que ces mêmes patrons peuvent exercer envers eux, comme maîtres!

La méfiance que nous montrons pour les autorités supérieures pourra paraître excessive à ceux qui ne connaissent point les colonies; elle est, par malheur, trop légitime, trop bien fondée. Nous avons déjà donné maint exemple notable du mauvais vouloir des parquets, de leur scandaleuse faiblesse pour les colons et les préjugés coloniaux. Mais on ne saurait assez revenir sur un pareil sujet. Il faut frapper si fort et si souvent à la porte de la raison pour corriger même les plus choquants abus!

Voyons maintenant la seconde ordonnance. La chambre des députés qui a unanimement montré, lors de la discussion de la loi, une volonté très précise d'arriver promptement à l'abolition définitive de l'esclavage, alla plus loin que le projet du gouvernement; elle vota, en vertu de son initiative, une somme de 400,000 fr. pour concourir au rachat des esclaves, laissant à l'administration le soin de disposer de ces fonds. La seconde ordonnance a pour but d'en régler l'emploi.

« Art. 1or. Les propositions seront soumises aux gouver<<neurs par le directeur de l'intérieur ou le procureur-géné<< ral, etc.

« Art. 2. Ces propositions seront préparées :

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