moyens les plus faciles à l'exécution de leur mauvais dessein. La Croix de fon côté s'en alla travailler, & se préparer à remplir les conditions dont on étoit convenu. Il trouvoit dans son calcul, qu'il pouvoit gagner cent pistoles par Action, ce qui montoit à dix-mille livres de profit, suivant le nombre des Actions qui lui avoient été proposées. L'heure du rendez-vous étant venuë, on ne manqua point de s'y rendre de part & d'autre. La Croix ayant annoncé à ces trois Négocians de nouvelle date, qu'il étoit prêt & en état de confommer leur affaire;,, Où irons-nous دو دو à faire notre Calcul? lui dit d'un air tranquille le principal Acteur de cette Tragédie; infinuant en même tems au refte de la Compagnie, qu'il seroit bien aise de boire un coup.,, Entrons, “repliqua le Chevalier de l'Etang, „ l'Epée de bois, qui est le cabaret le „ plus à portée ". Ils y allerent tous, & y prirent une chambre particuliere, sous prétexte de n'être pas interrompus dans une négociation importante. Etant montés au second étage, le garçon Cabaretier leur apporta d'abord quelques bouteilles de vin; après quoi on lui recommanda de ne point remonter jufqu'à qu'à ce qu'on sonnât la clochette, pour l'avertir que leur affaire étoit finie. L'un des deux complices de l'Etranger, sous prétexte d'aller voir s'il n'y auroit pas quelque chose à manger, alla prendre son pofte en dehors, où il resta en sentinelle sur l'escalier, ainsi qu'on en étoit convenu. Les autres ayant bu un verre de vin; „Voyez un peu 4 à combien montent vingt-cinq Ac„ tions, dit l'Acteur principal, & fi ., vous avez assez de fonds pour nous دو les payer? " L'Agioteur tira d'abord fon porte-feuille, pour montrer ses Billets de Banque, & en même tems faire fon calcul. Dans le même instant, le Chevalier de l'Etang, sous prétexte d'examiner fon calcul de plus près, se posta derriere lui, & prenant les deux coins d'une nape qui couvroit la table sur laquelle ils étoient appuyés, il en couvrit la tête de la Croix, lui ferrant la gorge de façon qu'il ne pût ni crier ni agir, pendant que l'Etranger, le poignard à la main, l'assassina cruellement, & lui enleva son porte- feuille. Jusques-là l'action avoit été conduite conformement aux mesures concertées & l'on n'attendoit plus que le moment de voir expirer la miferable vic F3 time, time, qui se débattoit encore en pouffant des gémissemens étouffés. La sentinelle se tenoit toûjours devant la porte de la chambre où se passoit cette tragique scene, lorsqu'un Porteur d'eau, qui avoit fa chambre au troisième étage, y monta pour déjeûner. Il n'y fut pas plutôt, que faisant reflexion à cet homme qu'il venoit de voir en sentinelle, & entendant en même tems des gémissemens, comme d'un homme qui expire, la frayeur le saisit: cependant reprenant courage, il s'avisa d'approcher l'oreille du plancher; & alors il entendit distinctement les plaintes du mourant. Quoique mortellement effrayé, il descendit à l'apartement où se tenoit le Cabaretier, & lui dit, que certainement on assassinoit un homme au second étage, vû que la porte de la chambre au - dessous de la sienne, étoit gardée par un grand homme vêtu de noir, & qu'il avoit entendu très-diftinctement le mourant. On y courut fur le champ, mais pas assez à tems pour prévenir la sentinelle, qui trouva moyen de se sauver. Le Cabaretier n'ayant pas affez de courage pour entrer dans la chambre, tourna à double tour la clef qui se trouva en dehors de la porte, & se mit à crier au secours. L'Etranger voyant qu'il alloit être pris, ne fongea plus qu'à se sauver. Ayant ouvert une fenêtre qui donnoit sur la ruë de Venise, il s'y laissa glisser le long d'une grosse poutre, dont il y en avoit plusieurs qui étayoient ce cabaret. Son camarade le suivit; mais il prit si mal ses mesures, qu'il tomba sur le pavé, & se disloqua le pied droit. Malgré cet accident, il se sauva avec le portefeuille dont il étoit dépositaire. Le bruit de leur crime n'étoit point encore repandu dans la ruë, attendu que les gens du Cabaret étoient occupés à examiner si la Croix donnoit encore quelque signe de vie, & s'il n'y avoit aucune ressource pour le secourir. Le voyant expiré, on courut chez le Commiffaire, & au corps-de-garde qui fubsistoit encore dans la rue Quinquempoix. Cependant l'Etranger, fortant de la ruë de Venise, les yeux tout égarés, fut affez teméraire, ou pour mieux dire assez aveugle, pour ne pas voir qu'il s'exposoit à la vûë de ce corps-degarde. Il poursuivoit son chemin, lorfque les Archers venant à jetter les yeux fur lui, jugerent à son air effaré qu'il venoit de faire un mauvais coup. L'ayant L'ayant fait remarquer à leur Officier, il fut arrêté sur ce simple soupçon, & conduit chez le Commissaire du quartier St. Martin, sous prétexte de lui faire rendre justice, parce qu'il disoit, pour excufer l'émotion où il se sentoit, qu'on avoit voulu le poignarder. Son complice, qui s'étoit muni du portefeuille, passa par l'autre bout de la ruë Quinquempoix, où il y avoit aussi un corps-de-garde, mais qu'il évita; & cherchant à se sauver dans le tumulte, il tourna ses pas vers la Halle. Comme c'étoit dans le fort du marché, il lui eût été fort facile de s'y cacher, si la vengeance divine ne se fût servie du bras d'un porte-faix, qui s'avisa de l'arrêter, sans autre fondement que de voir fon linge taché de quelques goutes de sang.,, Qu'avez-vous donc, Mon sieur? " lui dit ce fort de la Halle, en lui empoignant le bras affez rudement; » quelqu'un vous auroit-il in„ fulté? Il faut voir qui vous êtes, & vous faire rendre justice: tout ce „ quartier n'est plein que de canaille. " Dans cette terrible conjoncture, l'assassin cependant ne se démonta point, & fe voyant forcé de répondre;,„ Ami, lui , dit-il, je suis un homme de condi„tion 2 |