" „tion, qui, après m'être sauvé des mains de deux assassins, cherche le Commissaire le plus proche; je te „ prie de me l'indiquer; " & voulant lui donner pour boire, le généreux porte-faix refusa son argent, en lui repliquant, que ce n'étoit point l'intérêt qui le faifoit agir, & que fon intention étoit, non seulement de lui indiquer la demeure du Commissaire, mais même de l'y conduire. Le meurtrier voyoit bien, que s'il insistoit pour y aller seul, cet homme s'obstineroit à ne le point quitter; d'ailleurs la populace commençoit à s'attrouper autour de lui, ce qui le détermina à suivre le porte - faix, qui le mena chez le Commissaire du quartier des Halles, où il débita l'Histoire qu'il avoit méditée en chemin faisant. Dans cet intervalle, le bruit de l'assaffinat parvint jusqu'aux oreilles du Commissaire qui recevoit la plainte du complice. Il n'en falut pas davantage pour le faire arrêter, & conduire au cabaret de l'Epée de bois, où le Lieutenant Criminel s'étoit déja transporté, avec l'Etranger, auteur principal de la scene. On leur fit reconnoître le cadavre de la Croix: après quoi ils furent conduits fous bonne escorte dans les prisons du grand Châte F5 Châtelet, où, fans perdre un instant, on commença à travailler à l'instruction du procès, traitant la matière sur le pied de flagrant délit, sans désemparer, quoiqu'on entrât justement dans la Semaine sainte. Le Porte-feuille fut trouvé chez le Commissaire des Halles, où celui qui s'en étoit saisi avoit trouvé moyen de le jetter dans les lieux, en feignant d'être pressé de quelque besoin. On le rendit à celui qui vint le reclamer, après avoir prouvé, par une reconnoissance de la Croix, que lesdits effets lui apartenoient. Cette occafion donna lieu au Duc Régent de continuer à faire éclater sa fermeté & la justice qui le guidoit, furtout quand il s'agissoit de punir le crime. L'Etranger s'étoit envain flatté que fon nom le sauveroit, ainsi qu'il le fit assez connoître par ses manières libres envers les Juges commis à son interrogatoire. Il parut devant eux avec un air riant, & dans une sécurité sur l'évenement de fon affaire, comme auroit pû faire quelqu'un qui n'auroit tué un homme qu'à son corps défendant. Cependant le Prince Régent ayant pris connoiffance de la nature du crime, par les informations que le Lieutenant Criminel lui produisit; " ,, chemin, sans quitter prise, lui dit-il, c'est un cas Royal, & l'espece du crime crie vengeance: ce seroit me faire injure que de me proposer les „ moyens d'en arrêter le cours. Au ,, lieu de grace, c'est la plus sévère ,, justice qu'il faut employer: le Roi » vous l'ordonne par ma bouche; & le plus promptement sera le mieux. " Les Grands & notables qui se mêlerent d'agir en faveur du Criminel, obligerent le Régent,tcomme j'ai déja dit dans l'abregé de sa vie, à leur répondre, » que ,, ce n'étoit point l'échaffaut, mais seu,, lement le crime qui déshonoroit; & ,, que d'ailleurs les actions étoient per fonnelles. “ Enfin ce Prince donna ses ordres pour presser le jugement & l'exécution des criminels: après quoi il se retira incognito à St. Cloud, pour éviter les importunités de ceux qui se préparoient à le solliciter pour une commutation de peine, que sa politique & son intégrité trouvoient tout-à-fait hors de saison. Ainsi l'Etranger & fon complice furent roués vifs en place de Greve le 26. de Mars 1720. le Mardi de la Semaine sainte, à quatre heures après midi, le quatrième jour précisement après F6 l'affaffi l'assaffinat commis. Quant au troisième, qui avoit echapé, on n'en a pu jamais rien apprendre, quelque perquisition qu'on ait faite. Je laisse à chacun à faire ses reflexions. fur cette terrible histoire; mais je ne sçaurois m'empêcher d'y faire remarquer le doigt de Dieu, qui s'est manifesté d'une manière si palpable pour la punition des Assassins. Ils avoient debuté par la Débauche, d'où ils étoient. paffé au Libertinage, & enfin au Meurtre. La noblesse de leur extraction, le grand nombre & le crédit de leurs Amis & Parens, & l'état qu'ils croyoient pouvoir faire fur leur puissante intercefsion en cas de besoin; tout cela, dis-je, les avoit enhardis à porter leurs criminelles inclinations à leur comble. Ils avoient fi bien concerté leur coup, & tellement saisi toutes les circonstances qui pouvoient en soustraire les Auteurs aux poursuites de la Justice, qu'il femble qu'il n'y eut que la Providence qui pût les decouvrir. Aussi le fit-elle par le moyen de deux hommes que les Af faffins n'eurent garde d'en soupçonner. Un pauvre Porteur d'eau & un miferable Porte - faix, deviennent les instrumens dont la Justice divine se fert pour ! venger le sang qu'ils viennent de verfer. Plus donc on y refléchit, plus on doit se perfuader la vérité de ce qu'a reconnu un ancien Payen, qui dit: Qu'il semble bien souvent que la vengeance Divine se fasse attendre long-tems, mais qu'elle ne manque pas d'éclater dès que la mesure eft comblée, & qu'elle n'est jamais plus terrible, que lorsqu'elle paroît avoir retardé la punition des coupables. Pour peu qu'elle eût encore différé, les trois Scelerats, dont il est ici question, consommez dans le crime, n'auroient pas manqué d'étonner Paris par une action beaucoup plus teméraire que celle qu'ils venoient de commetre. Ils étoient les Chefs d'une cabale composée de tout ce qu'il y avoit de plus grands Libertins dans Paris. On prétend qu'ils avoient formé le projet de se partager en plusieurs troupes, dont l'une devoit tenir en respect la garde de la ruë Quinquempoix, pendant que l'autre auroit fondu, l'épée à la main, dans cette place, y portant la consternation & l'effroi, afin de faciliter à une troisième troupe l'enlevement de tous les porte-feuilles. Ce dessein, qui étoit pour ainsi dire une conjuration, fut Içû, dit-on, du Prince Régent, lorf qu'on F7 |