Page images
PDF
EPUB

Avanture

ce qu'ils en demandoient en Billets de Banque. Une avidité si grande & fi marquée pour l'or & l'argent ayant fait un tort irréparable à la circulation; le Controlleur général chercha les moyens de vaincre une méfiance qui avoit déja pris de trop profondes racines. Mais pendant que cet habile Financier travaillera à faire passer au Confeil l'Arret qui fixe à cinq-cens livres les fommes que chaque particulier pourra garder en espèces, disons un mot concernant une Avanture assez plaisante qu'on assûre être arrivée dans ce tems-là..

Un Agioteur tenant le change des efplaifante peces, chercha dans les opérations du d'un Agio-Systeme, à profiter du mépris qu'on Change. faisoit de l'or. Il y réussit à merveille;

teur

& quoique ce métal commençât à devenir rare, son avidité insatiable le pouffoit à se donner des mouvemens extraordinaires pour en trouver. Dans ces circonstances, un Provincial (les uns veulent que ce soit un Languedocien, d'autres un Provençal; quoi qu'il en soit, c'étoit un des plus hardis & des plus rusés Matois, mais dont il a été impoffible d'apprendre le vrai nom) s'avisa. d'un stratagême singulier pour faire sa dupe du Changeur en question. S'étant déguidéguisé, il fut à l'entrée de la nuit defcendre dans la ruë de la Huchete, prenant une chambre garnie à la hâte, comme un Voyageur qui arrivoit directement de Lyon. Il portoit un emplâtre sur l'œil, qui lui couvroit la moitié du visage; disant qu'il avoit été ainsi blessé par une chûte qu'il venoit de faire de dessus son cheval: au reste il étoit enveloppé d'un manteau, & muni d'une mâle fort pésante.

Cet Avanturier, instruit qu'un émiffaire du Changeur fréquentoit ce logis, par rapport à la fille qu'il étoit sur le point d'épouser, présuma qu'on ne manqueroit pas de lui indiquer ce Courtier, préférablement à tout autre. En effet, dès qu'il eût confié à son hôte le deffein où il étoit, de changer en Billets de Banque l'or monnoyé qu'il disoit avoir apporté, l'émissaire ne manqua pas de se présenter. Il ne s'agit ,, ici, lui dit le Languedocien, que de me » convertir deux-cens mille livres de „ bel or en deux-cens mille livres de » Billets de Banque. L'accident qui » m'est arrivé à deux lieuës d'ici, & » qui m'a réduit dans l'état où vous » me voyez, m'empêche de vaquer moi→ même à cette négociation. L'on m'a

دو

» par

[ocr errors]

» parlé de vous, comme d'un Agent „ difcret: je sçaurai recompenfer vos

دو

soins de façon que vous aurez lieu „ d'être content. J'ai une occafion , très-favorable pour employer ce Pa» pier, & c'est ce qui m'engage à lui

[ocr errors]

donner la préférence sur le plus bel » or du monde. Je vous donne deux heures pour me rendre réponse, sans > quoi je me pourvoirai d'un autre

[ocr errors]
[ocr errors]

côté. Le Courtier le laissa à peine achever de parler, qu'il vola chez fon Changeur, à quiil conta de très-bonne foi toutes les circonstances de l'avanture, en y donnant même un tour plus favorable. Il n'en faloit pas tant pour chatouiller l'Agioteur, qui récherchoit les especes avec plus d'empressement que jamais. Les gros Miffiffipiens l'obfedoient pour en avoir; ainsi il n'héfita point de remettre à fon Courtier deux-cens mille livres de gros Billets de Banque, en lui recommandant fort de faire diligence. Celui-ci courut aussi-tôt au logis de l'Avanturier, qu'il trouva, toûjours avec son emplâtre, auprès d'un grand feu, deux bougies allumées sur une table, & plusieurs facs étiquetés & accompagnés de quelques

especes d'or & d'argent épars sur la table,

ble, qui devoient faire présumer que les facs en étoient remplis.

Le Languedocien, après avoir examiné le bordereau, & les Billets de Banque qu'il contenoit, chercha à entrer dans une explication d'où dépendoit le fuccès de fon entreprise. ,, Monfieur, >>> dit-il à l'Agent, votre bordereau se ,, trouve bon: voici de quoi vous payer; , mais il est juste qu'en vous laissant >mon or, vous me permettiez de mon» ter au-dessus de ma chambre, pour >> vérifier avec une personne qui donne > auffi des especes pour du Papier, & » qui s'y connoît mieux que moi, s'il » n'y auroit point quelque Billet faux » parmi ceux-ci. Passez-moi, s'il vous » plaît ce terme. Depuis Lyon jusqu'ici ,, je n'ai entendu parler que des fripon

[ocr errors]

neries qui se font à l'occasion des >> faux Billets de Banque qu'on a fabri>> qués en Flandre & en Angleterre: je >> ne vous demande que trois minutes, » & je suis à vous". Le Courtier ayant affaire à un Homme nouvellement arrivé de Lyon, qu'il voyoit en robe de chambre & en bonnet, une blessure confiderable à la tête, des sacs d'argent sur la table & une mâle qu'on lui avoit assuré être de bon poids, laissa

emporter

emporter ses Billets de Banque au fecond étage, avec d'autant moins de difficulté qu'il restoit dans la chambre au-dessous, où il y avoit de l'or repandu negligemment à côté des facs, comme pour faire les appoints. De fi belles apparences le mirent au-dessus de tout foupçon. Cependant, après avoir attendu plus d'une demi-heure, l'impatience le fit lever d'auprès du feu: il n'osoit pourtant pas encore toucher à l'or ni aux facs, qu'il regardoit avec quelque respect; mais le Lyonnois ne revenant point, l'agitation de son esprit le força d'en remuer un, qui rendit un fon bien différent de celui qu'il attendoit. Cette effrayante conjoncture le fit courir précipitamment à la porte, qu'il trouva fermée. Envain voulut-il s'obstiner à l'ouvrir, l'homme à l'emplâtre avoit eu la précaution d'en emporter adroitement la clef. Ne pouvant rien de ce côté-là, il voulut se jetter à une fenêtre pour appeller du monde, mais elles se trouverent toutes clouées. Toute sa ressource fut donc de frapper sur le plancher, & de crier au Voleur. Ceux qui entendoient crier, ne se pressoient pas de venir au secours, parce que les maisons garnies de cette

ruë

« PreviousContinue »