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No, 3950.

1870.

première alliée: la liberté ! ¶Il y a plus de dix ans que je parle ainsi et que Frankreich, je dis à l'Empereur: Si vous voulez être grand, accordez à ce pays la plus complète et la plus loyale extension des libertés publiques. Ce langage a été accueilli; le Souverain, montrant l'exemple rare d'un homme qui sait suffire à deux tâches, après avoir tout sacrifié d'abord au maintien de l'autorité, n'a pas hésité à comprendre les exigences d'une société moderne, et il a institué en France un Gouvernement constitutionnel. ¶ Voilà pourquoi nous sommes ici. Nous n'avons ni désiré, ni demandé, ni ambitionné le pouvoir; nous l'avons accepté pour appliquer les idées que nous avons défendues. A une heure qui, certes, n'est pas dangereuse, mais qui est grave, on nous a demandé notre concours; comme de bons citoyens, comme des hommes sérieux qui sont l'otage de leurs idées, nous l'avons donné, et voilà pourquoi nous sommes devant vous. ¶ Quelle va être notre tâche, et en quoi pouvons-nous être utiles à la chose publique? ¶ La lutte n'a pas cessé; elle ne cesse jamais dans ce monde; seulement elle change de caractère. Il ne s'agit plus de savoir, comme dans la première partie de l'Empire, si l'on peut ou si l'on doit accorder la liberté : la controverse est jugée; la liberté existe; mais un second combat commence. En présence de nous tous, adversaires de la veille aujourd'hui réunis, se lève un parti nouveau, composé d'hommes audacieux, convaincus, quelques-uns respectables. A l'Empire appuyé sur la liberté ils disent: Nous ne t'acceptons pas, et contre toi nous commençons le combat sans trève ni merci! Tu es la liberté constitutionnelle, parlementaire, bourgeoise, modérée; nous, nous sommes la révolution radicale, infatigable, inflexible. Et nous commençons la lutte. Eh bien ! le ministère, au nom du Gouvernement, répond à ce parti: „Cette lutte, nous l'acceptons! Notre mission, et j'ajoute notre honneur, sera non pas seulement de la soutenir, mais d'y triompher! Seulement nous y triompherons en continuant avec un soin jaloux à être les représentants fidèles des vœux légitimes de l'opinion publique. Nous y triompherons en devenant permettez-moi cette antithèse qui rend ma pensée d'une manière saisissante, nous y triompherons en devenant, lorsque cela sera nécessaire, la résistance, mais en ne devenant jamais la réaction. L'honorable M. de Maupas me pressait de dire quel serait notre dernier mot: nous pouvons lui dire ce que nous voulons actuellement; nous ne pouvons pas lui annoncer quel sera notre dernier mot. En politique, il n'y a pas de dernier mot. Le dernier mot du jour n'est, le plus souvent, que le bégayement confus qui précède l'articulation du mot du lendemain. Quant à ce que nous voulons dans le présent, rien n'est plus aisé à déterminer. Nous avons signé deux programmes; ces deux programmes, nous les acceptons dans leur intégralité et nous les appliquerons loyalement, sans précipitation, en ne supprimant pas la part du temps, comme des hommes qui, stirs de leur lendemain, n'ont pas besoin de se hâter. ¶ Il n'a pas été nécessaire de recourir à des négociations bien longues pour que les membres du cabinet se missent d'accord. Les différences qui existaient entre les deux programmes n'étaient pas considérables. Le programme que l'on a

appelé improprement,

vite,

mais je me sers du langage habituel pour aller plus que l'on a appelé le programme du centre droit, se bornait à dire, d'une manière générale, qu'il était nécessaire de procéder à l'étude d'une loi

Frankreich,

15. Jan.

1870.

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No. 3950 municipale, d'une loi de décentralisation. Le programme que l'on a appelé du centre gauche exige davantage : il a demandé qu'on détachât immédiatement de la loi municipale en préparation une loi spéciale ayant pour but d'accorder aux populations une plus grande part dans le choix des maires; mais il a été bien entendu entre nous que cette part n'arriverait pas jusqu'à l'élection des maires par les conseils municipaux. La seconde différence entre les deux programmes avait trait au pouvoir constituant. Y a-t-il lieu de partager le pouvoir constituant entre l'Assemblée législative et le Sénat? Y a-t-il lieu de procéder à une organisation nouvelle du Sénat? Ces questions n'ont pas été tranchées, ni dans l'un ni dans l'autre programme; elles ont été posées dans cette enceinte, et, si je suis bien informé, elles s'y poseront peut-être encore. Quant au Gouvernement, il est parfaitement résolu à ne rien trancher sur ces importantes matières que d'un commun accord avec l'assemblée devant laquelle j'ai l'honneur de m'expliquer. Un vœu relatif au pouvoir constituant a été placé dans les programmes du centre gauche. Voici comment nous l'avons accueilli dans le programme ministériel. Dans la Constitution se trouvent un certain nombre de dispositions de l'ordre purement législatif, confondues au milieu de dispositions de l'ordre constituant. Ainsi, c'est la Constitution qui a réglé la manière dont les maires seront nommés. Cependant cette disposition est de l'ordre purement législatif, et on a eu tort de la placer dans une Constitution. On a eu tort à un double titre d'abord parce que ce n'est pas logique, et ensuite parce que c'est dangereux. Il n'y a pas d'inconvénients à ce qu'une Constitution, étant perfectible, puisse être modifiée; mais pour que ces modifications ne soient pas des affaiblissements, il faut qu'elles soient rares et qu'elles ne constituent pas une espèce d'état habituel. Il n'est ni bon, ni utile qu'à chaque instant on dise couramment et comme si c'était un fait naturel: On fera un sénatus-consulte! Pour que le sénatus-consulte ait son autorité, il doit être peu fréquent; pour qu'il soit peu frequent, il faut enlever au domaine constitutionnel, ce qui est du domaine purement législatif. ¶ Aussi, en ce qui concerne les maires, voici comment le cabinet compte procéder. Il ne vous présentera pas un sénatus-consulte substituant à l'article de la Constitution, qui dit que le pouvoir exécutif peut choisir les maires en dehors des conseils municipaux, un autre sénatus-consulte statuant que les maires devront être pris dans le sein des conseils municipaux. Il vous proposera simplement un sénatusconsulte vous demandant de déclarer que la question de nomination des maires est de l'ordre purement législatif, et non pas de l'ordre constituant. Et quand il aura obtenu de votre sagesse cette déclaration, il présentera sur la matière un projet de loi ordinaire qui passera par les épreuves indiquées par la Constitution. ¶ J'ai répondu aux questions qui nous ont été adressées. Il ne me reste plus qu'à vous demander avec confiance votre concours bienveillant. Nous savons à merveille, non-seulement ce qu'il y a de patriotisme, mais ce qu'il y a de hauteur d'âme, d'intelligence dans cette assemblée; nous savons qu'un Gouvernement sérieux ne peut sans péril dédaigner l'appui et le concours de ceux qui, siégeant ici après s'être distingués dans toutes les carrières, représentent la science, l'expérience, l'habitude des affaires. Nous vous demandons donc, messieurs, de nous seconder. Vous pouvez nous être très-bienfaisants, en nous conseillant,

'Frankreich, 15. Jan.

1870.

en nous contenant, en étant pour nous, non l'obstacle qui empêche de marcher, No. 3950. - ce qui serait un malheur, mais l'obstacle momentané qui oblige à se recueillir, à ramasser ses forces pour s'élancer ensuite en avant avec plus de confiance et avec plus d'ardeur!

Le Sénat, acceptant avec confiance les explications que lui a données le Gouvernement, passe à l'ordre du jour.

No. 3951.

FRANKREICH. Der Kaiser an den Minister Emile Ollivier. Die Vorlage des Entwurfs zu einem Senatsconsult betreffend, wodurch die Verfassung in Gemässheit des constitutionellen Princips revidirt wird.

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Palais des Tuileries, le 21 mars 1870.

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Frankreich,

21. März

1870.

Monsieur le ministre, Je crois qu'il est opportun dans les circonstances No. 3951. actuelles d'adopter toutes les réformes que réclame le Gouvernement constitutionnel de l'Empire, afin de mettre un terme au désir immodéré de changement qui s'est emparé de certains esprits, et qui inquiète l'opinion en créant l'instabilité. Parmi ces réformes, je place au premier rang celles qui touchent à la Constitution et aux prérogatives du Sénat. La Constitution de 1852 devait avant tout donner au Gouvernement le moyen de rétablir l'autorité et l'ordre; mais il fallait qu'elle restât perfectible tant que l'état du pays n'aurait pas permis d'établir sur des fondements solides les libertés publiques. Aujourd'hui que des transformations successives ont amené la création d'un régime constitutionnel en harmonie avec les bases du plébiscite, il importe de faire rentrer dans le domaine de la loi tout ce qui est plus spécialement d'ordre législatif, d'imprimer un caractère définitif aux dernières réformes, de placer la Constitution au-dessus de toute controverse, et d'appeler le Sénat, ce grand Corps qui renferme tant de lumières, à prêter au régime nouveau un concours plus efficace. ག Je vous prie, en conséquence, de vous entendre avec vos collègues pour me soumettre un projet de sénatus-consulte qui fixe invariablement les dispositions fondamentales découlant du plébiscite de 1852, partage le pouvoir législatif entre les deux Chambres, et restitue à la nation la part du pouvoir constituant qu'elle avait délégué. Croyez, monsieur le ministre, à mes sentiments de haute estime. Napoléon.

No. 3952.

FRANKREICH.

Project des Senatsconsult nebst Motiven, verlesen in der Sitzung des Senats vom 28. März 1870 durch den Minister Emile Ollivier.

No. 3952.

S. Exc. M. Émile Ollivier, garde des sceaux, ministre de la Frankreich, justice et des cultes. Messieurs les sénateurs, je vais avoir l'honneur de donner lecture au Sénat de l'exposé des motifs du projet de sénatus-consulte.

27. März 1870.

EXPOSÉ DES MOTIFS.

No. 3952.

Frankreich,

Messieurs les Sénateurs,

La lettre de l'Empereur au garde des sceaux vous a déjà fait connaître 27. März l'objet du sénatus - consulte que nous avons l'honneur de vous présenter. Il confère au Sénat les attributions d'une chambre législative; il lui retire le pouvoir constituant et le restitue à la nation.

1870.

I.

L'existence d'une seconde chambre est considérée par les publicistes comme un axiome de la science politique; par les peuples libres, comme une garantie de la stabilité sociale. La chute des constitutions, soit monarchiques, soit républicaines, qui se sont refusées à cette nécessité, n'est pas moins significative que la durée de celles qui s'y sont pliées; l'impuissance de la Constitution du 3 septembre 1791 et de celle du 4 novembre 1848 ne prouve pas moins que l'énergique vitalité de la Constitution anglaise ou américaine. Qui pourrait, en effet, raisonnablement méconnaître que tout ne doit pas être accordé à la force d'impulsion, que, dans la nature comme dans la société, la part doit être faite à la force de résistance, et que le progrès n'est assuré que s'il est la résultante naturelle de cette double action? Sans doute les assemblées uniques ne sont pas nécessairement hostiles à l'esprit de conservation: souvent elles l'ont servi avec courage; quelquefois, néanmoins, subissant la pression du peuple, „dont la nature est, selon l'expression de Montesquieu, d'agir par passion," elles ont subordonné les intérêts permanents aux entraînements passagers. Il est désirable alors qu'une seconde assemblée, plus maîtresse d'elle-même et moins soumise aux influences du jour, empêche, ou tout au moins ralentisse les mouvements, précipités ou irréfléchis. Une seconde chambre, composée de tous ceux qui ¶ se sont illustrés dans les carrières civiles et militaires, serait utile, même si elle n'avait que l'effet d'habituer au respect une société qui ne s'est pas toujours rappelé assez combien le culte du passé rend un peuple digne des bonnes fortunes de l'avenir. Mais dans une monarchie, une seconde chambre n'a pas seulement une action morale; elle est l'intermédiaire naturel entre le pouvoir héréditaire et le pouvoir électif; elle prévient, elle apaise, elle adoucit les chocs et elle assure une protection de plus au monarque, déjà couvert par la responsabilité ministérielle. ¶ Dans l'organisation actuelle, on ne saurait dire qu'il existe deux chambres. Le Sénat et le Corps législatif se meuvent dans deux sphères différentes; les lois constitutionnelles sont réservées à l'un et les lois ordinaires à l'autre de telle sorte qu'il existe une constituante et une législative juxtaposées plutôt que deux chambres législatives. L'Empereur a compris les inconvénients de ce régime, et il a accordé déjà au Sénat une certaine participation au pouvoir législatif, en 1867 par le véto suspensif, en 1869 par le véto absolu. Mais cette participation n'est pas suffisante. On en comprend l'efficacité lorsque l'assemblée legislative adopte des projets vainement combattus par les ministres : le Sénat peut alors

Frankreich,

1870.

venir en aide au Gouvernement. Mais que ferait le Sénat si l'assemblée légis- No. 3952. lative rejetait systématiquement les projets présentés par la Couronne? A quoi 27. März lui servirait son véto? C'est le droit d'approuver qu'il lui faudrait alors; et comment l'exercerait-il à l'occasion de lois qui ne lui seraient pas même soumises? La situation serait bien différente si le Gouvernement pouvait, à son choix, apporter ses propositions à l'une ou à l'autre assemblée. ¶ Sans supposer les cas extrêmes que le patriotisme du Corps législatif rend improbables, il n'est pas téméraire de penser que certaines lois de législation, une révision de nos codes, par exemple, gagneraient à être d'abord préparées par une assemblée où siégent en grand nombre des jurisconsultes, des magistrats, des hommes rompus aux affaires. Nous vous proposons donc de déclarer que le Sénat partagera le pouvoir législatif avec l'Empereur et le Corps législatif. Comme eux, il aura l'initiative et le vote des lois. Seulement, conformément à une règle constante, les lois d'impôts devront être d'abord adoptées par le Corps législatif. Il est difficile de toucher aux attributions essentielles d'un corps politique sans être conduit à rechercher s'il ne conviendrait pas de changer aussi le mode selon lequel il se recrute. On n'y a pas manqué à l'égard du Sénat, et quelques-uns ont proposé de remettre la nomination des sénateurs aux conseils généraux. Nous n'avons pas accueilli ce système. Le droit de choisir les membres d'une seconde chambre est, en France, un des attributs de la Couronne. Le peuple, en instituant la dynastie, lui a délégué ce droit, aussi bien que celui de nommer les magistrats; l'inamovibilité a paru, dans les deux cas, la sauvegarde suffisante de l'indépendance de l'autorité. On a rapproché à tort les conseils généraux des législatures américaines. Les conseils généraux, même après que leurs pouvoirs auront été accrus par une loi de décentralisation, n'auront qu'une ressemblance bien éloignée avec les législatures américaines, qui sont de véritables parlements. En Amérique, du reste, l'organisation du Sénat, dans toutes ses parties, n'est que la conséquence du régime fédératif. Tous les systèmes électifs qui ont été soutenus jusqu'à ce jour ne nous ont pas paru plus satisfaisants. Ils affaibliraient le Sénat au lieu de le fortifier, et le réduiraient à n'être plus que la contrefaçon effacée du Corps législatif. Pourquoi, d'ailleurs, dans un grand pays de suffrage universel, tout livrer aux chances de l'élection? Pourquoi ne pas se réserver le moyen de récompenser des services éminents, de grouper les illustrations du pays, d'utiliser leur expérience, et, en même temps, d'introduire dans la vie publique, de former à l'étude, à la discussion, au maniement des affaires, des hommes distingués qui, n'ayant ni l'influence locale ni la faveur populaire qui assurent les succès électoraux, resteraient toute leur vie à l'écart, inutiles et impatients, si le pouvoir n'était pas laissé à l'Empereur de les reconnaître, de les appeler et de les mettre en communication avec le pays? Il existe toutefois dans l'organisation du Sénat une lacune qu'il importe de combler. La Chambre législative contient le souverain par le vote des subsides et des lois et par la responsabilite ministerielle; elle-même est contenue par le contrôle du Sénat et par le droit de dissolution de l'Empereur. Le Sénat n'est contenu par personne. Supposez-le en lutte avec l'autre chambre et le Souverain, comme cela est arrive en France à propos de la conversion des rentes, en Angleterre à propos de la

Staatsarchiv XVIII. 1870.

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