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ESSAI

SUR LA

NEUTRALITÉ DE LA BELGIQUE.

I.

DEPUIS la paix de Westphalie, l'histoire politique de l'Europe a démontré à l'évidence que le système d'équilibre et de pondération entre les puissances continentales, repose essentiellement sur l'existence des Pays-Bas, comme État indépendant de la France et de l'Allemagne. L'importance politique de ces pays a toujours été plus grande que leur étendue et leur puissance matérielle ne paraissaient le comporter. Cette importance est due à leur situation. Celui qui les possède, domine l'entrée de la France et celle de l'Allemagne sur des points pour ainsi dire ouverts et plus favorables à l'attaque qu'à la défense. Il commande aux têtes des routes qui conduisent au cœur de l'un et de l'autre de ces deux pays et peut envahir de cette position le Nord de la France avec la même facilité que celui de l'Allemagne.

En dehors de l'importance que leur donnait leur situation, les Pays-Bas ont compté, dès le moyen-âge, parmi les pays

les plus riches, les plus avancés et les plus productifs du continent. Réunis à la France ou à l'Allemagne, ils auraient assuré à celle de ces deux nations qui les eût possédés, une supériorité prononcée sur l'autre, et eussent placé sa suprématie politique hors de toute contestation. Leur influence sur l'équilibre européen s'est encore accrue et a acquis un caractère tout nouveau, depuis que les intérêts du commerce et ceux de l'industrie ont commencé à figurer parmi les éléments, dont la direction des affaires politiques doit tenir compte. C'est par leur territoire que les principales voies de communication pour le commerce de l'Allemagne occidentale, de la Suisse et d'une partie de la France, aboutissent à la mer. La route la plus directe du Nord vers le Midi, des mers qui baignent les côtes de l'Angleterre et celles de l'Allemagne, à la Méditerranée, les traverse dans toute leur étendue; ils constituent l'intermédiaire naturel entre les riches pays qui forment le bassin du Rhin et l'Océan. C'est sur cette importance maritime qu'est basé l'intérêt grand et tout spécial que l'Angleterre a toujours porté au sort politique de ces provinces, indépendamment de l'attention qu'elle leur consacrait dans le mouvement général de la politique continentale.

Dans cette situation on comprend aisément que l'organisation politique de ces pays ait toujours vivement intéressé les Puissances européennes. En effet, l'impossibilité de réunir les Pays-Bas soit à la France, soit à l'Allemagne, étant reconnue, et les événements du seizième siècle ayant empêché leur érection en grand empire intermédiaire, telle que la dynastie de Bourgogne l'avait commencée, il fallait chercher à trouver pour ces provinces un régime qui pùt répondre aux exigences du système politique général. Cette question forme un des plus grands problèmes politiques que présente l'histoire moderne;

elle reparaît avec le même caractère d'importance et de gravité, dans tous les grands remaniements territoriaux, qui ont eu lieu en Europe, pendant les trois derniers siècles. Dans les solutions qu'elle a reçues, il s'agit toujours de deux points bien distincts, et qu'il est essentiel de ne pas confondre. L'un de ces deux points porte sur l'intérêt général, il se rattache à l'existence de l'équilibre politique sur le continent, et a toujours été résolu de la même manière, par la déclaration de l'indépendance des Pays-Bas, et par leur constitution comme État propre. Le second concerne les moyens à employer pour assurer cette indépendance et la mettre à l'abri des tendances envahissantes des peuples voisins. Pendant fort longtemps le principal danger sous ce rapport provint de la position agressive que prit souvent la France; aussi les moyens dont on se servit furent-ils tous dirigés de ce côté.

Lorsque, à la fin du seizième siècle, les provinces septentrionales secouent le joug de l'Espagne et se constituent en État indépendant, les États généraux emploient toute leur influence et les nombreux moyens dont la république dispose, pour créer un régime conforme à l'intérêt général et à celui de leur propre conservation. Ce régime est le système de barrière. Il consiste à donner aux provinces méridionales une organisation telle, qu'elles puissent servir de rempart contre les agressions de la France. Tout en cédant la Belgique à l'Autriche, par des actes et sous une forme qui constituaient une véritable transmission de souveraineté, on admet les Provinces-Unies en quelque sorte au partage de cette souveraineté, en leur accordant le droit de garnison dans les principales places de la frontière et en les autorisant à recourir aux moyens de contrainte et d'exécution par voies de fait, dans le cas où le subside stipulé pour l'entretien de ces garnisons ne serait pas payé. Ce système n'a guère répondu au but, dans lequel on

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