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avoir été négocié et conclu de concert, il avait été ratifié en particulier par chacune des Puissances signataires et établissait ainsi des obligations entre chacune d'elles, prise séparément, et la Belgique. La Hollande ayant refusé d'adhérer aux vingt-quatre articles, et tout espoir de voir s'opérer un rapprochement par la voie des négociations, ayant disparu, le gouvernement belge jugea opportun d'adresser des réclamations à deux des Puissances signataires, la France et l'Angleterre, afin de provoquer des mesures propres à rendre effective et réelle la garantie d'exécution contenue dans le traité lui-même. Ces réclamations eurent d'abord lieu au mois de Juin 1832, elles furent renouvelées plus explicitement et avec plus d'instance au mois d'Octobre suivant. Le gouvernement belge crut devoir justifier ce mode de procéder. Voici comment le ministre des affaires étrangères s'exprima à ce sujet, dans un rapport fait à la chambre des représentants et au sénat le 16 Novembre 1832: «En s'adressant de préférence » à la France et à la Grande-Bretagne, le gouvernement n'a pas » entendu attacher aux ratifications de ces deux Puissances, » une plus grande valeur qu'aux ratifications des trois autres : » Suivant lui toutes se sont placées sur la même ligne, toutes sont » liées au même titre, au même degré. Mais l'éloignement des cours » de Berlin, de Vienne et de St.-Petersbourg, s'opposait à ce que » nous pussions espérer d'elles un concours immédiat et la sai» son était trop avancée pour qu'il nous fût permis d'attendre. » Néanmoins on pouvait donner à la préférence que nous accor>> dions aux deux cours, une interprétation fàcheuse, qu'il importait de prévenir. Le plénipotentiaire du Roi près la con» férence fut, en conséquence, chargé de lui adresser une copie » de la déclaration dont il s'agit et de lui faire connaître en même >> temps les motifs qui avaient guidé le gouvernement dans cette » circonstance. Le gouvernement ne jugea pas encore cette

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» communication suffisante, et par une précaution surabondante peut-être mais dont la chambre ne manquera pas d'apprécier » la haute convenance, nos envoyés à Berlin et à Vienne reçu» rent l'ordre de faire directement la même communication aux » gouvernements prussien et autrichien. »

Nous ne sachons pas que la légalité de ce mode de procéder ait été contestée par les Puissances intéressées. D'après tous les documents publiés au moment des événements mêmes et plus tard, il paraît certain que la nécessité de s'adresser collectivement à tous les signataires du traité pour obtenir la réalisation de la garantie qu'il renfermait, n'a été mise en avant par personne. Les réclamations de la Belgique, adressées séparément à la France et à la Grande-Bretagne, eurent un plein et entier succès, la convention conclue le 22 Octobre 1832 entre les cabinets de Londres et celui de Paris pour l'exécution des vingtquatre articles, y satisfit entièrement et consacra ainsi par un premier exemple le droit en question.

Quoique la théorie générale de la neutralité paraisse au premier abord bien simple et pour ainsi dire élémentaire en tant qu'elle prescrit seulement au neutre de s'abstenir de tout acte qui peut d'une façon quelconque avoir trait à la guerrè, et aux belligérants de respecter cette position du neutre et de ne porter en rien atteinte à sa sûreté et à son indépendance, cependant l'application de ces principes a fait naître de tout temps de nombreuses difficultés et a amené plus d'une fois de graves complications. Les relations que la neutralité produit, donnent souvent lieu par leur nature même et par celles des objets sur lesquelles elles portent, à des débats sur le sens et la portée des droits et des obligations du neutre et des belligérants. Les principes du droit public qui devraient régler la matière ne sont pas toujours bien précis ou ne sont pas généralement admis, leur interpré

tation est sujette à varier et des systèmes différents, même opposés, peuvent être soutenus sur les mêmes points avec une bonne foi égale. Dans la plupart des cas le droit des gens naturel ne suffit pas pour résoudre la difficulté, ses raisonnements, les principes qu'il proclame peuvent n'être pas applicables dans des situations données, et la puissance neutre qui voudrait appuyer sa politique et sa conduite à l'égard des peuples en guerre sur cette seule base, s'exposerait inévitablement à de très grands embarras et compromettrait ses intérêts les plus majeurs.

Il n'y a qu'un moyen pour échapper aux inconvénients inséparables de cette position, c'est de fixer par des conventions ou des traités particuliers les principaux points litigieux dans le régime de la neutralité. Quand on considère la position toute spéciale, où se trouve la Belgique comme puissance perpétuellement neutre, on doit reconnaître que pour elle l'emploi de ce moyen constitue un devoir des plus impérieux. Ce n'est qu'en s'appliquant en temps de paix, quand les importantes questions que soulève l'observation de la neutralité peuvent être examinées avec toute la maturité qu'elles réclament, ce n'est qu'en s'appliquant alors à faire déterminer et reconnaitre la limite des droits et des obligations du neutre, pendant la guerre, que ce dernier peut espérer de retirer de sa neutralité tous les avantages, qu'elle est susceptible de lui procurer. Les auteurs de droit public sont unanimes à proclamer l'utilité et la convenance de pareils traités, et il nous semble que les raisons sur lesquelles ils se fondent pour en démontrer la nécessité, s'appliquent à la Belgique pour le moins autant, si non plus, qu'à tout autre pays neutre (1).

(1) Voyez VATTEL, Droit des gens, III, 7, § 107 et 108; et MARTENS, Précis du droit des gens moderne, t. VIII, chap. 7, § 303.

II.

La neutralité considérée en général, crée des droits et des obligations relativement à quatre objets principaux, qui sont : la conduite politique du neutre à l'égard des Puissances en guerre, le régime de son territoire, celui des personnes sujettes à son gouvernement, et en dernier lieu, celui des biens et propriétés appartenant tant au gouvernement qu'aux sujets neutres. Nous allons examiner les dispositions du droit des Gens naturel et positif sur chacun de ces points.

Il existe un principe fondamental qui doit dominer toute la conduite politique du neutre à l'égard des belligérants, c'est que l'État neutre n'est dans la guerre ni juge ni partie. Les règles particulières d'après lesquelles il doit se guider dans tous les cas spéciaux, découlent toutes de cette maxime principale. Obligé à observer entre les Puissances en guerre une stricte et parfaite impartialité, il doit se refuser d'accorder, sous quelque forme ou sous quelque prétexte que ce soit, à l'une ou l'autre d'elles,

tout secours qui pourrait lui servir d'une façon quelconque de moyen soit d'attaque soit de défense, dans la lutte qu'elle soutient contre son ennemi. Il ne peut envoyer aux belligérants ni troupes, ni vaisseaux, ni munitions de guerre, il ne peut protéger ou favoriser les opérations militaires de l'un, ni entraver par son intervention ou par des empêchements provenant de lui, celles de l'autre. Il doit en un mot s'abstenir soigneusement de tout acte, qui puisse exercer quelque influence sur le sort de la guerre, et tenir une balance entièrement égale entre ceux qui la font. Ce devoir d'impartialité et d'abstention parfaites ne porte pas seulement sur les actes émanés directement du gouvernement neutre, il oblige encore celui-ci à empêcher là partout où son autorité s'étend, qu'un concours quelconque soit prêté à l'un des belligérants contre l'autre. Toute concession, toute permission ou autorisation qui accorderait à un de ses sujets un droit, un pouvoir ou une faculté dont l'emploi pourrait augmenter l'action militaire de l'une des parties en guerre au détriment de l'autre est contraire à la neutralité, qui dans ce cas se trouverait violée par le propre fait du neutre. Il en est de même de toutes les concessions faites par l'État neutre à un belligérant, et qui, bien que n'ayant pas directement rapport à l'action militaire, n'auraient cependant de valeur que par la guerre ou tant qu'elle dure, à l'exception toutefois des concessions qui porteraient sur des objets du commerce ordinaire avec le belligérant non compris dans ce qu'on appelle contrebande de guerre. A l'égard de ces objets le neutre conserve pendant la guerre la faculté pleine et entière d'accorder à qui il veut les avantages et les faveurs que bon lui semble (1).

On peut demander si les prêts d'argent ou de valeurs sont

(1) Les auteurs du Droit des Gens sont unanimes à révendiquer cette faculté pour le neutre. Voyez entre autres MENO POEHLS, Darstellung des Seerechts,

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