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ni enrôlement ou rassemblement de troupes, qu'aucune partie de leurs forces n'y passe ou s'y établisse soit momentanément soit pour en faire le théâtre de la guerre. Les belligérants qui ont une fois reconnu la neutralité du territoire et aussi longtemps qu'ils la reconnaissent, sont obligés de s'abstenir strictement de tout acte de cette nature et l'État neutre a le droit d'employer au besoin tous les moyens qu'il croit convenables pour empêcher que de pareils actes ne se commettent sur son territoire. A cet effet il peut réunir des troupes à proximité des points qu'il croit menacés, garnir sa frontière de forces suffisantes pour en repousser toute agression et prendre toute mesure qu'il croit bonne pour défendre son territoire de toute violation, sans qu'elle puisse être considérée comme constituant un acte d'hostilité envers l'un ou l'autre belligérant. Le neutre qui emploie la force pour empêcher que les partis en guerre ne se servent de son territoire pour une opération militaire, n'est point pour cela censé prendre part à la guerre, et ne peut être accusé d'avoir pris fait et cause par sa résistance, pour l'adversaire de l'agresseur. En se bornant à faire respecter son territoire, il reste dans les termes d'une rigoureuse neutralité. S'il en résulte des dommages pour un des belligérants, c'est à l'auteur de la tentative de violation du territoire neutre, qu'il faut les attribuer, le neutre lui-même n'en peut jamais être rendu responsable. Le droit naturel et le droit positif reconnaissent également que les Puissances belligérantes sont tenues à ne faire aucun tort à celui qui veut rester neutre dans leur lutte, et à ne porter aucune atteinte à sa tranquillité. Si un belligérant manque à cette obligation, il se met à l'égard du neutre en état d'hostilité et autorise pleinement la résistance de ce dernier. Dans un grand nombre de traités les contractants stipulent expressément que de pareils actes ne seront ni commis par les belligérants ni soufferts par le neutre et

il n'existe pour ainsi dire pas de règlement de neutralité, où les mesures nécessaires pour les prévenir ou les repousser ne se trouvent arrêtées (1).

Si l'illégalité de tout acte dont l'effet serait de détruire l'inviolabilité du territoire neutre, ne saurait être douteuse, il n'en est pas de même d'autres actes dont le caractère paraît moins prononcé et en présence desquels les devoirs du neutre peuvent sembler incertains. Il se place ici une des plus importantes questions auxquelles le régime de la neutralité donne lieu, c'est celle de savoir si le territoire neutre doit toujours et en tout état de cause rester fermé aux belligérants, ou s'il y a des cas où le passage par ce dernier peut leur être accordé soit comme un droit soit comme une concession?

Commençons par exposer l'état de la doctrine sur cette matière, en reproduisant d'abord l'opinion de Vattel qui a traité cette question d'une façon particulièrement développée (2).

« Le passage innocent, dit cet auteur, est dû à toutes les nations » avec lesquelles on vit en paix et ce devoir s'étend aux troupes » comme aux particuliers. Mais c'est au maître du territoire à juger si le passage est innocent et il est très difficile que celui » d'une armée le soit entièrement. Le passage de troupes et

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» surtout d'une armée entière n'étant point une chose indifférente, » celui qui veut passer dans un pays neutre avec des troupes doit » en demander la permission au souverain. Entrer dans son » territoire sans son aveu, c'est violer ses droits de souveraineté » et de haut-domaine, en vertu desquels nul ne peut disposer de >> ce territoire pour quelque usage que ce soit, sans sa permission >> expresse ou tacite. Or on ne peut présumer une permission tacite

(1) DE MARTENS, Précis du Droit des Gens, § 312 des principes du Droit des Gens positif, relativement au territoire neutre.

(2) Voyez VATTEL, Droit des Gens, t. III, § 119-135.

» pour l'entrée d'un corps de troupes, entrée qui peut avoir des » suites si sérieuses. Si le souverain neutre a de bonnes raisons » de refuser le passage, il n'est point obligé de l'accorder, puis

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qu'en ce cas le passage n'est plus innocent. Dans tout cas dou>> teux il faut se rapporter au jugement du maître sur l'innocence » de l'usage qu'on demande à faire de choses appartenant à autrui » et souffrir son refus, bien qu'on le croie injuste. Si l'injustice >> du refus était manifeste et le passage indubitablement innocent, » une nation pourrait se faire justice elle-même et prendre de » force ce qu'on lui refuserait injustement. Mais nous l'avons déjà dit, il est très-difficile que le passage d'une armée soit entiè» rement innocent et qu'il le soit bien évidemment. Ces maux » qu'il peut causer, les dangers qu'il peut attirer, sont si variés, » ils tiennent à tant de choses, ils sont si compliqués qu'il est » presque toujours impossible de tout prévoir et de pourvoir à » tout. D'ailleurs l'intérêt propre influe si vivement dans les » hommes! Si celui qui demande le passage peut juger de son

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innocence, il n'admettra aucune des raisons qu'on lui opposera, >> et vous ouvrez la porte à des querelles, à des hostilités con» tinuelles. La tranquillité et la sûreté des nations exigent donc » que chacune soit maîtresse de son territoire et libre d'en >> refuser l'entrée à toute armée étrangère, quand elle n'a pas » dérogé là-dessus à sa liberté naturelle par des traités.

» Un autre cas s'excepte de lui-même et sans difficulté, c'est » celui d'une extrême nécessité. La nécessité urgente et absolue » suspend tous les droits de propriété et si le maitre n'est pas » dans le même cas de nécessité que nous, il nous est permis de » faire usage malgré lui de ce qui lui appartient. Lors donc qu'une armée se voit exposée à périr, ou ne peut retourner dans » son pays à moins qu'elle ne passe par des terres neutres, elle » est en droit de passer malgré le souverain de ces terres et de

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» s'ouvrir un passage l'épée à la main. Mais elle doit demander » d'abord le passage, offrir des sûretés et payer les dommages » qu'elle aura causés.

» L'extrême nécessité peut même autoriser à se saisir, pour » un temps, d'une place neutre, à y mettre garnison pour se » couvrir contre l'ennemi ou pour le prévenir dans les desseins » qu'il a sur cette même place, quand le maître n'est pas en état » de la garder. Mais il faut la rendre, aussitôt que le danger est passé, en payant tous les frais, les incommodités et les dom» mages qu'on aura causés.

Quand la nécessité n'exige pas le passage, le seul danger » qu'il y a, à recevoir chez soi une armée puissante, peut auto>> riser à lui refuser l'entrée du pays. La crainte probable fondée » sur de bonnes raisons, nous donne le droit d'éviter ce qui peut » la réaliser, et la conduite des nations ne donne que trop de » raisons à celle dont nous parlons ici. D'ailleurs le droit de » passage n'est point un droit parfait, si ce n'est dans le cas d'une » nécessité pressante ou lorsque l'innocence du passage est de la » plus parfaite évidence. Si l'État neutre accorde ou refuse le » passage à l'un de ceux qui sont en guerre, il doit l'accorder » ou le refuser de même à l'autre, à moins que le changement >> des circonstances ne lui fournisse de solides raisons d'en user » autrement.

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>>> La concession du passage comprend celle de tout ce qui est › naturellement lié avec le passage des troupes et des choses sans lesquelles il ne pourrait avoir lieu. Telles sont la liberté de >> conduire avec soi tout ce qui est nécessaire à une armée, celle » d'exercer la discipline (la juridiction?) militaire sur les soldats » et officiers et la permission d'acheter à juste prix les choses » dont l'armée aura besoin. »

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Sans aller aussi loin que Vattel, De Martens admet cependant

dans certains cas pour un belligérant le droit de passer par le territoire neutre. « Ce n'est pas, dit cet auteur (1), violer la neu

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tralité, que d'accorder aux deux parties ou à celui qui la sol» licite, la permission de faire passer par l'État neutre un corps » de troupes soit armé, soit sans armes et de le laisser jouir de » ces droits qu'exige nécessairement le passage, ou dont on est » convenu à cette fin. Moins encore la neutralité qu'on professe, peut-elle imposer l'obligation de s'opposer de force à un tel » passage. De plus l'inégalité même que le neutre observerait à » cet égard, en accordant le passage à l'une des Puissances belligérantes et en le refusant à l'autre, n'emporterait pas toujours la violation de la neutralité, si cette inégalité de >> conduite s'observait déjà en temps de paix, ou si elle était » fondée sur des traités généraux conclus antérieurement à la » rupture. S'il y a des cas où l'entrée forcée sur un territoire qui » a gardé la neutralité peut s'excuser par l'urgence des circon» stances, c'est moins par la disposition d'une loi naturelle qui » en accorde le droit que par le défaut d'une loi prohibitive qui » peut en empêcher. » —

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L'ancienne école établit un droit de bienséance qu'elle fait provenir d'un besoin ou d'une nécessité absolus et en vertu duquel elle autorise un belligérant à passer par le territoire neutre et même à s'emparer de positions ou de places fortes dans ce territoire, et à les detenir tant que sa convenance le paraît exiger. Cette étrange doctrine a été développée principalement par Réal (2) et les auteurs qui le suivent, dans le Droit des Gens moderne il n'en est plus question, ou quand on en parle c'est pour en montrer toute la déraison.

(1) Voyez DE MARTENS, Précis du Droit des Gens, § 310,

311.

(2) Voyez Réal, Science du gouvernement, t. V, Droit des Gens, p. 552 suiv.

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