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traité, eut lieu effectivement; l'aile gauche de l'armée alliée du Haut-Rhin passa le fleuve entre Bâle et Rheinfelden, et entra une seconde fois en Alsace par le territoire du canton de Bâle. Les Puissances dans leur première déclaration du 20 Mars 1815, avaient promis, qu'aussitôt que la diète helvétique aurait donné son adhésion, il serait fait un acte portant la reconnaissance et la garantie, de la part de toutes les Puissances, de la neutralité perpétuelle de la Suisse, dans ses nouvelles frontières. Les événements de la guerre et les arrangements qui en furent la suite retardèrent de plusieurs mois la publication de cet acte. Il ne parut que le 20 Novembre 1815, sous forme d'une « déclaration des Puissances (1). » En voici la substance: Les Puissances signataires de la déclaration du 20 Mars, reconnaissent authentiquement et formellement la neutralité perpétuelle de la Suisse, elles lui garantissent l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire dans ses nouvelles limites, telles qu'elles sont fixées par l'acte du congrès de Vienne et par le traité de Paris. Elles reconnaissent encore authentiquement, que la neutralité et l'inviolabilité de la Suisse et son indépendance de toute influence étrangère, sont dans les vrais intérêts de la politique de l'Europe entière. Elles déclarent enfin qu'aucune induction défavorable aux droits de la Suisse relativement à sa neutralité et à l'inviolabilité de son territoire, ne peut ni ne doit être tirée des événements qui ont amené le passage des troupes alliées sur une partie du sol helvétique. Ce passage librement consenti par les cantons, dans la convention du 20 Mai, a été le résultat de l'adhésion franche de la Suisse aux principes manifestés par les Puissances signataires du traité d'alliance du 25 Mars. Cet acte est signé par l'Autriche, la

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(1) Voyez MARTENS, N. R., IV, 186.

France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Prusse et la Russie; il y est mentionné spécialement que toutes les Puissances de l'Europe seront invitées à y accéder. Cet acte donne à la neutralité de la Suisse le caractère d'une stipulation de droit public européen et assimile ainsi la politique à suivre en cas de guerre par la confédération helvétique à celle de la Belgique.Depuis 1815 les événements n'ont pas mis la neutralité suisse à des épreuves bien sérieuses. Lorsqu'en 1880, la guerre parut imminente entre la France et la confédération germanique, le directoire fédéral, dans une déclaration publiée le 27 Novembre 1830, manifesta sa ferme résolution de maintenir une stricte neutralité (1).

Après avoir rappelé les circonstances sous l'empire desquelles la neutralité de la Suisse a été établie, examinons jusqu'à quel point cette neutralité présente de l'analogie avec le régime imposé à la Belgique. Quand on ne considère de ce dernier que son origine et ses conséquences rigoureuses de droit, il faut convenir qu'il est le même que celui de la confédération helvétique. Créé par les mêmes autorités, accepté au même titre par les intéressés, il leur impose dans certaines éventualités les mêmes obligations et leur assure les mêmes droits. Mais quand on va au fond des choses, cette analogie se trouve n'être qu'abstraite et théorique, et l'on se convainc que la neutralité appliquée produit pour la Belgique des conséquences et des situations tout autres que pour la Suisse. Cette diversité d'effets malgré l'identité du principe est due à la différence considérable et profonde qui existe sous les rapports les plus essentiels entre les deux pays. La Suisse, État purement continental, n'a pas d'intérêts maritimes, les relations que la neutralité affecte le plus, celles qu'elle modifie de préférence, les relations de navi

(1) Voyez MARTENS, N. R., t. X, p. 60.

gation et de commerce maritimes lui manquent, tandis que la Belgique les possède et les possède comme éléments importants de son existence nationale. La position de la Suisse, bien qu'elle soit comme celle de la Belgique intermédiaire entre la France et l'Allemagne, a cependant pour ces deux derniers pays une importance politique moindre. Elle ne donne pas à celui des deux qui l'occuperait, une supériorité aussi incontestable sur l'autre, que le ferait la possession de la Belgique. La Suisse étant ni aussi riche, ni aussi peuplée, ni surtout aussi productive que la Belgique, a toujours beaucoup moins tenté les peuples voisins; son rôle dans la politique générale de l'Europe est bien inférieur à celui que les Pays-Bas y ont joué. Ajoutons qu'il existe une grande différence entre l'organisation intérieure des deux pays, différence dont l'influence se ferait certainement sentir dans la manière dont chacun d'eux appliquerait les principes de la neutralité. En effet la Suisse est un État fédéral, dans lequel, malgré toutes les mesures qu'on a prises pour l'assurer, l'unité de direction et d'action vers un but commun, s'obtient toujours avec infiniment plus de difficulté, que dans un pays monarchique comme la Belgique, où la souveraineté et la puissance politique sont beaucoup moins fractionnées. Il existe un dernier point de différence qu'il importe de ne pas perdre de vue, c'est que la Suisse est naturellement forte par la conformation de son sol; peu accessible sur presque toute l'étendue de ses frontières, elle peut facilement maintenir l'intégrité de son territoire et faire respecter sa neutralité. La Belgique, au contraire, ouverte de tous côtés, dépourvue de moyens naturels de défense, doit demander à l'art des appuis de sa résistance et racheter au prix de beaucoup d'efforts et de sacrifices les avantages que la nature a départis si libéralement à la Suisse.

Cette dissemblance entre les deux pays quant à leur position,

leur régime et leur état naturel, est cause que bien que régies par le même principe, soumises à la même condition, neutres aux mêmes titres, la Belgique et la Suisse ne sauraient cependant se régler l'une sur l'autre, quand il s'agit de réaliser les conséquences de leur neutralité et d'arrêter les mesures nécessaires pour l'assurer. Tout ce qui est de droit strict dans la neutralité existe de la même manière pour l'une comme pour l'autre, c'est dans l'application et la pratique des principes et des rapports qui en découlent, que les deux pays doivent nécessairement différer. Remarquons encore que sous un rapport fort essentiel la neutralité de la Suisse a toujours été comprise dans un sens exceptionnel, peu conforme aux principes reçus dans cette matière et surtout peu applicable à la situation de la Belgique. D'après un antique usage, consacré par le temps et par le consentement, tantôt tacite, tantôt explicite des intéressés, la Suisse tout en restant neutre, a constamment fourni des troupes quelquefois même des forces considérables aux belligérants. Elle a même fait plus d'une fois des traités d'alliance défensive, entraînant pour elle des obligations très-peu compatibles avec les devoirs et la position d'une puissance neutre.

Les traités de Vienne étendent la neutralité de la Suisse à quelques provinces du royaume de Sardaigne. Voici comment s'exprime à cet égard l'article 92 de l'acte du congrès de Vienne du 9 Juin 1815 : « Les provinces de Chablais et de Faucigny et >> tout le territoire au nord d'Ugine, appartenant à S. M. le roi de Sardaigne, feront partie de la neutralité de la Suisse, telle qu'elle est reconnue et garantie par les Puissances.

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En con

» séquence toutes les fois que les Puissances voisines de la Suisse >> se trouveront en état d'hostilité ouverte ou imminente, les troupes de S. M. le roi de Sardaigne qui pourraient se trouver » dans ces provinces se retireront et pourront à cet effet passer

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>> par le Valais, si cela devient nécessaire. Aucunes autres troupes >> d'aucune autre puissance ne pourront traverser ni stationner » dans les provinces et territoires susdits, sauf celles que la » confédération suisse jugerait à propos d'y placer; bien entendu » que cet état de choses ne gêne en rien l'administration de ces » pays, où les agents civils de S. M. le roi de Sardaigne pourront >> employer la garde municipale pour le maintien du bon ordre. » Les territoires auxquels ce régime doit s'appliquer ont été désignés plus spécialement encore dans un protocole signé le 3 Novembre 1815, par les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie. « La neutralité » de la Suisse, y est-il dit, sera étendue au territoire qui se >> trouve au nord d'une ligne à tirer depuis Ugine, y compris » cette ville, au midi du lac d'Annecy et de là au lac de Bour» get jusqu'au Rhône, de la même manière qu'elle a été étendue » aux provinces de Chablais et de Faucigny, par l'art. 92 de » l'acte final du congrès de Vienne (1). »

Cette extension de la neutralité helvétique à quelques territoires voisins, paraît avoir été accordée dans la vue de compléter le système de défense des frontières sardes. Elle eut lieu sur la demande expresse du roi de Sardaigne, qui en fit une des conditions au prix desquelles il consentit aux cessions demandées par les Puissances en faveur du canton de Genève. Nous ne pensons pas que le régime intérieur de ces provinces ait été modifié par suite de leur neutralisation, du moins nous ne connaissons aucun document de droit public qui en fasse mention.

Les traités de Vienne ont placé un troisième territoire sous le régime de la neutralité perpétuelle, celui de la république

(1) Voyez MARTENS, N. R., t. IV, p. 189.

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