l'avait établi. Il ne garantit ni les intérêts de l'équilibre, ni la sécurité des Pays-Bas, qui furent, malgré la barrière, envahis par la France dans la guerre commencée en 1744. La pensée qui lui sert de base, est incomplète surtout en ce qu'elle n'employait, pour assurer ces deux points, que des moyens militaires et en ce qu'elle négligeait tout à fait de garantir par des stipulations de droit public, reconnues et consenties par toutes les puissances intéressées, l'inviolabilite d'un territoire que les armes seules ne pouvaient pas défendre suffisamment. En 1815, lorsque après vingt-cinq années de guerres et de bouleversements le système politique de l'Europe fut assis sur des bases nouvelles, les Puissances tentèrent une solution de l'ancien problème qui ne fut au fond que la reproduction du système de la barrière, avec les modifications que les changements, survenus dans la situation générale, rendaient nécessaires. On réunit les provinces belges à la Hollande, afin « de >> les faire concourir à l'établissement d'un juste équilibre en Europe et au maintien de la paix générale (1). » L'idée de les faire servir de barrière contre la France, ne fut pas abandonnée; seulement on la réalisa sous une forme nouvelle, en multipliant les moyens de défense du royaume des Pays-Bas, sur sa frontière du Midi. Toutes les mesures qui se rattachaient à ce point furent si bien considérées comme d'intérêt européen, que les Puissances se réservèrent d'arrêter les plans et les règlements du système de forteresses à créer, quoique cette intervention portât évidemment atteinte à la souveraineté du roi des Pays-Bas, à qui seul revenait, d'après le droit commun, l'exécution des fortifications à établir sur son territoire. (1) Voyez le 19me protocole de la conférence de Londres, du 19 Février 1831, dans MARTENS, Nouveau Recueil etc., t. X, p. 198. Les événements de 1830, en mettant fin à l'existence du royaume des Pays-Bas, rendirent une nouvelle combinaison nécessaire. Elle fut trouvée plus promptement que la solution des nombreuses difficultés soulevées par la séparation des deux pays naguère réunis. La Hollande rentra, quant à sa position vis-à-vis des Puissances, dans le droit commun des États indépendants, et l'hypothèque de droit public, dont le royaume des Pays-Bas avait été grevé, fut reportée en entier sur la Belgique déclarée État indépendant et perpétuellement neutre. Dans cet arrangement les intérêts de l'équilibre européen se trouvent garantis par l'indépendance et la nationalité propre du nouvel État, tandis que sa neutralité répond à la barrière de l'ancien système, en servant de moyen, pour assurer l'existence de la Belgique. Il serait inexact de dire que la souveraineté politique de ce pays fùt l'œuvre des Puissances; ce bien suprême, la Belgique le doit sans nul doute avant tout à ellemême, à ses propres efforts; l'Europe n'a fait que la confirmer en reconnaissant notre nationalité. Il n'en est pas de même de la neutralité, celle-ci a été créée par les Puissances, elle forme une des conditions au prix desquelles le nouvel État entrait comme membre effectif dans l'association européenne, et qu'il ratifia en les acceptant. En cherchant à nous rendre compte de la nature et du caractère de cette condition, il paraît essentiel de porter notre attention sur les termes dans lesquels elle a été produite. A cet effet il est nécessaire de parcourir les actes, dans lesquels les stipulations relatives à la neutralité ont été consignées. Ce n'est que là que nous pouvons espérer de trouver des renseignements authentiques sur le sens et la portée que ses auteurs lui attribuent. Malheureusement les explications des Puissances sur ce sujet ne sont ni bien nombreuses, ni bien développées. Étant tombés d'accord, dès le commencement des négociations, sur l'établissement du régime même, les cabinets n'eurent point l'occasion de préciser plus particulièrement dans des documents livrés à la publicité, les conséquences de la neutralité, ni quant aux droits qu'elle crée pour la Belgique ni quant aux obligations qu'elle lui impose. La première mention de la neutralité, comme condition politique essentielle du nouvel État, se trouve dans le onzième protocole de la conférence de Londres (1), du 20 Janvier 1831. Après avoir solennellement proclamé, que les cinq Puissances ne cherchaient dans les arrangements relatifs à la Belgique, aucune augmentation de territoire, aucune influence exclusive, aucun avantage isolé, les membres de la conférence déclarent, (art. 5) que la Belgique, dans ses limites, telles qu'elles seront arrêtées et tracées conformément aux bases posées dans les art. 1, 2 et 4 du présent protocole, formera un État perpétuellement neutre. Les cinq Puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire, dans les limites mentionnées ci-dessus (art. 6). Par une juste réciprocité la Belgique sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres États, et de ne porter aucune atteinte à leur tranquillité intérieure ni extérieure. L'article 8 du même document ajoute, que les cinq Puissances se réservent d'examiner, sans préjudice du droit de tiers et quand les arrangements relatifs à la Belgique seront terminés, la question de savoir, s'il y aurait moyen d'étendre aux pays voisins le bienfait de la neutralité garantie à la Belgique. « Le 12me protocole, du 27 Janvier 1831, destiné à expliquer les intentions qui ont guidé les Puissances dans l'établissement des (1) Voyez MARTENS, N. R., t. X, p. 160. bases de séparation entre la Belgique et la Hollande, contient un passage qu'on doit évidemment rapporter à la neutralité de la première. «<Occupées à maintenir la paix générale, y est-il » dit (1), persuadées que leur accord en est la seule garantie et agissant avec un parfait désintéressement dans les affaires de » la Belgique, les cinq Puissances n'ont eu en vue que de lui assigner dans le système européen une place inoffensive, que » de lui offrir une existence qui garantit, à la fois, son propre » bonheur et la sécurité due aux autres États. A On sait que le congrès belge refusa d'admettre les bases de séparation, contenues dans les protocoles du 20 et du 27 Janvier 1831. Dans le projet que la conférence proposa par suite de ce refus et qui est connu sous le nom des «dix-huit articles », les dispositions concernant la neutralité furent produites dans une rédaction qui n'en modifie pas seulement la forme mais encore le fond. « La Belgique, dit la conférence à l'art. 9 (2), » dans ses limites telles qu'elles seront tracées, conformément » aux principes, posés dans les présents préliminaires, formera » un État perpétuellement neutre. Les cinq Puissances, sans » vouloir s'immiscer dans le régime intérieur de la Belgique, lui » garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'intégrité >> et l'inviolabilité de son territoire, dans les limites, mentionnées » au présent article. Par une juste réciprocité, la Belgique sera >> tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres États et de ne porter aucune atteinte à leur tranquillité inté» rieure ni extérieure, en conservant toujours le droit de se dé >> fendre contre toute agression étrangère.» Dans cette rédaction, on le voit, la garantie de la neutralité est accompagnée de l'en (1) MARTENS, N. R., t. X, p. 170. (2) MARTENS, N. R., X, p. 289. gagement que prennent les Puissances, de ne jamais s'immiscer dans les affaires intérieures de la Belgique. En même temps on reconnait à cette dernière, explicitement et en termes formels, le droit de se défendre contre toute agression venue de l'étranger. Il est à remarquer que l'application éventuelle du même régime de neutralité à d'autres pays, dont avaient parlé les bases de séparation, n'est plus mentionnée dans les dix-huit articles. Cette omission donna lieu, de la part du gouvernement hollandais à des réclamations qu'il importe de citer, parce qu'elles servent à expliquer le sens dans lequel la réserve, faite par la conférence dans le protocole du 20 Janvier 1831, doit être comprise. Dans un mémoire adressé à la conférence par le ministre des affaires étrangères des Pays-Bas, en date du 12 Juillet 1831, M. Verstolk van Zoelen s'exprime au sujet de la question du Luxembourg, de la manière suivante : « l'omission de l'art. 9 » de l'annexe (du protocole du 27 Janvier 1881) paraît encore » avoir préjugé la question en faveur de la Belgique. On s'y ré» servait d'examiner, s'il y aurait moyen d'étendre aux pays voi» sins le bienfait de la neutralité garantie à la Belgique, réserve qu'on présume s'appliquer au grand-duché de Luxembourg, mais » que dans les articles préliminaires proposés, l'on semble avoir jugé superflue à cause de la réunion supposée du Grand-Duché » à la Belgique.» Les dix-huit articles, acceptés par la Belgique, furent rejetés par la Hollande. Dans le projet de traité que la conférence soumit, après les événements du mois d'Août 1831, aux parties belligérantes, le passage qui traite de la neutralité est beaucoup moins explicite que dans les actes précédents. « La Belgique, est-il dit à l'art. 7 du protocole du 14 Octo»bre 1831 (1), formera un État indépendant et perpétuellement (1) Voyez MARTENS, N. R., t. XI, p. 326. |