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tamment du sieur Aubourg, jardinier, mais à lire les attendus du citoyen Joubert qui le représente « comme un propriétaire fort aisé et un homme plus que suspect, puisque, sans besoin d'aucun genre, il s'était porté à des actions aussi indignes de l'honnête homme et qu'il avait privé le pauvre de la ressource que semblait lui avoir accordée la nature en s'emparant des bois secs qui lui sont ordinairement abandonnés », il semble que ce propriétaire doit connaître dans ces temps critiques quelques heures d'inquiétude et d'insomnie.

Le rapport du commissaire Joubert, à la suite de ces enquêtes, conclut à la présence, parmi les délinquants, de nombreux fonctionnaires publics. Les administrateurs du district de Melun en délibèrent le 25 pluviôse et arrêtent immédiatement:

<< L'administration considérant, que l'art. 2 de la loi du 17 septembre dernier (vieux style) sont au rang des gens suspects ceux qui, par leur conduite, se montrent ennemis de la liberté.

Qu'aux termes de la loi du 14 frimaire dernier, la surveillance de l'exécution des lois révolutionnaires et des mesures générales appartient à l'administration de District.

Que e'est par suite des dispositions de ces deux lois que l'administration a, par son arrêté du 13 de ce mois, autorisé les commissaires nommés à faire arrêter les délinquants et par préférence les officiers municipaux, s'il s'en trouve de coupables. Que la dévastation des Forêts nationales est un délit qui indique suffisamment que les délinquants sont des ennemis de la liberté, puisqu'ils détruisent le gage de la fortune publique et anéantissent l'hypothèque des assignats, principale ressource de la République contre les Tyrans. Que néanmoins, parmi les delinquants, il y en a qui sont moins coupables.

Que l'administration n'a jamais eu l'intention de paralyser l'effet des mesures révolutionnaires et de sûreté générale et que c'est par une fausse interprétation de son arrêté du 22 que l'agent national de la commune de Fontainebleau et le comité de surveillance ont pu penser que l'Administration eut dessein de se relâcher des mesures de sévérité qu'elle a adoptées.

Qu'en surveillant l'exécution des lois révolutionnaires et des mesures de såreté générale, le plus sûr moyen d'en retirer tous les succès et les fruits qu'on doit en attendre est d'en faire une juste application.

En conséquence elle approuve la conduite tenue par ses commissaires jusqu'à ce jour et par suite de l'exécution de la loi du 17 septembre dernier (vieux style) qui répute gens suspects tous ceux qui par leur conduite se montrent ennemis de la liberté.

Enjoint aux commissaires nommés par l'arrêté du 13 de ce mois de mettre en état d'arrestation : 10 Tous les fonctionnaires publics qu'ils ont trouvés et trouveront avoir des bois de délits.

2° Tous les citoyens fonctionnaires publics qu'ils trouveront en flagrant délit dans les forêts nationales et autres citoyens non domiciliés.

30 Tous ceux qui insisteront ou opposeront résistances aux commissaires

chargés de faire les visites domiciliaires

Cet arrêté est communiqué au citoyen Noël, lieutenant de la maîtrise, et la lettre qui l'accompagne est tranchante à la manière du temps:

« Nous t'envoyons, citoyen, copie.

10

4o de l'arrêté du 25 du mois dernier.

Tu verras par ces arrêtés quelles sont les mesures que nous avons adoptées pour la conservation des forêts. Nous espérons que ton zèle secondera nos

vues.

Salut et fraternité.

Le ministre des Contributions publiques Destournelles, lui-même, fait entendre sa voix en faveur de la forêt de Fontainebeau, et l'éloquence de cet appel cache toute la puissance de volonté d'hommes qui gouvernent avec leur idéal et sans considération d'opportunisme :

Lettre du Ministre des Contributions publiques aux citoyens administrateurs du départ. de Seine-et-Marne datée de Paris le 5 yentôse de l'an 2o de la Répu blique Française une et indivisible.

On continue, citoyens, de commettre des dévastations dans les forêts de ļa République les lois protectrices de la propriété qu'on qutrage, l'intérêt national qu'on compromet, l'approvisionnement des citoyens que ce désordre attaque pour l'avenir, la liberté sainte qu'on confond avec la licence, rien n'arrête les auteurs de ce brigandage.

Ce n'est pas le besoin impérieux qui les entraîne pour la plupart; c'est la cupidité. Ils spéculent sur le vol, et il se trouve dans les communes des habitants, des officiers municipaux même, assez pervers pour acheter à l'appas d'un modique gain les produits du crime.

Si les gardes forestiers veulent s'opposer à cette violation de la propriété nationale, les délinquants les menacent et la main forte, loin de les soutenir, semble plutôt prête à les livrer.

L'audace ne connaît plus de mesures, elle ne craint pas de faire publiquement des abbatis d'arbrés d'une manière qui ne détruit pas moins la forêt, qu'ils détruisent eux-mêmes les revenus de la Nation.

Il est aussi à présumer qu'on obtiendra des gardes un service plus actif s'ils ne perdent pas de vue que la Convention naționale s'est occupée de ceux qui ne jouissaient pas d'un salaire suffisant.

Je vous prie de leur parler de sa justice, comme devant être un moyen puissant d'exciter leur zèle.

Signé Destournelles.

Cet appel de Destournelles implique de telles perspectives de volonté répressive que la forêt de Fontainebleau paraît enfin être efficacement protégée contre le pillage. Si quelques rares et incorrigibles délinquants,

ceux de toutes les époques, continuent encore leurs méfaits; leurs déprédations sont sans doute insignifiantes, car de ce jour elles n'appellent plus des mesures spéciales de répression.

La question pâturage des chèvres peut bien faire craindre un instant quelques nouveaux dégâts pour les jeunes massifs; mais la Commision de l'Agriculture et des Arts a vite fait, par des arguments de raison, de persuader la population de son crime; et la forêt, protégée contre les délinquants n'a pas à souffrir d'un nouveau fléau : la dévastation par des chèvres.

Les deux lettres qui suivent résument toute cette question: pâturage.

26 Florial An II.

L'agent national près le district de Melun à l'Administration forestière de Fontainebleau.

La société populaire de Fontainebleau, citoyens, vient de nous présenter un mémoire qui est un monument précieux de son patriotisme et de ses lumières; nous nous empressons de vous en donner copie et de vous communiquer les vues qu'il nous a fait naître.

Dans l'extrême pénurie des bêtes à cornes et de subsistances où nous nous trouvons, la société populaire de Fontainebleau dirigée par l'amour du bien public propose d'y substituer les chèvres, nous croyons avec elle que la République peut retirer les plus grands avantages de cet animal trop négligé jusqu'à présent dans ce département, les naturalistes l'ont toujours regardé, ainsi que la brebis, comme l'auxiliaire du cheval et de l'âne; cette considération ajoute à l'importance du projet proposé. La position et le sol de Fontainebleau offrant toutes les ressources nécessaires pour le mettre à exécution, il serait instant d'indiquer quelles sont les parties de la forêt où l'on pourrait conduire les chèvres sans causer aucun dommage. L'administration forestière voudra bien s'occuper de cet objet d'utilité publique et nous faire part de ses observations pour prendre ensuite un arrêté et l'envoyer ensuite au Comité de Salut public.

La forêt de Fontainebleau semble encore devoir offrir un objet d'utilité qui ne serait point à négliger dans les circonstances présentes: ne pourrait-on pas y conduire des troupeaux de cochons ? cy devant les sangliers et autres bêtes fauves s'y engraissaient pour l'amusement du Tyran et de ses subalternes, au détriment du peuple ; que les porcs qu'on y entretiendrait le dédommagent enfin de ses anciennes pertes.

Vous jugerez, citoyens, de la possibilité de ces différents plans, dont les avantages ne paraissent point douteux.

Salut et fraternité.

Réponse faite par la commission d'agriculture et des arts:

Aux citoyens, membres composant le bureau de la Société populaire de Fontainebleau.

Paris, 7 Prairial de l'an deux de la république française, une et indivisible. La Commission a reçu, frères et amis, votre lettre du 26 florial dans la

quelle vous développez les avantages que procurent les chèvres et vous l'invitez à favoriser leur introduction dans votre district.

La Commission, en louant le zèle qui vous anime pour le soulagement de l'humanité, croit devoir vous observer les inconvénients qui résulteraient de l'adoption de ce moyen; la chèvre est certainement le plus grand fléau que les arbres aient à redouter; partout où cet animal domine on ne trouve que des arbres rabougris, mutilés; et dans les lieux où la nature et la surface du sol semblent propres à ces animaux et où il s'en trouve beaucoup les cultivateurs demandent leur destruction.

Si quelques lieux de votre district présentent des sites où les rochers de grès se couvrent d'une herbe qui serait propre aux chèvres seules, vous remarquerez qu'ils sont dans les forêts ou aux environs et qu'on ne pourrait y lâcher un grand troupeau de chèvres qu'en exposant à être dévastées les parties de bois qui avoisinent ces lieux incultes ce qui augmenterait les causes qui tendent avec tant de rapidité à la destruction des forêts.

Tels sont, frères et amis, les motifs puissants qui s'opposent à ce que la commission accorde les encouragements que vous désirez pour la multiplication des chèvres, elle vous invite à charger votre comité d'agriculture à lui présenter des moyens qui puissent concilier l'intérêt de votre district et des indigènes avec celui de la République, elle les accueillera avec tout l'empressement du véritable patriotisme.

Nous avons pensé un moment conclure sur quelques considérations philosophiques, soulignant le caractère et les effets passagers de toutes les mesures prises en vue d'imposer telle ou telle ligne de conduite à un peuple souffrant d'une crise grave d'évolution.

Plus simplement nous remarquons que l'autorité forte de la Convention sut s'employer efficacement à la protection de notre forêt. Les Bellifontains de la Révolution, au lendemain de la grande tourmente de 1794, se retrouvèrent rapprochés de leurs vieux chênes, non plus cette fois pour les atteindre mais pour les protéger.

Ceux de 1919 ne voudront point se montrer moins bienveillants à l'égard de nos fulaies, et notre belle forêt, meurtrie par quatre années de guerre, pourra bientôt reprendre dans le silence des choses et le calme des temps les étapes de son cycle, éternel comme sa beauté.

Fontainebleau, 21 août 1919.

SINTUREL.

LES LIVRES FORESTIERS

I

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- Pour ceux

Economie forestière, tome Ier, 2 volume. Propriété et Législation forestière; - Politique forestière. La France forestière, statistique, par G. HUFFEL, sous-directeur et professeur à l'Ecole nationale des Eaux et Forêts, in-8° raisin, 461 p., Paris, librairie agricole de la Maison rustique, rue Jacob, 26. Prix 20 fr. qui possèdent la 1re partie de ce volume, la 2° partie seule : 15 francs. Poursuivant la révision de son Traité, maintenant devenu classique, d'Economie forestière, notre savant collaborateur M. Huffel a pu faire paraître la 2e édition, amorcée en 1913 et retardée par la guerre, de la 2e partie du tome Ier 1. On pourrait presque dire qu'il s'agit d'un ouvrage nouveau, car, si le plan général est resté à peu près le même, la plupart des questions ont été étudiées avec beaucoup plus d'ampleur. Par exemple, l'Historique de la Propriété forestière et des Droits d'usage, qui comptait 28 pages dans la 1re édition, en tient 266 dans le volume actuel, bien que ce dernier ne prenne le sujet, entamé dans la re partie, qu'au début de la période féodale. L'étude de politique forestière consacre 63 pages au lieu de 27 aux forêts et à l'intérêt général ainsi qu'au régime forestier, et contient un chapitre tout nouveau nant l'impôt sur les forêts. Dans la plupart des autres chapitres, la rédaction a été entièrement révisée. On peut donc dire que M. Huffel ne s'est pas contenté de mettre à jour un ancien texte, il a vraiment refait son ouvrage en le perfectionnant, et la 2o édition présentée, qui a entraîné de très nombreuses recherches documentaires, est le fruit d'un patient et considérable effort.

L'auteur, chez qui la culture scientifique a pour base de solides humanités, a estimé avec raison qu'une saine conception de l'économie forestière à notre époque supposait une connaissance approfondie du passé et surtout de celui auquel nous nous rattachons le plus directement et qui commence avec la féodalité. Il a compris d'autre part que

1.- Un premier fascicule de cette 2o partie avait paru en 1913, et M. Guyot en avait même rendu compte avec sa maîtrise habituelle dans la Revue (vol. de 1913, p.662); mais les deux fascicules étant maintenant réunis en volume unique, et la guerre ayant rejeté l'année 1913 dans un passé qui semble déjà lointain, nous avons cru préférable de parler aux abonnés de l'ensemble du livre.

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