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races améliorées sont du même ordre que ceux enseignés en zootechnie pour l'amélioration du bétail. Les règles fondamentales sont les sui

vantes :

a) n'admettre à la reproduction que les individus présentant au maximum la qualité recherchée: précocité dans la croissance.

b) n'utiliser comme géniteurs que des sujets suffisamment âgés : 5 ou 6 ans au moins; cet âge correspond à un poids de 7 à 8 livres. c) placer les reproducteurs dans les meilleures conditions biologiques en leur réservant les étangs les plus riches en nourriture naturelle. On obtient ainsi, au bout d'un certain nombre de générations, des poissons atteignant dans le minimum de temps le maximum de développement des parties charnues (dos et flancs) et une régression des parties inutiles telles que la tête, qui s'amincit et se déprime d'une façon caractéristique.

Corrélativement, à la précocité dans le développement musculaire correspond la tardiveté dans les facultés reproductrices. Ceci est un avantage, car les carpes non améliorées commencent en général à se reproduire avant d'avoir atteint la taille marchande, ce qui entrave leur croissance et leur engraissement.

En observant les règles qui précèdent, il serait facile d'obtenir une amélioration rapide des carpes de nos pays, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'importation de races étrangères, dont l'acclimatation présente toujours un certain alea.

A l'étang du Stock, sans alimentation artificielle, les carpes marchandes de trois étés pèsent en moyenne 1 kilo et le rendement à l'hectare est de 110 à 130 kilos. Autrefois, par l'alimentation artificielle au maïs, on y a obtenu des rendements de 300 kilos et certains sujets ont augmenté, paraft-il, de 6 livres en un été. De semblables résultats ne peuvent être obtenus qu'avec des animaux sélectionnés, qui sont doués d'une faculté d'assimilation bien supérieure à celle de la race sauvage.

La fabrication d'alevins de race améliorée exige la possession de plusieurs étangs; elle n'est donc pas à la portée de tous les propriétaires. Il serait très désirable que les syndicats s'orientent dans cette voie, car l'emploi de poissons sélectionnés est indispensable pour obtenir un rendement vraiment rémunérateur.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue qu'à une croissance plus rapide correspondent de plus grandes exigences alimentaires. Par conséquent, si l'on ne veut pas recourir à l'alimentation artificielle, il est nécessaire, lorsqu'on emploie des sujets améliorés, ou bien de moins charger l'étang en empoissonnement, ou bien, ce qui est préférable, d'en aug

menter la capacité nutritive par des opérations culturales (fancardements...) et par des engrais répandus, soit directement dans l'eau, soit sur les terres avoisinantes.

Au cours de la mission en Lorraine, nous eûmes l'occasion de visiter le célèbre établissement municipal de cypriniculture de Strasbourg où les eaux d'égout sont purifiées biologiquement et leurs matières organiques transformées en chair de carpe.

Le processus est le suivant: après avoir été grossièrement filtrées et décantées, les eaux d'égout sont mélangées à de l'eau de rivière dans une proportion variant de moitié à un tiers, puis envoyées dans des bassins dits d'épuration, ayant une surface d'environ un demi-hectare et une profondeur moyenne de 1 m. 20, où s'opère le « cycle de l'azote». Les matières organiques en dissolution ou suspension sont assimilées par de multiples micro-organismes bactéries, infusoires..., qui sont eux-mêmes absorbés par des organismes plus élevés, des entomostracés (daphnies, cyclops...) en particulier; ceux-ci, à leur tour, servent de nourriture aux carpes élevées dans les bassins. Des plantes aquatiques, submergées, dont le développement est favorisé par l'apport des matières organiques, concourent à l'alimentation des poissons.

A la sortie des bassins, l'eau est parfaitement épurée. Il suffit d'un hectare par 3.000 habitants. L'établissement ne comporte encore que 3 hectares de bassins; pour épurer la totalité des eaux d'égout de Strasbourg il faudrait 70 hectares environ.

Ce procédé d'épuration exige une surface moindre que celui par épandage et est d'un fonctionnement moins onéreux et plus certain. Les notes qui précèdent donnent un aperçu de quelques-unes des améliorations qu'il serait désirable d'apporter dans nos méthodes piscicoles. Que ne produiraient pas les cours d'eau de France s'ils étaient mis en valeur comme ceux de Hollande! De quel profit intéressant pourraient être les étangs de notre pays, s'ils étaient exploités par les procédés perfectionnés en usage depuis longtemps en Lorraine et dans les pays d'outre-Rhin !

A une époque où les matières azotées d'origine animale, nécessaires à l'alimentation nationale, sont si rares et si chères, il serait à souhaiter que des mesures soient prises pour faire rendre au domaine des eaux douces, public ou privé, tout ce qu'il est susceptible de produire.

J. LE CLERG.

LA LÉGENDE DU DÉVOLUY

Le recueil des Travaux de l'Institut de Géographie alpine de l'Université de Grenoble vient de publier, dans son fascicule 2, tome VII, année 1919, une étude fort intéressante de M. Philippe Arbos, professeur de géographie au lycée de Grenoble, nommé depuis lors professeur de géographie à l'Université de Clermont.

M. Arbos, qui a déjà publié des études très personnelles et très documentées, soit dans le recueil des Travaux de l'Institut de Géographie alpine, soit dans le Bulletin de la Section de géographie du Ministère de l'Instruction publique, s'est spécialisé plus particulièrement dans l'étude de la géographie humaine.

L'étude que nous voulons présenter aux lecteurs de la Revue est intitulée « la Légende du Dévoluy ».

M. Arbos apporte des documents réellement impressionnants à l'appui de sa thèse, et nous estimons que le public forestier ne saurait rester indifférent devant cette documentation rigoureuse, qui, cependant, bat en brèche toutes les idées qui avaient cours jusqu'ici sur le Dévoluy.

Les générations de forestiers qui se sont succédé depuis l'apparition de l'étude magistrale de Surell sur les torrents des Hautes-Alpes ont toutes vécu sur la « légende du Dévoluy ».

<< Les montagnes sont chauves, dit Surell, dévorées par les ravins, « les troupeaux et le soleil: nulle ombre, nulle verdure. Les fonds << presque déserts sont ruinés par les déjections des torrents ».

« L'aspect de ce misérable pays serre l'âme on le dirait frappé de << mort». D'ailleurs, quoi d'étonnant que le public forestier ait accepté les yeux fermés la description pessimiste de Surell, lorsque Joanne, Reclus, et tant d'autres, renchérissant encore sur les assertions du célèbre ingénieur, écrivaient que « le Dévoluy n'avait plus d'arbres......, que les moutons y avaient tué tous les bois.... » (O. Reclus, la France et ses Colonies), <«< que le déboisement fait du Dévoluy le plus pauvre canton de France ». (Joanne.)

Il était donc admis, jusqu'ici, sans discussion, que le Dévoluy devait

être considéré comme le pays de démonstration classique des effets funestes du déboisement.

Cependant une seule autorité forestière, l'une des plus autorisées et des plus compétentes dans les études de géographie et d'économie alpestres, s'était élevée, dès 1907, contre cette description par trop partiale de Surell. Dans ses « Nouvelles études sur l'Economie Alpestre », M. le conservateur Briot n'a pas craint, en effet, d'écrire les lignes suivantes : «< Un seul canton, le Dévoluy, ne contient ni forêts, ni présbois. Le boisement y réussira, mais rien ne prouve que ce district ait jamais été boisé. »

Les recherches de M. Arbos prouvent combien cet éminent écrivain avait vu juste.

M. Arbos s'attache à démontrer que, contrairement à l'opinion unanime, le déboisement du Dévoluy (si tant est que ce pays ait eu des forêts) est un fait très ancien: il était accompli dès avant la Révolution, à laquelle Surell l'attribue. Surell ne donne pas, il est vrai, de précisions sur l'histoire des forêts du Dévoluy; mais il suffit de lire son ouvrage pour en retirer l'impression que, d'après lui, le déboisement est relativement récent; qu'il a été en tout cas, radicalement achevé à a Révolution. Du reste Surell représente les funestes conséquences du déboisement comme contemporaines de ses écrits; or, la première édition de son ouvrage date de 1841; par suite, il ne pouvait faire remonter au delà des dernières années du xvIIe siècle les causes du ravinement et de la dépopulation qu'il déplore, « sinon, ajoute M. Arbos, elles auraient été vraiment d'effet trop lointain ». M. Arbos conclut que le déboisement du Dévoluy (si déboisement il y a) remonte certainement au delà du XVIIe siècle. L'activité de l'érosion torrentielle n'est pas davantage un phénomène moderne : « elle s'exerçait dès 1458 », comme le prouve un document cité par M. Arbos. Elle ne saurait donc être le résultat d'une déforestation récente. Enfin, elle ne paraît pas avoir jamais été pour le Dévoluy le fléau que les auteurs ont bien voulu représenter, car ce pays ne semble pas avoir été plus déshérité que beaucoup d'autres cantons des Alpes : « en 1458, en 1700, en 1789, il n'était pas plus malheureux que ses voisins », dit M. Arbos.

Le Dévoluy s'est même enrichi au xixe siècle : l'agriculture s'est rénovée par les engrais chimiques et les fourrages artificiels.

Le coefficient animal (c'est-à-dire le rapport du nombre d'animaux domestiques et la population) a crû considérablement. Aussi, la population est-elle dans l'aisance et a-t-elle diminué beaucoup moins que dans d'autres régions des Alpes.

Telles sont les conclusions de l'étude de M. Arbos; il serait vivement à désirer que cette étude fût connue du public forestier. Elle développerait en lui le goût des recherches personnelles et des études critiques, tant sur le terrain que dans le domaine des archives et des documents historiques et le déshabituerait de la tendance dangereuse d'accorder créance en vertu du respect du principe d'autorité, à des théories toutes faites, acceptées ensuite sans discussion, et indéfiniment répétées dans tous les rapports ou les descriptions officielles.

L. B.

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