Page images
PDF
EPUB

mises dans son examen, ou plutôt dans son travestisse ment de l'ouvrage Des Colonies. Nous avions cru devoir négliger de le redresser pour ce qu'il a écrit sur les Mémoires d'Espagne; nous pensions qu'un premier écart l'aurait préservé d'un second; mais puisque c'est une habitude chez M. Hoffmann, il faut bien sup pléer à ses oublis passés, et prévenir ses rechutes à venir.

soit

Nous demanderons donc à M. Hoffmann si l'on ne peut examiner les avantages et les inconvéniens de la séparation des colonies avec les métropoles, sans se voir exposé à ses insultes. Il nous paraît que d'immenses avantages sont renfermés dans ce grand acte, soit pour les colonies mêmes, soit pour les métropoles, pour le monde entier. Nous le disons avec calme, à la suite de longues méditations: l'intérêt général est le but de l'ouvrage, la raison en est la boussolle, les principes sont inébranlables, les conséquences sont certainės, les événemens arrivent en foule pour confirmer les uns et les autres. Qu'y a-t-il là qui puisse provoquer la colère, la haine, l'injure? Les Colonies sont en révolution : l'avons-nous faite ? Il y aura des malheurs qui les produit? Nous qui sommes à mille lieues, ou les maladroits qui sur le terrein les aggravent tous les jours ? Mais l'Espagne perdra ses Colonies. Est-ce donc nous qui les lui arrachons? Peut-être a-t-elle à gagner en les perdant : c'est un compte à faire. Mais les métropoles perdront leurs Colonies:

Autre compte à faire : encore un coup, apprenez cè qu'en langage colonial veut dire le mot perdre. Mais les soldats de Morillo déserteront: nous ne les avons pas envoyés d'Espagne en Amérique, pour y tuer des hommes ennuyés de payer six francs ce qu'ils peu vent avoir pour vingt sous; nous ne leur avons pas dit de le faire, mais nous avons dit ce qu'ils feront et ce qu'ils ont fait. Il y a loin de l'un à l'autre; si nous avons brodé l'étoffe, d'autres mains ont fourni le canevas.... Vous pensez que l'ancien ordre colonial est préférable à celui qui tend à s'établir; dites-le, prouvez-le : vous verrez en quels termes nous parlerons de vos opinions. Vous trouvez notre ouvrage mauvais; dites-le, vous en avez le droit; prouvez-le, nous en profiterons; mais abstenez-vous de formule insultantes, dérisoires, que le ton de la bonne compagnie, ét celui que donne la bonne éducation, ne peuvent jamais permettre ni tolérer. Soyez sobre des qualifications générales, absurdités, extravagances, cont adićtions faire trop d'honneur; songez qu'un système, long-temps médité, lié dans toutes ses parties, confirmé par les faits, ne s'écroule pas sous le poids léger de minces observations, telles qu'il est si facile d'en faire sur toute espèce d'ouvrages, et qu'il faut avoir étudié une question qui, par sa nature, est étendue, compliquée, importante, pour avoir le droit d'en parler. Ce serait aussi un trop beau privilége, et qu'il faudrait bien leur envier, que celui attribué à des

hommes auxquels il suffirait de se faire journalistes, pour savoir dans un jour ce qui coûte quelquefois des années à apprendre. Retenez aussi que l'on ne peut jamais être autorisé à parler au public un autre langage que celui qu'on parlerait devant une société choisie: parce que le public est la première de toutes les sociétés, et celle à laquelle il est dû le plus de respect. Retenez encore que si la justice, dans le jugement sur le fond d'un ouvrage, est également due à tous, les égards dans l'expression doivent être réglés sur la place que les personnes occupent dans la société; il n'y a que l'absence absolue des notions des devoirs qui règlent les sociétés policées, qui puisse faire tomber dans la pratique contraire.

Nous demanderons de plus à M. Hoffmann si, en écrivant, un auteur livre au public autre chose que sa pensée écrite, et son ouvrage; s'il livre sa personne; s'il abdique le rang qu'il occupe dans la société, pour descendre dans l'arêne et y rester exposé aux insultes d'une populace grossière; s'il renonce aux égards dont la société le fait jouir. Nous lui demanderons quelle est la loi qui rend les écrivains personnellement justiciables des journalistes. Est-ce donc que nous manquons de tribunaux ? A quoi la juridiction des journaux est-elle bornée? Doit-elle s'étendre aux personnes ou bien aux ouvrages? Depuis quand la société autorise-t-elle un homme ou quelques sociétaires à faire une déclaration de guerre à un citoyen, à pu

blier journellement contre lui des manifestes, à armer en course contre lui, à le blesser continuellement à la face du monde entier, qui peut se méprendre sur la nature de l'attaque et sur les motifs du silence de l'attaqué? Les abonnés demandent-ils compte aux journalistes de leurs affections personnelles à l'égard de quelques individus; ou bien attendent-ils d'eux des notions exactes, parce qu'elles seraient impartiales sur le mérite des ouvrages qu'ils peuvent avoir intérêt de connaître ? La loi, en autorisant la publication des journaux, a-t-elle voulu remettre en de certaines mains un glaive dont l'intérêt ou les passions pourraient user à discrétion ? A-t-elle voulu permettre la censure des ouvrages, en vue de propager les connaissances utiles; ou bien établir la censurë des personnes, en vue de satisfaire des animosités et des malveillances? L'art divin par lequel toutes les parties de l'humanité s'entendent, se correspondent, conversent, pour ainsi dire, ensemble, ce chef-d'œuvre, de l'industrie humaine a-t-il donc été inventé pour servir des intérêts privés, ou bien pour faire jouir mutuellement les hommes, des fruits de leur génie et de leurs richesses intellectuelles ?

M. Hoffmann prétend aux honneurs de l'indépendance. Gloire à cette indépendance, provenant à la fois de la droiture du cœur et de la rectitude de l'esprit, par lesquelles on se maintient libre contre toute influence, et l'on ne suit dans ses jugemens que

la conviction qui résulte d'un examen impartial et ap→ profondi; mais l'indépendance, qui ne se manifesté que par la répartition égale de l'injure, par l'emploi habituel d'expressions outrageantes, de formules dérisoires, en un mot, par l'usage continuel du dictionnaire de l'incivilité, n'est qu'un cynisme impudent fait pour bannir de la société celui qui emprunte à la populace un langage réprouvé par la bonne compagnie. Diogène ne peut avoir droit aux honneurs d'Aristide.

On dit que la consolation des malheureux est de compter des compagnons. Nous devons cette consolation à M. Hoffmann, et de nous l'avoir fait trouver en bonne compagnie; celle de deux hommes recommandables par d'honorables sentimens, par de vastes connaissances et des talens très-distingués, MM. de Montlosier et Schlegel. Avec quelle prodigalité M. Hoffmann répand sur les extraits de leurs ouvrages les épithètes les plus grossières! Comme reviennent à chaque instant les qualifications d'absurdités, d'extravagances, les plates bouffonneries! Tout homme peut se tromper sans doute; mais une erreur d'opinion politique ou littéraire prête-t-elle donc à cette aigreur de la censure, à cette acrimonie d'expression, à ce ton qu'on croyait disparu du milieu de nous avec les Garasse et leurs pareils? Nous ne nous ingérerons pas de juger le différend littéraire, élevé entre MM. Hoffmann et Schlegel, sur la prééminence des Muses allemandes

« PreviousContinue »