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relations si lointaines, si tardives, si incommodes? Et le Brésil ne sera-t-il pas aussi peu apte à gérer les affaires du Portugal, que le Portugal l'était à gérer celles du Brésil ? De plus, l'Europe verra-t-elle toujours le Portugal, colonie du Brésil, du même œil dont elle considérait le royaume de Portugal, métropole du Brésil, co-état européen de tous les membres de l'association souveraine de l'Europe? Ensuite, le souverain du Brésil ne passera-t-il pas nécessairement des affections de l'Europe aux affections de l'Amérique ? Il ne peut manquer de devenir tout Américain et anti-Européen, dès qu'il s'est fait extrà-Européen placé au centre du grand mouvement qu'éprouve ce vaste continent; il sera bien plus occupé de ce qui se passera à ses portes, que de ce qui se passera loin de lui. Ce changement, ce transport du gouvernement du Portugal en Amérique, dénature, dans son principe, l'état colonial du Portugal; ou plutôt, en le rendant luimême colonie, il a fait qu'il n'y a plus de colonies pour lui. »

Les causes du complot de Lisbonne sont là; il est bien superfiu d'aller les chercher ailleurs. Ce n'est point contre le roi de Portugal que l'on a conspiré en Portugal, c'est contre le gouvernement du Portugal exercé au Brésil; ce n'est point pour n'avoir pas de roi, mais au contraire pour en avoir un en Portugal: voilà ce qu'il faut bien entendre, et ce qui était inévitable.

On éprouve cette espèce de malaise que produit la réunion de l'indignation avec la pitié, à l'aspect des contre-sens qui engendrent tous ces malheurs; car presque toujours ce sont les fautes des uns qui deviennent la cause des crimes des autres.

Un pays, habitué de tout temps à posséder son souverain, le voit s'éloigner, l'attend pendant beaucoup d'années, perd l'espoir de le recouvrer; son absence fait fuir les capitaux, détourne ceux que l'on avait cou1ume de recevoir; les consommateurs diminuent, les grands s'exilent à la suite de la cour: il faut aller chercher à mille lieues, à

travers l'Océan, ce que l'on trouvait chez soi; les années s'écoulent dans l'attente des décisions demandées à des lieux si lointains ; on est humilié d'être gouverné et gardé par des étrangers; les gênes se font sentir de toutes parts; l'irritation se communique et se réunit comme dans un foyer, dans des têtes ardentes et des coeurs généreux (1). L'affran

(1) Les regrets des Portugais sont bien légitimes; mais les moyens dont ils usaient sont bien cruels. Tuer, massacrer, assaillir à coups de fusil le chef des troupes anglaises, si justement considéré parmi eux: voilà d'horribles procédés; et malheureusement les peuples du midi de l'Europe, comme ceux de l'Afrique, dans leurs inimitiés, n'en connaissent pas d'autres. Voyez ce qui s'est passé pendant la guerre d'Espagne, pendant l'occupation du royaume de Naples; considérez ce qui se passe dans toute l'étendue de l'Amérique; faites attention au débordement des crimes, des assassinats, des brigandages de toute espèce qui rendent l'Italie et l'Espagne impénétrables, sans les plus grands dangers, depuis que les Français s'en sont retirés. Ce penchant, cette facilité qu'ont les peuples du midi à verser le sang dans toute querelle, soit politique, soit privée, forme

chissement de tant de maux paraît beau; pour l'obtenir, on conspire : le crime doit achever le succès; on éclate, ou bien l'on est découvert; alors des chaînes, des bourreaux, des échaufauds.... Or, qui a amené tout cela? L'abandon du pays par le souverain, avec les maux qui en ont été la suite. Les trônes sont des bénefices à résidence. Il

un contraste bien frappant avec l'horreur que les peuples du nord ont pour l'effusion du sang, ainsi qu'avec la sûreté qui règne chez eux en tout pays et å toute heure. Le crime est très-rare au nord de l'Europe, dépourvue de l'échafaudage religieux, administratif, et des cours dispendieuses et despotiques qui pèsent sur le midi. Les cours du nord sont économes et simples, les mœurs calmes, les pratiques religieuses rares, le gouvernement tempéré. C'est tout le contraire au midi, et cependant c'est là que le philantrope Howardt a trouvé les prisons remplies, les crimes atroces, et l'assassinat en permanence. Est-ce donc que la superstition et la barbarie se tiendraient par la main, comme on est autorisé à le croire en considérant l'état de l'Espagne et de l'Italie, ainsi que celui de l'Afrique et de l'Asie.

y a deux intérêts incompatibles : celui du roi qui au Brésil ne veut pas se désister du Portugal, celui du Portugal qui ne veut pas se désister de son roi à Lisbonne, et là seulement. Ce qui vient de s'y passer, aurait eu lieu à Rio-Janeiro, si le roi était repassé en Portugal: ce n'est donc qu'un combat pour la présence du roi ; les intérêts sont inconciliables celui du roi qui veut régner à la fois dans les deux pays, et celui des deux pays qui veulent, avec une égale force, garder chez eux le prince, qui cependant ne peut rester que dans un des deux, et qui font de leur séjour dans son sein la condition de leur obéissance. Le mal vient donc de la nature de cette double propriété; le prince a un autre intérêt que le pays, et le pays un autre intérêt que le prince; elle est très-bonne pour le prince, mais elle ne vaut rien pour un des deux pays. Il faut choisir, être roi de Portugal en Portugal, ou du Brésil au Brésil : les deux à la fois ne sont plus possibles. Aujourd'hui les hommes en savent trop pour ne considérer les gouver

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