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Mais cette quittance ne s'étend pas à ce qui m'est dû pour d'autres causes que celle qui est exprimée, et il n'est pas besoin que j'en fasse une réserve expresse.

Par exemple, la quittance que je vous aurais donnée, telle qu'elle est conçue dans l'espèce ci-dessus proposée, ne renferme que ce que vous me devez pour le prix du vin de ma maison de Saint-Denis, et vous ne pouvez pas l'opposer contre mes créances pour le prix du vin de mes autres maisons, que je vous aurais pareillement vendu.

Lorsque la dette dont la cause est exprimée par la quittance, est une dette qui consiste en arrérages, rentes, loyers ou fermes, elle fait foi du paiement de tout ce qui a couru jusqu'au dernier terme d'échéance qui a précédé la date de la quittance; mais elle ne s'étend pas à ce qui a couru depuis.

Par exemple, si vous êtes le locataire d'une maison qui m'appartient, dont les loyers se paient à la Saint-Jean; ou débiteur envers moi d'une rente payable par chacun an à la Saint-Jean, la quittance que je vous aurai donnée en ces termes J'ai reçu d'un tel ce qu'il me doit pour loyers; ou bien, ce qu'il me doit pour arrérages des rentes. Fait ce 10 décembre 1760. Cette quittance est valable pour tous les arrérages ou loyers courus jusqu'au terme de la Saint-Jean 1760; mais elle ne s'étend pas à ce qui en a couru depuis. Quid si la quittance n'était pas datée ?

Le défaut de date empêchant, en ce cas, qu'on ne puisse savoir en quel temps la quittance a été donnée, le débiteur ne peut prouver par cette quittance quel est le terme qui a précédé le temps de la quittance, et jusqu'auquel il a payé.

Dans cette incertitude, cette quittance ne prouve autre chose, sinon que le débiteur a payé au moins un terme; et par conséquent il ne peut la faire valoir que pour un terme.

Si c'était l'héritier du créancier qui eût donné la quittance, elle vaudrait pour tous les termes échus du vivant du défunt; car il n'est pas douteux que ces termes ont précédé le temps de la quittance, l'héritier n'ayant pu la donner que depuis qu'il est devenu héritier, et par conséquent depuis la mort du défunt.

Lorsque la dette dont la cause est exprimée par la quittance, est la dette d'une somme partagée en plusieurs termes de paiement; comme lorsque mon beau-père m'a promis pour la dot de sa fille que j'ai épousée, une dot de 20,000 livres, payable en quatre paiements, d'année en année; la quittance que je lui donne, sans expression de somme, en ces termes : J'ai reçu de mon beau-père ce qu'il me doit pour la dot de ma femme, ne doit pareillement comprendre que les termes qui étaient échus lors de la quittance, et ne doit pas s'étendre à ceux qui ne l'étaient pas encore: car, quoiqu'une somme dont le terme de paiement n'est pas encore échu, ne laisse pas d'être duc dans un sens très véritable, néanmoins dans le sens du langage ordinaire, qui est celui dans lequel la quittance doit être entendue, ces termes, ce qu'il doil, ne s'entendent que de ce qui peut s'exiger, et dont le terme de paiement est échu; et c'est en ce sens qu'on dit vulgairement: QUI A TERME NE DOIT RIEN (1); Loysel. D'ailleurs on ne présume pas qu'un débiteur paie avant le

terme.

Il y aurait beaucoup plus de difficulté si la quittance était conçue en ces termes: J'ai reçu la dot de ma femme.

Ces termes généraux et indéfinis paraissent comprendre toute la dot, et par conséquent men les portions dont les termes de paiement n'étaient pas encore échus au temps de la quittance.

(1) Il serait plus vrai de dire : Qui a terme doit, mais ne peut être contraint à payer avant le terme.

782. Lorsque la quittance n'exprime ni la somme qui a été payée, ni la cause de la dette qui a été acquittée; comme lorsqu'elle est conçue en ces termes: J'ai reçu d'un tel ce qu'il me doit. Fait, etc.

Cette quittance est une quittance générale, qui comprend toutes les différentes dettes qui étaient dues, au temps de cette quittance, à celui qui l'a donnée, par celui à qui elle a été donnée.

Si, entre ces dettes, il y en avait qui fussent exigibles au temps de la date de la quittance, et d'autres dont le terme de paiement ne fût pas encore échu, la quittance ne s'étendrait pas à celles-ci, par les raisons que nous avons déjà déduites ci-dessus.

A plus forte raison la quittance ne doit pas s'étendre aux principaux des rentes dues par le débiteur : elle ne comprend que les arrérages échus jusqu'au dernier terme qui a précédé la date de la quittance.

On doit encore excepter de la quittance les dettes dont le créancier qui l'a donnée n'avait pas encore vraisemblablement de connaissance.

Par exemple, si, au temps de la quittance, vous étiez, de votre chef, mon créancier de certaines sommes, et d'autres sommes comme héritier de Pierre, dont la succession vous était déjà échue, mais dont l'inventaire n'était pas encore fait; la quittance générale que vous m'avez donnée en ces termes : J'ai reçu d'un tel ce qu'il me doit, ne comprend pas ce que je dois à la succession de Pierre: car, comme, dans le temps de votre quittance, vous n'aviez pas encore connaissance des effets de la succession de Pierre, quoiqu'elle vous fût déjà échue, vous ne devez pas être censé avoir compris dans cette quittance la dette que je vous devais en votre qualité d'héritier de Pierre, dont vraisemblablement vous n'aviez pas connaissance.

Si je vous devais certaines sommes de mon chef, et d'autres comme caution d'une autre personne, ces termes de la quittance que vous m'avez donnée: J'ai reçu d'un tel ce qu'il me doit, comprennent-ils les sommes que je vous devais comme caution ?

La raison de douter est que ces termes : ce qu'il me doit, pris littéralement dans leur généralité, semblent les comprendre; car je dois véritablement ce que je dois comme caution.

Néanmoins je pense qu'on doit présumer que vous n'avez entendu par ces termes: ce qu'il me doit, que ce que je dois proprio nomine, et non ce que je vous devais comme caution:

1o Parce que pouvant me défendre de payer ce que je vous devais comme caution, jusque après la discussion des principaux débiteurs, je ne le devais pas en quelque façon, et dans le sens du langage ordinaire, avant la discussion et au temps de la quittance;

2° Parce que, ayant un recours à exercer quant à ce que je vous aurais payé pour ceux que j'ai cautionnés, il n'est pas présumable qu'en payant pour eux, je n'eusse pas tiré des quittances particulières des sommes que je payais pour cux, et que je me fusse contenté d'une quittance aussi générale.

Si, parmi les sommes que je vous devais au temps de la quittance générale que vous m'avez donnée, il y en avait une portée par un billet qui fût resté en votre possession, y serait-elle comprise?

La raison de douter se tire de la rétention du billet que vous m'auriez dû rendre, et qui n'aurait pas dû rester par devers vous si je l'eusse acquitté.

La raison de décider qu'elle y est comprise, se tire de la généralité de ces termes, ce qu'il me doit, qui comprennent toutes les dettes que je vous devais alors il peut se faire que, me fiant à ma quittance générale, j'aie négligé de retirer mon billet, que vous aviez peut-être alors égaré.

783. La quatrième espèce de quittance est celle dans laquelle on a exprimé, tant la somme qui a été payée, que la cause de la dette acquittée : celle-ci ne peut guère donner lieu à aucune difficulté.

Si la somme payée excédait celle qui était due pour la cause exprimée par la quittance, le débiteur, supposé qu'il ne dût rien autre chose, aurait la répétition de cet excédant, per condictionem indebiti.

S'il était débiteur pour d'autres causes, il imputerait cet excédant sur la dette qu'il a le plus d'intérêt d'acquitter.

La question si les quittances d'une ou de plusieurs années d'arrérages font présumer le paiement des précédentes, est traitée infrd, ch. 3, sect. 2, art. 2.

La

CHAPITRE II.

De la preuve vocale ou testimoniale.

preuve vocale ou testimoniale est celle qui se fait par la déposition des témoins.

ART. Ier.

Principes généraux sur les cas auxquels cette preuve est admise.

784. La corruption des mœurs et les exemples fréquents de subornation de témoins, nous ont rendus beaucoup plus difficiles à admettre la preuve testimoniale que ne l'étaient les Romains.

Pour prévenir cette subornation de témoins, l'ordonnance de Moulins de l'an 1566, art. 54, ordonne que « de toutes les choses excédant la valeur de «< 100 liv., soient passés contrats, par lesquels seulement sera reçue toute preuve << desdites matières, sans recevoir aucune preuve par témoins outre le contenu « auxdits contrats. >>

Cette disposition a été confirmée par l'ordonnance de 1667, tit. 20, art. 2, qui s'exprime ainsi : « Seront passés actes devant notaires ou sous signature « privée de toutes les choses excédantes la valeur de 100 liv.; et ne sera reçue << aucune preuve par témoins contre et outre le contenu des actes, encore qu'il << s'agit d'une somme moindre de 100 liv. » (1)

Dans l'article suivant, l'ordonnance excepte les cas d'accidents imprévus, et les cas auxquels il y a un commencement de preuve par écrit.

Il y a aussi dans le premier article une exception à l'égard de ce qui s'observe dans les juridictions des consuls.

De ces dispositions de l'ordonnance, on peut tirer quatre principes généraux, qui décident les cas dans lesquels la preuve testimoniale doit être admise ou rejetée.

Ces principes sont: 1° Celui qui a pu se procurer une preuve littérale, n'est pas admis à faire preuve testimoniale, lorsque la chose excède 100 liv., s'il n'a un commencement de preuve par écrit.

2o Lorsqu'il y a un acte par écrit, ceux qui ont été parties, ni leurs héritiers et successeurs, ne peuvent être admis à la preuve testimoniale contre et outre

"

(1) V. art. 1341, C. civ.

<< tenu aux actes, ni sur ce qui serait Art. 1341: « Il doit être passé acte «< allégué avoir été dit avant, lors ou « devant notaires ou sous signature « depuis les actes, encore qu'il s'agisse privée, de toutes choses excédant la « d'une somme ou valeur moindre « somme ou valeur de cent cinquante« de cent cinquante francs; Le « francs, même pour dépôts volon-« tout sans préjudice de ce qui est «taires; et il n'est reçu aucune preuve « prescrit dans les lois relatives au « par témoins contre et outre le con- «< commerce. »

cet acte, quand même la chose n'excéderait pas 100 liv., s'ils n'ont un commencement de preuve par écrit.

3o On est admis à la preuve testimoniale des choses dont on n'a pu se procurer une preuve littérale, à quelques sommes qu'elles puissent monter.

4° Pareillement, lorsque par un cas fortuit et imprévu, avoué entre les parties, ou prouvé, la preuve littérale a été perdue, on est admis à la preuve testimoniale, à quelque somme que la chose puisse monter.

ART. II.

PREMIER PRINCIPE. · Celui qui a pu se procurer une preuve par écrit, n'est pas admis à la preuve testimoniale pour les choses qui excèdent cent livres.

785. L'ordonnance de Moulins dit : « Ordonnons que de toutes choses • excédant la somme ou valeur de 100 liv., pour une fois payer, seront passés a contrats, etc. »

L'ordonnance de 1667, tit. 20, art. 2, dit : « Seront passés actes de toutes «< choses excédant la valeur de 100 liv. »>

Quoique l'ordonnance de Moulins n'eût pas dit de toutes conventions, mais se fût servie du terme de choses, qui est un terme plus général que celui de conventions, néanmoins, les commentateurs de cette ordonnance pensaient qu'elle ne renfermait sous sa disposition que les conventions, parce que cette ordonnance dit, seront passés contrats, el que ce terme de contrats ne renferme que les conventions.

L'ordonnance de 1667 ayant évité de se servir de ce terme de contrals, et ayant dit, seront passés acies de toutes choses (1), on ne doit pas douter que sa disposition ne renferme non-seulement les conventions, mais généralement toutes les choses dont celui qui demande à faire preuve, a pu s'en procurer une par écrit.

Par exemple, quoique le paiement d'une dette ne soit pas une convention, néanmoins le débiteur qui le fait, pouvant en retirer un acte par écrit, c'est-àdire une quittance, il n'est pas admis à en faire la preuve par témoins, lorsque ce paiement excède 100 liv.

786, On a douté, avant l'ordonnance de 1667, si le dépôt volontaire était compris dans la disposition de l'ordonnance de Moulins, qui ordonne qu'il sera dressé acte de toutes choses excédant 100 liv., et en exclut la preuve testimoniale.

La raison de douter était qu'on ne fait pas ordinairement d'acte par écrit de dépôts; que celui qui prie son ami de se charger de la garde des choses qu'il lui confie, n'ose pas ordinairement demander une reconnaissance à ce dépositaire, qui ne se charge de ce dépôt que pour lui faire plaisir (*).

(1) Le Code est rédigé de même : Il doit être passé acte.... DE TOUTES CHOSES excédant la somme ou valeur de cent cinquante francs (art. 1341, V. note précédente).

(2) On invoquait l'autorité de Cujas, c'était à tort; car ce jurisconsulte convenait que l'ordonnance s'appliquait au dépôt, seulement il pensait qu'on aurait dû l'excepter. « Et velim etiam excipi à constitutione Caroli 1x « quæ suprà centum libras contractas * qui habentur sine scripturâ consi« stere non vult, quæ efficit ut hodiè « NULLI CONTRACTUS NUDO CONSENSU

« PERFICIANTUR CONTRA JUS GENTIUM, « velim, inquam, saltem excipi_sacri « arcanique depositi causam : Para« titla in Cod., lib. 4, tit. 34. »

Il nous paraît que les expressions de Cujas dépassent sa pensée; il ne s'agit pas dans l'ordonnance de l'existence du contrat, mais de la preuve, elle pourrait résulter de l'aveu, du serment: l'ordonnance n'est point contraire au droit des gens : elle règle seulement par quels moyens les contrats pourront être prouvés : Aliud est contractum perficere, aliud est probare.

Nonobstant ces raisons, l'ordonnance de 1667, tit. 20, art. 2, a décidé que le dépôt volontaire était compris dans la règle générale, et que la preuve par témoins n'en devait pas être admise; parce que celui qui a fait le dépôt a dû ou ne point faire le dépôt, que rien ne l'obligeait de faire; ou lorsqu'il Pa fait, en demander une reconnaissance au dépositaire: faute par lui de le faire, il doit courir les risques de la foi du dépositaire; et il doit s'imputer d'avoir eu trop facilement confiance en lui, s'il lui manque de fidélité (1).

Quelques arrêts, avant l'ordonnance de 1667, avaient aussi admis la preuve par témoins de prêts à usage, parce que ce prêt, de même que le dépôt, se fait ordinairement entre amis, sans en retirer de reconnaissance par écrit.

Mais l'ordonnance de 1667 ayant déclaré que le dépôt volontaire était com pris dans la loi générale qui exige une preuve par écrit, on doit conclure, à plus forte raison, la même chose du prêt à usage, puisqu'on se fie autant à celui à qui on fait un dépôt, qu'à celui à qui on prête; et celui qui fait un dépôt a encore plus lieu de craindre d'offenser son ami, en lui demandant une reconnaissance, que celui qui prête.

787. On a fait aussi la question, si les marchés faits dans les foires et marchés doivent être compris en la disposition de l'ordonnance?

La raison de douter était que ces marchés se font pour l'ordinaire verbalement; qu'on n'a pas un notaire présent, lorsqu'on les fait, pour les rédiger par écrit.

Néanmoins on a décidé que ces marchés doivent y être compris, parce qu'y ayant aujourd'ui des notaires établis dans les plus petits lieux, et par conséquent dans tous les lieux où se tiennent les foires, il n'est pas trop 'difficile aux parties, lorsqu'elles font un marché à crédit, d'appeler un notaire pour le rédiger, si elles ne savent pas écrire.

C'est l'avis de Boiceau, 1, 9.

Observez néanmoins qu'à l'égard des marchés qui se font de marchands à marchands, soit dans les foires, soit hors des foires, les juges-consuls qui en connaissent ne sont astreints à la disposition de l'ordonnance, et qu'ils peuvent, selon les circonstances, en admettre la preuve par témoins, quoique l'objet excède la somme de 100 livres.

Il paraît par le procès-verbal de l'ordonnance de 1667, que les juges-consuls s'étaient maintenus dans cet usage malgré l'ordonnance de Moulins: celle de 1667 les y maintient expressément par ces termes en fin de l'art. 2, sans rien innover à ce qui s'observe en la juridiction des consuls (2).

788. Lorsqu'une personne demande des dommages et intérêts qu'il prétend lui être dus pour l'inexécution d'une convention verbale « de faire où de ne pas faire quelque chose, » et qu'il est incertain si la valeur de ces dommages et intérêts doit monter ou non à une somme de 100 liv., le demandeur, pour être admis à la preuve testimoniale de la convention dont l'inexécution donne

(1) L'art. 1341, C. civ. (voy. ci-dessus, p. 423, note 1), répète la disposition de l'ordonnance.

V. en outre l'art. 109, dernier alinéa, C. de comm.

Art. 109: « Les achats et ventes se V. aussi art. 1923, C. civ. <<< constatent, -Par actes publics, Art. 1923: « Le dépôt volontaire « Par actes sous signature privée, « doit être prouvé par écrit. La preuve « Par le bordereau ou arrêté d'un « testimoniale n'en est point reçue« agent de change ou courtier, « pour valeur excédant cent cinquante «ment signé par les parties,-Par une <<< francs. >> «facture acceptée, Par la corres« pondance,-Par les livres des par«< ties, Par la preuve testimoniale, « dans le cas où le tribunal croira de« voir l'admettre. »

(2) Cette exception est également renouvelée dans le dernier alinéa de l'art. 1341, C. civ. V. ci-dessus, p. 423, note 1.

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