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Dans l'estimation des choses dont l'estimation est demandée, on doit beaucoup moins épargner un défendeur qui serait convaincu d'être complice du vol qui en a été fait, que celui qui n'aurait péché que par imprudence et par défaut de soin.

Quand même le juge s'en serait rapporté, sur l'estimation, au serment du demandeur, sans lui limiter la somme, il ne serait pas tellement astreint à la suivre, qu'il ne pût s'en écarter, s'il la trouvait excessive : Etsi juratum fueril, licet judici absolvere, vel minoris condemnare; L. 5, § 2, ff. eod. tit:

FIN DU TRAITÉ DES OBLIGATIONS

APPENDICE

AU

TRAITÉ DES OBLIGATIONS.

DE LA PRESTATION DES FAUTES.

Observation générale sur le précédent traité, et sur les

suivants.

Dans les différents traités que j'ai donnés des différents contrats et quasicontrats, j'ai suivi la doctrine commune de tous les interprètes sur la prestation de la faute qui a lieu dans chaque contrat, par rapport à la chose qui en fait l'objet. J'ai, en conséquence, distingué trois degrés de faute; la saute lourde, la légère et la très légère. V. ci-dessus, no 142, p. 66.

Suivant cette doctrine, la faute lourde, lata culpa, consiste à ne pas apporter aux affaires d'autrui le soin que les personnes les moins soigneuses et les plus stupides ne manquent pas d'apporter à leurs affaires. Cette faute est opposée à la bonne foi.

Levis culpa, la faute légère, est celle qui consiste à ne pas apporter à l'affaire d'autrui le soin que le commun des hommes apporte ordinairement à ses affaires. Elle est opposée à la diligence commune.

Enfin levissima culpa est la faute qui consiste à ne pas apporter le soin que les personnes les plus attentives apportent à leurs affaires. Cette faute est opposée à la diligence très exacte, exactissima diligentia.

établi

Pour décider de quelle espèce de faute le débiteur est tenu dans chacun des différents contrats et quasi-contrats, j'ai, suivant la doctrine commune, trois principes qui paraissent tirés de la loi 5, § 1, ff. Commod.

Le premier est que, « dans les contrats qui sont faits pour le seul intérêt du créancier, on n'exige du débiteur que de la bonne foi, et il n'est tenu en conséquence que de la faute lourde. »

Nous avons, suivant ce principe, décidé dans notre Traité du Contrat de Dépôt, que, dans ce contrat, on n'exige ordinairement du dépositaire que de la bonne foi, et qu'il n'est tenu que de la faute lourde, de latâ culpâ.

Nous avons observé que ce principe souffrait exception à l'égard du contrat de mandat et du quasi-contrat negotiorum gestorum.

Quoiqu'il soient faits pour le seul intérêt de la partie dont l'autre partie sc charge de gérer l'affaire, néanmoins on n'y exige pas seulement de la bonne foi de la part de celui qui l'a gérée, et qui en doit rendre compte, mais on exige encore de lui un soin proportionné à la nature de cette affaire.

La raison est qu'une gestion d'affaires, qui est la chose qui fait l'objet du contrat mandati, et du quasi-contrat negotiorum gestorum, étant une chose 32

TOM. II.

qui par sa nature exige un certain soin, la partie qui se charge de la gestion de l'affaire, est censée se charger d'apporter le soin nécessaire pour cette gestion Spondet diligentiam gerendo negotio parem.

Le second principe est que, « dans les contrats et quasi-contrats qui se font pour l'intérêt réciproque des parties, tels que sont les contrats de vente, de louage, de nantissement, de prêt, de société, et le quasi-contrat de communauté, on exige pour la chose qui fait l'objet du contrat, le soin que tout homme sage apporte ordinairement à ses affaires; et qu'en conséquence dans ces contrats, le débiteur est tenu de la faute légère ».

Le troisième principe est que, « dans les contrats qui sont faits pour le seul intérêt de la partie qui a reçu et qui doit rendre la chose qui fait l'objet du contrat, tel qu'est le contrat du prêt à usage, commodatum, on exige, par rapport à cette chose, le soin le plus exact, et le débiteur est tenu de la faute la plus légère ».

Nous avons observé que les jurisconsultes romains ne font quelquefois qu'une division bipartite des contrats; savoir, de ceux qui n'exigent dans les parties contractantes que de la bonne foi, et de ceux qui exigent un certain soin plus ou moins grand, selon la nature du contrat. Mais le second membre de cette division étant sujet à une subdivision, je veux dire de ceux qui n'exigent qu'un soin ordinaire, et de ceux qui exigent le soin le plus exact, cela revient à la division tripartite ci-dessus exposée.

Pareillement les jurisconsultes romains ne font quelquefois qu'une division bipartite des prestations; savoir, celle du dol et celle de la faule.

La prestation du dol, qui a lieu dans les contrats qui n'exigent que de la bonne foi, comprend sous le terme dolus, non-seulement la malice et le dessein de nuire, mais aussi la faute lourde, lata culpa, comme étant opposée à la bonne foi requise dans le contrat; et c'est en ce sens que les lois disent lata culpa comparatur dolo, lata culpa dolus est.

que

Le second membre de la division, qui est la prestation de la faute, comprend les deux autres espèces de faute, la légère et la plus légère, levem et tevissimam, sous le terme générique de faute, en tant que ce terme culpa est opposé à dolus, et en tant que les contrats qui exigent un soin plus ou moins grand, et dans lesquels il y a lieu à la prestation de la faute, sont opposés à ceux qui n'exigent que de la bonne foi, et dans lesquels il n'y a lieu qu'à la prestation du dol.

Telle est la division qui se trouve dans la fameuse loi Contractus, ff. de Reg. jur.

Mais dans cette division bipartite des prestations, le second membre de la division, qui est la prestation de la faute, est sujet à une subdivision; savoir, de la prestation de la faute légère, et de la prestation de la faute la plus légère, de manière que les trois degrés de faute ci-dessus exposés, se retrouvent; et la loi 5, § 1, ff. Commod., qui établit trois espèces de prestations, se concilie avec la loi Contractus, qui paraît n'en établir que deux.

Telle avait été jusqu'à présent la doctrine unanimement tenue par tous les interprètes des lois romaines, et par les auteurs des traités de droit.

C'est la doctrine des Accurse, des Alciat, des Cujas, des Duaren, des d'Avczan, des Vinnius, des Heineccius; et ceux mêmes qui se sont le plus appliqués à combattre les opinions communément reçues, et à proposer des nouveautés, tel qu'Antoine Faber, ne s'en sont jamais écartés.

Néanmoins il a paru en 1764 une dissertation sur la Prestation des fautes, imprimée à Paris, chez Saugrain, dans laquelle M. Le Brun, avocat au Parlement de Paris, combat cette doctrine.

Il m'a fait l'honneur de m'en faire présent. Je l'ai lue avec un grand plaisir,

et je suis charmé de trouver l'occasion de lui en témoigner publiquement ma reconnaissance (1).

Cet auteur soutient que la doctrine que nous venons d'exposer est une pure invention des interprètes, qui n'ont pas pris le véritable sens des lois.

Il prétend qu'on ne doit pas faire trois degrés de fautes, ni faire une distinction de la diligence commune et ordinaire, et de la diligence très exacte, ni une différence des contrats qui se font pour l'intérêt réciproque des parties contractantes, in quibus utriusque contrahentis vertitur utilitas, et de ceux qui se font pour le seul intérêt de la partie débitrice de la restitution de la chose qui fait l'objet du contrat.

Il n'y a, selon lui, que deux espèces de diligence; l'une qui se mesure sur celle qu'un homme attentif à ses affaires a coutume d'y apporter, qualem diligens paterfamilias adhibere solet; et l'autre qui ne se mesure que sur celle que le débiteur de qui on l'exige, a coutume d'apporter à ses propres affaires, rebus suis consuetam diligentiam.

Lorsque la chose qui fait l'objet du contrat appartient entièrement ou est due entièrement à celui à qui le débiteur est tenu de la rendre ou de la donner, le débiteur est, par rapport à cette chose, obligé à la première espèce de diligence, et il n'importe que le contrat ait été fait pour son seul intérêt, ou pour l'intérêt réciproque des parties.

C'est pourquoi un emprunteur n'est pas tenu, suivant cet auteur, par rapport à la chose qui lui a été prêtée, à une autre diligence que celle dont est tenu un locataire par rapport à la chose qui lui a été donnée à loyer; ils sont tenus l'un et l'autre à la première espèce de diligence, qui est celle qu'un homme attentif à ses affaires a coutume d'y apporter : c'est à cette diligence que sont obligés un vendeur par rapport à la chose vendue qu'il doit à l'acheteur; un mandataire, un negotiorum gestor, par rapport aux choses dont ils ont eu l'administration, etc.

Lorsque les choses qui font l'objet du contrat appartiennent en commun aux parties contractantes, on ne doit exiger de chacune des parties, par rapport à la gestion qu'elle a eue desdites choses, et dont elle doit rendre compte à l'autre partie, que l'autre espèce de diligence, qui est celle qu'il a coutume d'apporter à ses propres affaires, rebus suis consuetam diligentiam. Ce n'est que cette espèce de diligence qu'on exige du rendant compte dans les actions pro socio, familiæ erciscundæ, et communi dividendo.

Tel m'a paru être en substance le système de la dissertation.

L'auteur, qui m'a paru très versé dans la connaissance des lois romaines, rapporte dans cette dissertation toutes celles qui traitent de la matière, et il en donne des explications très ingénieuses.

Quelque spécieux que soient les arguments par lesquels il prétend établir son système, je n'ai pas été convaincu, et je suis demeuré attaché à l'ancienne doctrine, que je ne trouve pas si absurde qu'il voudrait le persuader.

Je ne vois aucune absurdité à distinguer trois degrés de faute; à distinguer la diligence exacte et la diligence très exacte; à se contenter de la première dans les contrats qui se font pour l'intérêt réciproque des parties, et à exiger la diligence très exacte dans le contrat qui a été fait pour le seul intérêt de la partie de qui on l'exige.

C'est une absurdité, dit l'auteur du nouveau système, de penser que, dans

(*) Nous croyons utile de reproduire [ ici et de mettre sous les yeux du lectenr, L'ESSAI SUR LA PRESTATION DES FAUTES, par M. Lebrun, avocat au Parlement de Paris, ouvrage devenu extrêmement rare la lecture de cet

opuscule nous a paru nécessaire pour bien saisir le sens de la dissertation de Pothier sur les fautes; car cette dissertation, sous le nom d'observation générale, est une espèce de réponse à celle de M. Lebrun,

les contrats qui se font pour l'intérêt réciproque des parties, tel qu'est le plus grand nombre des contrats, les lois permettent la négligence par rapport à la chose qui fait l'objet du contrat.

Or, dit l'auteur, en décidant, selon la doctrine commune, que, dans ces contrats, le débiteur n'est tenu que de la faute légère, et non de la faute très légère, c'est permettre, dans ces contrats, quelque négligence; car la faute très légère dont on décide que le débiteur n'est pas tenu dans ces contrats, est une négligence qui, pour être très légère, n'en est pas moins une négligence.

On peut, ce me semble, répondre qu'on ne permet pas la négligence dans les contrats faits pour l'intérêt récipropre des parties, mais qu'on estime dans ces contrats la négligence moins rigoureusement qu'on ne l'estime dans ceux faits pour le seul intérêt du débiteur.

Par exemple, dans le contrat de louage, le locataire n'est pas jugé coupable de négligence, lorsqu'il a apporté pour la conservation de la chose qui lui a été louée, tout le soin que les hommes ont, pour la plupart, coutume d'avoir des choses qui leur appartiennent : il est censé, en contractant, ne s'être obligé qu'à ce soin.

Le locateur qui se fait payer du prix de l'usage qu'il accorde de sa chose, ne doit donc pas être écouté à exiger de lui davantage, ni à vouloir faire regarder comme une négligence de la part de ce locataire, le défaut de quelque attention ou de quelque prévoyance qui eût pu ne pas échapper à une personne plus attentive qu'on ne l'est communément, et qui eût empêché la perte ou la détérioration de la chose.

Au contraire, dans le contrat de prêt à usage, qui est fait pour le seul intérêt de l'emprunteur, la négligence de l'emprunteur, à l'égard de la chose qui lui a été prêtée, s'estime dans toute la rigueur : le prêteur, qui ne doit pas souffrir du bienfait qu'il a fait à l'emprunteur en lui accordant gratuitement l'usage de sa chose, a droit d'exiger de lui, pour la conservation de la chose qu'il lui a prêtée, non-seulement le soin ordinaire que le commun des hommes apporte à la conservation de son bien, mais tout le soin possible (eu égard néanmoins à la qualité de la personne de l'emprunteur). Si l'emprunteur ne se sent pas capable de ce soin, il ne doit pas emprunter; c'est pourquoi on lui impute à négligence, non-seulement le défaut du soin que le commun des hommes apporte ordinairement à ses affaires, mais même le défaut d'une attention ou d'une prévoyance qui n'eût pas échappé aux personnes de la qualité de celle de l'emprunteur, qui sont les plus attentives.

Cette manière d'estimer plus ou moins rigoureusement la faute et la négligence, suivant la différente nature des contrats, ne me paraît contenir aucune absurdité; elle me paraît au contraire très raisonnable, et devoir être suivie, quand même la loi 5, § 1, ff. Commod., ne s'en serait pas expliquée aussi clairement qu'elle l'a fait.

Je n'entreprendrai point de réfuter les arguments par lesquels l'auteur de la dissertation combat l'ancienne doctrine, et prétend établir la sienne; cela dégénèrerait en une querelle littéraire, dans laquelle je ne veux point entrer.

La réponse à ceux qu'il tire des différentes lois rapportées dans sa dissertation, se trouve dans les notes que j'ai faites sur ces lois dans mon ouvrage sur les Pandectes ; je les ai tirées de Cujas et d'autres interprètes de réputation.

J'observerai seulement que, si la doctrine commune a ses difficultés, le nouveau système de l'auteur n'en est pas exempt.

Par exemple, l'auteur dit « que la diligence qu'on exige d'un associé dans le compte de la gestion qu'il a eue des affaires communes, ne doit pas se mesurer, comme dans les autres contrats, à celle que le commun des hommes a coutume d'apporter à ses affaires, mais à celle que cet associé apporte à ses propres affaires »>,

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