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sances; mais il reconnaît lui-même formellement que cette exception en bonne logique serait inutile à exprimer, puisqu'elle est imposée par le droit commun. En effet, dans tout contrat, les parties ne peuvent avoir en vue que leur intérêt personnel; elles ne sauraient nuire aux droits des tiers, et toute stipulation en ce sens serait frappée de nullité radicale.

Il est à noter que, dans son désir d'étendre la portée des traités d'arbitrage et en adoptant la formule générale qui vise tous les différends, il supprime la restriction appliquée par les traités actuels aux questions « d'ordre juridique ». Mais ici naît une difficulté: Entend-il soumettre à l'arbitrage les différends d'ordre politique? (et il qualifie ainsi ceux qui intéressent « l'honneur et la dignité d'un pays, son existence, son intégrité et son indépendance Sa doctrine sur ce point, qu'il nous soit permis de le dire, semble quelque peu obscure, sinon même contradictoire,

D'une part, en effet, dans son projet de formule, il ne vise pas la question politique en général, mais seulement l'indépendance et encore avec la réserve que nous venons d'indiquer. D'autre part, il affirme que toute clause d'un compromis portant sur les intérêts vitaux d'un pays, tels qu'il vient de les énumérer, serait frappée d'une nullité absolue, parce qu'un Etat, pas plus qu'un particulier, ne saurait renoncer à ces droits primordiaux qui constituent son essence; c'est ainsi qu'un particulier ne saurait valablement souscrire à une convention qui porterait atteinte à sa liberté individuelle.

L'analogie est-elle exacte ? Il est permis d'en douter. Un Etat n'est-il pas le premier juge de ce qui intérésse sa dignité, son honneur ou son indépendance, et commettrait-il, comme on le prétend, un acte digne du mépris universel en soumettant à l'arbitrage de telles questions? Ce serait rendre la guerre obligatoire en certains cas, et c'est précisément ce qu'il cherche comme nous à éviter.

Le procédé que nous proposons a l'avantage de couper court à toutes ces distinctions, à toutes ces difficultés. Si le litige porte sur des questions paraissant d'un intérêt vital, c'est la Cour permanente quien connaîtra après avoir constaté sa compétence.

Ainsi disparaîtra l'une des principales lacunes que nous avons signalées.

On conçoit jusqu'à un certain point qu'il peut être dangereux de confier à deux ou trois hommes qualifiés d'arbitres le droit absolu de trancher des différends où sont engagés des intérêts si considérables; mais le danger disparaît si la Cour tout entière est appelée à délibérer et à statuer; sa décision aurait d'ailleurs une telle autorité morale qu'elle s'imposerait aux parties en litige, alors même qu'elles auraient le droit de s'y soustraire.

Mais, dira-t-on, comment distinguer ces litiges exceptionnels d'avec les autres et qui sera juge de la compétence de la Cour ? Ce sera la Cour elle-même, à laquelle la question sera soumise et qui décidera souverainement si le litige doit être soumis à son arbitrage ou à l'arbitrage ordinaire.

D'un autre côté et en dehors de cette compétence spéciale qui sera sans doute assez rarement invoquée, elle ne devra pas rester indifférente aux traités particuliers d'arbitrage à intervenir entre les puissances, avant ou après litige; elle se fera un devoir de favoriser et au besoin de provoquer ces traités, d'aider à leur exécution pacifique et à leur développement.

C'est ici qu'interviendra utilement son Conseil administratif, avec les pouvoirs étendus dont il a été investi par la Convention et qu'il importera de maintenir.

TROISIÈME ÉLÉMENT: Son Fonctionnement.

La Cour permanente devra, avant tout, se constituer dans une première séance où elle procédera à l'élection de son bureau.

Elle se réunira ensuite chaque année en assemblée générale, et elle aura au besoin des sessions extraordinaires sur la convocation de son Conseil administratif.

Dans l'assemblée générale annuelle la Cour entendra le rapport du Conseil administratif sur les faits de l'exercice écoulé, sur les litiges terminés par la conciliation ou l'arbitrage, sur ceux encore en cours, sur les mesures à prendre pour hâter leur solution; elle recherchera s'il n'y aurait pas des améliorations à apporter à l'institution et à ses divers services, poursuivant sans relâche le but à atteindre, qui est le maintien de la paix dans le monde. Elle statuera sur toutes les propositions qui lui seront faites et prendra toutes délibérations qu'elle jugera utiles pour atteindre ce but.

Quelle sera la durée du mandat des membres de la Cour? La Convention de La Haye la fixe à six années (art. 23), mais cette fixation a eu le double tort, d'une part, de précéder l'organisation encore inconnue de la Cour; d'autre part, de ne pas se préoccuper du mode d'élection des nouveaux membres; elle peut donc être considérée comme tout à fait négligeable. D'ailleurs, doit-on limiter à une durée quelconque l'exercice de ces fonctions, et n'est-il pas plus rationnel de les déclarer inamovibles, comme celle des magistrats de nos Cours et tribunaux civils? Il y aurait ici une raison de plus de le faire, c'est que la fonction se rattache au caractère officiel des membres de la Cour qui sont, ou les plénipotentiaires des chefs d'Etat, ou leurs représentants diplomatiques.

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y aurait à prévoir seulement les cas de démission, de déplacement, de décès. On pourrait charger le Conseil administratif de désigner les nouveaux membres, sauf à soumettre leur nomination à la ratification de la Cour dans la prochaine assemblée générale.

Il resterait à déterminer le nombre des membres nécessaires pour la validité des délibérations de la

Cour; on pourrait exiger la présence des deux tiers des membres et le vote aurait lieu à la majorité des voix.

Le Comité administratif a été pourvu par la Convention de pouvoirs suffisants pour lui assurer un fonctionnement utile; c'est un rouage essentiel de l'organisation arbitrale; nous l'avons comparé aux Conseils d'administration des sociétés anonymes et ses pouvoirs semblent même plus étendus. C'est ainsi qu'il a été chargé d'établir et d'organiser un Bureau international devant demeurer sous sa direction et sous son contrôle.

Ce bureau n'est autre chose qu'un greffe, comme le dit expressément la Convention, ayant la garde des archives et la gestion des affaires courantes. Ses employés sont nommés par le Conseil administratif qui a toute autorité sur eux et c'est le Conseil scul qui décide de toutes les questions administratives touchant le fonctionnement de la Cour (art. 22 et 28).

Les décisions du Conseil sont valables à la majorité des membres présents qui doivent être au nombre de cinq au moins.

La Juridiction arbitrale doit-elle être obligatoire? Simple autorité morale. Pouvoir concédé à cinq membres de la Cour.

Nous allons aborder un dernier point, mais capital, parce qu'il intéresse au plus haut degré le fonctionnement même de la Cour.

L'arbitrage international est une juridiction purement volontaire et facultative, en telle sorte que les puissances en litige ont la liberté de n'y pas recourir et même de le refuser s'il leur est offert. Est-ce à dire qu'il faille en faire une juridiction véritable, c'est-àdire obligatoire comme la juridiction civile? Mais

alors il faudra créer des moyens de contrainte, organiser une armée internationale chargée de mettre à la raison les récalcitrants, c'est-à-dire faire la guerre pour éviter la guerre? Il s'est trouvé des hommes épris d'une logique apparente pour préconiser cette opinion; à la Conférence de La Haye, la question a même été très sérieusement discutée et il paraît que c'est l'Allemagne qui, par une opposition irréductible, l'a fait résoudre par la négative.

On ne saurait cependant se résigner à demeurer dans l'impuissance. Il nous semble qu'on pourrait se rallier à un moyen terme, ce serait en consacrant le principe de l'obligation, de décider qu'elle n'aura pas une valeur coercitive, mais simplement morale; et, à notre avis, cette autorité morale, émanant d'une si haute origine, serait accueillie dans le monde entier. avec une grande déférence et les puissances en litige n'oseraient probablement pas faire une résistance qui tout au moins les condamnerait à un isolement mérité.

Mais ici naît une difficulté. Pour que la Cour soit appelée à rendre cette décision, moralement obligatoire, il faut qu'elle soit saisie du litige, et s'il n'y a pas ici un demandeur, comme dans la juridiction civile, qui la mette en mouvement, elle sera frappée d'inertie. D'après le texte de la Convention, il y a bien de la part des autres puissances l'offre des bons offices et de la médiation, le devoir de rappeler aux puissances en litige que la Cour est à leur disposition; mais si elles s'abstiennent, par négligence ou indifférence, ou si encore leur appel n'est pas entendu, il n'y aura rien à faire, et la grande œuvre de La Haye ne paraîtra plus qu'une généreuse illusion.

Il n'est pourtant pas impossible de parer à ce danger et voici le procédé auquel nous conseillerions de recourir par la Convention nouvelle il suffirait que cinq membres de la Cour se missent d'accord pour la saisir du litige. Ils feraient d'abord appel à la mé

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