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doute épars dans plusieurs esprits. Dans l'état actuel de la question il semble bien que le désarmement ou la réduction des armements ne sera qu'une conséquence de l'amélioration des relations internationales, de la compénétration des nations et de l'accroissement de leur confiance réciproque. « Limitation générale, proportionnelle et simultanée des armements », « concours de chaque état proportionné à ses ressources intérieures pour la défense commune » sont des formules qui paraissent présupposer l'Union juridique ou au moins la confiance. Or l'Arbitrage, surtout l'Arbitrage prévu et organisé par des traités. en vue de cas particuliers et même de peu d'importance ou avec des réserves, a fortiori, l'Arbitrage obligatoire est éminemment un acte de confiance internationale et par suite un acheminement vers l'Union juridique. Voilà pourquoi l'Arbitrage est une solution pratique quoique imparfaite.

Mais nul n'ignore que la solution idéale est dans l'Union juridique et dans la création d'un Parlement international ouvert à toutes les nations, où chacune serait représentée proportionnellement à sa valeur, où résiderait le pouvoir législastif international, et qui serait muni de tous les organismes correspondants à ceux qui maintiennent la paix entre les citoyens, mais qui laisserait en même temps une large place aux rivalités légitimes et à la concurrence loyale, qui respecterait ces inégalités de fait, ces supériorités reconnues qui constituent un des attraits de la vie et de la lutte pour la vie, comme elles constituent une des meilleures sanctions providentielles du bien et du mal ici-bas, du fait qu'elles font généralement prévaloir les bons et déchoir les méchants.

L. Pichot,

Président de l'Institut International
de la Paix de Monaco.

L'Organisation

d'une Juridiction Arbitrale

Internationale.

Organisation d'un système complet d'Arbitrage international applicable à toutes les nations. - L'idée gagne les sympathies générales. La Convention de La Haye. Grand progrès moral. Troisième étape de la civilisation.

Le Bureau international permanent de la paix, siégeant à Berne (Suisse), vient de prendre une heureuse initiative. Il met au concours un projet, relativement nouveau, mais qui, depuis quelques années, a fait dans les esprits d'immenses progrès. Conçu dans la conscience de quelques penseurs isolés, il est parvenu à s'imposer à l'attention générale, à recruter de nombreux adhérents parmi les hommes politiques. les moins sujets à l'illusion, et même à gagner la sympathie des chefs de puissants Etats.

Le sujet a pour but l'établissement de la paix entre les nations, par l'organisation d'une juridiction arbitrale internationale.

A l'origine il fut accueilli par les railleries des esprits forts, des sceptiques qui osent dire, avec Bismarck, que le monde ne peut être gouverné que par la force. Ils ne sauraient apercevoir qu'il y a aussi dans l'homme des sentiments généreux permettant d'espérer l'avènement de cette justice, toujours immanente, qui doit enfin sortir des ténèbres pour

régir les rapports entre les peuples comme entre les particuliers.

Ils essaient de nous accabler de leurs sarcasmes. Nous sommes, disent-ils, des théoriciens à courte vue, construisant une humanité de fantaisie, des rêveurs obstinés, des chercheurs d'idéal, et pour tout dire, des faibles d'esprit ne méritant que la pitié de ces hommes supérieurs par leur bon sens pratique, par leur raison infaillible. Ils se décernent un brevet de sagesse et nous qualifient de fous.

Mais qui sera juge entre nous? Ils invoquent le passé et nous l'avenir; ils glorifient la guerre, qui certes a inspiré de nobles passions, des actes d'héroïsme, et ils ne veulent pas voir les maux qu'elle entraîne, ces massacres d'êtres humains qui deviennent, avec les armes de plus en plus perfectionnées, d'horribles boucheries. Les champs de bataille sont des champs de carnage et le courage personnel doit même en être éliminé comme inutile; c'est le canon qui décide de la victoire; le vainqueur sera celui qui en aura le plus.

Ils arguent de la guerre récente entre la Russie et le Japon pour soutenir que la guerre est et sera toujours inévitable et ils triomphent de l'impuissance des pacifistes. Mais précisément l'argument se retourne contre eux; car tous, tous sans exception, frémissent d'épouvante au spectacle de ces tueries effroyables, qui n'ont pas même le mérite de donner un résultat, laissant les armées ennemies en observation l'une devant l'autre, plus préoccupées de la défensive que de l'attaque. La guerre devenant de plus en plus meurtrière tuera la guerre, elle reculera devant l'horreur; la chair à canon se lassera de servir de pâture à toutes les ambitions; et par un phénomène qui semble contradictoire, on verra de ce désastre matériel surgir le progrès moral où l'humanité sera contrainte de s'abriter désormais.

Le progrès moral, ils le nient en vain; aujour

d'hui même et sous nos yeux, apparaît comme une lueur d'espérance. I tend à se réaliser et à passer dans les faits: la Convention de La Haye a donné le signal de cette résurrection de la justice internationale. On ne saurait trop relire le préambule de cette Convention, où les représentants des Puissances proclament à la face de l'univers attentif « qu'ils <«<< reconnaissent la solidarité qui unit les membres de «la Société des nations civilisées, qu'ils veulent « étendre l'empire du droit et fortifier le sentiment « de la justice internationale, qu'il importe de con« sacrer dans un accord international les principes « d'équité et de droit sur lesquels reposent la sécurité « des Etats et le bien-être des peuples ».

C'est pour la première fois que de telles paroles sont prononcées devant le monde moderne; on ne saurait trouver d'analogue dans les temps anciens que le dogme évangélique annonçant aux hommes la bonne nouvelle de la fraternité. A une époque plus moderne en 1791, il y eut aussi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, substituant au despotisme antique, la liberté, la légalité, la dignité, qui doivent constituer désormais le patrimoine inalićnable de l'individu affranchi, devenu le maître de ses destinées.

Ce sont là comme les trois étapes successives parcourues par l'humanité en marche vers une civilisation qui toujours se perfectionne et nous rend meilleurs.

L'avènement de ces idées nouvelles apporte chaque fois des changements si profonds dans l'ordre établi, qu'on peut, sans exagération, y voir une véritable révolution. L'Evangile est une révolution morale; la Déclaration des droits de l'homme une révolution politique; la Convention de La Haye une révolution, ou, si l'on veut, une évolution pacifique.

Il faut rendre justice à tous, même au souverain qui fut le promoteur de cette convention, malgré la

guerre où il a été entraîné. Ce sera pour le czar Nicolas II un éternel honneur.

Définition et application de l'Arbitrage.— L'Arbitrage privé, économique, international.

Après ces réflexions préliminaires, et avant d'aborder le fond même du sujet que nous voulons traiter, nous pensons qu'il ne sera pas inutile de donner une définition de l'arbitrage, d'en rechercher les origines. d'indiquer sa raison d'être, de dire comment il s'est introduit dans la pratique, et quelles sont les applications diverses qui en ont été faites.

L'arbitrage est une convention, ou selon le mot consacré par l'usage, un compromis, ayant pour but de permettre aux parties en désaccord, pour éviter de recourir à la justice officielle, de choisir des arbitres chargés de statuer sur leur différend, et à la décision desquels elles s'engagent à se soumettre.

On peut distinguer trois sortes d'arbitrage, selon les intérêts différents auxquels il s'applique.

Il y a l'arbitrage privé, entre particuliers: c'est le plus fréquent, et c'est à lui surtout que convient la définition que nous venons de donner.

Il y a, en second lieu, l'arbitrage que nous dénommerons économique, parce qu'il intervient entre capitalistes et travailleurs.

Il y a enfin l'arbitrage international, le dernier venu et qui parait destiné à un grand avenir.

L'arbitrage privé, type primitif et longtemps unique de cette convention, remonte à la plus haute antiquité; on le voit apparaître dans une loi de Solon, qui voulait que la sentence en fut irrévocable, c'est-à-dire absolument obligatoire. Il fut longtemps. en honneur à Athènes ; et à Rome, il fut inscrit dans

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