Page images
PDF
EPUB

Bluntschli.

Heffter.

Théorie de la nécessité.

Gessner.

Considérations sur les

maître, qu'est-elle, si ce n'est une partie aliquote de la vaste mer, sur laquelle aucun domaine permanent ne peut s'exercer? »

Bluntschli se prononce dans le même sens : il dit que la base du droit de blocus ne réside pas dans la souveraineté, mais uniquement dans le droit de la guerre.

Heffter se place à un point de vue un peu différent : il considère le droit de blocus en haute mer comme une sorte de « prévention », et combat expressément la manière de voir d'Ortolan, qui fait du blocus la substitution d'une souveraineté à une autre, par la raison qu'il ne peut être question de souveraineté en haute mer*. § 2565. Les difficultés que soulève la doctrine des auteurs précités a conduit quelques publicistes à proclamer le principe ou la loi de la nécessité comme base suprême du blocus. Voici comment Gessner s'exprime a cet égard : « Le droit de blocus ne pouvant, comme le fait très-bien remarquer Hautefeuille, se déduire des devoirs des neutres, nous sommes forcés, malgré l'opposition ardente de cet auteur, d'en chercher la cause dans la nécessité. Il nous suffit que cette nécessité ne soit pas seulement prétendue, surtout qu'elle ne soit pas prétendue par une seule nation, comme cela a été le cas pour beaucoup de mesures prises à l'égard des neutres pendant les guerres maritimes. La nécessité d'interdire aux neutres le commerce avec les ports bloqués, si l'on ne veut pas faire perdre toute son efficacité au blocus, au moyen le plus important d'arriver par la guerre maritime à des résultats et d'accélérer le rétablissement de la paix, cette nécessité a toujours été reconnue par toutes les puissances, et cette nécessité n'a fait naître d'aucun côté des réclamations de quelque importance. La nécessité d'accorder aux belligérants un pareil droit est donc suffisamment constatée; ce fait et la sanction historique qu'il a reçue suffisent pour donner au droit de blocus une base solide. Toutes les autres théories sont dépourvues de fondement; le point de vue que nous venons d'exposer, et qui a été celui de plusieurs anciens auteurs, Grotius, Bynkershoek, Vattel, et de Cauchy parmi les modernes, est le seul défendable **. »

§ 2566. Malgré leur apparente contradiction, les deux opinions doctrines qui que nous venons de résumer constituent au fond une seule et

précèdent.

Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 189 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 328, 329; Cauchy, t. II, pp. 419, 420; Massé, t. I, §§ 289, 290; Gessner, p. 168; Bluntschli, § 827.

Gessner, pp. 149, 151; Bluntschli, § 827; Fiore, t. II, p. 450.

même doctrine, puisqu'elles conduisent à des conclusions identiques. En effet ceux qui défendent la théorie de la conquête ou de l'occupation de fait des eaux territoriales, comme ceux qui invoquent la loi de la nécessité, arrivent également à reconnaître que le blocus est un droit sanctionné par les lois de la guerre, et dont on ne saurait à aucun titre contester l'exercice aux belligérants; or, une fois que l'accord existe sur ce point, il peut sembler quelque peu puéril d'appeler à son aide des sophismes ou des arguties d'un autre âge pour étayer la base d'un droit dont l'absence rendrait les guerres maritimes presque impossibles ou beaucoup moins efficaces.

§ 2567. Pour que le blocus puisse produire ses effets, pour qu'il soit obligatoire à l'égard des neutres, il est nécessaire qu'il soit effectif ou réel, c'est-à-dire que le belligérant qui veut déclarer le blocus ait une force suffisante pour le faire respecter et dispose ses forces de mer à l'entrée du détroit ou du port bloqué de manière à devenir le maître de la mer territoriale qu'il occupe et à pouvoir en interdire l'accès à tout navire étranger. La raison est ici d'accord avec le droit conventionnel : tous les traités exigent une force suffisante pour interdire l'entrée d'un lieu.

Étant donc admis comme condition indispensable de la validité du blocus qu'il soit effectif, il reste à examiner quelles sont les circonstances qui peuvent lui faire attribuer ce caractère.

La première neutralité armée de 1780, ainsi que les traités subséquents (1) qui en ont sanctionné les principes, déterminent dans les termes suivants ce qui caractérise un port bloqué :

« On n'accordera cette dénomination qu'à celui où il y a, par les dispositions de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, danger évident d'entrer. »

L'article 3 de la convention maritime du Nord du 16 décembre 1800 (2), qui constitua la seconde neutralité armée, explique que «< un port ne peut être regardé comme bloqué que i son entrée est évidemment dangereuse par suite des disposition; prises par une des puissances belligérantes au moyen de vaisseaux placés à sa proximité. »

(1) Martens, 1re édit., t. II, pp. 74, 103, 110, 117, 130; t. IV, pp. 357, 375; 2e édit., t. III, pp. 158, 189, 198, 215, 245.

(2) Martens, 1re édit., t. VII, p. 516; Suppl., t. II, pp. 389, 399; 2e édit., t. VII, pp. 172, 181.

Le blocus doit étre effectif.

Opinions des auteurs.

Ortolan.

Bluntschli.

Massé.

Phillimore.

Enfin la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856 (1), à laquelle toutes les puissances de l'Europe, l'Espagne exceptée, ont donné leur adhésion, porte que « les blocus pour être obligatoires doivent être effectifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi*. >>

S 2568. Mais, demandera-t-on maintenant, quelle doit être cette force suffisante? Consiste-t-elle, par exemple, dans un nombre déterminé de navires, comme l'ont stipulé plusieurs traités? Nous partageons l'avis d'Ortolan, qu'une pareille stipulation va trop loin; «< car elle ne saurait faire règle positive dans tous les cas, même entre les seules parties contractantes, puisque le nombre de bâtiments nécessaire pour un investissement complet dépend évidemment de la nature du lieu bloqué. »

S2569. Pour que le blocus d'un port soit effectif, Bluntschli établit qu'il faut que l'entrée et la sortie en soient interceptées soit par des navires de guerre stationnés devant le port, soit par des batteries dressées sur la côte. « On n'exige pas, dit-il, un chiffre minimum de navires de guerre ou de canons dans les batteries construites sur terre; mais il faut que l'ennemi possède sur les lieux des forces suffisantes pour pouvoir intercepter le commerce régulier des navires marchands. »

S2570. Massé pose la réalité du blocus comme condition unique de son existence pour lui le blocus n'est réel qu'autant qu'il est appuyé de forces suffisantes pour occuper réellement tous les passages défendus; il ajoute que « tant que le blocus dure les vaisseaux doivent rester en permanence dans les eaux qu'ils ont mission d'occuper. »><

$ 2571. Phillimore pense qu'un port ne saurait être considéré comme bloqué, « si l'on néglige de cerner un seul des points qui

(1) De Clercq, t. VII, p. 91; Savoie, t. VIII, p. 405; Martens-Samwer, t. II, p. 791; Archives dipl., 1862, t. I, p. 146; Bulletin des lois, 1856, no 381; Lesur, 1856, app., p. 19.

[ocr errors]

Ortolan, Règles, t. II, pp. 330, 331, 485, 486; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 199-202; Cauchy, t. II, pp. 261, 262, 346, 422, 423; Gessner, pp. 160, 161, 167, 169 et seq.; Massé, t. I, §§ 283, 291; Morin, Les lois, t. II, pp. 117 et seq.; Pistoye et Duverdy, Traité, t. I, pp. 366 et seq.; Heffter, § 155; Klüber, Droit, § 297; Bluntschli, § 829; Wheaton, Élém., pte 4, ch. 3, § 28; Phillimore, Com., v. III, § 293; Twiss, War, §§ 102, 103; Kent, Com., v. I, pp. 146, 147; Duer, v. I, lect. 7, § 24; Halleck, ch. 23, §§ 4, 9; Wildman, v. II, p. 179; Manning, pp. 322, 323; Hautefeuille, Quæst., pp. 241, 242; Fiore, t. II, pp. 450-452; Pradier-Fodéré, Principes, pp. 564, 565; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 18.

peuvent en faciliter l'accès ». Voici d'ailleurs en quels termes il définit le blocus :

Un blocus de facto doit être effectué en faisant stationner un certain nombre de vaisseaux et en formant, pour ainsi dire, un arc de circonvallation autour de l'entrée du port prohibé, où, si l'arc est défectueux, ne fût-ce que sur un point, le blocus même est tout à fait défectueux: telle est la définition générale et exacte d'un blocus. (A blockade de facto should be effected by stationing a number of ships and forming as it were an arch of circumvallation round the mouth of the prohibited port, where, if the arch fails in any one part, the blockade itself fails altogether. This is the general and safe definition of a blockade.) »

Ces conclusions, comme on le voit, sont plus logiques et plus précises que celles de la déclaration adoptée le 16 avril 1856 (1) par le congrès de Paris. Et pourtant à peine l'auteur les a-t-il exposées qu'il semble en restreindre la portée; car, d'une part, il abandonne au commandant des forces navales le soin de décider si l'escadre est suffisante pour rendre le blocus effectif, et, de l'autre part, il admet que la ligne de blocus peut être maintenue par des navires en croisière non mouillés sur leurs ancres. Sur ce point Phillimore s'éloigne donc de la déclaration précitée, qui, sans exiger d'une manière formelle que les navires stationnent devant le port, repousse implicitement les blocus à l'aide de simples croiseurs.

$2572. Un autre publiciste anglais, Reddie, accepte les principes

les conclusions de son compatriote, tout en se ralliant sur cerans points à la théorie moins nettement définie de Sir W. Scott. Dans ses Researches historical and critical in maritime international law il s'exprime ainsi à ce sujet :

Now, according to the law of nations, there is no such thing, properly speaking, as a paper cabinet blockade; there is no legally effectual blockade, such as to warrant confiscation for a breach of it, unless it be an actual blockade, maintained by an adequate naval force, such as to render it dangerous to approach the place blockaded. (Or, suivant le droit des gens, il n'existe rien de semblable, à proprement parler, à un blocus de papier ou de cabinet; il n'y a de blocus légalement effectif, de nature à justifier une confiscation pour sa violation, qu'autant que ce blocus est réel, maintenu par des forces navales suffisantes, capables de rendre dangereuse l'approche du lieu bloqué.) »

§ 2575. Les auteurs qui appuient leur doctrine sur le principe abstrait de l'occupation ou de la conquête des eaux territoriales se montrent plus rigoureux sur les conditions à remplir pour qu'un blocus soit considéré comme effectif. Voici en quels termes Ortolan

(1) De Clercq, t. VIII, p. 91; Savoie, t. VIII, p. 405; Martens-Samwer, t. II, p. 791 ; Archives dipl., 1862, t. I, p. 146; Bulletin des lois, 1856, no 381; Lesur, 1856, app.,

Reddie.

Ortolan.

Wheaton.

Gessner.

Heffter.

Bluntschli.

s'exprime à cet égard : « Il est évident que si un blocus est entrepris dans le but d'amener une place à reddition ou à composition par le défaut de munitions ou de subsistances, les neutres manqueraient essentiellement aux devoirs de la neutralité en introduisant dans cette place des secours qui la mettraient à même de tenir plus longtemps. Dans ce cas les blocus par mer sont exactement assimilables aux siéges en règle des places fortes qui ont lieu dans les guerres sur terre. » Mais Ortolan, comme nous l'avons vu plus haut, ajoute qu'il ne croit pas la circonstance à laquelle il fait allusion indispensable pour que les États neutres soient tenus de respecter le blocus; car du moment qu'un blocus est réel ils sont obligés de se soumettre à l'interdiction de toute communication avec le lieu bloqué, qu'impose la puissance bloquante devenue en fait maitresse des eaux territoriales environnantes.

2574. Wheaton se rapproche beaucoup sur ce point du système traditionnel de la Grande-Bretagne. Néanmoins, comme il traite surtout la question au point de vue réel et purement historique, il laisse percer des tendances plus conformes à l'esprit général des lois et des traités publics qu'à telle ou telle opinion individuelle, de sorte qu'on peut le ranger au nombre des auteurs qui exigent la présence de forces navales suffisantes pour rendre impossible toute communication avec le dehors.

$2575. Gessner réserve aux publicistes allemands Martens, Klüber, Heffter et Kaltenborn le mérite d'avoir de tout temps défini avec précision les règles du blocus. Cette appréciation n'est pas absolument exacte; car on remarque chez tous ces auteurs un certain vague dans la partie théorique et quelques contradictions au point de vue pratique.

§ 2576. Ainsi, par exemple, Heffter voit dans le blocus « le droit du belligérant de s'emparer sur mer ou sur terre des abords d'une forteresse, d'un port, d'une rade et même de toutes les côtes de l'ennemi, et d'y exercer les droits d'une occupation passagère pendant le temps qu'il se maintient dans la possession réelle de cette partie du territoire ennemi, à l'effet d'empêcher toute communication avec le dehors; » puis quelques lignes plus loin il ajoute : « La distance à laquelle les bâtiments de guerre doivent se trouver du port bloqué dépend naturellement des circonstances, et il suffit qu'ils soient stationnés de manière à pouvoir surveiller l'entrée du port et entretenir tout navire qui tenterait de passer à leur insu. » S2577. Bluntschli fait une remarque fort juste, selon nous, à

« PreviousContinue »