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alléges pour les faire transporter au port de destination. Il est vrai qu'au moyen de ces alléges quelques parties du chargement pouvaient être transportées directement sur la côte bloquée; mais il n'existe pas de preuve qui nous autorise à dire qu'un tel transport fût projeté par le capitaine ou les armateurs. Nous ne prendrons donc pas en considération la réclamation, suggérée plutôt que formulée au nom du gouvernement, faisant valoir que le navire et le chargement, tous les deux à la fois ou seulement l'un ou l'autre, étaient à destination de la côte bloquée.

« Mais on a prétendu 1° que le commerce avec Matamoros au moment de la capture était rendu illicite par suite du blocus de l'embouchure du Rio Grande, et qu'en tout cas la destination ultérieure du chargement était le Texas et les autres États en rébellion, destination qu'on ne pouvait atteindre qu'en violation du blocus.

« Nous convenons que relativement à la responsabilité pour violation du blocus le navire et le chargement doivent partager le même sort. Les propriétaires du Peterhoff étaient aussi propriétaires d'une partie du chargement; l'entreprise était commune; la destination du chargement, la destination ultérieure aussi bien que la destination directe, était connue des armateurs du navire, et le voyage était entrepris dans le but de seconder les affaires des armateurs. Il n'y a dans ce cas, comme dans celui du Springbock, rien qui permette d'établir une distinction entre la responsabilité du navire et celle des marchandises qu'il transportait.

« Nous allons donc examiner si l'embouchure du Rio Grande était de fait comprise dans le blocus de la côte rebelle.

« Il faut d'abord poser en principe que le blocus de papier ou par interprétation n'est pas admis par le droit des gens. Lorsque des blocus de ce genre ont été tentés par d'autres nations, les ÉtatsUnis ont toujours protesté et en ont nié la validité. L'illégalité en est aujourd'hui reconnue de toutes parts. Cela a été solennellement proclamé dans la déclaration de Paris de 1856, à laquelle la plupart des nations civilisées ont adhéré, et ce principe n'est nulle part reconnu plus complètement que dans notre pays, quoique nous n'ayons point pris part à cette déclaration.

« Quel était donc le blocus des États rebelles? La proclamation du président du 19 avril 1862 déclarait l'intention du gouvernement « d'établir un blocus des ports de ces États en postant des forces suffisantes pour empêcher l'entrée et la sortie des navires ».

Et, pour expliquer cette proclamation, les gouvernements étrangers étaient informés « qu'on avait l'intention de bloquer toute la côte depuis la baie de Chesapeake jusqu'au Rio Grande. »

En déterminant la question de savoir si ce blocus était destiné à comprendre l'embouchure du Rio Grande, le traité avec le Mexique relativement à ce fleuve doit être pris en considération. Il est stipulé à l'article 5 que la ligne frontière entre les ÉtatsUnis et le Mexique doit commencer dans le golfe à trois lieues de la terre en face de l'embouchure du Rio Grande et suivre dans la direction du nord le milieu du fleuve. Il est de plus stipulé à l'article 7 que la navigation du fleuve doit être libre et commune aux citoyens des deux pays, sans interruption de la part de l'un d'eux sans le consentement de l'autre, fùt-ce même dans le but d'améliorer la navigation.

L'embouchure du Rio Grande est par conséquent pour la moitié de sa largeur sur le territoire mexicain; et au point de vue de la navigation il est tout aussi mexicain qu'américain. Il est donc clair qu'il ne faudrait rien de moins qu'une déclaration expresse de l'exécutif pour nous autoriser à attribuer au gouvernement une intention de bloquer ce fleuve en temps de paix entre les deux républiques.

On suppose qu'une telle déclaration est contenue dans la proclamation du président du 18 février 1864, laquelle rappelle que le port de Brownsville avait été bloqué, mais déclare le relâchement du blocus. On donne pour raison que Brownsville est situé sur la rive texienne du Rio Grande vis-à-vis de Matomoros, et que le rappel dans la proclamation du fait que Brownsville avait été bloqué doit donc être regardé comme équivalant à l'assertion que l'embouchure du Rio Grande était comprise dans le blocus de la côte. Il serait difficile d'éviter cette conclusion, si Brownsville pouvait être bloqué seulement par le blocus du fleuve; mais cette ville peut être bloquée aussi par le blocus du port de Brazos Santiago et de la Boca Chica, qui étaient sans conteste compris dans le blocus de la côte. A la vérité, jusqu'à un an avant la proclamation le port d'entrée pour le district n'était pas Brownsville, mais Point Isabel, qui à proprement parler en est le port, et dans la pratique habituelle les marchandises destinées à Brownsville étaient débarquées à Point Isabel, d'où on les transportait par terre sur un court parcours à leur destination.

Nous ne connaissons pas de précédents judiciaires qui justi

fient l'extension des blocus par interprétation, tandis qu'il existe des précédents d'une grande autorité dans le sens contraire. Nous allons en citer un.

:

« La Frau Ilsabe et son chargement furent capturés en 1799 comme ayant violé le blocus de la Hollande par l'Angleterre. Le voyage était indiqué de Hambourg à Anvers, et, naturellement dans sa dernière partie, en amont de l'Escaut. On demanda la condamnation du chargement en faisant valoir que l'Escaut était bloqué par le blocus de la Hollande. Mais Sir W. Scott dit : « An. vers ne fait certainement pas partie de la Hollande; quant à l'Escaut, il n'est pas situé sur le territoire hollandais c'est plutôt un fleuve formant une frontière commune et séparant la Hollande du pays contigu. » Ce cas est d'autant plus remarquable qu'Anvers est sur la rive droite du fleuve, ainsi que tout le territoire de la Hollande; et quoiqu'aucune partie de ce dernier pays ne fit partie de la Flandre, qui était alors, en même temps que la Hollande, unie à la France dans une guerre contre l'Angleterre, Sir William Scott admettait qu'il « eût été aussi juste que légitime de bloquer le port de la Flandre aussi bien que ceux de la Hollande », et qu'il était possible que l'Escaut eût été compris dans le blocus; mais le même juge ne voulait pas, en l'absence d'une déclaration expresse, soutenir qu'il l'était nécessairement. Ce cas paraît être concluant.

« Donc, en l'absence d'une déclaration expresse à cet effet, il est mpossible de dire que le gouvernement avait eu l'intention de bloquer l'embouchure du Rio Grande. Et nous sommes d'autant moins inclinés à le dire que nous ne connaissons aucun cas où un belligérant ait tenté de bloquer l'embouchure d'un fleuve ou l'entrée d'un port occupé d'un côté par des neutres, ni aucun cas où un blocus de ce genre ait été reconnu comme valable par un tribunal jugeant conformément au droit des gens.

« Le seul cas qui prête un appai, apparent du moins, à une pareille doctrine, c'est celui de la Maria, jugé par Sir W. Scott en 1805. Le chargement en litige avait été transporté de Brême par le Wéser à Varel, près de l'embouchure de l'lahde, et là transbordé pour l'Amérique. L'embouchure du Wéser était alors bloquée, et Sir W. Scott soutint que le commerce de Brême, quoique neutre, ne pouvait se faire par le Wéser: c'était, il le reconnaissait, un grave inconvénient pour la ville neutre, qui n'avait pas d'autre débouché sur la mer; mais cela dépendait de

Peut-on

bloquer toute

sa position et de l'état de guerre. Il arriva dans ce cas qu'un relâchement du blocus en faveur de Brême autorisa la restitution des marchandises saisies; autrement il n'est pas douteux que le chargement n'eût été condamné, quoique avec répugnance.

<< Mais c'est une erreur de supposer que ce cas puisse servir d'autorité pour justifier un blocus américain du Rio Grande affectant le commerce de Matamoros. L'avocat dans l'affaire de la Maria s'était trompé en se figurant qu'une seule des rives du Wéser était bloquée par les Français et que Brême était située sur l'autre. Ce cas serait concluant, si les deux rives du Rio Grande avaient été occupées par les rebelles.

« Le cas du Zelden Rust, cité à la barre, est encore moins applicable au procès. Il ne s'agissait pas du tout d'une violation de blocus, mais d'un transport de contrebande dépendant de la destination. Le Zelden Rust, navire neutre, était entré dans la baie ou rivière de Bétancos, sur l'une des rives de laquelle est situé Ferrol et sur l'autre la Corogne. L'avocat avait émis la supposition que Ferrol était un port belligérant et la Corogne un port neutre, tandis que l'un et l'autre étaient des ports belligérants; or le chargement fut condamné, parce que sa destination réelle ou probable était Ferrol, qui était un port d'équipement naval, quoique sa destination nominale fût la Corogne, qui était également un port d'équipement naval, mais moins important que Ferrol; cependant ni la baie ou la rivière, ni l'une ou l'autre des villes n'étaient bloquées.

« Il est inutile d'examiner les autres cas mentionnés par l'avocat. Il suffit de dire qu'aucun n'appuie la doctrine qu'un belligérant puisse bloquer l'embouchure d'une rivière occupée sur une de ses rives par des neutres ayant des droits complets de navigation.

<< Nous n'hésitons donc pas à soutenir que l'embouchure du Rio Grande n'était pas comprise dans le blocus des ports des États rebelles et que le commerce neutre avec Matamoros, excepté pour la contrebande, était entièrement libre. »

$ 2603. Nous allons examiner maintenant si l'on peut bloquer une étendue non pas seulement un point isolé, déterminé, mais toute une étende côtes ? due de côtes ennemies; si le blocus peut s'étendre à la fois à tous les ports, à toutes les villes, à tous les territoires de l'ennemi. Cette question a donné lieu à des débats prolongés, qui avaient leur origine dans la diversité des aspects sous lesquels on l'a envisagée.

Si, rigoureusement parlant, le droit qu'a le belligérant de nuire à son adversaire n'est pas contestable, les droits des neutres ne sont pas moins dignes de respect, et suivant le point de vue auquel on se place on peut arriver à des conclusions diamétralement opposées. En effet, posée exclusivement sur le terrain des droits du belligérant et des exigences stratégiques, la question pourrait conduire de déduction en déduction à justifier le célèbre blocus continental; tandis que si l'on se préoccupe de préférence de l'intérêt des neutres, nous avons vu combien laisse à désirer la doctrine restrictive professée par Luchesi-Palli *.

publicistes.

$2604. Comme on doit s'y attendre, les publicistes anglais n'ad- Opinions des mettent point d'autre limite à l'étendue des côtes à laquelle le blocus puisse s'appliquer que la limite naturelle de forces suffisantes pour maintenir le blocus réel et effectif; mais on sait ce que les auteurs anglais, d'accord en cela avec leur gouvernement, entendent par forces suffisantes, par lesquelles ils comprennent notamment de simples croisières.

Les publicistes français sont plus rigoureux: ils reconnaissent, il est vrai, le droit d'étendre le blocus autant qu'on le veut, mais à condition de le maintenir à l'aide de vaisseaux de guerre stationnés en permanence et en nombre suffisant.

Hautefeuille pose en principe que « tous les lieux possédés à Hautefeuille. titre de souveraineté par un belligérant, tous les lieux susceptibles d'être conquis par l'ennemi peuvent être soumis au blocus »; de sorte que « un peuple dont les forces navales seraient assez considérables pour entourer les côtes ennemies d'un cercle de bâtiments de guerre assez rapprochés pour que le feu de leur artillerie se croisât pourrait en exécutant réellement cet investissement soumettre au blocus tous les rivages de son adversaire. »>

Aux yeux d'Ortolan, « rien ne s'oppose à la légitimité du blocus effectif d'une grande étendue de côtes ennemies, si la puissance bloquante est réellement maîtresse de la mer territoriale environ nante, si au moyen d'un nombre suffisant de croiseurs elle a réellement la possibilité d'écarter de la côte tout navire qui tenterait d'y aborder. »

Massé ne voit aucune raison de refuser aux belligérants d'établir le blocus sur toute une étendue de côtes, « en supposant ce blocus

Cauchy, t. II, pp. 424, 425; Ortolan, Règles, t. II, p. 332; Massé, t. I, § 297; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 208 et seq.; Gessner, p. 195; Twiss, War, § 217; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 18.

Ortolan.

Massé.

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