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parmi les articles prohibés les bois, les fers, le goudron, le chanvre et tous les matériaux nécessaires à la construction, au carénage et à l'armement des navires. Le décret de 1689 étendit encore davantage la liste de ces objets, en y comprenant les grains, les farines, les viandes et en général toutes les céréales et les substances alimentaires; mais vers la fin du siècle suivant les Provinces Unies abandonnèrent cette politique et soutinrent que la prohibition ne devait atteindre que les armes et les munitions de guerre.

§ 2442. Depuis deux siècles l'Angleterre, chaque fois qu'elle a entrepris une guerre, a adopté l'usage de publier, sous le nom d'ordres en conseil, des ordonnances spéciales dont le but est de régulariser le commerce des neutres.

En 1689, lors de sa lutte contre la France et la Hollande, elle prohiba le commerce des vivres et des munitions navales, étendant peu à peu, à l'aide du blocus fictif des ports français, cette restriction à l'ensemble des transactions commerciales avec ses ennemis. Dans le courant de l'année 1744 elle comprit au nombre des objets illicites les bois de construction; et en 1793 elle qualifia de la même manière les blés, les farines et les autres. denrées alimentaires, exagération qui par représailles devint le point de départ du funeste système continental imaginé par la France.

Moseley, dans un travail spécial publié sur cette matière (1) en 1661, résume ainsi les maximes adoptées par son pays : La production naturelle et la nationalité rendent les marchandises libres; en d'autres termes, les produits naturels d'un pays neutre, manufacturés ou non et embarqués par un sujet du pays, ne peuvent être confisqués par les belligérants.

Les marchandises douteuses provenant d'un pays douteux et destinées à un port douteux sont libres; mais ces mêmes marchandises deviennent articles de contrebande quand elles sont destinées à un port militaire ennemi.

Les armes et les munitions ou tous objets exclusivement et directement applicables à la guerre sont de contrebande quand ils sont destinés au service de l'ennemi.

« Les navires neutres au service de l'ennemi deviennent euxmêmes des ennemis.

(1) What is contraband of war and what is not. London, 1861. (Ce qui est contrebande de guerre et ce qui ne l'est pas. Londres, 1861.)

Législation anglaise.

« Les navires et les matériaux qui les composent sont au point de vue de la contrebande de guerre considérés comme une seule et même chose.

« L'argent et ce qui en tient lieu peuvent être considérés comme étant de commerce illicite.

« Les provisions de bouche destinées au ravitaillement des armées ou des flottes ennemies sont de bonne prise.

« Tous les articles, de quelque sorte qu'ils soient, susceptibles d'être appropriés aux usages de la guerre peuvent être saisis moyennant remboursement de leur valeur.

« Tout neutre qui a recours à la fraude perd ses droits au béné fice de sa neutralité.

<< Tout chargement composé en partie de marchandises libres et en partie d'articles prohibés est confiscable en totalité, s'il appartient au même propriétaire. »>

La savante discussion à laquelle a donné lieu au sein du Parlement anglais dans le courant des mois d'août et de septembre 1870 la nouvelle loi de neutralité dite foreign enlistment act nous oblige à rectifier sur certains points le résumé de Moseley. Des déclarations formelles faites par l'attorney général il résulte tout d'abord que pour l'Angleterre la qualification des articles de contrebande de guerre n'est pas du ressort du droit des gens, quand elle n'a pas été expressément énoncée dans des stipulations conventionnelles.

Rattachant la question exclusivement au domaine de la loi municipale ou interne, le gouvernement britannique se guide d'après des principes absolument différents suivant qu'il reste neutre ou qu'il est lui-même engagé dans la lutte. Dans le premier cas il réserve à chaque belligérant le droit de prohiber l'importation sur le territoire ennemi des articles qu'il lui a plu de ranger parmi ceux dits de contrebande; mais comme à ses yeux, et en raison de sa neutralité, le droit commun du Royaume Uni est placé hors des atteintes de toute prescription émanant d'un souverain étranger, il soutient que ses sujets conservent en temps de guerre la liberté illimitée, qu'ils possèdent en temps de paix, de fabriquer et de vendre à tout le monde, même aux belligérants, des armes, des munitions et de la houille. La seule réserve qu'il admette à cet égard, c'est que l'opération se fait aux risques et périls de ceux qui l'entreprennent, et qu'en cas de capture les intéressés. perdent tout recours à la voie diplomatique pour la restitution de

leurs marchandises ou pour l'obtention d'une indemnité. Lorsqu'au contraire il prend lui-même part aux hostilités soit directement, soit comme allié de l'un des belligérants, le gouvernement anglais prétend devoir ne tenir compte que de ses lois municipales et avoir la faculté d'édicter telles prohibitions qu'il juge utile pour atteindre le but de la guerre, et d'étendre ou de restreindre à son gré la liste des articles compris sous le nom général de contrebande de guerre. Ce n'est pas là une simple théorie imaginée pour les besoins de la discussion du foreign enlistment act; car nous avons vu le cabinet de Londres s'en prévaloir dans la pratique, aussi bien pour repousser les plaintes des États-Unis à propos des livraisons d'armes faites aux sécessionnistes du Sud que pour combattre les réclamations analogues formulées par la Confédération de l'Allemagne du Nord lors de sa guerre contre la France en 1870 (1).

International.

$2443. Pendant cette guerre il s'est présenté un cas d'une Cas du navire nature toute particulière, qui a été tranché par la jurisprudence anglaise d'après les principes que nous venons d'exposer.

Le navire International, qui portait un câble télégraphique, en partie sous-marin, en partie d'atterrissement, destiné à relier entre eux divers points de la côte française de Dunkerque à Royan, fut saisi le 21 décembre 1870 par les employés de la douane anglaise et détenu le 27 en vertu d'un warrant délivré par le secrétaire d'État pour les affaires étrangères. Les propriétaires du vaisseau et de sa cargaison s'adressèrent à la cour de l'amirauté pour obtenir le relâchement immédiat du navire et de son chargement, ainsi que des dommages et intérêts à leur payer par le gou

vernement.

Sir Robert Phillimore, dans le jugement qu'il fut appelé à résoudre le 17 janvier 1871, après avoir reconnu qu'il y avait en apparence un contrat de bonne foi entre des sujets anglais et un gouvernement en relations amicales avec l'Angleterre, écarta comme étrangère à la loi municipale la discussion de la question. de savoir si l'objet à transporter avait, ou non, le caractère de contrebande de guerre, attendu que la punition de la contrebande de guerre appartient au belligérant, qui a le droit de capture; il reconnut toutefois que des circonstances particulières peuvent

(1) Voir le Times du 4 août 1870. Commentaire sur la discussion du foreign enlistment act; memorandum du comte de Bernstorff à lord Granville du 1er septembre 1870, et réponse de lord Granville du 15 du même mois.

Législation française.

donner à un article anticipitis usus le caractère de contrebande, et qu'il y avait peut-être lieu de considérer la cargaison de l'International, inoffensive en temps ordinaire, comme empruntant aux circonstances de la guerre une destination propre au service militaire ou naval de la France, et que dans ce cas la destination technique usuelle entre la télégraphie militaire et la télégraphie civile postale n'empêche pas celle-ci de tomber sous le coup du statut (foreign enlistment act de 1870), lorsqu'il est démontré qu'elle a été exclusivement ou généralement employée pour le service militaire de l'État. Mais comme pareille preuve n'était pas fournie et que les termes du contrat n'impliquaient point une destination militaire, bien qu'il fût probable que dans les circonstances la ligne télégraphique de Dunkerque à Verdun-sur-Garonne devait être employée en partie comme moyen de communication entre le gouvernement français et ses troupes, probabilité insuffisante pour enlever à la ligne télégraphique son caractère primitivement et principalement commercial, le juge anglais ordonna le relâchement du navire. Cependant il n'adjugea point de dommages et intérêts, parce que les autorités anglaises avaient eu une cause raisonnable pour retenir le navire et sa cargaison et mettre les demandeurs en demeure de fournir des explications pour leur défense (1).

S2444. L'article 2 de l'ordonnance de la marine de 1681 sert encore de base à la législation française en matière de contrebande. Il porte que les armes, la poudre, les balles et jusqu'aux chevaux et aux équipages destinés au service de l'ennemi sont saisissables sans égard à la nationalité du navire qui les transporte ni à la personne à laquelle ils appartiennent. A notre connaissance, la France ne s'était écartée de cette règle que dans deux circonstances exceptionnelles, en 1724 au profit du Danemark et en 1794 en faveur des États-Unis, lorsque éclata la guerre d'Orient de 1854. Obligé à cette époque, en raison de son alliance avec l'Angleterre, de faire à ce sujet une nouvelle proclamation de principes, le gouvernement français dans les instructions dont il munit ses croiseurs déclara ne comprendre au nombre des articles de contrebande que les bouches et les armes à feu, les armes blanches, les projectiles, la poudre, le salpêtre, le soufre, les objets d'équipement, de campement et de harnachement militaire, ainsi que

(1) Revue de droit international, 1871, p. 366.

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tous les instruments quelconques fabriqués à l'usage de la guerre, lorsqu'ils sont destinés à l'ennemi.

On peut considérer cette nomenclature, de laquelle les vivres et la houille ont été intentionnellement exclus, comme constituant encore l'état réel de la législation française sur la matière; car elle a été littéralement reproduite dans les actes officiels qui se rattachent aux guerres de 1859 et de 1870.

$ 2445. Le réglement espagnol sur la course qualifie de contrebande les armes, le salpêtre et tous les ustensiles préparés pour la guerre. Les vivres n'y sont assimilés aux articles prohibés que lorsqu'ils doivent être débarqués dans un port bloqué; à toute autre destination ils sont déclarés libres, à moins que l'ennemi ne leur refuse ce caractère.

Législation

espagnole.

prussienne.

$2446. Jusqu'au moment où elle se rallia à la neutralité armée Législation de 1780 la Prusse ne possédait aucune loi spéciale sur cette matière, bien qu'elle n'eût jamais dissimulé les vues qui l'animaient. Ainsi en 1744, un nombre considérable de ses navires ayant été capturés par les croiseurs anglais et condamnés par les tribunaux d'amirauté pour avoir transporté des munitions navales en France, Frédéric II réclama énergiquement auprès du cabinet de Londres afin de faire indemniser ses sujets. Ses réclamations étant demeurées sans résultat et toute satisfaction lui étant refusée, le roi de Prusse, par voie de rétorsion, s'empara du capital et des intérêts de l'emprunt anglais hypothéqué sur les revenus de la Silésie, et parvint ainsi à se faire rendre justice par la GrandeBretagne.

§ 2447. D'une manière générale on peut dire que les États-Unis rangent les armes et les munitions de guerre parmi les articles de commerce illicite, et que, lorsqu'ils prennent eux-mêmes part aux hostilités, ils attribuent le même caractère à d'autres objets d'un usage douteux.

nord

Législation américaine.

des cours de

$2448. En présence des nombreuses divergences qu'offre la légis-Jugements lation des principaux États maritimes et de l'incertitude non moins prises. grande en matière de contrebande qui règne dans les doctrines des auteurs et dans les stipulations conventionnelles, il est facile de s'expliquer que les cours de prises elles-mêmes, trop souvent influencées par les considérations politiques du moment, se soient également trouvées hors d'état de consacrer une jurisprudence fixe et uniforme sur ce point particulier du droit international. Les contradictions qui ressortent de leurs sentences, rendues sou

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