Page images
PDF
EPUB

Opinions des publicistes.

Pistoye et
Duverdy.

Hautefeuille.

§ 2697. Combattant cette doctrine, Pistoye et Duverdy s'expri

ment en ces termes :

<< Pour nous qui considérons la réalité des choses, qui ne reconnaissons les blocus que lorsqu'ils sont réels et effectifs, la guerre existe lorsqu'un blocus réel et effectif est établi contre une nation. En effet l'établissement d'un blocus, étant l'emploi de la force par une puissance contre une autre puissance, est un acte d'hostilité qui constitue en état de guerre l'une contre l'autre la nation bloquante et la nation bloquée. Il arrive souvent qu'une puissance de premier ordre, lorsqu'elle a à demander une satisfaction à une puissance secondaire, se borne à bloquer ses ports sans lui déclarer positivement la guerre. On n'a pas déclaré la guerre, mais on la fait réellement; seulement, comme on est le plus fort, on n'emploie pas tous les moyens d'attaque dont on pourrait disposer; on ne fait la guerre que dans la mesure de ses

convenances. >>

§ 2698. Mais là où la question acquiert une grande importance et où son véritable caractère se dessine, c'est lorsqu'elle touche aux relations, aux droits et aux intérêts des neutres. «Si, dit Hautefeuille, considéré au point de vue des attentats à la liberté, à l'indépendance de la 'nation contre laquelle il est dirigé, le blocus ne peut exister sans la guerre, il le peut encore moins si on l'envisage sous le point de vue des droits et des devoirs des peuples pacifiques. La navigation et le commerce sont absolument libres pour tous les peuples du monde. Tous ont le droit de faire en temps de paix tel trafic qui leur convient avec tous les peuples de l'univers; la seule condition est d'obtenir le consentement de celui avec lequel l'échange doit avoir lieu. Une tierce nation ne peut jamais, sans se rendre coupable d'un grave attentat, mettre obstacle au commerce de deux peuples. Dans le système de blocus pacifique le bloquant est en paix avec le bloqué et avec le navigateur qui se présente pour entrer dans le port; ce dernier veut faire le commerce, le second y consent; comment le troisième peut-il s'y opposer? De quel droit peut-il imposer sa volonté aux deux autres? Son devoir impérieux est de respecter d'une manière absolue l'indépendance de tous les peuples avec lesquels il est en paix; il n'a pas, il ne peut avoir le droit de dicter des lois aux étrangers qui ne sont pas soumis à sa juridiction. D'un autre côté, le droit des deux autres est d'agir avec une pleine indépendance sans s'inquiéter des volontés du troisième.

Cette opposition au commerce que deux nations libres veulent faire entre elles est donc une violation des devoirs de celui qui l'élève, une violation des droits de celles contre lesquelles elle est élevée. Cette conclusion est incontestable; elle dérive de tous les principes du droit international, soit primitif, soit secondaire. »>

Hautefeuille ajoute « Tous les traités qui ont parlé du blocus s'expriment de la même manière, sinon avec les mêmes paroles, du moins dans le même sens. Tous sans exception supposent que l'une des parties contractantes est engagée dans une guerre contre une troisième puissance, que l'autre nation signataire est neutre, et établissent les droits de la puissance attaquante et les devoirs de la partie pacifique. Il est impossible de nier, de méconnaitre ce fait. Depuis les plus anciens traités jusqu'à nos jours il n'en existe pas un seul qui ne se soit servi des expressions ennemi, belligérant, neutre, et dont l'ensemble des dispositions n'indique clairement que le blocus est un acte de guerre. »>

$2699. Le professeur Woolsey considère le blocus pacifique Woolsey. comme une extension, mais une extension illicite, du droit de blocus pendant la guerre, comme un empiètement sur les droits des neutres; pour le légitimer il faudrait que les neutres en général y eussent donné leur consentement.

Westlake.

$2700. Westlake tranche nettement la question. « Point de belligérants, point de neutres, dit-il,et puisque les neutres sont les seuls qu'affectent le blocus, il n'est personne qui ait à respecter un blocus pacifique. On peut même ajouter que sans guerre il ne pourrait y avoir de conseil des prises; donc si un navire appartenant même à un national de l'État contre lequel le blocus est dirigé était adjugé aux capteurs par un conseil des prises de l'État bloquant, les tribunaux d'un État tiers ne devraient pas reconnaître ce procédé comme ayant opéré un transfert régulier de propriété. $2701. Mais si ces auteurs, de même que Gessner, Pistoye et Bulmerincq. Duverdy, se refusent à reconnaître la légitimité des blocus dits pacifiques, elle est admise per quelques autres publicistes.

[ocr errors]

Bulmerincq est d'avis que le blocus pacifique est un véritable acte d'hostilité, aussi licite que tout autre moyen de guerre, et que par conséquent il faut lui reconnaître les mêmes effets qu'au blocus ordinaire.

$ 2702. Heffter et Cauchy vont plus loin: ils proclament le blocus pacifique comme un progrès du droit des gens, comme un signe de l'adoucissement des usages internationaux.

Heffter et
Cauchy.

Absence de

stipulations

nelles.

$2705. Du reste, en dehors des exceptions mentionnées plus convention haut, il n'existe pas un seul traité qui ait donné une sanction formelle aux blocus établis en temps de paix; le texte même de la déclaration du 16 avril 1856 (1) est sous ce rapport aussi explicite que possible.

Effets des blocus pacifiques sur

privée.

Maintenant faut-il de cette absence de stipulations conventionnelles qui en aient réglementé l'exercice induire que les blocus dits pacifiques sont contraires au droit des gens? De ce que quelques grandes puissances se sont trop facilement et trop souvent laissé entrainer à recourir contre des nations plus faibles à de semblables moyens de coercition doit-on conclure que la guerre ouverte et déclarée puisse seule dénouer certains conflits diplomatiques et surmonter certaines résistances opposées à des demandes de réparations intrinsèquement justes? Nous ne le croyons pas; nous admettons au contraire qu'il est des cas dans lesquels l'équité internationale veut qu'avant de rompre les hostilités et de se lancer dans les mille hasards de la guerre on ne se prive pas d'un mode de contrainte morale et matérielle, dont les relations de la vie civile offent quelques analogues, et qui, au prix de gênes, de restrictions ayant un caractère temporaire nettement délimité, peut rendre inutile l'emploi de moyens plus violents et d'une portée plus vaste. Seulement nous n'acceptons le principe des blocus pacifiques qu'à condition qu'une cause vraiment juste en ait en quelque sorte imposé l'emploi et que la mise en pratique en soit entourée de l'ensemble des précautions et des garanties que l'usage a consacrées relativement aux blocus en temps de guerre, telles que notifications officielles, avertissements particuliers, croisières effectives, etc...

$ 2704. C'est en nous plaçant à ce point de vue et en tenant la propriété compte des antécédents rappelés plus haut que nous allons examiner quels sont les effets que les blocus pacifiques peuvent produire à l'égard de la propriété privée des tiers. Les deux nations qui en ont le plus fréquemment fait usage, la Grande-Bretagne et la France, ne sont d'accord ni sur leur caractère ni sur leurs

(1) De Clercq, t. VII, p. 91; Savoie, t. VIII, p. 405; Martens-Samwer, t. II, p. 791; Archives dipl., 1862, t. I, p. 146; Bulletin des lois, 1856, no 381; Lesur, 1856, app., P. 19.

* Pistoye et Duverdy, t. I, p. 377; Hautefeuille, Des droits, t. II, p 276; Gessner, pp. 217 et seq.; Cauchy, t. II, pp. 426-428; Heffter, § 111; Revue de droit int., 1875, p. 611.

conséquences. En cas de violation par les neutres la première de ces nations capture et confisque la propriéte neutre aussi bien que celle de l'État soumis au blocus; la seconde confisque également les biens neutres, mais elle se contente généralement de mettre sous séquestre et de frapper d'embargo la propriété publique jusqu'à concurrence du montant des indemnités ou des dédommagements pécuniaires dont elle poursuit l'allocation.

Au fond, dit Gessner, l'Angleterre a certainement raison: un blocus est une opération de guerre; mais en théorie la France est plus dans le vrai, puisque la puissance bloquante prétend vivre en paix avec la puissance bloquée. » Aussi cet auteur n'admet-il pas l'espèce de privilége, de faveur exceptionnelle, dont on semble porté à faire jouir les navires neutres.

$2705. En 1858, au début de son expédition contre le Mexique, la France se borna à placer sous séquestre les navires mexicains mouillés en rade de Veracruz; mais la prise du fort de Saint Jean d'Ulloa ayant amené de la part du président Santa-Anna une déclaration formelle de guerre, le vice-amiral Baudin captura un certain nombre de bâtiments de guerre ou de commerce, et prétendit même transformer en véritables prises les bâtiments simplement séquestrés avant l'ouverture des hostilités. Le gouvernement mexicain ayant repoussé cette prétention eomme exorbitante et ayant même exigé la restitution pure et simple de tout ce dont l'escadre française s'était, suivant lui, indûment emparée, on convint finalement de déférer la question de principe à l'arbitrage de la reine Victoria. Celle-ci par sa sentence du 1er août 1844 (1) décida 1° que la guerre ayant été déclarée par le Mexique, la France avait acquis le droit de frapper de confiscation les navires. qu'elle détenait sous séquestre et de traiter comme prises bonnes et valables les bâtiments de guerre ou de commerce capturés postérieurement à la rupture de la paix proclamée par le général Santa-Anna; 2o qu'il n'y avait pas lieu à restitution des propriétés saisies, bien moins encore à indemnités pécuniaires au profit du Mexique *.

:

(1) De Clercq, t. V, p. 193.

· Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 277 et seq.; Gessner, pp. 215 et seq.; Cauchy,

t. II, pp. 426-428; Pistoye et Duverdy, t. I, pp. 377, 378; Heffter, § 111.

[blocks in formation]

LIVRE VI

DROIT DE VISITE ET DE RECHERCHE

Notion

générale du droit de

visite et de recherche.

$2706. Dans l'intérêt de la sûreté de la navigation en pleine mer et pour assurer l'efficacité de la police dévolue aux bâtiments de guerre sur la marine marchande, tout navire de commerce doit être en mesure de justifier à première réquisition de la sincérité de son pavillon et de la composition de son chargement. A ce double devoir se rattachent deux droits celui de recherche ou de perquisition et celui de visite ou d'inspection. Ils consistent dans la faculté que les États se sont mutuellement accordée d'arrêter les navires les uns des autres au passage pour y pratiquer certaines constatations. Le premier s'exerce plus particulièrement en temps de paix, le second en temps de guerre. Nous ne nous occuperons ici que du second, qui est généralement considéré comme un des attributs essentiels inhérents à tout belligérant. Quelle pourrait en effet être la valeur des devoirs imposés aux neutres, si les belligérants n'étaient pas investis de la faculté d'en contrôler la stricte observation?

Le droit de visite se rattache principalement à l'interdiction du commerce de contrebande et à l'observation des blocus; il en est pour ainsi dire le corollaire, voire même la conséquence nécessaire. La visite a en effet pour but de s'assurer si le navire qu'on arrête et son chargement n'appartiennent pas à l'ennemi, si le navire ne porte pas à l'ennemi des objets de contrebande de guerre ou de secours prohibé, et ne transporte pas des personnes ennemies; elle peut tendre aussi à empêcher le navire de communiquer avec les ports bloqués. La tâche de la visite est donc de constater la nationalité du navire, le caractère, l'origine et la des

« PreviousContinue »