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Ortolan.

Droit des corsaires.

constitue un acte hostile et ne peut être exercé par le belligérant que sur ses propres côtes ou sur celles de son ennemi, mais jamais en pleine mer, où le neutre n'a d'autre devoir à remplir que celui de prouver qu'il n'appartient pas à l'ennemi et que son pavillon n'est point supposé. Nous ne saurions nous associer à cette manière de voir, qui fait trop complètement abstraction des traités et de la pratique, sans tenir aucun compte ni de la législation qui régit la matière chez les grandes puissances maritimes, ni de l'opinion des auteurs les plus autorisés, ni surtout des facilités qu'une, doctrine si subtile prêterait aux simulations de pavillon et à l'emploi de faux papiers de bord. Tout ce qu'on est en droit d'exiger, c'est que le soupçon de fraude soit assez sérieux pour légitimer les retards et les autres inconvénients que la visite entraîne toujours pour le neutre.

Ortolan s'exprime ainsi : « Il peut y avoir des circonstances qui donnent au visiteur des soupçons fondés sur la légitimité des documents qui lui sont présentés. Personne n'ignore que, malgré les réglements et malgré la surveillance des gouvernements, la vente de faux papiers de mer est organisée et pratiquée en temps de guerre. Les navires marchands ennemis ont souvent à bord plusieurs expéditions fausses destinées à cacher leur véritable caractère, et ils se servent des unes ou des autres suivant l'occasion... Un droit de vérification sur le chargement doit nécessairement être exercé, outre l'examen des papiers, si l'on soupçonne à bord de la contrebande de guerre destinée pour l'ennemi. La coutume internationale autorise cette extension donnée dans certains cas à la visite. D'après cette coutume, si, malgré la teneur des lettres de mer, il y a des doutes fondés contre l'authenticité ou la sincérité de ces lettres, le visiteur peut faire des recherches plus exactes. Il ne peut, conformément à la défense formelle d'un grand nombre de traités, rompre ni ouvrir lui-même les écoutilles, encore moins les ballots, colis, etc., qu'il soupçonne renfermer des marchandises sujettes à confiscation; mais il peut les faire ouvrir par les gens du navire visité. »

S 2729. Un autre point qui se lie intimement à l'étendue du droit de visite, c'est de savoir si les corsaires peuvent exercer ce droit sans être tenus d'exhiber leurs lettres de marque. Depuis la déclaration du congrès de Paris qui a aboli la course, la solution de cette question n'offre plus qu'un intérêt secondaire et en quelque sorte Ortolan. rétrospectif. Nous nous bornerons donc à faire remarquer qu'Or

tolan soutient que les capitaines de corsaires ne sont pas obligés de justifier du droit dont ils veulent user, tandis que Hautefeuille, Hautefeuille. qui en cette circonstance s'appuie avec juste raison sur la pratique anglaise, exige la production des lettres de marque comme condition indispensable pour légitimer la visite en pleine mer. On sait d'ailleurs que c'est le système défendu par le second de ces auteurs qui a prévalu dans la dernière guerre civile aux États

Unis *.

Exceptions en faveur des

guerre.

§ 2730. Les égards que les gouvernements se doivent entre eux, ainsi que le respect qui entoure partout le pavillon militaire, ont bâtiments de naturellement soustrait les bâtiments de guerre à l'application du droit de visite. C'est pourquoi, dans la pratique, lorsque deux navires de la marine militaire se rencontrent en pleine mer, celui qui désire savoir à quelle nation l'autre appartient arbore son pavillon en l'assurant par un coup de canon à poudre acte destiné, selon les usages maritimes, à certifier sur l'honneur du commandant la sincérité du pavillon arboré. Le navire interrogé en répondant par la même manœuvre affirme ses couleurs et les met à l'abri de tout doute. Le marin qui dissimulerait sa véritable nationalité serait considéré comme déshonoré **.

force armée.

$ 2731. A moins de vouloir rendre illusoires dans la pratique Emploi de la les garanties que le belligérant recherche par l'exercice du droit de visite, il faut admettre qu'en cas de refus ou de résistance opposé par le neutre le visiteur est pleinement autorisé à faire usage de la force pour atteindre le but qu'il poursuit. Il en est de cette question comme des jugements des tribunaux civils et criminels, dont l'efficacité serait nulle, si la mise à exécution n'en pouvait être assurée par des moyens de contrainte. D'un autre côté, si la visite constitue un droit souverain incontestable, les navires qui en sont passibles doivent s'y soumettre. Toute résistance de leur part, toute tentative de s'y soustraire revêtirait de plano le caractère d'infraction à une loi d'ordre supérieur et assu

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Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 52 et seq.; Ortolan, Règles, t. II, pp. 240 et seq.; Gessner, pp. 293 et seq.; Massé, t. I, § 311; Heffter, § 169; Phillimore, Com., v. III, §§ 331, 332; Fiore, t. II, pp. 472 et seq.; Rayneval, Inst., p. 260; De la liberté des mers, t. I, chs. 16 et seq.; Lampredi, liv. 1, ch. 12; Martens, Essai, ch. 2, §§ 20-22; Schmelzing, Grundriss, § 539.

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Gessner, pp. 296, 297; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 7, 8; Kent, Com., v. I, p. 157; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 3, § 18; Phillimore, Com., v. III, § 334; Heffter, § 168; Manning, p. 370; Halleck, ch. 25, § 18; Bello, pte. 2, cap. 8, § 10; Pando, p. 564.

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jettirait le délinquant à des pénalités plus ou moins rigoureuses. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que si l'emploi de la force est intrinsèquement licite, il ne se justifie toutefois qu'autant qu'il ne dépasse pas les limites de la stricte nécessité, et que tout excès, tout abus imputable au visiteur engagerait, au profit de la partie lésée, la responsabilité du gouvernement dont il aurait compromis le pavillon militaire *.

S2732. Aussitôt qu'un navire belligérant a fait le signal convenu pour annoncer au bâtiment neutre son intention d'exercer le droit de visite, aussitôt qu'il a tiré son coup de canon de semonce, le navire neutre doit s'arrêter et attendre que le croiseur soit arrivé à une distance convenable pour mettre son embarcation à la mer et procéder aux formalités de la visite.

Le navire neutre ainsi semoncé ne peut se soustraire à la visite par la fuite et encore moins par la résistance de force.

Comme l'usage généralement admis et les traités ont reconnu le droit de visite et imposé aux navires neutres l'obligation de s'y soumetre, il est évident que cette obligation équivaut à la défense positive de l'esquiver par un moyen quelconque. La fuite est donc, ainsi que tout autre mode de résistance, illicite; c'est une violation à la fois du devoir du neutre et du droit du belligérant, et celui-ci est autorisé à tirer à boulets sur le navire neutre qui tente de fuir, sans qu'en cas d'avaries le navire neutre puisse réclamer des dommages et intérêts, alors même qu'il a prouvé sa nationalité et l'innocuité de son chargement. C'est l'unique genre de pénalité indirecte qui s'impose à la tentative de fuir; et lorsque la tentative a échoué et que le navire a été atteint et visité, après qu'il a justifié de sa nationalité et de sa neutralité, il doit être laissé libre de continuer sa route.

On conçoit difficilement que des navires marchands, presque toujours dépourvus d'armes et de canons, n'ayant que de faibles équipages, osent tenter la lutte contre des bâtiments de guerre ou des corsaires armés et équipés pour la guerre; cependant cela peut arriver. Or la résistance par la force est par elle-même un acte direct d'hostilité, qui fait perdre au neutre son caractère de neutre et le classe parmi les ennemis; la conséquence nécessaire de ce changement de qualité est que le neutre se trouve désor

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* Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 3, § 20; Ortolan, Règles, t. II, pp. 260; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 108 et seq.; Massé, t. I, § 312; Kent, Com., v. I, pp. 155, 156; Halleck, ch. 25, § 14; Bello, pte. 2, cap. 8, § 10; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 16.

mais assujetti au traitement réservé à l'ennemi; s'il succombe dans la lutte, il est traité comme un ennemi, confisqué, déclaré de bonne prise.

§ 2753. Dans l'espèce du navire la Maria, que nous avons déjà citée page 205, Sir W. Scott, ayant à résumer ses principes sur la matière, se prévalut tout d'abord des arguments généraux développés par Vattel, que nous avons eu occasion de reproduire page 202. Il exposa ensuite les considérations suivantes : «< Conformément à ce principe, nous lisons dans la célèbre ordonnance française de 1681, actuellement en vigueur, article 12 « que tout navire sera de bonne prise en cas de résistance et de combat»; et Valin, dans son petit commentaire, page 81, dit expressément que, quoique l'expression soit dans le sens conjonctif, la résistance seule est suffisante. Il renvoie à l'ordonnance espagnole de 1718, évidemment copiée sur la disposition française, et dans laquelle la même chose est exprimée dans le sens disjonctif : « en cas de résistance ou de combat. » Nous avons à notre portée et sous les yeux des exemples récents qui nous montrent que l'Espagne continue d'agir d'après ce principe. La première fois que ce principe est venu à ma connaissance dans les recherches que j'ai été à même de faire dans les institutions de notre propre pays relatives aux questions de cette nature, excepté ce qui se trouve dans le Livre Noir de l'amirauté, c'est dans l'ordre de conseil de 1664, article 12, qui porte: « que lorsqu'un navire rencontré en mer par un vaisseau de la marine royale ou par un bâtiment commissionné combattra ou fera résistance, le dit navire et les marchandises seront condamnés de bonne prise. Un article analogue se trouve dans la proclamation de 1672... Je suis donc autorisé à dire que ç'a été la règle, et la règle non contestée, de l'amirauté britannique. Je ne veux pas dire que cette règle n'ait pu être enfreinte dans quelques cas par suite de considérations de courtoisie ou de politique, à l'aide desquelles il peut être convenable de tempérer l'application de cette espèce de lois entre les mains des tribunaux qui ont le droit de les faire observer et de les appliquer; car personne ne peut nier qu'un État ne puisse se désister de ses droits extrêmes, et que ses conseils suprêmes ne soient autorisés à juger dans quels cas il puisse être convenable d'agir ainsi, l'individu qui a fait la capture n'ayant en aucun cas d'autre droit ni d'autre titre que ceux que l'État même possèderait dans des faits de capture identiques. Mais je m'appuie avec con

Affaire

de la Maria.

Opinions des publistes. Wheaton.

Galiani.

fiance sur tous les principes équitables de la raison. Je me fonde sur l'autorité particulière de Vattel, sur les institutions des autres grands pays maritimes, ainsi que sur celles de notre pays, lorsque j'ose soutenir que, d'après le droit des gens tel qu'il est compris maintenant, la résistance préméditée et continue de la part d'un navire neutre à l'exercice du droit de visite par un croiseur belligérant légalement commissionné entraîne la confiscation comme conséquence légale. »

§ 2754. La même doctrine a été soutenue par Wheaton, qui du reste se borne à reproduire intégralement l'opinion du jurisconsulte anglais que nous venons de citer.

Galiani, Rayneval et Hautefeuille émettent chacun sur cette question des théories absolument distinctes. Le premier de ces publicistes prétend que l'infraction commise n'étant imputable qu'au commandant du navire, ni la cargaison ni même le bâtiment ne doivent être confisqués, à moins qu'ils ne soient la proRayneval. priété personnelle du capitaine. Le second trouve la résistance légitime et permise; mais, bien qu'il admette en principe le contrôle de certaines pièces de bord, il ne se prononce pas sur le droit de châtier le refus de subir une simple vérification des lettres de mer. Quant à Hautefeuille, son raisonnement se rapproche beaucoup de celui de Rayneval et tend également à établir que toute résistance opposée à l'exhibition des papiers de bord constitue un acte coupable exposant le navire à être frappé de confiscation.

Hautefeuille.

Règle générale.

Jurispru

dence anglaise.

S2735. Quelles que soient la valeur intrinsèque des opinions que nous venons d'analyser et la portée des arguments invoqués à l'appui, il n'est cependant pas possible de les placer au dessus des principes consacrés par la jurisprudence internationale, qui ont sanctionné comme règle générale, universelle, que la moindre résistance opposée aux droits du croiseur assujettit le neutre à toutes les conséquences juridiques de sa conduite.

S 2736. Le seul point douteux qui subsiste encore dans cette partie de la loi internationale, c'est de savoir si la peine encourue pour refus de se laisser visiter s'étend de plein droit à la cargaison ou ne pèse que sur le navire. D'après la pratique suivie par les cours d'amirauté anglaises, il n'y aurait pas lieu d'établir de distinction entre le moyen de transport et la marchandise lorsque tous les deux sont la propriété de l'armateur ou du capitaine du navire inculpé.

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