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ignore plusieurs des faits. Il peut avoir succédé à un autre commandant depuis que les navires ont rejoint le convoi. A quelle inspection a-t-on quelque part procédé, sur laquelle on puisse fonder raisonnablement sa déclaration? Les nations peuvent bien, par courtoisie ou par politique, convenir d'accepter provisoirement la parole générale d'un officier au lieu de procéder à la recherche; mais ce n'est pas une obligation légale dont l'accomplissement doive être imposé par la force... La pratique des nations, les traités, les opinions des auteurs nous démontrent suffisamment que le droit international n'interdit pas la recherche à bord des navires convoyés et ne substitue pas non plus la parole du commandant du convoi à une perquisition effective. »

Comme on le voit par l'ensemble des faits et des opinions que nous venons de résumer, les défenseurs du droit illimité de visiter les convois forment la minorité, et le droit écrit comme la pratique ont sanctionné pour le plus grand nombre des nations le respect de la parole donnée par l'officier du bâtiment de guerre convoyeur *.

§ 2752. Ici se présente une question dont la solution présente quelque difficulté. La protection du convoi, avec ses conséquences et notamment l'exemption de la visite, peut-elle être étendue par un vaisseau d'État neutre à des navires marchands appartenant à une nation autre que la sienne?

Luchesi Palli pense que le navire de guerre neutre peut licitement prendre sous son escorte des navires de commerce appartenant aux nations neutres étrangères. Par contre Ortolan limite la protection du navire convoyeur aux bâtiments marchands de sa propre nation.

C'est aussi l'avis de Hautefeuille, « en ce sens du moins que la déclaration du commandant du convoi ne peut faire foi pleine et entière, et par conséquent exempter de la visite que ces seuls bâtiments. » Parmi les arguments dont ce publiciste appuie son opinion, celui-ci nous parait fondé en raison et en droit

Jouffroy, pp. 266, 392 et seq.; Martens, Essai, §§ 20, 21; Klüber, Droit, § 293; Gessner, pp. 307 et seq.; Rayneval, De la liberté, t. I, ch. 18; Ortolan, Règles, t. II, pp. 271, 272; Hautefeuille, Des droits, t. III, p. 166; Cauchy, t. II, pp. 223, 224; Massé, t. I, § 320; Kent, Com., v. I, pp. 156, 158; Woolsey, Introd., § 192; Dana, Elem. by Wheaton, note 242; Halleck, ch. 25, § 21; Heffter, § 170; Bluntschli, § 821; Fiore, t. II, pp. 485, 486; Phillimore, Com, v. III, § 338; Wildman, v. II, p. 124; Manning, p. 360; Cranch, Reports, v. IX, p. 438.

Navires neutres

faisant partie nationalité.

d'un convoi d'une autre

Luchesi

Palli.

Ortolan.

Hautefeuille.

« Le convoi, dit-il, entraîne pour le gouvernement qui le fait faire une sorte de responsabilité. Si des fraudes évidentes étaient commises à l'ombre de cette protection légale, le belligérant, dont les croiseurs n'ont pas le droit de vérifier ni même de suspecter la déclaration de l'officier chef du convoi, a le droit de s'adresser au souverain neutre et de lui demander la réparation du préjudice causé et la punition des coupables. Si l'on suppose que la fraude soit le fait des navires étrangers convoyés par un bâtiment de guerre neutre, mais d'une autre nation, quel sera le souverain responsable envers le belligérant? La nation propriétaire du vaisseau de guerre semble devoir porter toute la responsabilité, car c'est sa parole qui a trompé le belligérant; cependant le coupable n'est pas sous sa juridiction elle ne peut le punir. Le souverain du navire escorté et fraudeur n'a pris aucun engagement envers le belligérant. La responsabilité devient donc illusoire ou retombe sur le non coupable. »

:

Quoi qu'il en soit, si la protection d'un convoyeur étranger ne peut empêcher la visite des navires étrangers qui naviguent sous son escorte, le commandant du convoi a le pouvoir de s'opposer à ce que les règles de la visite soient violées, à ce qu'aucune violence soit commise.

La plupart des traités qui stipulent le droit des neutres de faire escorter leurs navires gardent le silence sur cette question, ou du moins nous laissent dans le doute et l'équivoque. Ils renferment des formules vagues ou incomplètes, comme l'article 29 du traité du 1er mars 1801 entre la Russie et la Suède, qui se borne à déclarer que « en cas que ces navires marchands fussent escortés par un ou plusieurs vaisseaux de guerre, la simple déclaration de l'officier commandant de l'escorte que les dits navires n'ont à bord aucune contrebande de guerre doit suffire pour qu'aucune visite n'ait lieu ». Toutefois l'article 20 du traité conclu le 3 octobre 1824 entre les États-Unis et la Colombie est plus explicite :

lorsqu'ils seront convoyés, dit-il au sujet des navires marchands, la déclaration du commandant du convoi, faite sous sa parole d'honneur, suffira pour attester que les bâtiments qui sont sous sa protection appartiennent à la nation dont ils portent le pavillon. » Quelques traités cependant ont stipulé positivement que le navire convoyeur sera de la même nation que les navires convoyés; nous citerons notamment l'article 19 du traité du 30 septembre 1800 entre la France et les États-Unis, qui porte que « la déclaration verbale du commandant de l'escorte que les navires de son convoi

Navires neutres

d'un convoi ennemi.

appartiennent à la nation dont il porte le pavillon... sera regardée par les croiseurs respectifs comme pleinement suffisante *. » $2755. On s'est mainte fois demandé s'il est permis de capturer et de confisquer les navires neutres faisant partie d'un convoi en- faisant partie nemi. Dans ce cas la présomption légale autorise jusqu'à un certain point à caractériser d'ennemi le navire neutre qui s'incorpore aux convois escortés par l'un des belligérants; pourtant si la preuve de nationalité amie peut être fournie, et s'il est établi que le navire neutre s'est indistinctement placé sous la protection de l'un et de l'autre des belligérants pour se mettre à l'abri des corsaires, il ne saurait être déclaré de bonne prise. Il y a des précédents pour et contre.

Dans l'espèce du trois-mâts le Sampson, et sur l'appel des ayant droit, la cour d'amirauté anglaise a décidé que le fait de naviguer dans les conditions dont il s'agit constitue un motif péremptoire de confiscation.

Affaire du
Sampson.

Néréide.

Par contre, la cour des prises aux États-Unis a résolu la ques- Affaire de la tion de principe dans le sens opposé, en prononçant la relaxation du navire la Néréide.

$ 2754. Le juge américain Story, qui eut à intervenir dans cette sentence, avait voté pour la confiscation, en faisant valoir « que la navigation sous la protection de l'un des belligérants implique violation des devoirs de la neutralité. »> « Un neutre, disait-il, capturé dans de semblables circonstances encourt ipso facto la confiscation du navire et de sa cargaison.

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Dans l'opinion de Kent, le fait de naviguer sous convoi ennemi constitue, tout aussi bien que celui de résister à la visite, une infraction aux règles strictes de la neutralité.

Les publicistes français et allemands ne partagent pas en général cette manière de voir. Nous citerons notamment Heffter, Gessner

Opinions de quelques auteurs. Story.

Kent.

Heffter. Gessner.

et Hautefeuille. « Le neutre, dit ce dernier, en se mettant sous la Hautefeuille. protection du convoi belligérant ne manque pas à ses devoirs; il ne viole pas le caractère neutre. Il s'expose sans doute à être pris avec le convoi belligérant; mais dans ce cas même il ne saurait être soumis à la confiscation. Pour se justifier il doit lui suffire d'établir sa nationalité et l'innocence de son commerce. »>

*

§ 2755. Cette même thèse fut amplement discutée en 1810 à

Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 132 et seq.; Luchesi Palli, Principes du droit public maritime, pp. 204, 205; Ortolan, Diplomatie de la mer, t. II, liv. 3, eh. 7, p. 233; Martens-Murhard, Nouv. suppl., t. II, p. 412.

1810. Ordonnance du Danemark.

Doctrine américaine

par Wheaton.

l'occasion d'une ordonnance danoise, qui déclarait de bonne prise tout navire neutre incorporé in transitu à un convoi anglais.

Un grand nombre de navires des États-Unis furent victimes de développée l'application rigoureuse de cette mesure, contraire, suivant nous, aux vrais principes sur la matière. Tous les incidents et les débats occasionnés par cette affaire ont été résumés par Wheaton, qui a pris avec une habileté remarquable la défense des intérêts de son gouvernement et de ses compatriotes. Il résulte de son exposé que le cabinet de Washington adopta pour terrain de discussion que ni l'ordonnance dont il s'agit ni aucune autre ne pouvaient porter atteinte aux principes généraux du droit des gens, ni prétendre introduire à cet égard des pratiques nouvelles obligatoires pour les tiers; qu'on ne pouvait par conséquent reconnaître au Danemark la faculté d'édicter des lois dont les prescriptions atteindraient les étrangers en pleine mer. On ne saurait évidemment prêter au gouvernement danois d'autre pensée que celle de tracer des règles pour la gouverne de ses propres tribunaux. Or pour ceux-ci l'ordonnance, cause première du conflit, se réduisait à établir que le fait d'avoir navigué sous la protection d'un convoi ennemi constituait intrinsèquement une cause juridique suffisante de capture et de confiscation, sans qu'il y eût lieu de tenir compte des circonstances particulières de l'acte matériel, ni de l'intention qui avait pu le motiver, ni du caractère licite du voyage. Mais ces doctrines ont été repoussées par les publicistes et par toutes les nations, même par l'Angleterre, puisque les annales de ses cours de prises ne fournissent aucun précédent analogue à celui consacré par le Danemark. En fait les navires qui motivèrent les réclamations du cabinet de Washington se livraient à un trafic régulier et habituel avec la Russie; ils ne transportaient pas d'armes, et ils n'avaient opposé aucune résistance aux croiseurs danois. Leur capture avait eu lieu pendant leur voyage de retour, à leur sortie de la Baltique, après qu'ils eurent été visités par les autorités d'Elseneur, en application d'une ordonnance contraire au droit international et de laquelle ils n'avaient matériellement pu avoir connaissance lorsqu'ils avaient quitté le port de Cronstadt.

Le fait de naviguer sous l'escorte et en compagnie d'un belligérant justifie sans doute la présomption légale que le navire et la cargaison capturés appartiennent à l'ennemi; mais tant que ce caractère hostile n'est pas établi, on ne saurait en induire aucun argument

concluant contre la partie intéressée, car l'acte en lui-même est loin de constituer ce qu'on appelle en droit præsumptiones juris et de jure. Le fait peut bien motiver une enquête minutieuse; dans aucun cas, et surtout dans l'espèce, il ne peut sans injustice flagrante conduire à une sentence immédiate de condamnation.

Si l'on ne donne pour fondement légal à la peine appliquée que l'incorporation à un convoi ennemi, il faut reconnaître que ce n'est pas là une raison suffisante; car s'il est vrai que le neutre ne doit se soustraire ni à la visite de ses papiers ni à la perquisition de son chargement pas plus par l'emploi de la force que par le recours à des moyens de fraude, il est tout aussi certain qu'il use d'un droit strict en cherchant à éviter par des pratiques absolument licites et innocentes les vexations auxquelles il peut craindre d'être exposé. La parfaite régularité du voyage des navires saisis était d'ailleurs incontestable, puisque les tribunaux danois l'avaient euxmêmes proclamée lors de la première capture dont ces bâtiments avaient été l'objet. Au surplus, même en admettant qu'ils n'eussent pas le droit de s'abriter sous un convoi belligérant pour éviter l'exercice du droit de visite de la part d'un ami, comme le Danemark prétendait l'être, ils étaient évidemment fondés à se défendre contre leur ennemi, comme la France se montrait l'être par sa conduite et les principes avoués d'après lesquels elle avait déclaré guerre ouverte au commerce maritime de toutes les nations neutres. On peut objecter que la résistance à l'exercice du droit de visite étant, selon la loi et l'usage des nations, un motif indiscutable et absolu de condamnation lorsqu'elle a lieu de la part d'un navire isolé, elle doit l'être doublement lorsqu'elle est imputable à plusieurs bâtiments associés et groupés dans la même intention. Mais pour que l'analogie soit complète il faut, ce qui n'a pas eu lieu dans l'espèce, qu'il y ait eu opposition réelle, ou au moins que les navires de guerre qui les ont pris sous leur protection aient contribué à la résistance de manière à pouvoir en assumer toute la responsabilité. Tout au plus peut-on admettre qu'il y a eu une intention non réalisée de résister.

La cour suprême des États-Unis a d'ailleurs reconnu, pendant la guerre de l'indépendance, que le neutre a le droit de charger ses biens à bord d'un navire belligérant armé.

Le ministre des États-Unis près la cour de Copenhague, qui était chargé de régler cette affaire, fit également valoir que l'absence de toute clause conventionnelle sur la matière et le silence gardé

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