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papiers, par qui ils ont été jetés, et s'il en est resté suffisamment à bord pour justifier que le navire et son chargement appartiennent à des amis ou alliés. »

1779. Lettre de

La rigueur excessive de cette règle fut considérablement adoucie par la lettre que Louis XVI adressa le 13 novembre 1779 à Louis XVI. l'amiral de France, pour autoriser les commissaires du conseil des prises à tenir compte des circonstances de chaque affaire et à interpréter librement la portée de la disposition que nous venons de rappeler.

du conseil des prises de France.

$2760. Quelques espèces que nous citerons ici feront d'ailleurs Jugements mieux apprécier dans quel esprit les tribunaux de prises français se sont prononcés sur la question du détournement ou de la destruction des pièces de bord.

Dans l'affaire du navire suédois la Fortune, capturé par le corsaire le Renard, on accusa le capitaine d'avoir jeté des papiers à la mer pendant le temps qu'on mettait les scellés à bord de la prise, et sur ce fondement la prise avait été déclarée bonne par le conseil des prises; mais un arrêt du conseil du roi en date du 27 décembre 1779 décida qu'il fallait, pour que le jet de papiers à la mer emportât confiscation, que ces papiers fussent de nature à donner des preuves d'une propriété ennemie et que le capitaine eût intérêt à les jeter à la mer : ce qui n'était pas le cas du capitaine suédois.

Après avoir rendu compte de cette décision, Pistoye et Duverdy font observer que « toutefois, alors même qu'un navire neutre est pourvu de toutes les pièces de bord de nature à établir la neutralité, si des papiers ont été jetés à la mer lors de la capture, il faut bien vérifier si ce ne sont pas des dépêches ennemies qui sont ainsi détruites, et si dès lors, même en dehors de la question de propriété, les capturés n'ont pas eu intérêt à détruire la preuve de leur coopération à la guerre par le jet à la mer de dépêches compromettantes. C'est au conseil des prises à apprécier si ce soupçon est fondé, et dans le doute, comme le texte de la loi est positif, la confiscation doit être prononcée. Le jet de papiers est prohibé d'une manière absolue; c'est donc au capturé à prouver l'innocence du fait constaté contre lui. »>

A l'occasion de la capture du Paquet de Dublin par le corsaire l'Abeille, le conseil des prises (23 vendémiaire an x) fonda sa sentence de condamnation sur ce que le capitaine, qui prétendait que son bâtiment était américain, avait en jetant certains papiers

Affaire de

la Fortune.

Le Paquet

de Dublin.

Le Lenox.

L'Apollon.

Pratique anglaise et nordaméricaine.

à la mer rendu impossible la vérification de sa nationalité et de l'importance de ces papiers; que la convention du 8 vendémiaire an ix entre la République Française et les États-Unis d'Amérique n'ayant manifestement stipulé que la restitution des prises faites sur des navires réellement américains, la première condition que devaient remplir les réclamants était de constater la propriété américaine des navires, et que cette preuve devenait impossible ou du moins très-problématique du moment qu'à l'instant de la capture on avait jeté des papiers qui pouvaient dévoiler la propriété ennemie...

Dans l'affaire du trois-mâts américain le Lenox, pris d'abord par un croiseur anglais, qui l'avait amariné et avait mis sur son bord un capitaine de prise, et ensuite recous par un croiseur français, le conseil des prises (7 vendémiaire an x) ordonna la restitution du navire et de sa cargaison à leurs propriétaires, par la raison qu'il n'y a pas lieu de prononcer la confiscation d'un navire recous lorsque l'absence des pièces de bord provient de leur destruction par le capteur ennemi.

L'Apollon, navire brémois, capturé et amariné par le corsaire français le Vengeur, échoua au moment d'entrer dans le port d'Ostende. Lorsque le navire toucha, le capitaine capturé arracha du conducteur de prise les papiers du navire et alla dès son arrivée à terre les porter au juge de paix. Ces papiers établissaient, il est vrai, la neutralité du bâtiment et de la cargaison; mais comme il n'était pas impossible qu'au milieu du désordre d'un naufrage le capturé eût détruit d'autres papiers qui eussent pu être compromettants, le conseil des prises (27 vendémiaire an Ix) décida qu'en droit la possibilité de la soustraction des papiers devait être assimilée au fait du jet à la mer.

§ 2761. Les cours de prises d'Angleterre et des États-Unis n'attachent pas la même importance que les tribunaux français au jet à la mer des papiers de bord; ils n'y voient pas un motif général et absolu de condamnation, quand les circonstances intrinsèques de l'affaire ne le transforment pas en acte délictueux ou en intention manifeste d'égarer la justice relativement à la nationalité réelle des propriétaires; telle est du moins l'opinion exprimée à diverses reprises par Lord Mansfield *.

Pistoye et Duverdy, Traité, tit. 6, ch. 2, sect. 5; Bello, pte. 2, cap. 8, § 11; Gessner, p. 329; Pœhls, p. 1179; Duer, v. I, lect. 8, § 17; Kent, Com., v. I, pp. 161, 162; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 254 et seq.

Usage de faux papiers.

Droit de visite ou

S2762. L'usage de faux papiers n'est pas non plus par luimême une preuve concluante contre le navire, parce qu'il peut arriver qu'on n'y ait recours que pour se soustraire aux lois municipales d'un pays étranger ou pour échapper aux poursuites de l'ennemi. Les tribunaux n'en tirent une juste cause de condamnation que lorsqu'ils peuvent accuser les coupables d'avoir sciemment employé de fausses expéditions pour tromper le belligérant et le gêner ou le léser dans l'exercice de ses droits légitimes *. S2763. Les circonstances et les raisons exceptionnelles qui peuvent justifier le droit de visite de la part des belligérants n'exis- de recherche tant plus après la cessation des hostilités, il s'ensuit comme conséquence naturelle que ce droit ne doit plus s'exercer en temps de paix. En effet après la guerre il n'y a plus ni belligérants ni neutres; chaque nation rentre dans la possession de ses droits de souveraineté et d'indépendance; il n'y a plus de contrebande, et partant plus d'intérêt à vérifier la nature du chargement des navires; la liberté du commerce et l'indépendance du pavillon ne sauraient plus subir d'exception ni de restriction. Or le droit de visite en temps de paix ne peut s'exercer sans porter atteinte à cette liberté et à cette indépendance.

Cependant nous voyons que plusieurs États se sont accordé réciproquement par des conventions expresses le droit de visite en temps de paix, et que ce droit a été exercé en vue de sauvegarder certains intérêts spéciaux, notamment pour empêcher la traite des noirs; mais la fin ne justifie pas les moyens, et ces exceptions ne suffisent pas pour invalider la règle générale, d'autant plus que précisément dans le cas auquel nous faisons allusion, celui de la traite, l'expérience a démontré que non seulement le droit de visite n'était pas nécessaire, mais encore qu'il n'a pas réussi à détruire l'abus qu'on avait en vue de réprimer, et qu'en définitive l'exercice n'en a pas été maintenu.

On peut donc considérer l'exercice du droit de visite en temps de paix comme tombé généralement en désuétude, malgré les prétentions contraires d'une seule puissance, qui ne renonce jamais facilement aux prérogatives qu'on lui a laissé une fois s'arroger; on comprend que nous entendons parler de l'Angleterre.

S 2764. L'Angleterre, on le sait, ne rattache pas exclusivement à

* Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 248-254; Duer, v. I, lect. 8, § 11; Halleck, ch. 25, § 28.

en temps de

paix.

Pratique et doctrine anglaises.

Protestation du cabinet de

l'état de guerre la visite des navires en pleine mer; faisant une distinction arbitraire entre la visite proprement dite et la simple vérification ou recherche du pavillon, elle prétend exercer le droit de visite également en temps de paix. D'après la doctrine de ses publicistes et de ses hommes d'État, la visite est une des formes sous lesquelles le belligérant poursuit son ennemi ou sauvegarde ses droits et ses intérêts à l'encontre des neutres, tandis que la recherche ou perquisition pacifique du pavillon constitue uniquement l'exercice de cette police maritime naturellement dévolue aux bâtiments de la marine militaire, dont la mission protectrice consiste à s'assurer que les navires marchands qui parcourent les mers ont réellement le droit d'arborer le pavillon sous lequel ils naviguent. Toutefois le ministère anglais, par l'organe de Lord Aberdeen, dans un des nombreux débats suscités par cette délicate question, a été amené à proclamer que toute offense ou tout préjudice causé volontairement ou par erreur à raison de la recherche du pavillon ou de la visite d'un navire de commerce quelconque en temps de paix autorise la partie lésée à revendiquer des dommages et intérêts et une réparation convenable.

S2765. Les États-Unis d'Amérique ont, dès les premiers temps Washington. de leur indépendance, protesté contre le droit de recherche que la Grande-Bretagne entend s'arroger et pratiquer en dehors du cas de guerre; ils ont engagé à ce sujet, avec beaucoup d'éclat, une lutte diplomatique, qui s'est terminée à leur avantage par le traité spécial du 9 août 1842 (1).

Le gouvernement anglais alléguait que de sa part la recherche du pavillon avait pour but : 1o de s'assurer si les navires anglais ne se servaient pas indùment du pavillon nord-américain pour faire la traite des noirs; 2o de vérifier si le même stratagème n'était pas employé par des navires appartenant en réalité aux pays qui avaient conventionnellement autorisé les croiseurs anglais à exercer le droit de visite; 3° de poursuivre et de châtier les pirates, auxquels aucune nation ne doit accorder la protection de son pavillon. Le cabinet de Washington repoussait ces prétentions, en faisant valoir que la distinction arbitraire établie entre la recherche du pavillon et la visite du navire n'est consacrée par aucun traité public, ni sanctionnée par aucune sentence judiciaire, ni admise

(1) Hertslet, v. VI, p. 853; State papers, v. XXX, p. 360; Martens-Murhard, t. III, p. 456.

par aucun publiciste. A ses yeux, le droit de visite, dans le sens qui lui a été attribué jusqu'à présent, implique non seulement la faculté de rechercher le caractère national du navire, mais encore celle d'obliger le navire à s'arrêter, par conséquent d'interrompre son voyage, d'examiner ses papiers, de prononcer sur leur régularité comme sur leur authenticité, enfin de rechercher à quel genre de trafic il se livre et quels sont les propriétaires des marchandises qu'il transporte. Or, à ce point de vue, le gouvernement de l'Union soutenait que la recherche du pavillon en temps de paix conduisait absolument au même résultat que la visite en temps de guerre et n'offrait aucun caractère distinct. « Pour qu'un croiseur, disait-il, puisse s'assurer de la nationalité d'un autre navire qu'il rencontre en pleine mer et capturer les pirates ou ceux qui ont commis un délit contre le droit des gens, il a sans doute le droit de s'en approcher, et en exerçant ce droit il ne se rend coupable ni d'offense ni de vexation et ne porte préjudice à personne. Mais il est évident aussi qu'aucun navire marchand n'est tenu d'attendre l'approche d'un autre bâtiment, et que tous sont libres de recourir aux moyens qu'ils jugent les plus convenables pour éviter toute rencontre dans le cours de leur voyage. »

Enfin, après avoir proclamé comme une règle universellement admise que sur l'Océan tous les pavillons sont égaux entre eux, le cabinet de Washington entrait dans de longues considérations sur les suites qu'entraînerait dans des cas semblables un recours à la force, qui, en vertu du principe de propre défense, légitimerait une résistance à main armée *.

publicistes.

S 2766. Phillimore est un des plus ardents partisans du droit Opinions de de visite ou de recherche du pavillon en temps de paix. Il reconnaît bien qu'en général ce droit est une conséquence nécessaire du Phillimore. caractère de belligérant; mais il admet aussi sous le nom de right of approach (droit d'approche) la recherche en temps de paix, c'està-dire l'inspection des papiers de bord destinés à établir la nationalité des navires. Citant ensuite les paroles suivantes de Bynkershoek « Velim animadvertas, eatenus utique licitum esse amicam navem sistere, ut non ex fallaci forte aplustri, sed ex ipsis instrumentis in nave repertis constet navem amicam esse. » (Je voudrais

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Lawrence, On visitation; Gessner, pp. 287 et seq.; Fiore, t. II, pp. 489 et seq.; Massé, t. I, § 307; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 93 et seq.; Hautefeuille, Hist., période 4, ch. 1, sec. 2, § 7; Phillimore, Com., v. III, §§ 326, 328; Halleck, ch. 25, §§ 2 et seq.

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