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punir comme coupables d'un délit contre le droit des gens on peut usurper en temps de paix un droit de visite qui n'est pas reconnu par le code international... »

§ 2768. En rendant compte de la sentence rendue par la cour suprême de Washington dans l'affaire de la Mariana Flora, Story dit que le droit de recherche du pavillon n'appartient en temps de paix qu'aux bâtiments de la marine militaire, et il soutient que la visite est essentiellement une conséquence de l'état de guerre, pendant la durée duquel l'Océan est ouvert et libre à tous.

§ 2769. Massé exprime la même opinion et ajoute que « quel qu'en soit le but, la visite en temps de paix est toujours un acte de police qui ne peut être exercé par une nation sur une autre nation, puisque cet acte impliquerait de la part du visitant une souveraineté incompatible avec l'indépendance réciproque des peuples.

§ 2770. Ortolan, qui n'est pas moins explicite, dit que, en partant du principe, qui lui semble incontestable, que le droit de visite n'est qu'une conséquence nécessaire du droit de capturer les navires ennemis et du droit d'opposition au transport de la contrebande de guerre, on doit conclure que la visite ne peut avoir lieu que dans les temps et les parages où peuvent être exercés ces deux droits et que de la part de ceux à qui sont délégués les pouvoirs de les exercer... Hors le temps de guerre la vérification du caractère réel d'un navire n'a d'autre but que la répression des crimes de piraterie, qualifiés tels par le droit des gens et non par le droit particulier d'un État; d'où il suit qu'on ne doit y procéder que sur des soupçons légitimes et bien fondés, dont il faut prouver l'existence; que toute voie de fait ou de violence est interdite, si ce n'est dans le cas où la preuve de piraterie proprement dite est acquise. D'où il suit aussi que les conséquences de l'accomplissement de cette mesure tombent entièrement sous la responsabilité du commandant qui l'ordonne; que si ce dernier, croyant avoir affaire à un vrai pirate, a commis quelque acte de vexation ou de violence contre un navire qui, ne s'étant pas mis hors le droit des gens, est resté suivant ce droit sous la protection et sous la juridiction exclusive de l'État dont il relève, une réparation et des dommages et intérêts sont dus, suivant les cas, de la part du gouvernement auquel appartient ce commandant.

Story.

Massé.

Ortolan.

S2771. Hautefeuille entre dans de longs développements sur cette Hautefeuille. question. Selon lui, la nature même de la visite, son origine, le

double but de sa création par la loi secondaire prouvent d'une ma

Kaltenborn.

Stipulations

conven

tionnelles.

nière évidente que c'est un pouvoir concédé au belligérant pour l'exercice de son droit de guerre, qui par conséquent ne peut exister que pendant la guerre. « En temps de paix, dit-il, il n'y apour a ucun navigateur nécessité de reconnaître le navire qu'il rencontre à la haute mer; il n'y a nul intérêt à savoir si le pavillon qu'il porte est sincère ou simulé. Le bâtiment de guerre de la nation à laquelle appartient ce pavillon, qui par conséquent a juridiction sur le navire marchand qui le porte, a seul droit de le vérifier. Il faut remarquer que lorsqu'il n'existe pas de guerre les nations n'ont aucun autre devoir réciproque que les devoirs d'humanité, qu'il n'existe entre elles aucun devoir de nature à les lier les unes envers les autres, aucun droit en faveur de l'une sur l'autre; en un mot, elles sont complètement et parfaitement indépendantes. Il n'y a plus ni neutres, ni belligérants, ni ennemi déguisé à craindre ou à attaquer, ni par conséquent de nationalité à constater. >>

Kaltenborn professe les mêmes idées et les exprime dans des termes presque identiques *.

S 2772. A défaut de principe général du droit des gens justifiant le droit de visite dans les conditions que nous venons de faire connaître, certains traités, ainsi que nous l'avons fait remarquer en commençant, ont établi à cet égard des règles spéciales. De ce nombre sont les diverses conventions que l'Angleterre a conclues dans la première moitié de ce siècle pour la répression de la traite, notamment en 1815 (1) avec le Portugal, en 1817 (2) et en 1855 (3) avec l'Espagne, en 1818 (4) et en 1825 (5) avec les Pays-Bas, en 1824 (6) avec la Suède, en 1831 (7) et

Gessner, pp. 287 et seq.; Lawrence, On visitation; Phillimore, Com., v. III, §§ 322-326; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 14; Wheaton, Hist., t. II, pp. 318 et seq.; Massé, t. I, § 307; Ortolan, Règles, t. II, p. 258; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 93 et seq.; Kaltenborn, Seerecht, v. II, p. 350; Halleck, ch. 25, §§ 5 et seq.; Fiore, t. II, pp. 489 et seq.; Wheaton, Reports, v. XI, p. 42.

(1) Calvo, t. V, p. 320; Castro, t. V, p. 12; Hertslet, v. II, p. 70; State papers, v. II, p. 345; Martens, Nouv. suppl., t. II, p. 253.

(2) Cantillo, p. 800; Hertslet, v. II, p. 272; Martens, Nouv. recueil, t. IV, p. 492. (3) Cantillo, p. 857; Hertslet, v. IV, p. 440; State papers, v. XXIII, p. 343.

(4) Hertslet, v. I, p. 380; Elliot, v. II, p. 168; Martens, Nouv. recueil, t. IV, p. 511. (5) Hertslet, v. III, p. 279; Martens, Nouv. suppl., t. I, p. 612.

(6) Hertslet, v. III, p. 398; State papers, v. XII, p. 3; Martens, Nouv. recueil, t. VI, p. 618; Lesur, 1824, app., p. 641.

(7) De Clercq, t. IV, p. 157; Hertslet, v. IV, p. 109; Savoie, t. V, p. 1; Martens, Nouv. recueil, t. IX, p. 544; Bulletin des lois, 1833, no 245; Lesur, 1833, app., p 2.

en 1833 (1) avec la France, enfin en 1841 (2) avec l'Autriche, la Prusse et la Russie. Le traité franco-anglais du 29 mai 1845 (5), qui a modifié la convention de 1833 sur le trafic des noirs, établit qu'on pourra réciproquement procéder à la vérification du pavillon, mais non à la visite du navire.

L'article 8 de ce traité porte: « Attendu que l'expérience à fait voir que la traite des noirs, dans les parages où elle est habituellement exercée, est souvent accompagnée de faits de piraterie dangereux pour la tranquillité des mers et la sécurité de tous les pavillons; considérant en même temps que si le pavillon porté par un navire est prima facie le signe de la nationalité de ce navire, cette présomption ne saurait être considérée comme suffisante pour interdire de procéder à sa vérification, puisque, s'il en était autrement, tous les pavillons pourraient être exposés à des abus en servant à couvrir la piraterie, la traite des noirs ou tout autre commerce illicite; afin de prévenir toute difficulté dans l'exécution de la présente convention il est convenu que des instructions fondées sur les principes du droit des gens et sur la pratique constante des nations maritimes seront adressées aux commandants des escadres et des stations françaises et anglaises sur la côte d'Afrique. »

2773. L'Angleterre est la seule nation qui ait prétendu transformer la traite des noirs en crime du droit des gens. Toutes les autres puissances maritimes, et particulièrement les États-Unis, n'ont jamais confondu les pirates avec les négriers. Le président Tyler, dans un message spécial qu'il adressa le 27 février 1843 au congrès de Washington, disait en termes formels :

« La tentative de justifier une pareille prétention (c'est-à-dire le droit de visite dans le but de supprimer la traite des esclaves) en se fondant sur le droit de visiter et de détenir les navires sur un soupcon raisonnable de piraterie serait justement exposée à une réprobation universelle; car ce serait une tentative de convertir une règle établie de droit maritime, incorporée comme principe dans le code international du consentement de toutes les

(1) De Clercq, t. IV, p. 226; Hertslet, v. IV, p. 115; Savoie, t. V, p. 12; Martens, Nouv. recueil, t. IX, p. 549; Lesur, 1833, app., p. 3.

(2) Hertslet, v. VI, p. 2; Neumann, t. IV, p. 473; State papers, v. XXX, p. 269; Martens-Murhard, t. II, pp. 392, 508; Lesur, 1842, app., p. 117.

(3) De Clercq, t. V, p. 277; Martens-Murhard, t. VIII, p. 284; Bulletin des lois, 1846, no 1274; Lesur, 1845, app., p. 34.

La traite

des noirs.

1842.

Traité entre

et la GrandeBretagne.

nations, en un principe et une règle adoptés par une seule nation et mis en vigueur seulement par l'autorité que cette nation s'arroge. La détention et la capture d'un navire soupçonné de piraterie sur une cause probable et de bonne foi ne donnent au pays dont il a arboré le pavillon aucun juste sujet de plainte, ni à son propriétaire aucun droit à une indemnité. Le droit universel sanctionne et le bon sens réclame l'existence d'une telle règle. Le droit, dans de semblables circonstances, non seulement de visiter et de détenir un navire, mais de faire des recherches à bord, est un droit parfait et n'implique ni responsabilité ni indemnité. Mais, sauf cette seule exception, aucune nation n'a en temps de paix une autorité suffisante pour détenir les navires d'une autre nation en pleine mer, sous quelque prétexte que ce soit, au delà des limites de la juridiction territoriale. » Aussi les lois des États-Unis, tout en qualifiant la traite des noirs de crime de piraterie, ne l'assujettissent-elles pas à la même responsabilité.

$ 2774. Comme nous l'avons déjà dit, les négociations suivies les Etats-Unis entre l'Angleterre et les États-Unis au sujet du droit de visite aboutirent le 9 août 1842 (1) à un traité portant que chacune des deux parties contractantes maintiendrait sur la côte d'Afrique le nombre de navires nécessaire pour visiter les navires de commerce de sa nationalité et réprimer par leurs propres forces navales la traite des noirs.

Protestation élevée par les

1858.

Cette solution, en quelque sorte théorique, n'était cependant Etats-Unis en pas complète et ne devait pas tarder à susciter des difficultés pratiques. Ainsi, les croiseurs britanniques ayant en 1858 reçu l'ordre, qu'ils exécutèrent aussitôt, de visiter de nouveau les navires nordaméricains, le cabinet de Washington considéra ce procédé comme une violation de son pavillon, et formula une protestation en prétendant qu'il avait seul le droit d'exercer la police et la surveillance sur les navires de sa marine marchande.

Mesure adoptée par le gouverne

ment

Le gouvernement anglais, avant de prendre une résolution, consulta les avocats de la couronne, qui émirent l'avis qu'on ne pouvait britannique. citer aucune autorité en faveur de la conduite prescrite aux croiseurs britanniques; ceux-ci furent en conséquence invités à s'abstenir de toute molestation contre le pavillon américain.

Débats dans le parlement anglais.

$2775. Lorsque cette décision fut portée à la connaissance du

(1) Hertslet, v. VI, p. 853; State papers, v. XXX, p. 360; Martens-Murhard, t. III, p. 456.

parlement, Lord Lyndhurst prononça le 26 juillet, dans la chambre des Lords, un discours qu'on peut considérer comme l'expression fidèle de la pensée même du cabinet de Saint James : « Nous n'avons renoncé, dit-il, à aucun droit; car aucun droit comme celui en discussion n'a jamais existé. Nous avons abandonné l'usurpation d'un droit, et en le faisant nous avons agi avec justice, sagesse et prudence..... Ce droit n'a jamais été affirmé par aucun des auteurs qui ont écrit sur le droit international. Il n'est pas de décision de cours de justice ayant juridiction pour se prononcer sur de telles questions dans laquelle ce droit ait jamais. été admis..... Quant à moi, je n'ai jamais pu découvrir un principe de droit ou de raison sur lequel pût reposer un tel

droit.....

« La règle relativement à la pleine mer, c'est que là toutes les nations sont égales. Un navire marchand fait partie du domaine du pays auquel il appartient. Quel droit a le navire d'une nation d'entraver un navire d'une autre nation, quand leurs droits sont égaux? Aucune nation n'a le droit d'entraver la navigation d'une autre nation..... Il peut se faire que le pavillon américain soit usurpé par une autre puissance pour couvrir les entreprises les plus indignes; cela ne saurait altérer le droit. Comment la conduite d'une tierce puissance peut-elle affecter un droit existant appartenant aux États-Unis? En vertu d'un traité avec l'Espagne nous avons le droit de visiter et de rechercher les navires espagnols en vue de la suppression de la traite; mais cela ne saurait affecter les droits de l'Amérique. Si un croiseur constate le mieux qu'il lui est possible qu'un navire n'a pas le droit de se servir du pavillon américain, il peut le visiter et l'inspecter; et si ces soupçons sont fondés, il peut traiter le navire conformément aux relations dans lesquelles le pays auquel appartient le navire se trouve avec l'Angleterre. L'Amérique n'aurait pas droit d'intervenir; ce serait affaire entre le croiseur anglais et le navire saisi. S'il se trouvait que le navire fût américain, nous devrions présenter des excuses pour l'acte et fournir la plus ample réparation pour l'offense commise*.... »

* Lawrence, On visitation, pp. 181 et seq.; Gessner, pp. 291, 292; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 94 et seq.; Wheaton, Hist., t. II, p. 261 et seq.; Wheaton, Élém., pte. 2, ch. 2, § 15; Pistoye et Duverdy, t. I, p. 84; Phillimore, Com., v. III, § 236; Halleck, ch. 25, §§ 8, 9; Fiore, t. II, pp. 490 et seq.; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 8; Times, 27 juillet 1858; Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1858.

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