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soient de grande valeur et à proximité d'un port ami, il sera imprudent et presque inutile d'essayer de les emmener. Un croiseur isolé, en admettant qu'il y réussisse, ne peut garnir de matelots qu'un petit nombre de prises, et alors chaque prise diminue essentiellement ses forces; mais un croiseur isolé, en détruisant chaque bâtiment qu'il capture, conserve la force de continuer en toute vigueur son œuvre de destruction aussi longtemps qu'il peut se procurer des vivres et des munitions dans des ports amis, ou au moyen de celles trouvées à bord des navires qu'il prend. » Conformément à ces instructions les croiseurs des États-Unis ne détruisirent pas moins de 74 navires de commerce anglais.

Pendant la guerre de sécession, les navires commissionnés par les États confédérés du Sud détruisaient presque invariablement leurs prises; mais la raison en était qu'il n'y avait point de ports où ils pussent les conduire sans danger.

publicistes.

$ 2805. Si nous consultons les publicistes, nous voyons qu'en Opinions des général ils commencent par établir une distinction par rapport au caractère du navire; ils font dépendre la légitimité ou l'illégalité de l'acte du caractère ennemi ou de la neutralité de la propriété détruite.

$ 2806. Après avoir établi qu'en principe et suivant le droit des gens, l'obligation d'amariner la prise n'est imposée au capteur que par rapport aux bâtiments naviguant sous pavillon neutre, attendu que dans ce cas l'enquête devant un tribunal compétent a pour but de s'assurer si le navire appartient véritablement à un neutre, ou si le pavillon ne déguise pas un ennemi, Twiss admet que le belligérant a le droit, d'après la loi internationale, de détruire le navire sous pavillon ennemi pris en haute mer, s'il ne peut le conduire dans un port. « Les instructions de son gouvernement, dit-il, peuvent en effet lui prescrire d'emmener ses prises dans un port; mais il peut se faire qu'il soit dans le moment employé à un service qui ne lui permette pas de mettre un équipage à bord du navire capturé pour le conduire dans un port. >>

Twiss.

$ 2807. Dans un tel conflit de devoir Lord Stowell (Sir W. Scott) Lord Stowell. a décidé qu'il ne reste au belligérant d'autre parti à prendre que de détruire le navire ennemi; car il ne peut, conséquemment à ses devoirs généraux envers son pays, sinon d'après ses injonctions expresses, laisser s'échapper la propriété de l'ennemi sans être inquiétée. S'il lui est impossible de l'amariner, son devoir est de détruire la propriété de l'ennemi... S'il s'agit d'un navire neutre,

Lushington.

Bernard.

l'acte de destruction ne peut se justifier à l'égard du propriétaire neutre par la considération que cet acte était de la plus haute importance pour le gouvernement du capteur; il ne peut se justifier à l'égard du neutre dans de semblables circonstances que par la restitution intégrale de la valeur de la propriété détruite. »

$ 2808. Lushington, énumérant les devoirs à remplir par le capteur qui ne peut amariner sa prise, formule ainsi ce que celuici doit faire lorsque la prise est une propriété ennemie : « S'il est évident que le navire appartient à l'ennemi, le capteur en fera sortir l'équipage, enlèvera les papiers de bord, et, s'il est possible, la cargaison, puis il détruira le bâtiment. »><

§ 2809. Dans un livre publié en 1870 sur la neutralité de l'AnMontague gleterre pendant la guerre de sécession aux États-Unis, M. Montague Bernard, professeur de droit international à l'Université d'Oxford, dit, au sujet des corsaires Confédérés, qui, ne pouvant à cause du blocus conduire leurs prises dans les ports du Sud, avaient, comme nous l'avons fait observer, pris le parti de les brûler en pleine mer: « C'est assurément une manière destructive de faire la guerre et aggravant les désastres inséparables des hostilités dirigées contre la propriété privée; mais elle n'est prohibée par aucun usage ni par aucune loi internationale. >>

Kent.

Bluntschli.

Woolsey.

§ 2810. La doctrine des États-Unis n'est pas moins positive sur ce point. Les Confédérés du Sud, en brûlant leurs prises, ne faisaient qu'appliquer les principes professés par le chancelier Kent lorsqu'il dit : « Dans certaines circonstances la propriété capturée en haute mer ne peut être conduite dans un port. Le capteur peut alors ou la détruire ou rançonner le propriétaire. >>

§ 2811. Parmi les juristes allemands nous citerons Bluntschli, dont l'opinion sur ce sujet n'est pas aussi absolue : « Le navire capturé, dit-il, doit dans la règle être remis au conseil des prises de l'État dont dépend le capteur, et le conseil prononce sur la validité de la prise... On n'est jamais autorisé à détruire le navire capturé, sous prétexte que les ports de l'État auquel appartient le navire vainqueur sont bloqués et qu'il est impossible d'y conduire la prise. La difficulté de trouver un port n'augmente pas les droits du capteur. L'anéantissement du navire capturé n'est justifiable qu'en cas de nécessité absolue, et toute atteinte à ce principe constituerait une violation du droit international. »

S 2812. Le docteur Woolsey qualifie la destruction de la prise de pratique barbare, qui doit disparaître de l'histoire des nations ».

S2813. A ce propos Hall pense qu'il est asssez difficile de voir ce qu'a de révoltant la destruction d'une propriété qui ne doit plus retourner à son possesseur primitif, si l'on tolère la procédure alternative de condamnation par un tribunal de prises. La propriété a passé des mains de ce possesseur en celles du capteur; or si celui-ci aime mieux détruire que garder une chose qui lui appartient désormais, les personnes qui n'ont aucun intérêt à la propriété des objets détruits n'ont pas le droit de se plaindre de sa manière d'agir. Hall établit toutefois une distinction quant à la destruction de navires neutres ou de propriétés neutres à bord de bâtiments ennemis : « Ce serait, dit-il, une affaire toute différente ». S2814. A en juger d'après l'opinion de Valin l'ancienne jurisprudence française autorisait à brûler la prise lorsqu'on ne pouvait s'en charger; mais une ordonnance de 1681 (article 18) faisait défense, à peine de la vie, à tous chefs, soldats et matelots de couler à fond les vaisseaux pris et de descendre les prisonniers en des îles ou côtes éloignées pour céler la prise. >> Cette doctrine a été confirmée par l'arrêté du 2 prairial an xi, dont l'article 64 édicte la même défense.

«

§ 2815. En rapportant ces. réglements, qui régissent encore la matière, Pistoye et Duverdy font remarquer que la défense de couler à fond, portée par l'article 18 de l'ordonnance de 1681, n'est que pour le cas où cela se ferait en vue de céler la prise, mais que dans les autres cas où il y aurait imprudence à s'en charger il est permis au capteur de brûler ou de couler le navire; et les cas auxquels ils font ainsi allusion sont, par exemple, lorsque la prisé est si délabrée par le combat ou par les coups de mer qu'elle a essuyés qu'elle fait assez d'eau pour faire craindre qu'elle ne coule bas; lorsque le navire pris marche si mal qu'il expose l'armateur corsaire à la reprise; ou lorsque le corsaire, ayant aperçu des vaisseaux de guerre ennemis, se trouve obligé de prendre la fuite et que sa prise le retarde trop ou fait craindre une révolte. » Il s'agit donc dans l'appréciation de l'acte de destruction de bien. peser les circonstances qui l'ont acccompagné, afin de tâcher de constater quelle a été l'intention réelle du capteur. Si cette intention a été frauduleuse, c'est le cas d'appliquer la peine portée par les ordonnances; sinon, le fait d'avoir coulé ou brûlé le navire capturé ne doit donner lieu à aucune poursuite.

$ 2816. Un précédent qui date de la guerre de Crimée tend à prouver que telle est l'interprétation qu'il faut donner à l'arrêté de

Hall.

Valin.

Pistoye et
Duverdy.

Interpréta

tion de l'arl'a

rêté français

1870-1871. Guerre francoallemande.

Cas pratique. Lê Ludwig et

l'an xi, le seul qui régisse encore la matière. Dans un rapport qu'il adressait au ministre de la marine le 1er mai 1854 l'amiral Hamelin annonçait que deux caboteurs russes capturés par des bâtiments de guerre français avaient été coulés, « probablement », ajoutent Pistoye et Duverdy, qui mentionnent ce fait, parce qu'ils ne valaient pas la peine d'être amarinés. »

$ 2817. La dernière guerre entre la France et l'Allemagne nous fournit un exemple du même genre.

Deux bâtiments portant pavillon allemand, le Ludwig et le Vorwarts, furent incendiés le jour même de leur prise (21 octole Vorwarts. bre 1870) par le commandant du bâtiment de guerre le Desaix, qui eut soin de dresser un procès-verbal constatant la nécessité de cette destruction. Par suite de réclamations tant de la part des armateurs du Ludwig que de celle des capteurs, l'affaire fut portée devant le conseil des prises siégeant à Bordeaux, qui décida le 27 février 1871 qu'il résultait des papiers de bord et de l'instruction que ces bâtiments appartenaient à des sujets allemands; que leur prise était donc bonne et valable; que la destruction ayant été causée par force majeure pour conserver la sûreté des opérations du capteur, il n'y avait pas lieu à répartition au profit des capturés; qu'en agissant comme ils l'avaient fait, les capteurs avaient usé d'un droit rigoureux sans doute, mais dont l'exercice est prévu par les lois de la guerre et recommandé par les instructions dont ils étaient porteurs.

Les propriétaires des deux navires, ainsi que les consignataires et les chargeurs de leurs cargaisons, interjetèrent appel de cette décision devant le conseil d'État. Les premiers contestaient la légitimité de la capture et, par suite, de la destruction du navire, et demandaient que la valeur leur en fût restituée. De leur côté, les consignataires et les chargeurs de la cargaison, se prévalant de leur qualité de sujets neutres, invoquaient l'article 3 de la déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856, lequel affranchit de la confiscation la marchandise neutre à bord d'un navire ennemi, et revendiquaient le prix de leur propriété détruite.

La commission provisoire chargée de remplacer le conseil d'État par décret du 16 mars 1872 rejeta le recours des uns et des autres, en se basant sur les motifs suivants :

< Considérant que si aux termes de la declaration du congrès de Paris du 16 avril 1856 la marchandise neutre n'est pas saisissable à bord d'un navire ennemi, il suit de là seulement que le

neutre qui a embarqué ses marchandises sur ce navire a droit à la restitution de ses marchandises, ou, en cas de vente, au paiement du prix; mais qu'on ne peut induire de cette déclaration qu'il peut réclamer une indemnité à raison des préjudices qu'a pu lui causer soit la capture du navire lorsque cette capture a été reconnue valable, soit les faits de guerre qui ont accompagné ou suivi cette capture;

<< Considérant qu'il résulte de l'instruction que la prise du Ludwig et du Vorwarts a été jugée valable, et que la destruction des navires avec leurs cargaisons a eu lieu sur l'ordre du commandant du bâtiment capteur, par le motif que la sécurité de ce bâtiment ne permettrait pas, à raison du grand nombre de prisonniers à bord, de détacher une partie des hommes de l'équipage pour conduire les prises dans un port de France;

Que dans ces circonstances la destruction de ces prises constituait un fait de guerre dont les propriétaires des cargaisons ne peuvent être admis à discuter l'opportunité, et qui ne peut donner ouverture à leur profit à un droit à indemnité... »

$ 2818. L'interprétation que les appelants entendaient donner à la déclaration du congrès de Paris était, selon nous, trop large et trop absolue; nous croyons que l'article qu'ils en invoquaient n'a pas d'autre portée que celle que lui attribue le décret de la commission. Nous ne présumons pas en effet que les puissances contractantes aient jamais entendu subordonner les droits des belligérants aux intérêts des neutres dans tous les cas, même dans les cas de force majeure dominés par les nécessités de la guerre.

Que porte en substance l'article 3 que l'on invoque? Il dit textuellement : « La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi. » Or de ce que la marchandise neutre n'est pas saisissable ou plutôt n'est pas confiscable il ne s'ensuit pas absolument qu'elle soit inviolable.

Par son article 3 la déclaration du congrès de Paris a eu pour but uniquement de soustraire à l'exercice du droit de conquête la marchandise neutre chargée sur un navire ennemi; elle a enlevé au belligérant le droit de se l'approprier; mais elle n'est pas allée et elle ne saurait raisonnablement aller plus loin. Elle ne pouvait en effet prévoir les actes de force, les moyens hostiles dirigés par le belligérant contre le navire ennemi, par suite desquels la propriété neutre peut être endommagée ou détruite; et les eût-elle

Conclusions. de la déclaragrès de Paris.

Interprétation

tion du con

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