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prévus, avait-elle le pouvoir d'y mettre obstacle et d'entraver sous ce rapport l'exercice des droits incontestables de la guerre?

Dans l'état actuel du droit des gens on ne saurait contester que l'acte de capturer un vaisseau ennemi ne soit un fait de guerre licite, et que par conséquent la destruction du bâtiment dans certaines circonstances ne soit également licite; il s'ensuit nécessairement que la responsabilité du belligérant à l'égard des neutres est dégagée dans l'un comme dans l'autre cas. A un point de vue général on peut dire que le respect de la marchandise neutre sous pavillon ennemi n'est que le côté accessoire de la question de neutralité. S'il était admis que le neutre dût être indemnisé de sa marchandise détruite avec le navire ennemi, l'acte de couler ou d'incendier une prise devrait être interdit toutes les fois qu'il se trouve à bord un chargement neutre; car dans bien des cas l'obligation de payer la valeur de la marchandise imposerait au capteur des charges que ne compenserait pas la destruction du navire ennemi.

Maintenant, si nous raisonnons par analogie avec les usages de la guerre sur terre, nous voyons que là le principe du respect de la propriété privée revêt un caractère bien plus absolu, puisqu'il s'étend non pas seulement à la propriété du neutre, mais à celle de tout individu inoffensif ou ne prenant pas une part active à la lutte. Cependant quelles atteintes ne reçoivent pas ces propriétés par les actes que le belligérant accomplit dans l'exercice rigoureux de son droit? et l'histoire nous apprend que ces atteintes ne donnent lieu à aucune réclamation fondée, ou du moins à aucune allocation d'indemnité, ni même à aucune ingérence des gouvernements desquels dépendent les parties lésées.

Pour n'en citer qu'un exemple, d'une enquête faite à la suite du bombardement de Valparaiso par la flotte espagnole il résulte que le commerce neutre avait eu à souffrir plus que celui du Chili; pourtant aucune indemnité n'a été accordée aux neutres, en faveur desquels leurs gouvernements respectifs, notamment l'Angleterre, les États-Unis, la France, l'Allemagne et la Belgique, ont refusé d'intervenir auprès du gouvernement de l'Espagne.

En droit strict, quelque interprétation que l'on donne à la déclaration du congrès de Paris, le droit du capteur demeure intact en présence de circonstances de force majeure ou de certaines nécessités de la guerre. Le seul point qui pourrait faire naître quelques discussions, qui demande même, à notre avis, une réforme de la

loi internationale, c'est l'appréciation de ces circonstances et de ces nécessités; il y aurait lieu en effet de se montrer plus sévère dans le jugement des motifs qui ont déterminé la destruction de la prise. Il faut que la force majeure ou la nécessité à laquelle le capteur a dû obéir soit constatée par des preuves au dessus de tout doute et de toute critique sérieuse, par des preuves de nature à justifier pleinement sa conduite; il faut, en un mot, qu'il soit démontré qu'il n'a pu agir autrement qu'il ne l'a fait*.

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S 2819. Ainsi que nous l'avons déjà fait observer, la prise ou la saisie n'est qu'une mesure provisoire, ne conférant qu'un droit provisoire sur la chose capturée; mais pour que ce droit devienne définitif il faut qu'il soit consacré par la sentence d'un juge. En d'autres termes, par la saisie le capteur acquiert seulement la possession, mais non la propriété; il n'obtient la propriété qu'en vertu d'un jugement, qui prononce à son profit l'adjudication de la chose prise, mais qui peut également en décider la restitution au propriétaire primitif.

Les captures sont jugées et les prises déterminées par des tribunaux spéciaux appelés cours d'amirauté, tribunaux ou conseils des prises, institués depuis longtemps dans les pays civilisés et commissionnés par les autorités souveraines de ces pays pour prendre connaissance de la plupart des affaires maritimes, notamment de toutes les questions concernant la légitimité des captures, le droit et le mode de disposer des prises et les réclamations qui s'y rattachent.

Chaque État organise ses tribunaux de prises et en règle la jurisprudence selon ses intérêts, ses traditions, sa constitution politique. D'après cette jurisprudence, les tribunaux de prise décident si la capture est conforme à la coutume, si la cargaison constitue

Twiss, War, § 167; Lushington, Manual of naval prize law, no 101; Montague Bernard, Historical account, p. 419; Kent, Com., vol. I, p. 110; Bluntschli, § 672; Valin, Traité, p. 125; Pistoye et Duverdy, t. Il, tit. 8; Hall, International law, part. 2, ch. 3, § 150.

Tribunaux spéciaux pour juger les prises.

Compétence

pour

des prises.

en tout ou en partie de la contrebande de guerre, de la marchandise. ennemie ou de la marchandise neutre ; à qui et dans quelles proportions doit revenir la propriété de la prise*.

§ 2820. Le jugement des prises maritimes appartient aux tribule jugement naux du pays de celui qui a fait la capture. L'exercice du droit de prise étant un acte connexe à l'état de guerre et une délégation de la puissance souveraine, le droit des gens en fait naturellement et exclusivement peser la responsabilité sur le gouvernement du capteur; or cette responsabilité cesserait d'être effective, le redressement des injustices commises deviendrait impossible, si les tribunaux d'un pays étranger étaient appelés à juger des faits dont la légitimité intrinsèque leur échappe, et à rendre des sentences dont ils seraient hors d'état d'assurer l'exécution.

Clauses ●onvention

nelles sur la matière.

Quoique Phillimore soutienne l'opinion contraire, il est également admis en principe que les tribunaux de prises d'un pays allié sont incompétents pour statuer sur la validité des prises du co-belligérant. Le gouvernement du capteur est bien responsable envers les autres États des actes de ses propres sujets; mais il ne l'est jamais de ceux de ses alliés.

A plus forte raison le tribunal d'un pays neutre ne peut-il prononcer la validité ou la condamnation des captures que les belligérants auraient amenées dans ses limites juridictionnelles. Admettre une pareille compétence serait susciter les plus graves complications, exposer le neutre à devenir juge dans sa propre cause ou à se placer dans une situation hostile soit à l'égard de l'une ou de l'autre des parties belligérantes, soit à l'égard d'États tiers, dont les sujets pourraient ainsi voir confisquer leur propriété pour violation de devoirs dont l'appréciation varie d'un pays à l'autre **. S 2821. La règle que nous venons d'exposer est tacitement ou explicitement formulée dans un grand nombre de traités; elle n'a été mise en question par aucun de ceux sur lesquels repose le

* Bulmering, Revue de droit int., 1879, t. XI, p. 353; Creasy, First platform of int. law, p. 555; Funck Brentano et Sorel, Précis, p. 423.

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Cauchy, t. I, pp. 66, 67; Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 300 et seq.; Massé, t. I, §§ 406 et seq.; Pistoye et Duverdy, t. II, tit. 8, ch. 1; Gessner, pp. 357 et seq.; Heffter, §§ 138, 172; Bluntschli, § 842; Martens, Précis, § 322; Klüber, Droit, § 296; Steck, Essais, pp. 82 et seq.; Fiore, t. II, pp. 521 et seq.; Hubner, t. II, pte. 1, chs. 1, 2; Dalloz, Répertoire, v. Prises maritimes, sect. 6, §§ 251 et seq.; Phillimore, Com., v. III, §§ 365 et seq.; Kent, Com., v. I, pp. 109, 110; Wheaton, Élém., pte. 4, ch.2, §§ 13 et seq.; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. 9, § 19; Halleck, ch. 31, § 2; Manning, pp. 379 et seq.; Wildman, v. II, p. 352; Bello, pte. 2, cap. 5, § 4; Pando, pp. 432 et seq.; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 201.

droit public moderne. On cite, il est vrai, deux conventions par lesquelles la compétence dans des cas de ce genre a été réservée au souverain neutre; mais ces actes remontent au XVIIe siècle; ils ont été conclus par la Grande-Bretagne, le premier en 1661 avec l'Espagne, le second le 11 juillet 1670 (1) avec le Danemark. On lit à l'article 3 de ce dernier : « Si les sujets de l'un ou l'autre prince osaient contrevenir aux présentes, alors le roi dont les sujets en auront agi ainsi sera obligé de faire procéder contre eux avec toute sévérité comme contre des séditieux et infracteurs de l'alliance. »

Les plaintes et les difficultés auxquelles cette marche a quelquefois donné lieu ne doivent pas être considérées comme une preuve que le principe en lui-même soit injuste, mais seulement qu'une application abusive en a été faite à des cas particuliers. C'est ce que Rutherforth explique en ces termes dans ses Institutes of natural law: « La décision appartient au souverain belligérant, qui seul a le droit de surveiller ses bâtiments de guerre et ses corsaires. Cette décision oblige d'une manière absolue ses sujets, parce qu'il a sur leurs personnes une juridiction complète; mais elle n'oblige qu'eux; les autres parties en cause, étant membres d'un État différent, ne sont forcées de se soumettre à la sentence du premier qu'autant qu'elle est d'accord avec le droit des gens ou avec les traités particuliers, parce qu'il n'a pas de juridiction sur elles relativement à leurs personnes ou aux choses qui font l'objet de la controverse.

«

Après la confirmation du jugement du tribunal inférieur les réclamants étrangers peuvent s'adresser à leur gouvernement pour obtenir réparation, s'ils se croient lésés; mais le droit des gens ne leur accorde de réparation qu'autant qu'ils ont été réellement lésés. Quand la chose est poussée à ce point, les deux États deviennent parties dans la controverse, et comme le droit naturel, qu'il s'applique aux individus ou aux sociétés civiles, a horreur de l'emploi de la force tant qu'il n'est pas devenu indispensable, le gouvernement de l'État neutre, avant d'en venir à une guerrre ouverte ou à des représailles, doit s'adresser au gouvernement de l'autre État pour se convaincre qu'il a été bien informé, et en même temps. pour aviser aux moyens de régler la controverse par un accord amiable*. »

(1) Hertslet, v. I, p. 186; Dumont, v. VII, pte. 1, p. 132.

Gessner, pp. 358, 359; Pohls, pp. 1226, 1227; Busch, ch. 6, § 6; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. 9, § 19; Manning, pp. 379, 380.

Dérogation au principe

général.

Jurispru

dence nord

$ 2822. La théorie qui exclut toute autre juridiction que celle des tribunaux du capteur pour décider de la validité des prises faites en temps de guerre sous l'autorité de son gouvernement admet toutefois deux exceptions: 1° lorsque la capture a été faite dans les limites d'un territoire neutre; 2° lorsqu'elle a été opérée par des bâtiments de guerre armés en pays neutre. Dans ces deux cas les tribunaux de l'État neutre ont qualité et juridiction pour statuer sur la validité des captures et affirmer la neutralité de leur gouvernement en ordonnant, s'il y a lieu, la restitution à qui de droit de la propriété saisie. Ces exceptions ont même été étendues par les réglements administratifs de certains États à la restitution illimitée et sans réserve des propriétés injustement capturées au préjudice de leurs sujets et fortuitement amenées dans leurs ports *.

§ 2823. La cour suprême des États-Unis a fait sur cette maaméricaine. tière une remarquable déclaration de principe. « Une nation neutre, a-t-elle dit, qui a le sentiment de ses devoirs, ne s'interpose point entre des belligérants de manière à les entraver dans l'exercice de leur droit incontestable de juger par l'entremise de leurs propres tribunaux la validité de toutes les captures opérées en vertu des commissions respectivement délivrées par eux, et de décider toutes les questions de droit relatives aux prises qui peuvent surgir dans le cours d'une telle discussion. Mais on ne manque pas à cette obligation dans le cas où un navire capturé est amené ou vient volontairement intrà præsidia; la nation neutre pousse son enquête jusqu'à rechercher si une atteinte a été portée à sa neutralité par le bâtiment qui a opéré la capture. Tant qu'une nation n'intervient pas dans la guerre, mais qu'elle observe une parfaite impartialité entre les deux parties, c'est son devoir comme son droit du reste sa sûreté, sa bonne foi et son honneur l'exigent de veiller à ce qu'on n'usurpe pas sa neutralité dans un but hostile contre l'un ou l'autre de ces belligérants... On doit supposer que tous les belligérants ont un égal intérêt à l'accomplissement de ce devoir; et l'oubli ou la négligence de le remplir

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t Hautefeuille, Des droits, t. III, pp. 327, 328; Massé. t. I, § 410; Pistoye et Duverdy, t. II, p. 185; Gessner, pp. 368, 369; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 14; Phillimore, Com., v. III, § 372; Halleck, ch. 31, § 3; Merlin, Répertoire, v. Prises, § 7, art. 1, no 3; Dalloz, Répertoire, v. Prises marit., sect. 6, art. 1, §§ 252 et seq.; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 8; Loccenius, De jure, lib. 2, cap. 4, § 6; Azuni, t. I, ch. 2, art. 7, t. II, ch. 4, art. 3, § 12; Galiani, cap. 9, §8; Heffter, § 172; Pando, p. 471; Manning, pp. 385, 386; Wheaton, Reports, v. IV, p. 298; v. VII, p. 283,

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